• Plume n°27 •
Bonsoir, bonsoir les amours ! Il est tard, je suis désolée, mais j'ai longuement hésité à publier ce chapitre, vous comprendrez par vous même pourquoi en lisant.
Mais bref, bonne lecture tout de même, je suis pressée de voir opinions !
Nekfeu
➰
" Comment ça elle ne vient pas ? " Cafouillais-je, attisant la curiosité des gars qui étaient déjà assis autour de la console de jeu. Rose ferma ses paupières, vraisemblablement exténuée si l'on se fiait à la taille surhumaine de ses cernes, et soupira pour la troisième fois :
" J'avais déjà prévenu Antoine et je pensais qu'il aurait fait passer le mot d'ici là, mais visiblement non. " Je foudroyais immédiatement du regard le blond qui suivait notre altercation du fond du bus et braquais de nouveau mon visage vers sa satanée petite-copine pour qu'elle continue ses explications : " Elle ne peut pas venir : elle a un shoot ce soir et des tonnes d'affaires à régler. Et comme nous sommes de retour sur Paris dans deux jours, il était inutile qu'elle fasse l'aller-retour. " Souffla-t-elle en se frottant vigoureusement le haut de son front et je ne sentis même pas mes doigts s'enfoncer méchamment dans le cuir usé du canapé. " Ecoute, ce n'est pas grave. Maxine est extrêmement pro- "
" Professionnelle ?! " M'insurgeais-je, sarcastique en tous points. " Ta sœur a signé pour six mois, alors elle reste avec m- nous pendant six mois, point barre. " Me repris-je, absolument pas prêt à dévoiler cette toute nouvelle possessivité aux yeux de mes potes.
" Mec, pourquoi tu nous fais tout un scandale là ? Ça va, c'est rien. " Marmonna Mek', manifestement lésé par cette énième crise de nerf. Car oui, j'étais à cran. Comme depuis deux jours. Tout compte fait, depuis l'instant où ma photographe m'avait raccroché au nez. Et malheureusement, mes potes en payaient les frais. " Donc pose-toi, respire, et calme-toi. Sans déconner, tu casses les burnes à tout le monde. "
Je m'offusquais, pointant instinctivement un doigt accusateur en direction de Rose qui souriait comme une bienheureuse, satisfaite que quelqu'un m'ait foutrement bien remis à ma place sans qu'elle n'ait à bouger le petit doigt. J'ouvrais ma bouche, scandalisé que personne ne comprenne mon putain de point de vue et me résignais à abandonner cette bataille quand je vis que même Doumam's ne prenait pas ma défense. Putain, personne pouvait comprendre.
Boudeur, je soufflais comme un gamin résigné devant sa mère réprobatrice, et partais me réfugier dans les couchettes avant que quelqu'un ne m'intercepte en chemin – mes poings me démangeaient furieusement, ce n'était décemment pas le moment de tabasser un des gars. Et alors que le moteur du Tour Bus se mettait à ronronner tapageusement sous mes pieds, j'eus un imperceptible pincement au cœur en me rendant compte du lit vide en face du mien. Les draps étaient impeccablement faits, la lumière faiblarde de cette fin d'après-midi les éclairait à peine, l'odeur de la lessive propre avait remplacé son parfum.
Putain, seulement deux petites semaines s'étaient écoulées depuis la dernière fois que l'avais vue, à ce même endroit, recroquevillée contre les parois fines des murs qui encerclaient son matelas, des écouteurs dans les oreilles, une feuille vierge entre ses mains, à crayon de papier entre les doigts. Une éternité semblait s'être écoulée depuis. Comment, en seulement deux semaines, avais-je pu perdre le contrôle de ma vie à ce point ?
J'avais couché avec elle, avoué mes foutus sentiments, écouté ses aveux larmoyants quant aux siens, avais finalement assouvi ma curiosité maladive, et enfin, j'étais devenu barge. C'était le mot : barge. Fou à lier, bon à être enfermé entre quatre murs décrépis, avec une camisole de force pour m'empêcher d'assouvir mes besoins féroces de tabasser quelqu'un. Pire, d'aller la voir, de la balancer sur mon épaule et de la cloisonner chez moi pour m'assurer que le seul dorénavant capable de lui faire du mal, ça serait moi.
