• Plume n°30 •
Nekfeu
➰
Je crois ... Je crois que je venais de toucher les bas-fonds de ma putain de colère. A moins que cela ne soient ceux de ma foutue tristesse ? Aucune idée. Actuellement, j'étais incapable de penser à autres choses qu'à cet idiot en face de moi. Putain, mais qu'est-ce qui avait pris à Max de sortir avec un mec pareil ? Il toisait le mètre quatre-vingt-dix et était tatoué de la tête aux pieds, bordel ! Ce junkie de mes deux était tellement grand que je n'arrivais même pas à imaginer ma – ma ! – copine autrement que sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Et puis putain, cette simple image refit monter la bile jusque dans ma bouche, me faisant grimacer autant d'effroi que de rancœur.
La boule dans ma gorge était en train d'accroitre considérablement, cette foutue boule que je supportais depuis deux jours, depuis le soir où j'avais annoncé à Max que son ex-fiancé ne l'avait jamais quittée. Alors, comme un connard, je l'avais enfermée chez moi. J'avais eu l'abominable impression d'être un taré, mais je m'en étais contenté : à mes côtés, elle ne risquait pas de décamper. Et finalement j'avais cédé pour ses beaux yeux, ses putains d'iris qui me suppliaient de la laisser partir. J'avais cédé comme un foutu lâche pour la simple et bonne raison que je m'étais rendu compte de mon ridicule et de ma lourdeur. Qui était-je pour l'empêcher de se rendre compte que ses proches n'étaient que des barges ?
Mais sûrement n'aurais-je jamais dû faire cette connerie. Car, putain, on ne serait sûrement pas ici, plantés comme des idiots, elle dans mes bras après qu'elle ait failli trébucher, si j'avais laissé libre court à mes pulsion – à savoir, la balancer sur mon épaule, puis retourner dans ma chambre pour la faire crier mon prénom. Mais non ! A la place, je bouillonnais sur place, dans cet appart' miteux qui empestait l'humidité à plein nez. J'étais entouré de mecs que je ne connaissais pas, tous plus contrits les uns que les autres, tandis que Max semblait paralysée contre moi. Pour dire, je ne la sentais même plus respirer.
Finalement, ce fut l'idiot qu'elle avait castré pour rentrer ici qui brisa l'espèce de ... bulle qui enclavait ma copine et son ex. Ils se dévisageaient dans un silence alarmant, s'étudiaient du regard comme deux inconnus en phase de connaissance. Pour autant, il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir la satanée lueur d'adoration qui régnait dans les yeux de ce type. Il l'admirait comme on admirerait une œuvre d'art, un trésor caché qu'on aurait retrouvé après des années de recherches. Et le voir ainsi me faisait tellement putain de mal. Ça me prenait à la gorge, m'asphyxiait et m'empoissait le sang. C'était une abominable confusion de jalousie et d'infériorité. Il était le foutu premier, il le serait toujours. Et moi, je ne serai jamais que le second, celui qui avait pris le relai. Et ça, ça me tuait. Un peu plus à chaque seconde qui passait : une toxine qui se répandait inlassablement dans mes veines, os, organes et pensées depuis le jour où Rose s'était dévoilée à moi.
" Laurens, je te jure que tu vas payer pour mes burnes. " Couina ledit Raphaël et j'aurais sûrement esquisser un sourire narquois lorsqu'il retomba lourdement dans le canapé, une main sur la fermeture éclair de son jean, si la situation n'était pas aussi tendue.
Au même moment, Dylan qui paraissait sortir de sa torpeur, cligna furieusement des paupières et releva méchamment son regard verdâtre vers moi. Il me toisait avec une hargne incomparable et je me fis un plaisir de lui rendre son œillade assassine. L'atmosphère était on ne peut plus électrique, tellement que nous aurions pu sentir les crépitements de l'air autour de nous. Mes muscles se gonflaient ardemment d'adrénaline tandis que j'encerclai un peu plus fermement la taille de Maxine qui n'avait toujours pas cillé. C'était primaire comme réaction, mais je voulais démontrer à ce type que, désormais, elle était à moi. Qu'il avait fait son putain de temps et que j'étais dorénavant celui qui prenait soin – pas toujours, certes, mais quand même – d'elle.
