• Plume n°3 •
Maxine
➰
" Maxine, pourriez-vous me parler, s'il vous plait ? "
Me réclama de nouveau cette sympathique sexagénaire, un air soucieux sur son visage marqué par le temps. Ses yeux singulièrement limpides me sondaient avec vigilance - une précaution qui m'exaspérait autant qu'elle me rassurait. Depuis le début de cette séance, je n'avais pas dit un traitre mot, m'enterrant dans un silence sans nom comme depuis notre arrivée à Nancy.
Mais à la différence des autres psychologues que j'avais rencontrés dans ma vie, mon mutisme semblait éveiller en elle un profond regret, un implacable besoin de me faire parler qui se lisait distinctement dans la façon quasi maternelle qu'elle avait de me parler.
Bon sang, mon très cher paternel avait magnifiquement bien manigancé son coup. Prévoyant comme il pouvait l'être, lui ce manager général de l'une des plus grosses boites de cosmétiques françaises, était parvenu à m'obtenir un rendez-vous de suivi à chaque nouvelle ville que nous traverserons : nouvelle ville, nouveau psy, nouvel espoir vain pour lui et la matriarche de notre famille de barges.
Madame Dumont, la dame aux cheveux poivre et sel en face de face à moi, n'était que la première d'une interminable liste que mes géniteurs avaient précautionneusement préparée en douce avant mon départ de Paris, la veille.
" Je ne pourrai pas vous aider si vous refusez de me parler, Maxine. " Se lamenta-t-elle en s'accoudant à son bureau en verre. Dans un geste désespéré, elle fit glisser sa paire de lunettes du bout de son nez délicat et les rangea précautionneusement dans un petit étui destiné à cet effet. " Ecoutez-moi, l'être humain est un animal doté de parole et c'est exactement ce qui nous différencie de l'animal : notre capacité à nous exprimer, à mettre des mots sur ce que nous ressentons. Vous enfermer de la sorte dans votre mutisme ne vous aidera pas à surmonter cette épreuve. Je – "
" L'heure et demi est écoulée. " L'interrompis-je subitement.
Je me relevai précipitamment de ma chaise et lui tendis ma main. Main qu'elle saisit avec désespoir et ébahissement et qu'elle tarda à me rendre, peu sûre de vouloir me laisser partir sur une note si négative.
" Je vous souhaite une bonne continuation, Madame Dumont. "
J'attrapai en hâte ma besace qui trainait aux pieds de la chaise en velours où j'étais précédemment assise et partis en direction du secrétariat où j'y déposais le chèque exorbitant que m'avait pré-préparé mon père. Je fuis à grandes enjambées cet endroit stérile, avide de chaleur humaine, et pus enfin respirer convenablement quand je traversai brusquement la porte d'entrée de ce bâtiment.
Le vent tiède de Nancy s'engouffra délicieusement sous le tissu léger de ma robe et balaya mes pitoyables états d'âme. Une bourrasque d'air que j'accueillis avec un plaisir démesuré me fit frémir d'engouement et sut chasser temporairement mes démons agités ces derniers temps. Profondément, j'inspirai cet oxygène bien moins pollué qu'à Paris et vérifiai une dernière fois l'heure qu'affichait le petit cadran de ma montre.
10h02.
Le moins qu'on puisse dire était que j'avais été rigoureuse quant à mon timing à respecter : Il me restait un peu moins de quatre heures de temps libre avant que Rose ne se rende compte de mon absence prolongée, et que je sois alors contrainte de retourner à l'hôtel où nous logions pour la nuit. Pressée, je m'assurais une ultime fois de la présence de mon appareil photo dans ma besace et me mis à trottiner débilement jusqu'à l'arrêt de bus le plus proche.
***
" Nom de Dieu, mais tu étais où, Max ?! " S'étrangla ma sœur dès que j'eus traversé le portique de sécurité.
Je répondis d'un vague haussement d'épaules et tendis mon appareil dans les airs pour lui indiquer que j'étais tout connement partie me balader dans la ville. Un après-midi aussi enrichissant que rafraichissant puisque la mémoire de mon outil de travail était saturée de photographies. Un intermède à cette vie de route que nous menions et qui m'oppressait d'ores et déjà plus que de raison.