En soupirant, je me couchais en travers dans mes draps et croisais mes bras sous ma tête lourde de questionnements. Aujourd'hui, nous étions le treize novembre 2015, en d'autres termes, le jour de la reprise de ma tournée, à Lilles. Et elle n'était pas là. Cette garce avait préféré rester sur Paris, vaquant à ses occupations et se foutant bien de mes supplications pitoyables d'il y a deux jours. Elle m'ignorait, je l'ignorais, nous nous ignorions ; à croire que nous deux, nous étions incapables de vivre conjointement sans instaurer un laps de temps entre chacune de nos engueulades. A croire, qu'on emmagasinait de l'énergie pour la suivante. Ridicule.
Dans un relent de colère qui balaya ma fierté incommensurable, je saisissais brusquement mon téléphone dans la poche arrière de mon jogging et dus composer trois fois mon foutu mot de passe pour enfin déverrouiller mon écran tactile. Machinalement, j'ouvrais notre conversation et pianotais sans réfléchir :
« Pourquoi j'ai l'impression que c'est à cause de moi que tu n'es pas dans le bus en ce moment ? »
Rageusement, j'appuyais sur la touche envoyer du clavier et relâchais négligemment mon téléphone sur ma poitrine. Après tout, c'est vrai, non ? Il ne fallait pas être devin pour comprendre que si elle et moi ne nous étions pas engueulés – encore, elle serait actuellement dans les bras de son cher et tendre Bigo, rigolant comme une crétine à toutes ses foutues blagues de merde. D'ailleurs, pourquoi serait-elle dans ses bras à lui ? Pourquoi pas dans les miens ? Surement car aucun de nous deux n'envisageait d'officialiser la merde qui se passait entre nous.
Les vibrations dérangeantes de mon téléphone sur mon thorax m'arrachèrent à mes pensées haineuses et je me dépêchai de le saisir pour lire son message très certainement du même acabit que le mien.
« Quand est-ce que tu comprendras que mon monde ne tourne pas autour de toi, Nekfeu ? »
Allez savoir pourquoi, son message m'arracha un sourire. Un sourire bancal, certes, mais un sourire tout de même qui traduisait ma joie actuelle : ce n'était certainement pas le genre de réponse que j'attendais, mais j'étais au moins satisfait qu'elle ne m'ignore pas.
« On ne t'a jamais dit que répondre à une question par une autre était malpoli, Laurens ? »
« On ne t'a jamais dit que tu étais trop curieux, Samaras ? »
« Et toi une lâche, la Muette ? »
Cette fois, sa réponse tarda à arriver. Quelques minutes se déroulèrent où tout ce que je pus faire fut attendre sa réplique cinglante, accroché à l'écran de mon téléphone comme si ma vie en dépendait. Mais à mesure que les secondes s'écoulaient, je sentais mon sang se glacer dans mes veines, cimentant dans mon esprit l'idée qu'il était peut-être trop tôt pour plaisanter sur ce sujet. Peu à peu l'excitation de cette conversation sans queue ni tête commençait à fuir mon organisme, et alors que les regrets, eux, commencer leur ascension perverse dans mon esprit, mon téléphone vibra en rythme avec mon organe vital.
« Pourquoi t'es encore là ? »
J'aurai pu m'étouffer avec ma salive tant sa question évasive me désarçonna. Pourquoi quoi ? Pourquoi lui collais-je encore aux basques malgré ce que sa sœur m'avait dévoilé ? Mon cœur s'affola considérablement lorsque je me souvins, qu'en réalité, je ne connaissais que la moitié de l'histoire : la fin de cette histoire. Le début et le centre de cette tragédie – car c'était une putain de tragédie – m'étaient inconnus. Malheureusement ou heureusement, je ne savais pas encore.
« Tu le sais déjà » Lui répondis-je.
« Ce n'est pas suffisant »
« Pour les mêmes raisons que les tiennes »
« Toujours pas suffisant »
« Tu aurais dû partir depuis longtemps »
« Et pourtant je suis encore là »
« On a un contrat toi et moi, Max : six mois, la moitié d'une année »
« Ce n'est qu'un contrat, tu aurais pu me virer »
« Tu m'étonnes, avec tous tes retards et insultes, j'aurai même eu de quoi de te trainer en justice haha »
« Mais tu ne l'as pas fait »
« Je ne voulais pas le faire : y'a une nuance Max »
Elle vit le message au bout d'à peine quelques secondes mais ne répondit jamais. Nous eûmes même le temps d'arriver à Lilles, de s'installer et de répéter. Et désormais que la foule était installée dans les fosses, que l'adrénaline se déversait dans mes veines, que mes muscles trépidaient d'impatience à l'idée de pouvoir faire ce pourquoi je vivais au quotidien, que mes potes beuglaient d'excitation près de mes tympans, que des mains s'abattaient sur mes épaules pour m'encourager, je pouvais dire sans hésitation que je n'étais définitivement plus maitre de mes émotions. C'était elle, cette photographe, ma photographe, qui les tenait dans le creux de ses mains.