" Je te jure que j'ai essayé de la retenir, mon pote, mais tu la connais, elle est - "
" Il ne me connait pas. " L'interrompit subitement Maxine d'une petite voix, ce qui nous valut à tous un haussement de sourcils. " Il ne me connait plus. " Continua-t-elle avec plus d'assurance en avançant d'un pas dans sa direction.
Un grand froid s'abattit sur mes épaules quand elle ne fut plus dans mes bras et je voulus presque lui saisir la main pour la ramener jalousement contre moi. Mais je me ravisai, malheureusement conscient que je ne pourrais pas la retenir éternellement ; la crise de ce matin nous l'avait démontré.
Désormais, elle se situait entre nous deux : à un petit mètre de moi, à un grand pas de lui. Elle me tournait le dos et lui faisait face. Mon inconscient ne put s'empêcher de faire un lien avec le futur des évènements. Cette hypothèse comprima crument mon bas-ventre et j'eus presque envie de rire devant l'ironie de la situation : j'avais fouiné là où je n'aurai jamais dû fouiner. J'avais brisé l'équilibre de cette famille, avait fait remonter des histoires sombres à la lumière du jour pour la simple satisfaction d'avoir la mainmise sur Max. Et désormais, je m'en mordais les doigts.
Quel con.
Mes lèvres se courbèrent vers le bas lorsque le métis en face de nous dévisagea de nouveau ma copine. D'ici, je pouvais voir les poils de ses avant-bras se dresser, l'artère près de sa jugulaire battre impétueusement sous sa peau noircie d'encre. Plus Max se rapprochait de lui, plus il empestait l'angoisse, je crus même le voir faire un pas en arrière. Et putain, qu'il avait raison : compte tenu des menaces qui planaient au-dessus de lui depuis deux années, je serai foutrement terrifié à sa place.
Mais ça, Max ne le savait pas.
Cette dernière continua d'ailleurs d'avancer jusqu'à lui, relevant son minois si haut que sa capuche glissa lentement du haut de son crâne. Un silence glaçant régnait dans la pièce, même cet idiot de Raphaël – quel âge avait-il à ce sujet ? Il paraissait bien plus jeune que nous. – était concentré sur la scène qui se jouait sous nos yeux scrutateurs. Les petites mains de ma photographe tremblaient le long de son buste tandis que les deux yeux sombres de son pote la scrutaient avec minutie. Je retenais bêtement mon souffle, prêt à en découdre si ce type disait un mot de trop. Ce qui était plutôt ridicule étant donné que je me ferais très certainement laminer : je ne m'étais battu que trois ou quatre fois dans ma vie, mais jamais avec un connard qui faisait presque vingt centimètres de plus que moi.
" Tu n'as pas changé. " Souffla-t-il, mais je ne fus pas certain que ses mots soient voulus : il semblait plus parler à lui-même qu'à la brune en face de lui. Je réprimais une grimace de dégout avec difficulté et tassais mes mâchoires si puissamment que mes môlaires menacèrent de se fracturer. " T'es toujours aussi belle. " Il continua d'une voix bien plus austère ; à croire que cela lui arrachait la gueule de lui faire un compliment. Pauvre type, bien sûr qu'elle l'était.
" La ferme. "
Mes yeux s'écarquillèrent lorsque Maxine prit la parole. Elle ne semblait plus intimidée, ni même angoissée, simplement et excessivement énervée. Elle avait craché son ordre avec tant de véhémence, de dédain et de mésestime dans sa voix éraillée, que je ne fus pas le seul à tiquer : Dylan aussi parut stupéfié.