Quand bien même n'appréciais-je pas ma vie actuelle, j'aimais découvrir de nouveaux lieux, de nouveaux décors et nouveaux visages. Chaque être humain dégageait une unicité qui me faisait rêvasser et méditer, portait un attrait particulier qui, derrière mon objectif, me semblait soudainement plus dégoulinant d'authenticité.
Tous, nous grandissions et baignons dans des cultures distinctes, évoluions avec des valeurs différentes, vivions avec des jugements et sentiments divergents ... Et pourtant, cachée derrière mon appareil photo, comme démembrée de cette société que je peinais à intégrer depuis toujours, le monde mensongèrement parfait dans lequel nous vivions me semblait incroyablement plus beau et uni. Et c'était cette union fictive, cette non-conformité que je pouvais retrouver chez certains individus qui me faisait aimer mon métier.
" Six heures, Maxine Laurens ! Six heures que je te harcèle de messages et que tu ne réponds à aucun ! " Continua-t-elle sur sa lancée. " Est-ce que tu te rends – Qu'est-ce que tu fais ? " S'étonna-t-elle lorsque le flash de mon appareil réverbéra sur son visage colérique.
" T'es belle, Rosie. "
Lui dis-je une fois à sa hauteur. Crédule, ses yeux aussi purs que l'eau d'un lagon s'écarquillèrent tandis que sa bouche peinte en un rouge sanguin s'entrouvrit sous la stupéfaction. Je lui souris rapidement et repris ma marche en direction des loges des garçons, la laissant plantée idiotement en plein centre de cette fosse qui, d'ici quelques heures, serait pleine à craquer.
Un peu plus loin, paresseusement adossé à une poutre porteuse, Barbie m'épiait effrontément cheminer jusqu'à lui. Bien obligée de le croiser pour atteindre les loges, je m'approchai du rappeur d'un pas faussement détendu. Mais plus les senteurs suaves et épicées de son parfum vinrent titiller mes narines, plus mon cœur s'exciter dans ma poitrine, menaçant à chaque nouveau battement de briser l'une de mes côtes.
Nous ne nous étions pas adressés la parole depuis notre petite conversation -si l'on pouvait appeler ça ainsi- de la veille et mes réactions corporelles outrancières me laissaient dubitative. Etait-ce le simple résultant de mon inimitié envers lui ? La production psychique et physique de mon corps pour me préparer à une quelconque attaque verbale de sa part ? Ou bien encore l'agaçant mélange des deux ?
Je n'en avais aucune foutue idée et ma tête commençait à saturer de toutes ces conneries sans réponse qui s'accumulaient dans mes pensées.
Lorsque je fus à sa hauteur, je dus faire preuve d'une concentration monstrueuse pour ne pas laisser transparaitre le trouble démentiel qu'il faisait naitre en moi avec un simple regard. Chaque fragment, chaque parcelle et millimètre de ma peau où ses yeux se posaient, paraissait soudainement s'éveiller, comme animait par une force inintelligible qui lui était propre et qui me laissait un peu plus chancelante à chaque fois.
Et c'était exactement pour ces raisons qu'il m'irritait : tout chez ce foutu rappeur semblait avoir été créé pour m'agacer, moi et uniquement moi.
" Ta sœur se faisait du souci pour toi, la muette. " Fredonna-t-il ingénument dans mon dos et je lui jetai un coup d'œil désabusé par-dessus l'épaule, l'invitant implicitement à se taire. " Mais c'était malin : jouer avec son narcissisme pour l'attendrir, c'est bas, mais malin, vraiment. Tu n'es peut-être pas si débile, tout compte fait. "
Agacée qu'il est compris mon petit stratagème en un simple coup d'œil, je soupirai mollement, essayant inutilement de réguler ma respiration saccadée. Mais voilà : sa stature nonchalante à ma droite m'exaspérait bien trop pour y parvenir. Une moue rieuse sur la figure, satisfait de m'avoir prise dans mon propre jeu, Nekfeu marchait sur mes pas l'air de rien.