Elle les malmenait ou les cajolait, les martyrisait ou les adoucissait : en fonction de ses foutues humeurs, les miennes s'accordaient aux siennes. Une connexion inintelligible qui se développait un peu plus à chaque nouvelle dispute, à chaque nouveau silence ou confession. C'était assez paradoxale de ce dire que je ne connaissais rien d'elle, si ce n'est tout. Même au bord de la scène, à quelques centimètres d'une foule en effervescence, régie par une impatience sans borne, je ne voyais et ne pensais qu'à elle.
Putain, c'était lamentable. Où était passé le gars désagréable maître de ses sentiments qui lui balançait des pics à longueur de temps ?
" Chaud pour ce soir ? " Je détournais mon regard vers Deen qui venait de débarquer à ma droite et haussais nonchalamment mes épaules.
" Je sais aps. J'ai un mauvais pressentiment qui me prend aux tripes depuis plusieurs heures. " Avouais-je en lorgnant du coin de l'œil les rangées de meufs au premier rang : elles seraient les premières à crier, puis à s'évanouir.
" Par rapport à Max ? " Me demanda-t-il, un sourire en coin sur le visage et je plissais mes yeux pour lui laisser sous-entendre mon agacement : même quand je ne pensais pas à cette meuf, les gens se chargeaient de me rappeler que mon quotidien ne tournait qu'autour d'elle depuis quelques temps.
" Non. Ouais. Peu importe, je suis juste ... Je sais pas, c'est juste un mauvais pressentiment. Tu ne veux pas essayer de la joindre, d'ailleurs ? " Bon, peut-être n'était-ce pas le meilleur moyen de prouver aux yeux du monde que je me foutais ouvertement d'elle, mais cette mauvaise intuition quant à la suite des évènements était trop encombrante pour la laisser dans un coin de mes pensées.
" Je le ferai. T'inquiète, mon pote. Puis on parle de la Muette là : elle gère ses affaires. "
Adossé à un poteau en métal, je lui lançais un coup d'œil par-dessus mon épaule en guise de remerciement. J'étais assurément trop fier pour lui renvoyer un message alors qu'elle n'avait pas répondu au dernier. Nous ne parlâmes plus pendant quelques secondes, lui et moi nous contentant de contempler la marée humaine qui se mouvait en rythme avec les sons de Moha'. Dans moins de dix petites minutes, je serai à sa place, laissant ma folie électriser ces personnes qui avaient payer pour nous voir. Et en toute honnêteté, c'était foutrement grisant comme sensation : Des gens, des inconnus, payaient pour me voir.
Comme étais-je passé d'un sous-sol exigu à une salle de concert pouvant contenir des milliers de personnes ? Où était le passé le gamin fou amoureux de sa copine qui l'attendait bien sagement chez eux, chaque soir, chaque matin ? J'eus une boule au ventre quand les souvenirs de cette époque se reformèrent sous mes yeux ; il était loin ce temps putain.
" Prêt ? " Je grimaçais d'instinct quand un coude s'abattit dans mes côtes. Putain de Fonky.
" Ouais, allons-y. "
Marmonnais-je, dépité par les souvenirs de ma vie d'antan, avant de ne donner dos à la scène. Je rappelai bien à Deen de contacter ma brune pour avoir de ses nouvelles, chose qu'il acquiesça une seconde fois, relativement amusé par ma vaine inquiétude. Ma marche vers l'autre côté de la scène pour rejoindre Doumam's avec qui je n'allais pas tarder à faire mon entrée me parut étrangement longue ; les secondes semblaient s'étendre dans le temps, mes pas étaient mous tandis que le poids de mon estomac frôlait l'insupportable.
Je ne sentis que très vaguement l'un des gars de l'équipe technique me glisser le micro entre les doigts, je n'entendis qu'à moitié les consignes d'un autre, je ne vis que partiellement mes potes en face de moi. Les battements irréguliers et discontinus de mon organe vital déflagraient dans mes oreilles comme un bruissement assourdissant, comme des coups de tonnerre dans l'obscurité de mes pensées. J'avais envie de vomir mes tripes ; anormal étant donné que je n'avais rien bouffé du déjeuner, ni du dîner.