Là encore, j'aurais ricané si la situation s'y prêtait : une montagne de testostérones apeurée par la Muette. Je n'étais donc pas le seul qui craignait ses crises de nerfs ; à croire qu'elle marquait tout le monde au fer rouge. Et c'est alors qu'un semblant de fierté naquit dans mon esprit : je ne l'avais peut-être pas définitivement perdue, cette photographe au comportement ravageur.
" Écoute, Max, je suis déso- "
Mais si auparavant je me sentais fier, ce ne fut rien comparé à l'instant où le petit poing de Max s'abattit férocement contre la mâchoire carrée de son abruti d'ex. Un bruit répugnant de dents se claquant les unes contre les autres détonna dans la pièce avant que le silence ne retombe brutalement autour de nous. Le visage de Dylan était rivé sur le côté alors que sa main massait délicatement sa joue ankylosée. Max, elle, semblait plus furieuse que jamais : tout son corps frémissait sous ses vêtements larges, soumis aux agressions de ses émotions. J'eus l'impression de la revoir, ce jour-là où je l'avais suivie pendant des putains d'heures simplement pour savoir ce qu'elle foutait de ses journées. Une éternité semblait s'être écoulée depuis. Un ricanement discret trancha dans l'air sur ma droite et je fusillais du regard Raphaël qui se délectait de la scène.
" Bonnie and Clyde sont de retour ... " Gloussa-t-il sur le canapé, d'une telle manière à ce que je sois le seul à l'entendre. Sérieusement, Bonnie and Clyde ? C'est quoi cette merde encore ?
" Je t'interdis, de t'excuser. " Cracha Max au même moment, prenant le temps de détacher chacune de ses syllabes. " Tu m'entends ? Je te l'interdis comme je te déconseille fortement de regarder encore une fois mon petit-ami comme tu le faisais, Dylan. "
" Ton petit-ami ? Je t'en prie, Max ! C'est un foutu nain de jardin ! " S'insurgeait-il en me pointant hargneusement du doigt, et putain, mon égo venait d'en prendre un sacré coup. Mais ce ne fut rien comparé à la colère froide qui venait de déflagrer dans mon organisme : ce connard venait de m'ouvrir les portes. En engageant les hostilités, il me donnait un bon motif pour intervenir.
" Fais gaffe à toi, mon pote. Ça serait dommage que le restant des Laurens apprenne ton retour en ville, pas vrai ? "
Un sourire carnassier creusa mes pommettes quand je l'entendis ronfler de frustration. Ce con n'osait même plus me jeter un regard, surement trop conscient que si je mettais en œuvre mes avertissements, il ne lui resterait qu'un peu moins de deux semaines de tranquillité avant de ne pourrir derrière les barreaux.
Alors certes pour ma virilité, ce coup de pute n'était vraiment pas terrible, mais pour la tranquillité qu'il occasionnait, c'était parfait. Je n'étais certainement pas casse-cou, ni même réellement violent, mais j'étais malin. Malin, vulgaire, curieux, mais lucide : ma battre avec un mec de cette taille ne me mènerait à rien, si ce n'est me faire honteusement démonter. Mais je tenais à Max – surement plus que de raison d'ailleurs, et je refusais de la laisser partir avec ce junkie de mes deux sous prétexte que j'avais été trop con pour réfléchir aux conséquences de mes actes.
Pour autant, ma satisfaction passagère se fractura violemment dans mes songes lorsque je me rendis compte du regard inquisiteur de ma brune sur ma personne. Son joli minois était froncé, plissé par l'incompréhension et l'impatience. Mon sang se glaça âprement dans mes veines quand je me rendis compte que j'en avais trop dit, beaucoup, beaucoup trop dit. Mon cœur aussi se frigorifia, répandant un tel froid dans mes organes vitaux que mon précédent aplomb partit aussi vite qu'il était arrivé.
Ses deux billes bleues me suivaient incessamment, scrutant chacun de mes mouvements tandis que l'homme dans son dos était au summum du malaise. Lui comme moi venions de comprendre que l'ignorance de Max s'arrêterait aujourd'hui. Peut-être même dans la minute. Qui plus est, de nos foutues bouches ! Et c'était démesurément horrifiant. Les deux hommes de sa vie – à supposer qu'elle me considérait comme tel – l'avaient soit trahie, soit volontairement maintenue dans le déni.