" Au fait, t'étais où ce matin ? " Renchérit-il, curieux qu'il était. "Je t'ai entendue te barrer vers sept heures, qu'est-ce que tu pouvais bien foutre à cette heure là ? "
Je grognai silencieusement de frustration, en me persuadant de passer outre ses réflexions qui, j'en étais certaine, n'étaient là que pour m'exaspérer. Je lançai un regard circulaire autour de moi, cherchant désespérément un autre endroit où bifurquer et donc le semer, mais alors que je pensais enfin trouver une porte de sortie, il reprit :
" Tu m'igno- "
" Non, je ne t'ignore pas. " Sifflai-je à son égard entre mes mâchoires excessivement crispées, juste après m'être brutalement retournée vers cet insupportable rappeur. " Alors, s'il te plait, arrête d'essayer de m'énerver. "
" Pourtant, t'es plutôt mignonne quand tu t'énerves, la muette. "
Souffla-t-il près de mon visage, dangereusement près de mon visage, soudainement bien plus sérieux. Brusquée par notre rustre proximité, je pris un pas de recul, puis un second bien plus ample quand il continua d'avancer redoutablement jusqu'à moi. Ma colère mua en une terrible angoisse lorsqu'indubitablement, j'heurtai de plein fouet le mur en pierre lisse dans mon dos et que la main du rappeur s'approcha de mon visage.
Une bouffée de chaleur phénoménale fit vriller mes derniers neurones lorsque la pulpe de son index retraça le galbe de ma mâchoire, lentement, perversement, si bien que j'en oubliai comment respirer le temps d'une vulgaire seconde. La chaleur inconditionnelle qui émanait de son corps musculeux irradia sur le mien tel un rayon de Soleil brûlant contre mon épiderme. Je refoulai difficilement un halètement impulsif lorsque ses lippes se rapprochèrent de mon oreille, juste suffisamment pour que je puisse sentir sa respiration brûlante glisser sur la peau tendre de ma nuque.
" T'as une belle voix, Laurens. " Susurra-t-il d'une voix si lubrique que tous les poils de mon corps s'en hérissèrent contre mon grès. " Je me demande comment elle rendrait dans un lit, pendant que – "
" Wesh, vous foutez quoi là ? "
Sauvée par l'irruption inespérée de Mekra dans la pièce, je repris rudement le cours de la réalité. Toujours aussi chancelante, je ne réagis pas immédiatement lorsqu'un grognement guttural vibra sous la poitrine du Barbie qui n'avait pas cillé d'un centimètre, ignorant impeccablement son ami.
" Je répète, qu'est-ce que vous branlez, les gars ? " S'agaça le brun à quelques pas.
L'irritation non-divulguée dans sa voix finit de me ramener sur Terre. Si bien que je ne perdis pas une seconde supplémentaire pour repousser à l'aide de mes maigres force le rappeur loin de mon corps bouillonnant d'un désir que je ne voulais en aucun cas ressentir.
La peau de mon visage qu'il avait eu le malheur de toucher dans un doux effleurement, me brûlait encore tandis que ma respiration peinait à retrouver un rythme décent. Nos yeux ennemis ne parvenaient pas à se décrocher et je dus puiser dans toute ma volonté pour m'extraire à son aura libidineuse qui m'englobait toute entière.
D'un pas bien moins fier qu'il y a peine quelques minutes, je marchai hâtivement jusqu'à la porte d'où Mekra venait et cafouillais un « désolée » à peine audible quand je passai près de lui, me sentant obligée de m'excuser pour ce moment d'égarement inconcevable.
Je poussai fiévreusement l'accès aux loges et, Dieu merci, tombait sur une pièce vide. Je supposai que tous étaient partis s'aérer sur la petite courette non loin de là et profitai de leur absence pour me laisser piteusement glisser contre le mur rugueux de la salle. Je manquai de m'égratigner la peau, mais quel fut mon soulagement lorsqu'enfin mes fesses heurtèrent le sol plastifié de la salle.
