• Plume n°24 •


Salutation les babies ! Gros chapitre un peu spécial qui, j'espère, attisera vos curiosités ! Il est supposé vous mettre la puce à l'oreille, donc je suis pressée de vous vos hypothèses haha !

Bonne lecture, on se voit en bas !








Rose








                   

« Deux face d'un même dé, deux fragments de notre existence :

J'inspire, je vis. J'expire, je meurs.

Le feu s'éteint, l'âme flâne, l'esprit dépérit.

Je vis dans la mort,

Apprends à sourire dans des soupirs,

Dépéris dans un rire. 

Mais la Mort ne tue pas ;

La Vie s'en charge à sa place. »



Frappée par la dureté de ces quelques mots, je me décidais à ranger précautionneusement ce petit cahier à la couverture en cuir usé dans mon sac à main haute couture. Mais avant cela, je me permettais d'effleurer du bout du doigt ses reliures, puis de la pulpe de mon index, de retracer les écriteaux gravés dans la couverture. Les initiales de ma sœur y avaient été marqués négligemment.

Ce cahier vieux de plusieurs années regorgeait de souvenirs, de sentiments inavouables, d'émotions prisonnières de ses pensées. Ces quelques misérables mots étaient la libre expression de ses démons intérieurs ; des mots pour exprimer ses maux. 

Et j'avais passé mon après-midi à lire ce journal, bercée par les grésillements réguliers des machines qui m'entouraient et de la pluie qui frappait contre la vitre de sa chambre. D'interminables heures à sombrer dans les bas-fonds des émotions de ma sœur cadette qui dormait paisiblement à quelques malheureux mètres de moi. D'infinies minutes où mon organe vital avait battu en rythme avec le sien, suivant la cadence qu'indiquait l'électrocardiogramme en face du moi.

Je me résignais à ranger ce petit trésor d'écriture dans mon sac à main et m'enfonçais dans mon siège dans un soupir morne. Je rapportais mes jambes contre ma poitrine et basculais ma tête en arrière, fermant mes paupières pour ravaler les larmes qui calcinaient mes rétines depuis plusieurs heures.

J'avais mal. Mon dieu, pourquoi avais-je aussi mal ? Pourquoi la douleur dans ma poitrine ne s'amoindrissait pas ? Pourquoi ne cessais-je pas de pleurer ? Car la culpabilité souillait l'entièreté de mes pensées, voilà, le pourquoi. Pas un fragment de mon corps n'était pas tiraillé par la douleur, par le feu qui se répandait dans mon organisme comme on rependrait un incendie dans une forêt desséchée par l'été. Je mourrais, brûlée vive par ma culpabilité. Je dépérissais sous le poids infernal de ma culpabilité et de mes regrets.



" Rose, que fais-tu là ? " Je sursautais piteusement sur mon siège quand la voix austère de mon père tinta dans les airs. Je me relevais en hâte de ma chaise, dépoussiérais maladroitement mon tee-shirt froissé et pinçais mes joues pour faire fuir mon teint blafard ; je ne voulais pas qu'il me voit si lamentable. " Je répète, que faisais-tu ? " Articula-t-il de nouveau après avoir lancé un coup d'œil à Max. Je déglutissais avec peine, sentant les larmes suinter à l'orée de mes paupières, et répondais avec peine :

" Je la surveillais. " Je m'étais étranglée lamentablement en articulant ce mensonge effronté, faisant déparer ma voix dans les aigus.



J'étais ridicule et mon paternel ne manqua pas de la remarquer : longuement, il détailla ma tenue, puis mon visage poisseux et mes cheveux gras. Je compris à sa moue réprobatrice qu'il n'appréciait pas des masses mon laisser aller ; un jugement sur ma personne qui ne fit qu'alourdir le poids oppressant qui planait sur mes épaules depuis la veille.

Depuis ce coup de téléphone finalement.