Puis, similairement à une douche froide, deux mains gelées capturèrent brusquement mon visage et me claquèrent rudement les joues, alors que la voix rauque de Mekra explosait dans mes tympans :
" (...) sur terre, mon pote ! C'est ton moment-là, ta putain de tournée ! Alors arrête de penser à ta meuf et reconcentre-toi, compris ?! " Je fronçais mes sourcils, m'arrachant peu à peu à cette étrange phase que je venais de vivre et secouais fiévreusement ma tête pour lui démontrer mon accord : " Pense à ta gueule pour une fois. Max est une grande fille, elle sait ce qu'elle fait ! Tu m'entends ?! "
" Ouais. " Parvins-je à articuler par-dessus les basses qui crachaient les premières notes de Martin Eden.
" Alors tu démontes tout ! "
Hurla-t-il une dernière fois avant que Doum's et moi-même ne soyons propulsés en avant pour commencer le premier couplet de mon son. La chaleur étouffante dans la salle, l'ambiance électrisante qui régnait ici-bas, ainsi que les vociférations stridentes de la foule, prirent le relai sur les encouragements de Mekra. Heureusement, il ne me fallut que quelques secondes pour comprendre le sens de ses paroles : il fallait définitivement que je mette de l'écart entre elle et moi, il avait raison. C'était beaucoup trop malsain.
***
J'étais en nage : non seulement mon tee-shirt me collait à la peau à cause de toute l'eau que j'avais prise dans la tronche, mais en plus, je suais comme un porc. Je n'avais d'ailleurs pas manqué de remarquer la grimace de pur dégout qu'avait faite une meuf après que je me sois jeté sur elle. Ça m'avait fait doucement rire.
Le concert venait de se finir et j'avais trouvé le temps de prendre une photo avec un type qui était resté non-loin de la scène à la fin du concert. J'étais le dernier du groupe à ne pas avoir rejoint les loges, et après avoir tchéqué gaiment ce type fort sympathique, je me décidais à regagner tout le monde pour fêter dignement cette dinguerie que nous avions vécue ce soir.
Pourtant, sur le chemin menant aux loges, je fus surpris de voir des dizaines de personnes, hommes ou femmes, courir autour de moi, m'ignorant royalement tandis que mes sourcils se fronçaient à mesure que j'avançais dans les couloirs sombres de cette scène lilloise. Suspicieux, je tentai d'intercepter un mec qui courait dans le sens opposé au mien, mais il ne sembla pas le moins du monde entendre mon appel.
Sentant la panique me gagner moi aussi, j'entamais une course maladroite vers les loges où tous mes gars étaient supposés être rassemblés pour fêter à notre manière la fin du concert. Mais je m'immobilisant immédiatement lorsque, une fois la lourde porte poussée, je les vis pour la plupart tous en train de téléphoner à leurs proches.
Et c'est quand je parvins enfin à entendre leur voix affolée et colérique parmi tous le bordel de la salle, que je sus que quelque chose n'allait pas. Que quelque chose de grave était en train de se produire.
" Maman, tu vas bien ?! Où est papa ? "
" Vous êtes où là ?! Je t'entends pas, bordel ! "
" T'étais où quand c'est arrivé ?! "
" Putain, j'arrive pas à joindre ma reus ! Elle était sur Panam ce soir ! "
" Nan, papa, putain réessaye encore ! C'est pas possible ! "
" Leila, t'es où ? Ca va, tu vas bien ?! "
" On en est à combien là ?! Putain mais ces fils de chiens, je jure que je vais - "
Incrédule, je sursautais lamentablement quand je crus apercevoir Sneazzy retourner hargneusement la table où toutes nos affaires étaient entreposées. Dans un fracas démentiel, tous les micros s'effondrèrent sur le sol plastifié et émirent des grésillements fracassants. Comme tout le monde dans la loge, j'apportais instinctivement mes mains pour protéger mes tympans lorsque les crachotements des appareils s'amplifièrent, et tentais malgré cela de rattraper mon pote qui fuyait vers l'extérieur, pour tenter de comprendre ce qu'il avait ; en vain.