Encore atrocement retournée par ce rapprochement quasi charnel, je plongeai ma tête entre mes mains, le souffle court et les yeux fous.
Bordel, que venait-il de se passer ?
Comment, Diable, avais-je pu me laisser aller dans ce moment égarement ?
Alors que les répercutions d'un tel acte étaient en train de cheminer en masse jusqu'à mon cerveau, je réfléchis rapidement à comment je m'étais retrouvée à la merci de ce type, contre un mur. Un type que je maudissais, abhorrais jusqu'aux plus profonds de mes tripes alors que nous nous connaissions que depuis une vulgaire semaine.
Un rappeur qui, potentiellement, était mon foutu client !
La voix réprobatrice de ma sœur décida de repasser en boucle dans mon esprit à cet instant T, ressassant inlassablement sa devise « Professionnel et personnel, deux choses qu'on ne mélange pas. » tel un vieux vinyle détérioré.
Mais le pire, le pire était que je n'avais rien fait pour l'arrêter, profitant simplement de son toucher brûlant qui me calcinait la peau tel un incendie expansif. C'en était à gerber. Désespérée, je basculai ma tête vers l'arrière un peu trop rudement et me cognai bêtement contre ce foutu mur granuleux.
" Bordel de merde ! " Sifflai-je tout bas tout en massant mon cuir chevelu douloureux.
" Que de vulgarités. " Ricana Deen au même moment.
Surprise par son interruption et sa prise en flagrant délit, je voulus spontanément me remettre debout, mais à peine esquissai-je un mouvement vers l'avant que le rappeur m'en empêcha.
" Bouge pas, je te rejoins au sol. Mes pompes me font trop mal aux ieps', j'en peux plus là. "
Se lamenta-t-il et je m'immobilisai promptement, acceptant bien volontiers de rester au sol à ses côtés. Dans un soupir las, il finit par me rejoindre et tendit ses longues jambes en avant dans une grimace douloureuse. Ses paupières se plissèrent excessivement et tout du long, je le détaillai, examinant scrupuleusement la formation de son visage masculin.
Sa barbe épaisse recouvrait globalement la totalité de ses bas-joues, accentuant le carré de sa mâchoire inférieure, tandis que son nez droit masculinisait davantage son visage. Ses longs cils ébènes tombaient paresseusement en-dessous de ses paupières closes, et secrètement j'enviais leur longueur phénoménale qui enjolivait et accentuait la beauté abrupte de ce rappeur.
Plongés dans un silence épais et reposant, je profitai de cet instant de répit dans mes pensées saugrenues pour l'immortaliser de la façon la plus sûre que je connaisse. Le plus discrètement que possible, je m'aventurai à récupérer mon appareil photo que j'avais rangé dans ma besace un peu préalablement et fis bien attention à désactiver le flash qui risquerait de saboter la photo.
Mon œil posé dans le viseur, je prenais garde à cadrer convenablement, centrant son profil dans mon objectif pour me permettre de conserver l'authenticité de ses émotions perceptibles à l'œil nu. Néanmoins, malgré ma volonté d'être discrète, il dut comprendre ce que je trafiquais puisqu'un sourire enfantin redessina l'ourlet de ses lèvres.
" Fais gaffe, la muette, je vais finir par croire que je suis à ton goût. " Se moqua-t-il après que le déclic de mon outil ait résonné dans la pièce.
Délicatement, peut-être par peur de briser cet instant de paix si lénifiant, je baissai mon appareil jusqu'au sol, mes orbes toujours aussi désireux de mémoriser l'allégresse permanente de cet homme. Son regard roula jusqu'à ce qu'il croise le mien, et quand ce fut à son tour de m'observer, d'étudier ma figure sans discrétion, le rouge me monta aux joues incompréhensiblement.
" Regardez-la, elle rougit. Comme c'est adorable. "
Un rire nerveux traversa mes lèvres alors que je nichais mon visage dans mes doigts, frottant mon visage énergiquement pour faire disparaitre ses rougeurs inopportunes et les derniers vestiges de mon trouble occasionné par Nek.