" Sortons, j'ai à te parler. "



J'eus envie de fondre en larmes de nouveau, puis de partir me recroqueviller dans les bras de ma sœur gisant dans son matelas d'hôpital. Et je ne pus m'empêcher de trouver ma réaction enfantine et ironique. Une ironie telle, que l'acide ne tarda pas à se déverser désagréablement sur ma langue. Je n'avais jamais apprécié ma sœur depuis sa naissance, depuis son premier souffle. Alors pourquoi vouloir se réfugier dans ses bras inertes ? Pourquoi maintenant ?

Mais le patriarche de notre famille ne m'attendit pas pour sortir de cette pièce à la blancheur immaculée. Ses lourdes chaussures en cuir frappèrent durement le plastique du couloir tandis que je regardais une ultime fois ma petite sœur. La désolation me fit nerveusement ricaner, mais je me résignais à marcher sur les pas de mon père, partant le rejoindre dans cet interminable corridor où l'odeur si singulière de la maladie planait autour de nous.

Je croisais mes bras une fois en face de lui, et attendais nerveusement qu'il ait terminé de rédiger son message sur son téléphone portable.



" Bien. " Soupira-t-il en caressant sa barbe grisonnante. " C'est réglé. J'ai tout arrangé. Tout est arrangé. " Il se répéta et je ne sus dire précisément ce que je ressentis en premier : soulagement, apaisement, regret, colère ou souffrance. Une confusion des cinq qui me firent fermer les yeux et reculer jusqu'au mur dans mon dos. Mes jambes ne me soutenaient plus, elles étaient trop flageolantes pour me soutenir moi et toutes ces émotions contradictoires. J'apportais mes mains tremblotantes pour cacher mon visage derrière elles et secouais discrètement de la tête. Nous marchions sur un terrain miné ; cette histoire ne serait jamais arrangée.

" Nous n'aurions jamais dû faire ça. " Soufflais-je entre mes doigts. " Papa, et si elle l'apprenait ? "

" Elle ne l'apprendra pas, Rose. Et personne dans cette famille, tu m'entends, personne, ne lui dira. " Articula-t-il en se rapprochant de moi, un doigt méchamment pointé dans ma direction.

" Elle l'apprendra un jour ou l'autre, papa, et ça sera une catastrophe et - "

" Ça suffit ! " Cria-t-il subitement et j'eus un pitoyable hoquet de surprise face à son hurlement tinté de rage. Mes yeux sortirent de leur globe et j'eus envie de m'effacer dans les murs tant la lueur de hargne qui régnait dans les orbes bleuâtres de mon père me fit peur. " Tu m'entends, ça, suffit ! " S'emporta-t-il de nouveau avant de ne se planter à quelques centimètres de mon corps frémissant.  " Ta sœur, Rose, ta petite sœur restera dans l'ignorance toute sa vie, tu comprends ? Est-ce que tu me comprends, Rose Laurens ?! Réponds-moi quand je te parle ! "



Je hochais instinctivement de la tête, bien trop effrayée par la colère noire qui gravitait autour de mon paternel. Deux infermières passèrent près de nous au même moment et je ne pus que leur sourire tristement pour nous excuser de notre esclandre en public ; Les Laurens ne se comportaient pas ainsi.

Mon père dut penser la même chose que moi puisqu'il reprit un peu de ses esprits, soufflant profondément par le nez avant de ne reprendre dans un murmure hargneux :



" Tu n'as pas l'air de comprendre les conséquences qu'engendrait la nouvelle si elle se répandait. Ta sœur ne serait plus la seule concernée, Rose : c'est toute la famille qui en pâtirait ; toi la première. " Un haut le cœur me prit quand il eut fini d'articuler chacun de ses mots et je ne pus définitivement plus retenir mes larmes quand la douloureuse vérité m'éclata au visage. " Nous avons eu l'occasion rêvée de faire d'une pierre deux coups, Rose. C'était inespéré, alors ne gâche pas tout à cause de ta foutue culpabilité. Suis-je bien claire ? "