Max avait été écartée de sa propre vie à grands coups de mensonges depuis des années. Elle avait été trainée chez toute une ribambelle de médecins, psychologues, etc., sous prétexte que sa foutue famille regrettait. Ce n'était pas de l'amour, c'était de la culpabilité. Une culpabilité outrageusement violente qui ne les avait pour autant pas empêchait de corrompre la vie de ma meuf.
" Ken ... ? " Susurra-t-elle doucement et l'imploration dans sa voix me fit river le visage au sol. Quel con, vraiment, mais quel con j'étais.
" Attends, ton nain de jardin blond platine s'appelle ... Ken ? Maxine, putain, dis-moi que tu te fous de ma gueule là, c'est pas possible ! Tu sors avec la version rappeuse de Barbie ?! "
Se badina sinistrement l'autre grande perche et je jure que je ne parvins plus à me retenir d'avancer dangereusement vers lui. Ma vision déjà floutée par les diverses émotions qui m'assaillaient, fut désormais obstruée par une qui me hantait depuis bien trop longtemps : la colère. Quand bien même risquais-je de me faire démonter la gueule par ce type, je ne pouvais décemment pas le laisser me parler ainsi. Putain, mais pour qui se prenait-il ?! Sentant ma respiration s'appesantir considérablement, je raidissais mes mains pour former des poings compacts et bravais sans broncher face à la lueur de défi qui régnait sur la foutue gueule de ce connard.
Pour autant, un râle tout droit sorti du fond de ma cage-thoracique s'échappa d'entre mes lèvres quand des doigts se pressèrent soudainement sur mes pectoraux. Frustré, je déviais mon regard de celui orageux de mon concurrent et le posais dans celui étonnamment suppliant de ma brune. Il suffit que mes yeux fous se noient dans l'océan maintenu dans ses iris pour que je me sente démuni, dépouillé de toute trace de rage. Comment faisait-elle ? Pour me rendre si piteux et si fort à la fois ? Je veux dire, c'était inhumain, non ? Devenir si ridiculement dominé par les humeurs d'une autre personne que soi, c'était risible, non ?
Pétrifié devant elle, je fus tant magnétisé par la limpidité de ses yeux que je ne sentis qu'à moitié sa minuscule main glisser jusqu'à mon cou. Sa peau était transie, effroyablement gelée comparée à la mienne qui bouillait sous l'assaut de mes sentiments paradoxaux. Quand la pulpe délicate de son pouce frôla mes lèvres, je perdis toute conviction à ma battre. Elle venait de me faire comprendre tacitement de ne pas le faire et je roulai des yeux, irrité par mon comportement bien trop discipliné. Malgré tout, je refoulai ce relent d'égoïsme et de fierté démesurée, et posai un dernier regard renfrogné à son ex qui riait discrètement de ma subordination.
" T'as toujours eu un don pour mener les mecs à la baguette, Max. " Ricana-t-il sombrement. Je grognai et fermai férocement mes paupières pour me convaincre de prendre sur moi. Pour Max, pour Max, pour Max, ce cessai-je de me répéter. Putain, ma virilité était en train de partir en courant. Où étaient mes burnes, bon sang ?
" Tu la fermes, Dylan ! " S'insurgea-t-elle brusquement en enlevant sa main de ma joue. " Soit tu te tais, soit tu m'expliques ce qu'il s'est passé il y a deux ans ! " Cria-t-elle de nouveau. " Putain, j-je ... "
Je rouvris mes yeux, inquiet de l'entendre bafouiller ainsi. Elle peigna fiévreusement ses cheveux en arrière et massa ses tempes dans le même temps. Elle qui, jusqu'à présent, faisait preuve d'un calme olympien – si on oubliait son joli coup de poing de toute à l'heure, était désormais en proie à la panique. Les évènements la submergeaient, la noyaient : il suffisait de voir son visage pour comprendre que son masque n'allait pas tarder à se fissurer. Définitivement. C'était d'ailleurs étonnant que cela ne soit pas encore arrivé. Sa respiration débridée colorait ses joues d'une teinte de rouge anormale tandis qu'elle réajustait nerveusement le col de son sweat. Elle semblait étouffer, peut-être même était-elle en train de réellement suffoquer.