Je n'étais assurément pas adorable, personne n'était adorable dans ce monde ; on se rendait adorable pour attendrir les cœurs et les mœurs, mais personne ne l'était réellement.
" Tu permets que je regarde ? " Me quémanda-t-il, faisant référence à mon appareil photo qui gisait entre nous deux.
J'acquiesçai d'un bref mouvement de tête, pas certaine que cela soit une excellente idée, et lui tendis timidement après l'avoir rallumé. Il me remercia distraitement, déjà passionné par les quelques clichés que défilaient sur le minuscule écran.
Portraits, paysage, jeu d'ombres et de lumières ... Ce boitier détenait des centaines et des centaines de photographies plus ou moins pertinentes, certaines catégoriquement superflues et démunies d'émotions. Et pourtant, je n'avais jamais vu Ahmadeen si concentré depuis notre rencontre.
Ne supportant plus de rester spectatrice de cette intrusion dans mon univers, je me relevai maladroitement, marchai en direction d'une petite table et saisis une cigarette dans un paquet qui trainait sur elle. Hardiment je l'allumai et inspirai profondément ce poison mortel que renfermait ses quelques copeaux de tabac.
L'exposition, la médiatisation, l'avis des autres ... Tristement, le regard des autres m'avaient toujours angoissée. Je craignais leurs commentaires, bons comme mauvais, peu habille pour gérer ou argumenter convenablement. Cette fulgurante montée de stress qu'occasionnait à chaque fois l'avis d'autrui sur mon travail, provoquait chez moi des réactions physiques ridicules, telle que les trépidations de mes jambes, le tremblement de mes doigts ... Aucun de mes muscles ne passaient à la trappe.
" Cette fille, elle était au courant que tu la prenais en photo ? " Me sollicita-t-il et je répondis silencieusement par la négative, préférant l'honnêteté.
Devant un objectif, l'être humain - moi la première, vous me direz - perdait de son caractère, primant son apparence physique à ses états d'âmes. Nos émotions se retrouvaient machinalement tapies dans le fond de nos pensées, nos visages adoptant un masque inqualifiable qui ne nous correspondait pas.
Et cette jeune-femme, cette rouquine aux yeux de jade, au visage angélique et naturel, aurait très certainement eut le même réflexe. Alors, j'avais préféré me faire oublier, capturant ses émotions multiples occasionnées par une jeune-femme qui, de ce que j'avais entendu, se faisait prénommer Malia.
" Mais tu ne pourras pas les publier alors ? " Il s'enquit, ses yeux subitement moins radieux lorsque je secouai mollement ma tête de droite à gauche.
Mais peu m'importait, certaines choses étaient mieux dissimulées à l'abris des regards. Notamment cette femme aux cheveux de feu, qui derrière ses sourires terriblement faux, recélait une telle tristesse que n'importe quel homme sur cette terre, même le plus fou d'entre eux, serait tombé pour elle. Assurément.
" J'adore ce que tu fais. Et pourtant, Dieu sait que je ne suis pas un grand fan de l'art. " Me complimenta-t-il, sincère.
" Votre rap est de l'art."
Ses yeux s'écarquillèrent instantanément, non seulement car j'avais eu la mésaventure de parler de trop, mais aussi à cause de mon honnête compliment. Après tout, c'était véridique, non ? L'art était si vaste, tellement diversifié. Il englobait une telle infinité de choses, qu'il était indéniable que leur texte était de l'art. Un art abrupt de vérités sur notre société avide d'une humanité oubliée ; des paroles violentes mais qui pourtant dégoulinaient de véracité.