Cracha-t-il et je jurais pouvoir vomir à tout instant tant la douleur comprimait mon estomac. J'acquiesçais d'un fiévreux mouvement de tête et baissais mes yeux vers mes mains nouées. L'un de mes sanglots éclata finalement dans le couloir lorsque mon père eut enfin la décence de se reculer de mon corps grelotant d'effroi. La douleur était insoutenable et je fus bientôt incapable de rester stable sur mes deux jambes. Alors, abandonnant ma fierté, je me laissais pitoyablement glisser jusqu'au sol, ignorant le regard sévère de mon paternel qui ne put réprimer un rictus amer. Mais je n'étais plus en mesure de retenir ma souffrance en cage. Elle était trop vive, trop virulente, trop exubérante pour me permettre de la maintenir étouffer.



" C'était toi ou elle. "



Il me susurra sévèrement après s'être accroupi à mes côtés. Prudemment, il saisit mon avant-bras qui me cachait de son regard inquisiteur et sa seconde main me contraignit à le regarder, glissant sous mon menton pour m'obliger à plonger mes yeux dans les siens regorgeant de jugements.



" Toi, ou elle, Rose. Souviens-t'en. "


***


Sa peau avait toujours été pâle, pour ne pas dire laiteuse, au point qu'à certains endroits de son corps, ses veines verdâtres apparaissaient sous son épiderme. Mais jamais, ô grand jamais, elle ne m'avait parue aussi livide, similaire à celle d'un cadavre que l'on aurait enfourné dans un frigidaire pour ne pas qu'il se décompose. Ses paupières closes étaient tachetées de vaisseaux sanguins tandis que son visage blafard semblait avoir été peint en blanc ; pour dire, le pansement qui recouvrait ses points de sutures sur le haut de son front, s'accordait presque à la pâleur inquiétante de son visage.

Et pourtant elle ne faisait que dormir, elle ni morte, ni plongée dans le coma. Elle dormait simplement depuis des heures et je ne pus m'empêcher de penser que, dormir était peut-être la meilleure option pour elle. Car lorsque ses paupières se dénoueront, tout ce qu'elle trouvera, cela ne sera que les malheureux débris de son passé tombés en lambeaux.



" Cesse de la regarder comme tu le fais, Rose. La fixer ne la fera pas se lever plus rapidement. " Me réprimanda ma mère dans mon dos et j'obéissais à contre cœur, dénouant ma main de celle glacée de Max. Pourtant mes yeux ne parvinrent pas à se détacher de son visage paisible ; d'une certaine façon, je voulais graver cette sérénité éphémère dans un coin de mes pensées. " Il va falloir que tu sois forte, tu m'entends ? Dès qu'elle se réveillera, les policiers dans le couloir débouleront dans la seconde pour lui poser des questions. Alors tu te contentes de faire ce que l'on a dit, Rose, compris ? " Je hochais la tête nerveusement et eus du mal à déglutir : si les choses dérapaient, ça serait une catastrophe. " Bien, c'est bien. " Marmonna ma mère, le menton crânement relever vers le haut pour duper sa faiblesse évidente. " Reste là, je vais chercher ton père. Il est au téléphone avec sa banque et ses avocats depuis des heures. "



Une fois encore, je me contentais d'un vague geste de la tête et laissais ma mère filer dans le couloir pour rejoindre mon paternel qui orchestrait les derniers détails de notre mensonge à taille humaine. Dès qu'elle eut traversé le seuil de la porte, je me dépêchais de retrouver la main frigorifiée de ma sœur et glissais mes doigts entre les siens pour lui insuffler un peu chaleur humaine – une chose dont il manquait cruellement ici-bas. De ma main libre, je me permettais d'arranger ses cheveux hirsutes et arrangeais ses sourcils indomptables.