" Max, ça va ? " M'enquis-je et je démantelai du regard le métis qui avait dit exactement la même chose que moi, au même putain de moment. Quel con lui aussi. En fait, non, nous étions deux cons face à une bombe à retardement.
" Ta gueule, Barbie. Tout ça c'est de ta faute. " Grogna-t-il comme un foutu clébard enragé et je répliquai du tac au tac :
" De la part d'un type qui a fui dès le premier obstacle, ça ne m'atteint même pas, mon pote. "
Nous nous affrontâmes rageusement du regard alors que nous rapprochions redoutablement l'un de l'autre.
" Tu es au courant que tu n'es qu'un mec médicament, pas vrai, Barbie ? " Siffla-t-il, et je ne pus démentir la douleur sourde dans mon organe vital : il venait d'exprimer à voix haute ce que je craignais secrètement.
" Je ramasse tes conneries, sombre merde, tu devrais mes lécher le cul pour ça. " Crachais-je, retenant les véritables mots qui taquinaient sournoisement le bout de mes lèvres.
" Casse-toi de chez moi, Nekfeu, c'est un putain de conseil que je te donne l'ami : un mot de plus et tu finis la gueule au sol. " Me menaça-t-il et l'adrénaline me fit sourire vicieusement. Quelque part, je n'attendais que ça : qu'il balance le premier coup pour démontrer à ma brune qu'il n'était définitivement pas un homme pour elle.
" Fais-toi plaisir, mon pote. Je t'attends ! " Le provoquai-je en écartant grand les bras. Un lueur d'incertitude traversa son visage et je sus alors que je venais de le mettre au pied du mur : il ne pouvait pas me frapper. Il ne pouvait pas car, tout comme moi, l'opinion que Max se faisait de lui était plus important, primait sur le reste. Cet abruti l'aimait, il l'aimait beaucoup trop malgré tout le temps qui était passé. Ça crevait les yeux. Et cela ne me poussa que plus dangereusement dans mes retranchements.
" Je ne frappe pas les lâ- "
" Lâches ? " L'interrompis-je dans la foulée, connaissant déjà la fin de sa foutue phrase. " Mais dis-moi, qui est le plus lâche : Moi ou le connard qui a accepté de la thune pour disparaitre et, par la même occasion, abandonner sa fiancée qui venait tout juste de se réveiller dans le lit d'un putain d'hôpital ?! "
J'avais crié. Si fort, que même un sourd aurait pu entendre ma voix retentir dans ses tympans dégénérescents. Il ouvrit aussitôt sa bouche pour riposter mais il se tétanisa subitement. Moi aussi d'ailleurs. Mes mots n'avaient pas fini de résonner entre les murs que nos deux corps parurent s'ankyloser, comme brusquement frappés par la foudre. Mes poumons avaient beau bramer que je respire, j'en fus incapable. Le poids du monde venait de s'affaler sur moi, m'enfouissant six pieds sous terre, m'ôtant tout sens de la parole, me dérobant toute raison et tout courage.
La bombe était lancée, un compte à rebours mental venait de s'engrener dans mes pensées. Les secondes passaient. Des secondes aux apparences d'éternité où tout ce que je pus faire fut admirer le visage du métis se décomposer. Il passa par toutes les émotions : colère, consternation, désarroi, amertume, chagrin. Nos regards ne parvenaient pas à se dissocier, peut-être car nous refusions de jeter un coup d'œil à la femme à nos côtés qui avait été spectatrice de notre virulent échange, témoin de sa propre vie, une fois encore.