Mon cœur était sur le point d'exploser, l'extase qu'avait provoqué la fin de mon concert était en train de muter en une panique monstre et une incompréhension terrifiante. Mes muscles anciennement bouillants ne ressemblaient plus qu'à des blocs de glace ; les sueurs froides dans mon dos me firent frissonner d'effroi et dévalèrent mon épine dorsale dans une course folle. Et quand enfin je vis Deen raccrocher avec son interlocuteur, je saisissais sévèrement son coude pour le contraindre à répondre à mes questions :
" Putain, mec, mais- mais il se passe quoi là ?! " Parvins-je à bégayer malgré mon anxiété.
" Je suis désolé, mon pote – "
" Réponds ! " M'agaçais-je, furieusement alarmé par son ton dépité et sa main amicale sur mon épaule.
" Plusieurs attaques terroristes sur Panam. " Souffla-t-il d'une voix quasiment inaudible, et je jure avoir pu sentir mon myocarde s'effondrer à mes pieds ; un froid féroce s'abattit sur mes épaules tandis que j'oscillai de plusieurs pas en arrière, qu'à peine conscient de mes propres mouvements.
" Bordel ... " Soufflais-je, mon regard alternant entre tous mes gars pour tenter de lire sur leur visage si un de leurs proches avaient été touchés. Mais leur panique rendait les traits de leur visage illisibles, tous semblaient enclins à une peur monstre et à une incompréhension la plus totale. " Il-Il y a des morts ? " Réussissais-je à demander, qu'en parti désireux de vouloir entendre la réponse.
" Ça se compte en centaine, Nek, c'est une véritable boucherie : Le Bataclan, le Stade de France, plusieurs rues dans le dix et onzième arrondissement ... C'est un cauchemar, mon pote. Faut qu'on rentre sur Paris : Alpha n'arrive pas à joindre sa femme, la reus' de Fram et Mek' répond pas, c'est ... Putain, ces fils de pute sont en train de faire un carnage. "
" Une centaine ? " M'étranglais-je, la figure déformée par toutes les informations macabres qui me tombaient dessus. Mon pote ferma longuement ses paupières pour confirmer et j'apportais machinalement ma main à l'orée de mon front.
Mes doigts tremblaient tandis que mon cerveau rentrait en ébullition : je ne savais plus où regarder, plus à quoi penser. Mes sens étaient accaparés par un sentiment d'impuissance et d'impatience qui me démantelait de part en part ; je sentais mon sang pulser dans mes artères, piquant ma peau comme des aiguilles chauffées à blanc. L'invivable impression d'avoir lâchement abandonné le Monde pendant le temps de mon foutu concert me fit vaciller contre le mur dans mon dos ; je culpabilisais pour des raisons pourtant irréfléchies, mais le besoin de rejoindre ma ville dans son deuil était intenable et dévastateur : plus aucun de mes songes n'avait de sens ou de pertinence.
Dans un geste spontané, je balayais fébrilement mes cheveux humides de sueur qui retombaient devant mes yeux et laissaient mes doigts trembler sur mon front. Bordel de merde, comment des horreurs pareilles pouvaient se dérouler en si peu de temps ?
Dieu merci, après avoir rapidement fait un récapitulatif de mes proches, je me rendis compte avec soulagement que personne de mon entourage n'était susceptible de trainer dans les rues de Paris un soir de novembre. La seule personne que je chérissais encore sur Paris actuellement était -
" Bordel, dites-moi que quelqu'un est parvenu à joindre Max ?! " Criais-je sans m'en rendre compte, m'interrompant moi-même dans mes pensées. Mes cordes vocales déjà sensibilisées par mes cris bestiaux poussés sur scène ne manquèrent d'ailleurs pas de se craqueler douloureusement dans ma gorge. " Elle était sur Panam ce soir ! " M'insurgeais-je en comprenant que personne n'avait pris le temps de la joindre.
" Je te jure que j'ai essayé de l'avoir, mec ... " Bafouilla Deen en face de moi qui n'osait plus me regarder dans les yeux. " Rose est dans le couloir, elle – "
Me foutant ouvertement de ses soi-disant « essais », je repoussais brutalement la porte des loges pour retrouver la sœur de ma présumée copine et tombais nez à nez sur la blonde qui pianotait sur son téléphone avec fièvre. Son mascara avait coulé, souillant son visage de résidus noirâtres, tandis que ses boucles habituellement parfaites ne ressemblaient plus qu'à un sac de nœuds désordonné. Accroupie contre le mur peint en noir, sa peau bien plus pâle qu'à l'habitude m'interpella et me poussa à trottiner jusqu'à elle.