Et soudain, sans crier gare, une larme éclata sur sa robe d'hôpital, puis une seconde et une dixième. Bientôt son vêtement fut recouvert de larmes que je ne parvins pas à ravaler ; ma vue était brouillée, floutée par tout le poids de ma culpabilité et de ma peur démentielle pour la suite des évènements. Mon visage n'était plus rien d'autre qu'un champ miné par les perles salées qui dégringolaient clandestinement sur mes joues. Mes lèvres tremblaient fébrilement, alors que j'enfouissais mon visage dans le cou de ma sœur à qui j'avais délibérément ruiner l'existence pour sauver la mienne.

L'odeur du bloc opérateur qui s'était incrustée à sa peau m'arracha une moue douloureuse et alors que je m'apprêtais à embrasser tendrement le haut de son front, je fus étonnée d'entendre le bruit des machines s'amplifier considérablement. Je me redressais en hâte, effrayée que ce son strident soit porteur de mauvaises nouvelles, et regardais l'électrocardiogramme avec appréhension.

Mais ma tentative de comprendre ce qui se passait fut vite balayer quand des toussotements fébriles arrivèrent jusqu'à mes oreilles. Je braquais mon regard vers le visage de ma sœur et essuyais maladroitement la moiteur de mes pommettes. Mon cœur s'enjoua dans ma poitrine et lorsque je l'entendis tousser de nouveau, je me dépêchais de poser ma main sur son visage inquiet. Ses yeux céruléens me dévisagèrent avec instance et incompréhension, mais qu'importait, je ne pus décemment pas retenir mes pleurs de joie.



" Salut, sœurette. " Soufflais-je dans un murmure, mais elle ne cilla pas. Au contraire, elle resta étonnamment immobile, ses orbes translucides verrouillés sur mon visage qui se décomposait avec son silence qui hurlait dans mes tympans. " Maxine, tu – "

" Pardon, excusez-moi. " M'interrompit brusquement un médecin et ma mère se précipita pour m'éloigner de ma sœur. Ses ongles plantés dans mon avant-bras me firent sortir de ma torpeur et ne me laissèrent pas le temps de comprendre toute l'agitation qui explosa soudainement autour de moi. " Maxine, vous êtes à l'hôpital, vous – "

" Quand sera-t-elle en mesure de répondre à nos questions ? " Survint subitement un des deux policiers qui étaient restés en retrait. Mes parents et moi-même les lorgnèrent du coin de l'œil et je crus délirer quand l'un d'eux tenta de se frayer un chemin jusqu'au lit. 

" Pas dans l'immédiat, messieurs. " S'agaça le médecin tout en le repoussant de ma sœur. " Désormais, je vais vous demander de tous sortir de cette chambre, s'il vous - "

" Nous voulons parler à notre fille ! " S'insurgea mon père qui se révoltait contre l'infirmier qui le poussait vers l'extérieur.

" Et pour quoi faire, Monsieur Laurens ? Un besoin irrépressible de la mettre au courant de toutes vos magouilles avec la Justice pour lui éviter la taule pour trente piges, peut-être ? " Ironisa le second policier, franchement sarcastique, et je crus définitivement chavirer dans les bas-fonds de la folie quand il eut fini de se moquer sinistrement de mon père avec son collègue. Mon géniteur se rapprocha solennellement vers lui, un doigt méchamment dirigé sur son visage et articula avec toute la hargne du monde :

" Ne prenez pas ce ton avec moi, mon petit, vous pourriez le regretter ! "

" C'est une menace ?! "



Siffla le plus jeune et l'atmosphère s'électrisa inopinément : s'il y avait bien une chose qui poussait mon père dans ses derniers retranchements, c'était les affronts. Ma mère, sentant vraisemblablement la tension grimper dans les esprits, ne tarda pas à s'emmêler, tentant vainement de calmer mon père qui fulminer contre ces policiers, alors que les deux infirmiers essayaient inutilement d'apaiser les éclats de voix qui explosaient partout dans la salle. Le brouhaha ambiant était assourdissant et d'une certaine façon, singulièrement effrayant.