Même cet idiot de Raphaël semblait effaré par ma révélation. Le tic-tac de ma montre lui-même paraissait faire plus de bruit que nos respirations. Et étonnamment, le premier son qui annihila notre mutisme fut un rire. Un rire jaune, purement nerveux, presque sarcastique. Un son désagréable qui m'écorcha les oreilles comme des lames de rasoirs. Un son douloureux que j'aurai préféré ne jamais entendre car il signifiait la fin de beaucoup de choses. Beaucoup trop de choses.
" Combien ? " Cracha-t-elle hautainement, un brin de raillerie dans sa voix. C'était invraisemblable, mais la situation semblait l'amuser. Peut-être car elle n'y croyait pas ? Qui sait ce que pensait réellement cette meuf de toute façon. Dylan soupira profondément avant de ne secouer délicatement sa tête vers le bas :
" Max, je te jure que – "
" Combien, Dylan ! " Cria-t-elle brusquement. " Pour combien m'as-tu lâchement abandonnée ?! Combien mes parents t'ont-ils donné, bordel ?! "
Dépité par la tournure catastrophique des évènements, j'apportai ma main à la racine de mes cheveux et basculai mon crâne vers l'arrière, contemplant les craquelures de la peinture jaunit par l'humidité du bâtiment. Tout était bon pour ne pas assister à la chute de la grande Maxine Laurens : tout était prétexte pour ne pas affronter son regard, son visage, sa voix. Je n'en étais pas capable. La voir se putréfier aussi bien intérieurement qu'extérieurement était la pire des scènes à regarder : chaque image était une aiguille qui perçait doucement, vicieusement l'arrondi de mes yeux.
Pendant plusieurs secondes, je gardai ainsi mes prunelles fixées sur l'asphalte décrépi du plafond et celai mes paupières quand le soupir lourd et désappointé de Dylan retentit tout autour de nous :
" Trente. " Il murmura finalement, si craintivement que je ne fus pas certain que la brune l'ait entendu. Alors il recommença avant de ne tenter de se justifier : " Trente mille, Max. Mais je te jure que je n'avais pas le choix ! Je ... Maxine, putain, pars pas ! "
Bien sûr que si : il fallait qu'elle parte, pour elle, s'était vital, viscéral. Elle partirait un jour où l'autre de toute manière. Qu'importe son entourage, qu'importe ses proches, qu'importe que je l'aime ou non. Elle partirait un de ces quatre matins. C'était une certitude que Rose m'avait léguée. Une effroyable et incontestable vérité : elle détestait trop la société qui y rester. Et je n'osai même pas la regarder fuir : c'était trop douloureux, mes regrets étaient trop grands.
" Je t'en supplie, écoute-moi, laisse-moi t'expliquer ! " Le désespoir de ce pauvre type fit écho au mien. Mais j'étais cloué au sol par la culpabilité. Finalement ma langue s'était déliée, mais que par pur égoïsme. Simplement pour faire taire le traitre qu'était l'ex de ma copine. " Putain, Max, j-je ... Je ne t'ai jamais réellement quittée, d'accord ?! J'ai toujours gardé un œil sur toi, je – "
Trop tard, la porte d'entrée venait de claquer sous son nez et le silence recueillit l'aveu navrant de ce gars. Nous n'étions plus que trois types inconnus, mutiques et stoïques, unis par une même et unique personne. Une brune aux tendances colériques et impulsives, une photographe qui le monde connaissait pour son talent avéré et ses clichés mondialement connus. Une femme qui ne se satisfaisait pas de sa vie, sûrement trop bancale pour coïncider avec les principes et les vices de notre monde. Potentiellement, une meuf que deux hommes chérissaient.
Mais quelle dérision : les gens parlaient d'amour, moi je parlais d'animosité passionnée.