" T'as envie que je prenne la grosse tête, gamine, c'est ça ? "
Ria-t-il tout en se redressant sur ses deux pieds. Il me prit malicieusement la cigarette des mains, l'écrasa dans un cendrier qui trainait près de nous sous mes yeux outrés et continua sur un ton malicieux :
" On a concert à préparer, la muette, t'auras tout le temps de te tuer plus tard. "
***
Infiltrée dans les coulisses de la salle de concert « L'autre canal », je me concentrai sur le personnage public français le plus en vogue depuis quelques semaines, qui donnait ses tripes sur scène, qui paraissait vivre pour la foule qui scandait les paroles de ses chansons comme un hymne nationalement connu. Je capturai ces instants de folies pures, d'adrénaline et d'explosions avec une telle ferveur que j'avais perdu le fil du temps depuis une bonne heure déjà.
L'homme en face de moi qui rappait avec ses acolytes sur scène n'était plus celui que je maudissais et exécrais dur comme fer, mais un tout autre pour qui je vouais une admiration sans faille. Car oui, j'admirais son énergie explosive qui se répondait tel un feu ardent sur son public en délire. Je redécouvrais un homme que je n'avais pour le moment jamais croisé.
Une boule d'énergie qui rappait sur des chansons que je n'avais jamais pris le temps d'écouter, car j'estimais à tort ne pas apprécier suffisamment l'humain qui les produisait : Un rappeur stupéfiant qui enivrait mes sens avec de simples paroles qui, pourtant, ne m'étaient pas destinées.
Nekfeu était en effervescence, trempé jusqu'aux os après que Sneaz et Doum's l'aient arrosé. Il semblait animé par une force surhumaine qui s'était éprise de son âme pour faire vivre cette masse d'inconnus qui brandissaient leurs mains en l'air pour l'accompagner dans ses mouvements désordonnés.
D'ailleurs, peut-être bougeait-il de trop. Je peinais à le suivre, n'osant pas m'engager sur scène malgré l'insistance de Framal un peu plus tôt pour que je les rejoigne ; être dans leur ombre me satisfaisait pleinement. Restait à savoir comme gérer le flou de mes photos.
" Et de six ! " Se marra justement Framal avec son ainé.
" Je t'ai dit, on va atteindre les dix avant le final. " Lui répondit Mekra sur le même ton.
" Vous parlez de quoi ? " Leur demanda innocemment Rose, curieuse de savoir ce que lui et son frère s'amusaient à chiffrer depuis le début du concert.
" Le nombre de personnes évacuées de la fosse. " Lui répondit tout naturellement Antoine qui revenait de je ne sais où.
" Mais c'est horrible ! " S'esclaffa ma sœur suffisamment fort pour qu'on puisse l'entendre par-dessus les basses.
" On n'a jamais dit être des gentils, princesse. "
Amusée par la réponse franche de Mekra, je pouffai doucement avant de ne me concentrer sur Doum's qui reprenait un des couplets de Nekfeu. Concentrée sur le travail des lumières, je ne remarquai pas que Nek avait quitté la scène pour trottiner jusqu'à nous, là où plusieurs bouteilles d'eau – déjà vides ou encore pleines – étaient entreposées et où plusieurs tee-shirts propres étaient négligemment pliés. Je ne le vis qu'après avoir décroché mon regard de l'homme aux dreadlocks, sur ma droite, en train de troquer en vitesse son vêtement humide contre un sec.
Dans un geste machinal il replaça convenablement sa casquette S-Crew sur le haut de son crâne et, alors qu'il repartait déjà en hâte vers la scène pour accompagner Doum's, Sneaz et 2zer sur le refrain de Tempête, il s'immobilisa soudainement à ma hauteur, une moue taquine sur le visage qui fit dangereusement affoler mon organe vital.
" Au fait, écoute bien les paroles de la prochaine, la muette. Je suis certain que ça te plaira. "
Dans un clin d'œil, il retourna à reculons sur la scène et bondit vers l'arrière quand les enceintes crachèrent les premières notes du refrain. Dans une violence inouïe, des mouvements foules firent hurler certaines personnes dans la fosse, autant de plaisir que de surprise, tandis que les quatre rappeurs sur scène s'amusaient à envenimer la situation. Des énormes cercles se formèrent alors en plein centre de la foule, puis disparurent quand, brutalement, Nek lança « le signal ».