Quant à moi, je fus incapable de sourciller, simplement hypnotisée par le mutisme de ma sœur qui me regardait dans le blanc des yeux sans jamais battre des cils.

La profondeur de ses iris parut m'appeler et, alors que notre monde superficiel semblait s'effriter autour de nous, je ne pus résister à mon envie de la rejoindre. Ma démarche était mollassonne, guidée par un besoin viscéral de parler à ma sœur qui n'avait plus ouvert sa bouche depuis son réveil. Son impassibilité me fit secrètement froid dans le dos et alors que j'arrivais jusqu'à elle, son regard livide électrisa l'ensemble de mon épine dorsale. Des petites boules de chairs se dessinèrent dès lors sous ma peau et me firent frissonner de part en part.

Son silence me terrifiait, me tuait.

Désormais assisse sur un petit tabouret que j'avais trainé jusqu'à son lit surélevé, nous nous regardâmes interminablement, aussi mutique l'une que l'autre tandis que les vociférations de chacun continuaient de détoner dans la salle. Des injures, des menaces, des supplications, des pleurs ... Notre univers paraissait tomber en ruine autour de notre binôme ; notre monde se putréfiait pour nous laissait voir ô combien nous étions tous pourris de l'intérieur.

Inapte à soutenir plus longtemps son regard inflexible sans battre des cils, je déviais mon attention sur son poignet où une aiguille de la taille de ma phalange était enfoncée et attrapais sa main avant de ne déposer ma tête sur le haut de sa poitrine rachitique. Le son de son cœur qui frappait contre ses côtes fut le seul sur lequel je parvins à me concentrer pendant de longues et interminables minutes.

Alors que mes larmes se remirent à souiller silencieusement sa robe d'hôpital, je lui mentais effrontément dans un susurrement à peine discernable :



" Tout va s'arranger, Max, je te le promets : tout va s'arranger. "



Et je ne sus dire si cela était réellement pour elle que je parlais ; peut-être, simplement peut-être, était-ce plus pour moi finalement.


*** 


Je me relevais promptement de mon siège lorsque je vis enfin les deux policiers sortirent de la chambre de Max. Mes parents bondirent eux aussi de leur fauteuil inconfortable et partirent rejoindre les deux-hommes qui les cherchaient du regard. J'hésitais un moment à les rejoindre, mais fus tentée de partir à l'opposé. Je lançais un dernier regard nerveux en direction des flics qui discutaient désormais avec mes parents, et profitais de l'inattention de tous pour me faufiler jusqu'à la chambre de ma petite sœur.

Mais lorsque je fus face à la porte, je fus soudainement prise de doutes. Comment allait-elle réagir ?

Plus tôt dans la matinée, après que des agents de sécurité soient enfin parvenus à canaliser la colère de tous, et que des médecins aient dès lors pu prendre le temps d'ausculter comme il se devait ma sœur, nous avions appris que le traumatisme crânien de ma cadette était plus avancé que ce qu'ils avaient estimé.

Elle avait perdu deux jours de sa vie. Deux malheureuses journées, y compris la plus décisive pour son avenir désormais bousillé. Pendant d'insoutenables minutes, ils nous avaient aussi parlé de ce qu'on appelait communément le « Syndrome Post-Traumatique ». J'avais eu envie de vomir, horriblement de vomir quand ils nous avaient appris, une moue rembrunie sur le visage, que ma sœur ne serait plus capable de parler convenablement pendant un long moment. Alors j'avais couru jusqu'aux toilettes les plus proches, et avais vomi tous les maigres aliments que j'avais jusqu'à présent ingurgités dans cet hôpital. Puis j'avais pleuré, encore. J'avais pleuré à m'en fendre l'âme. J'avais tapé du pied dans les murs, m'étais tirée les cheveux jusqu'à ce que la douleur devienne insupportable. J'avais tout tenté pour faire taire la douleur lancinante qui crépitait dans mon esprit brisé par ces derniers jours. 