J'aurais dû lui dire. Absolument tout le soir même où j'ai appris tout ça. En conservant le secret aussi longtemps, je lui laissais croire que je cautionnais ce que ses parents et sa sœur avaient fait. Ce qui était faux, putain ! Ça me révulsait ! Mais alors pourquoi ne pas avoir ouvert ma gueule plutôt ? Pourquoi maintenant ? Car j'étais un inexorable égoïste. Elle était là, la foutue réponse : en me taisant, en me morfondant dans mes mensonges et mon mutisme, je conservais jalousement Max à mes côtés.
Je soupirai, résigné par mon propre comportement et plus globalement, par celui du monde entier. Sentant la migraine surgir, je pinçai l'arête de mon nez entre mon pouce et mon majeur, et fermai mes yeux pour réfléchir un peu plus raisonnablement. Qu'aurait fait le copain idéal à ma place ? Il aurait certainement couru comme un dératé pour la rattraper et lui expliquer que tout ça, ce n'était pas voulu.
Sauf que c'était faux, n'est-ce pas ? Quoi qu'il en soit, même si je me décidais à la rejoindre, elle me rembarrerait sûrement. C'était de Maxine Laurens dont on parlait : la solitude, l'isolement, c'était ce qu'elle préférait. Alors ça ne servirait à rien : elle avait besoin de réfléchir ... Même si j'étais putain d'inquiet par ce qu'elle n'allait pas tarder à concocter méticuleusement pour se venger.
Fait chier. Vraiment, il n'y avait pas d'autres mots : fait chier.
" Fait chier ! " Jura justement le métissé avant de ne frotter nerveusement le haut de son crâne rasé court. Orgueilleusement, je le lorgnai par-dessus mon épaule et l'observai faire les cents pas dans son foutu salon. Tout comme moi, il semblait pris au piège entre deux possibilités de réaction : la rejoindre ou s'énerver connement. Personnellement, je penchais plus vers la deuxième option – même si pour l'instant, je ressemblais davantage à une statue de cire incapable de sentiments.
" Vous voulez que je la rejoigne ... ? " Tenta craintivement Raphaël et nous fûmes deux à lui répondre en cœur :
" Surtout pas ! " Je roulai des yeux quand Dylan me jeta un regard assassin et continuai sur ma lancée : " Faut la laisser tranquille. "
" Barbie a raison, même si ça m'arrache la gueule de l'admettre. Tu la connais, mec. Déjà que je viens de me bouffer un pain, j'veux pas perdre mes bijoux en essayant de lui expliquer que c'est sa famille de barges le problème, pas moi. " C'était assez inquiétant : cet abruti et moi-même pensions la même chose. Je grimaçai discrètement et me convainquis qu'il était temps de partir. D'un geste nonchalant je réajustai ma veste sur mes épaules ainsi que ma casquette sur le haut de mon crâne et partis en direction de la porte sans réclamer mon dû. Bien évidemment, ça aurait été trop simple. " Hey, l'abruti : Tu l'aimes, pas vrai ? "
Je me plantai devant la porte close, une main tendue vers la poignée, la seconde enfouie dans l'une des poches de ma veste. Je fermai mes paupières, autant de lassitude que de désappointement : où voulait-il en venir, au juste ? À des menaces ? J'aurais pu sourire, peut-être même rire nerveusement si la trêve tacite que nous venions d'établir n'était pas aussi fragile. Un mot de trop, un acte de trop, et je ne parviendrai plus à maintenir ma colère en cage. C'était trop, trop en trop peu de temps. Ma vie tranquille me manquait. L'époque où les Laurens n'étaient pas encore rentrées dans ma vie aussi.
Je me retournai mollement dans sa direction et penchai légèrement ma tête sur le côté en souriant d'une façon ironique.
Je voulais crever.
" Qu'est-ce ça peut te foutre ? " Marmonnai-je dans un soupir morne et en trois enjambées, il m'atteignait près du porche de sa porte. C'était dérangeant de savoir que j'étais celui qui le suivait ; nous étions diamétralement opposés, tellement que cela paraissait invraisemblable que Max soit passée de lui à moi.