C'était ahurissant, tous se jetèrent soudainement les uns sur les autres, usant de coup de coudes et de cris pour le simple plaisir de se bousculer en rythme avec la musique. Et quand bien même n'appréciai-je pas cet afflux de brutalité, je me sentis contrainte de le photographier ; leur énergie prodigieuse se propageait dans l'air comme un gaz hilarant, de l'enivrement à l'état pur répandu autour de nous et qui, inexplicablement, pulvérisa ma peur monstre des mouvements de foule.
Et une fois encore, je fus admiratrice de l'énergie que réussissait à créer Nek.
Jusqu'à ce que la salle soit soudainement plongée dans l'obscurité, marquant la fin de cette chanson.
Des notes que je ne connaissais pas se mirent à résonner dans la salle et je pus dès lors entendre la foule s'agiter davantage. Plusieurs jets de lumières se braquèrent sur Nekfeu qui était dorénavant seul sur scène, stoïque pour la première fois du concert. Lentement, sa tête légèrement orientée dans notre direction, il apporta son micro à ses lèvres pour débuter sa chanson en cœur avec le public :
« Petite fraicheur, t'es peut-être mannequin, mais t'es loin d'être une fille modèle,
Tu aimes te shooter à tes shootings car tu jouis d'une vie moderne,
Tu passes ton temps à te défiler, tes adversaires défiler (...) »
Bêtement, je me figeai sur place, le cœur inopinément inapte à battre, tandis que ses paroles résonnaient en moi comme des coups de poings. Mes mâchoires se crispèrent abusivement dans l'énervement fulgurant qui venait de me prendre et mes doigts se resserrèrent machinalement sur le boitier de mon appareil photo quand il reprit la parole.
« Princesse, méfie-toi des voyous qui te tournent autour,
Tes courbes me laissent sans voix,
J'aime te voir en talons en tenue légère,
T'as rien d'un exemple et avant toi combien se sont brûlées les ailes,
Princesse,
Redescends sur Terre, dis-moi à quoi tu joues ? »
Je le foudroyai du regard lorsqu'il me pointa furtivement du doigt, réjoui, non je dirais même comblé, de me voir si en rogne contre lui. Car en effet, je fulminai, sentant mon sang bouillir cruellement sous mon épiderme pour une raison qui m'échappait.
Etait-ce le personnage qu'il était avec moi qui m'énervait si férocement ? Ou alors les questions tacites et les menaces implicites qui se cachaient derrière ces quelques bribes de paroles ?
Bien obligée de continuer mon travail, je me concentrai malgré tout sur l'autre rappeur qui l'accompagnait pendant cette chanson, en faisant brillamment abstraction de Barbie pute qui, à certains moments, me lorgnait du coin de l'œil.
Mais pourtant, lorsque le dernier couplet tinta dans mon organisme comme un virulent coup de poignard, je fus incapable de ne pas répondre à son regard inquisiteur. Le cœur au bord des lèvres et grièvement émietté par ses mots, j'encaissai sans broncher, comme je l'avais toujours fait.
« Toi, t'es comme une môme, les mots te manquent,
Tu fais aucun effort,
Tu veux plus craquer,
Chaque homme charmé par ton caractère se contentera de regarder,
Ton cœur est un coffre- fort,
T'as du t'armer, te cacher derrière un masque,
Et passer ton temps à te braquer,
T'es plus la même qu'autrefois,
Princesse. »
➰
Et voilaaaa ! Chapitre 3 de Mutique, dernier chapitre de l'année 2016 😱
Qu'en pensez vous ? 🤓
Et encore désolée de ne pas pouvoir répondre à tous les commentaires, mais ne recevant plus aucune notification, c'est compliqué 🤔
(Je suis sûre que certaines ont cramé ma petite dédicace à Andréa, dans un monde où elle et Barbie ne se connaissent pas 😘)
Aussi :
Je vais pas vous faire de gros pavé, je vous rassure, mais aussi cliché que cela puisse être : Je vous souhaite de vivre une PUTAIN d'année 2017 !
Je vous embrasse fort, on se voit l'année prochaine (lol petite blague de merde) !
-Clem
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