" Rose ! "
L'interpellais-je pour la prévenir de mon arrivée imminente et quand je vis la rougeur extrême de ses yeux céruléens, j'eus moi aussi envie de chialer. Peut-être par mimétisme, ou simplement parce que toutes ces nouvelles funèbres et accablantes étaient trop pour moi. Pour quiconque doté de sentiments d'ailleurs. C'était trop, définitivement trop : toute cette horreur, tout ce sang, toute cette angoisse et cette incertitude, c'était à vomir par terre. A pleurer pendant des heures, recroquevillé dans un coin d'obscurité pour oublier toute celle qui régnait en maitre à nos côtés.
J'avais déjà une fois perdue celle que je supposais être l'amour de ma vie. Je ne supporterai pas une deuxième perte, pas alors que notre dernière discussion en face en face s'était conclue sur une fausse note, sur un relent d'orgueil et de colère, de rage et de sentiments non-contrôlés.
Alors une fois en face de Rose, je posais un genou à terre, incapable de détourner mon regard du sien embué de larmes et de maquillages coulés. Mon organe vital menaçait de se fendre en deux, puis de se pulvériser pour former un amas de lambeaux sanguinolents. Ainsi, dans une délicatesse que je ne me savais pas avoir avec Rose, je saisissais son avant-bras délicatement pour dégager son visage et lui demandais dans un murmure tremblotant :
" Dis-moi simplement qu'elle va bien. Dis-le, je t'en supplie. " L'implorais-je prudemment, pas certain de pouvoir entendre le contraire. Pas encore une fois.
" Elle-Elle ... " Ses lèvres se pincèrent tandis qu'un de ses sanglots menaçait de fendre l'air chargée en tension autour de nous. Elle soupira profondément en fermant ses paupières avant de ne hocher doucement la tête : " Elle va bien, rassure-toi : elle vient de me prévenir par message qu'elle était en sécurité. "
Un tel soulagement se répandit sur mes épaules que je ne pus que retomber en arrière, basculant sur mes fesses tandis qu'un long soupir fuyait mes lèvres. Les genoux légèrement fléchis en face de moi, j'enfouissais mon visage entre mes mains pour couvrir une rire purement nerveux et pour résorber les larmes qui avaient menacé de suinter un peu plus tôt sur mes joues. Je souriais comme un fou ; je souriais égoïstement parce que ma photographe n'avait pas été atteinte par la folie de certains extrémistes bons à la chaise électrique. Des connards responsables d'amalgames ridicules, de racisme et discrimination infondée.
Bon sang, la furieuse envie de rire comme un fou était foutrement alléchante ; je voulais rire de moi-même, puis du monde dans lequel nous vivions : Les gens parlaient de religion, je parlais de folie fanatique, de meurtriers régis par une soif impondérable de reconnaissance : des barges plus fous que la Folie elle-même.
" Putain ... " Soufflais-je entre mes doigts, avant de ne river mon regard vers la blonde qui pleurait en silence. Mais pourquoi pleurait-elle dans ce cas ?
" Elle aurait pu mourir ce soir. Elle aurait pu mourir à cause de moi. " Sanglota-t-elle, causant un étrange son à mi-chemin entre le sanglot et le rire nerveux. Je fronçais mes sourcils, ne comprenant pas où elle voulait en venir. " Elle était supposée être au Bataclan ce soir, Ken, je l'avais contrainte à signer ce contrat parce que ... Parce que je ne voulais pas qu'elle vienne avec vous en tournée, je voulais qu'elle reste loin de toi, Nekfeu. "
Je me liquéfiais sur place, impuissant face l'ascenseur émotionnel que j'étais en train de subir. Mon corps tout entier était en train de trembler, gouverné par une profusion de consternation, d'effroi et de rage ingérable. Tout en moi était enclin à un chaos indéfinissable : je luttais avec moi-même, avec mes instincts qui me dictaient de la gifler et ma raison qui m'ordonnait de ne pas sourciller. Simplement d'encaisser. De me taire.