" Beaucoup de choses, Barbie, beaucoup de choses. Tu sors avec ma – "
" Je t'interromps, mec, mais t'es plus rien pour elle. Rentre-toi ça dans le crâne. Tu fais partie de son passé, alors passe à autre chose putain. D'ailleurs, en y pensant bien, t'es plus rien pour plus personne ici. Juste un mec avec qui elle sortait au lycée, une connerie, un mec de passage qui l'a trainée dans la merde pendant des années : admets-le, t'es un poison, mon pote. Et avec ce qu'elle sait maintenant, t'as plus aucune chance. Prie seulement pour qu'elle ne décide pas d'aller voir sa famille. Ça serait con que tu finisses en taule après tout ce temps d'éloignement, non ? "
Je m'étonnai moi-même à être si impassible. Malgré le tumulte de mes émotions qui se battaient en duel dans mes pensées, je faisais preuve d'un calme désarmant. Peut-être, simplement peut-être, parce que je n'avais plus la force, ni même la volonté de ma battre. Cela ne manqua d'ailleurs pas de désarçonner le métis qui fronçait gravement ses sourcils. Malheureusement, je ne lui avais dit que la triste vérité, aussi pénible soit-elle pour lui. Max avait avancé, elle s'était construite une vie, une identité, une notoriété, malgré ses failles et son putain de passé mensonger qu'elle trainait comme un boulet à la cheville.
Elle avait grandi. Elle m'avait moi. Et même si cela semblait absurde, totalement aberrant d'y songer, je me persuadais que cela lui suffirait, que je lui suffirais.
" Alors passe à autre chose. Disparais, reste ou crève ... Très honnêtement, je m'en branle. Mais ne te mets pas en travers de mon chemin. "
Je le dévisageai une ultime fois, persuadé que je ne le reverrais plus avant longtemps, et possiblement touché par toute la peine peinte sur sa sale gueule. Tandis que ses lèvres s'entrouvraient pour finalement se refermer, ses yeux verts, eux, suintaient de panique et de désarroi. Les mots lui manquaient, certainement car il savait que j'avais bon sur toute la ligne. Et putain que ça faisait du bien d'avoir enfin raison dans tout le bordel qu'était ma vie actuelle. A croire que je me nourrissais du fléau des autres. Désolant. Un peu grisant aussi, mais peu importe.
Le cœur lourd, un tantinet désolé pour ce type qui avait tout perdu – lui aussi, je lui adressai un sourire crispé avant de ne mollement ouvrir la porte d'entrée. J'aurais apprécié pouvoir me laisser choir sur les marches, juste quelques instants, simplement pour me remettre de tout ce qu'il venait de se passer. Mais j'avais d'autres choses à foutre. Malheureusement. Alors j'enfonçai négligemment mes mains dans mes poches et commençai ma descente, une marche après l'autre.
Jusqu'au moment où la voix froide, emplie de promesses et de mises en gardes, de Dylan résonna juste au-dessus de ma tête.
" Elle est tout ce qu'il me reste, mec. Alors je ne l'abandonnerai pas. Plus maintenant. Peu importe que tu sois là ou non, toi et moi on en a pas fini. "
" Comme tu voudras. " Murmurais-je pour moi-même avant de ne reprendre ma route.
➰
Premièrement, avant toute chose, je suis désolée pour mon retard ! Le chapitre était prêt hier soir, mais il ne me plaisait pas, je l'ai réécrit entièrement !
Enfin bref : alors ?!!!! Vous connaissez une infime partie de la vérité maintenant 😏😈 Vous avez aimé ? Vous inquiétez pas, j'ai volontairement pas développer : ça sera pour le prochain chapitre 😈
Aussi : sachez que cette semaine je rentre en période d'examen et ce jusqu'au 11 mai. Ça va être donc un peu compliqué de publier, même si je ferai au mieux !
ET quand je reviendrai (le 11 mai donc) Frénétique sera enfiiiin publiée !
Voilà voilà bisous bisous les cariños, jva ❤️
-Clem
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top