" Elle aurait pu faire partie de toutes ces pauvres personnes, juste car je ne voulais plus que tu la vois ... Elle aurait pu mou- "
" Ferme-la, Rose. " L'interrompis-je avec véhémence. " C'est un conseil que je te donne. Je lutte déjà avec moi-même pour ne pas te frapper, alors n'en rajoute pas. " Sifflais-je, incapable de ne pas me montrer agressif envers cette hypocrite de première classe. " Putain, je te devrai te ... " Mais rien n'était suffisant : aucun acte n'aurait pu traduire la colère qui bouillait dans mes veines, qui brûlait chacun de mes vaisseaux sanguins. Rien n'aurait pu démontrer toute la haine que j'alimentais pour cette femme à l'égoïsme sans fin. Je me relevais avec peine, basculant d'un pas sur le côté après m'être remis sur mes deux pieds, tant mon corps était piteusement soumis à mes émotions endiablées. " Pourquoi n'y est-elle pas allée ? Où est-ce qu'elle est maintenant ? " Arrivais-je à mâchonner entre mes mâchoires tassées, profitant d'être debout pour surplomber la sombre merde qui servait de sœur à ma copine. " Je te conseille de me répondre. " Je crachais dédaigneusement, ignorant ses pleurs silencieux.
" A l'hôpital. " Chuchota-t-elle, si bas que je crus pendant un instant avoir mal entendu. Timidement, elle se remit à son tour sur ses deux jambes et riva ses yeux aux sols quand elle eut le malheur de croiser les miens. " A l'hôpital. E-Elle était déjà à l'hôpital avant que tout ce ... bain de sang ne débute. "
" Comment ça à l'hôpital ?! Qu'est-ce qu'elle fout à l'hôpital ?! " Hurlais-je en me rapprochant dangereusement d'elle, mais elle ne répondit pas, seul son corps tressautait de peur face à mes hurlements de mécontentement. " Putain, mais parle, Rose ! Parle, bordel de mer- "
Je n'eus pas le temps de finir ma phrase que deux mains me repoussèrent brutalement sur le côté. Si brutalement, qu'avec le choc des récents évènements, je trébuchais dans mes propres pieds et tombais à même le sol, glissant sur le dos sur plusieurs mètres de distance. Choqué par la force avec laquelle on venait de me repousser, je mis plusieurs secondes à me rendre compte que c'était Antoine lui-même qui venait de m'éloigner de sa précieuse petite copine.
Désormais furieux, je ne le vis qu'à moitié prendre Rose dans ses bras. J'étais bien trop obnubilé par ses yeux métalliques qui me toisaient avec une rage que je n'avais jamais vue chez lui jusqu'à présent. Aussi, à en croire la contracture de ses poings, il était prêt à en découdre si j'osais riposter.
" Ne lui parle plus jamais comme ça, mon pote. Plus jamais, tu m'entends ? "
Il avait pris le temps d'articuler chacun de ses mots, insistant bien sur le menace que sous-entendait ce dangereux avertissement. Aveuglé par la colère, je me remettais debout hâtivement et marchais jusqu'à lui, si près de lui que nos respirations saccadées et effrénées ne tardèrent pas à se mélanger l'une à l'autre. J'aurais pu le frapper : je devais le frapper ! Putain, il prenait parti pour une meuf nocive à tout être humain vivant sur cette terre ! C'était de sa faute à elle si ma brune souffrait depuis tant d'année ! C'était à cause de sa foutue meuf que la mienne n'était plus que l'ombre d'elle-même !
" Dégage de là, Antoine. C'est à ta copine que je parle, pas à toi. " Je sifflais entre mes dents.
" Ne me force pas à te frapper une nouvelle fois, Nek. " Me menaça-t-il dans un chuchotement dénué d'émotions.
" Je t'en prie, mon pote, fais-toi plaisir. Après tout, toi et moi : on est dans la même merde, pas vrai ? " Lui souriais-je sinistrement, en référence à notre petite discussion d'il y a quelques jours au studio.
" T'es vraiment qu'un sale con parfois, Sama- "
" Les garçons, arrêtez ! "
S'interposa craintivement Rose, posant ses mains sur nos bustes respectifs pour nous éloigner l'un de l'autre. D'abord trop obnubilé par la lueur de défi qui régnait dans les pupilles de mon pote, je me laissais sagement repousser. Mais lorsque je me rendis compte que ses doigts fins ne s'enlevaient pas de ma poitrine, je la repoussais rageusement, envoyant volée son bras sur le côté tout en grimaçant de dégout. Putain, je ne voulais pas qu'elle me touche, je ne voulais même pas qu'elle m'effleure : cette meuf avait du sang sur les mains, hors de question qu'elle me souille aussi impunément.
" Donne-moi l'adresse de l'hôpital, Rose. Immédiatement. " Lui intimais-je méchamment, affrontant son regard embué de perles translucides sans la moindre incertitude. Sa tête se ballotta de droite à gauche pour me contredire, alors je répétais avec plus de fermeté : " Donne-la-moi, Rose, où je balance à ton cher copain ton foutu secret de famille. "
" Tu n'as pas le droit de faire ça ! " S'indigna-t-elle en pleurant de plus belle.
" De quoi il parle, Rose ? Putain, mais de quoi vous parlez ?! " S'insurgea Antoine qui ne comprenait vraisemblablement bien à notre conversation.
" Le nom de l'hôpital, Rose. Tout de suite ou je balance tout : à Antoine, comme à ta sœur. " Son visage se décomposa en face du mien qui faisait preuve d'une impassibilité sans faille. Je me foutais de lui faire du mal, je me foutais de sa souffrance. Comme le disait si fort justement Mekra : Situation désespérée, solutions désespérées. J'avais autre chose à penser que le cœur fragilisé de cette blondasse égocentrique.
" Hôpital européen George Pompidou. Demande la chambre de Damien Cargnot. " Souffla-t-elle entre ses larmes, le visage rivé au sol.
À peine eut elle le temps de finir sa phrase que je me précipitais vers les loges. Je ne l'entendis que très confusément éclater en sanglots ; j'étais bien trop concentré sur mes propres émotions pour prêter attention à celles d'une manipulatrice sans limite. Rapidement, j'envoyais bouler la porte des loges et ignorais mes potes qui étaient encore aux téléphones avec leurs proches – mes proches. Je récupérais mon portefeuille, mon téléphone et mes clefs d'appart qui trainaient par terre depuis que Moha avait renversé la table et interceptais adroitement Deen avant de ne partir prendre un taxi :
" Je vais rejoindre Max sur Panam. Tiens-moi au courant pour Alpha et les deux frères, d'accord ? " Il s'étonna de mon ton austère mais accepta sans broncher d'un bref hochement de tête. " Cimer, mon pote, je te revaudrai ça. "
Je lui frappais rudement l'épaule en guise de remerciement et revenais précipitamment sur mes pas, poussant la porte menant au couloir où Rose et Antoine étaient encore. La bile remonta dans ma gorge lorsque je vis l'un de mes meilleurs potes la cajoler dans le creux de ses bras, mais là encore, je préférai éluder le problème : chaque chose en son temps. Ma seule préoccupation du moment était de rejoindre la meuf que j'aimais autant que je méprisais anormalement, pour tenter de comprendre ce qu'elle foutait dans un hôpital alors que ma Ville était assiégée par une bande de connards sanguinaires. A cette simple pensée, mon estomac se contracta dans le vide et me fit froncer des sourcils : pleurer était trop simple. Encaisser l'était moins.
Et c'est alors qu'un autre des lamentables gémissements plaintifs de Rose détona dans mon dos. Un son insupportable qui m'hérissa les poils des avant-bras, autant de rage que d'écœurement. Je ravalais péniblement le gout âcre qui se répandait sur ma langue et me stoppais dans ma course effrénée, résolu à lui rendre coup pour coup :
" Au fait, Rose ! "
L'interpellais-je suffisamment fort pour qu'elle perçoive dans ma voix toute l'aversion qu'elle m'inspirait. Ses grands yeux bleus se posèrent sur ma silhouette et m'étudièrent avec surprise et appréhension. Tout comme moi, elle savait qu'elle ne sortirait pas indemne de cette énième altercation. Et putain, qu'elle avait raison.
Distraitement, je continuais de reculer pour rejoindre la porte de sortie de cette salle de concert lilloise et lui disais insolemment avant de ne bifurquer dans un autre couloir :
" T'es virée. "
➰
Ouloulou... 😱 Les choses sérieuses vont commencer 😱😱😱
Comment allez-vous ? Que pensez-vous de ce chapitre ?
Peut être que je me fais dû soucis inutilement, mais je sais que certaines d'entre vous ont été personnellement touchées par les attentats du 13 novembre. J'avais vraiment peur d'aborder ce sujet, car malgré les mois, il peut rester sensible chez certaines personnes, ce qui est tout à fait normal !
Enfin voilà, je ne certainement pas bien placée pour parler de cet événement.
J'espère que le chapitre vous a plu, et sachez que les chapitres prochains vont être ... OULOULOU
Allez, bonne nuit les amours, je vous aime d'amour ❤️
-Clem
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