Mais rien n'avait marché. Et j'avais compris après plus d'une demi-heure de hurlements silencieux, que j'avais tout perdu avec la mémoire de ma sœur. Tout, certes, mais tellement rien comparé à elle. Alors de quoi me plaignais-je ?

Et désormais que j'étais devant sa chambre, j'étais incapable de faire un pas pour la rejoindre ; son silence me faisait trop peur. Le son de son mutisme était la plus horrible de toutes les mélodies, il éraflait mes oreilles, les faisait saigner comme pour me punir inlassablement. Il s'infiltrait par tous les pores de ma peau pour ensuite atteindre mes organes vitaux et enfin les poignarder incessamment, douloureusement.

Son silence me punissait pour mon indignité et se mêlait vicieusement à ma culpabilité jusqu'à me faire asphyxier.



" Il faut que tu ailles la voir, Rose. " Intervint durement ma mère que je n'avais pas vue venir jusqu'à moi. " Si on ne lui apprend pas immédiatement pour Dylan, elle partira à sa recherche dès qu'elle sortira de l'hôpital. "



Mollement, les yeux bouffis pour mes précédents pleurs, je tournais mon visage dans sa direction et observais avec dépit ma mère qui était toujours aussi impeccablement apprêtée. Ses cheveux tirés en un chignon strict durcissaient la sévérité naturelle de ses traits, tandis que le rouge écarlate qui peignait ses lèvres faisait reluire la blancheur de sa peau. Ses yeux noirs ne laissaient rien paraitre, ou seulement sa force de caractère. Ma mère n'avait pas pleuré, pas une seule fois. Elle n'avait pas vacillé et n'avait rien laissé voir après les évènements de samedi. Sa froideur était inquiétante, mais elle n'était rien comparée à sa dignité : ma mère était digne ; pleurer était signe de faiblesse.

Pleurer allait à l'encontre de tous les principes des Laurens.



" Si tu ne le fais pas, je le ferai, même si je ne veux pas effriter davantage le lien fragile que j'ai tissé avec ta sœur. " Me disait-elle, les yeux plantés sur le petit hublot en face d'elle, observant Max qui était recroquevillée sur son lit d'hôpital.

" Je vais le faire. " Murmurais-je si doucement que je ne parvins à entendre ma propre voix.

" Bien. " Conclut-elle rudement avant de ne tourner les talons.



A deux doigts du malaise, je suivais ma mère du regard tout du long de sa marche pour rejoindre mon père. Quand elle ne fut plus dans mon champ de vision, j'eus soudainement du mal à respirer. Ma vue était si brouillée que je dus me raccrocher au mur pour ne pas m'effondrer. Le sol sous mes pieds s'anéantissait pour ne laisser place au néant ; un néant qui rappelait vaguement celui qui s'était logé en plein centre de ma poitrine. Du vide liquide qui enflammait chacune de mes artères, qui brûlait sur son passage toute l'estime que j'avais pour moi. Une même estime que j'avais bâtie des années durant.

Je reniflais bruyamment et posais ma main craintivement sur la poignée. Les yeux clos, le corps tremblant de toutes parts, je finissais par ouvrir cette porte pour découvrir ma sœur sur son lit, assise en tailleur. Ses deux mains avaient été bandées à plusieurs endroits et été posées sur ses genoux. Ses cheveux rouges dégringolaient sur ses épaules pareillement à une cascade de sang pourpre ; une comparaison qui me fit frissonner d'effroi.



" Max ? " L'interpellais-je timidement pour la faire sortir de ses pensées, mais ses yeux bleus ne se décrochèrent pas du vide. Elle semblait égarée, perdue dans un monde parallèle, et la voir ainsi gorgea mes yeux de larmes intempestives. Je relevai mon nez au ciel pour ravaler mes pleurs et expirai profondément par le bouche avant de ne partir à sa rencontre. Je m'asseyais peureusement sur le bord de son lit, mais ne parvins toujours pas à attirer son attention. " Maxine ? "



J'eus un sursaut lamentable quand elle braqua soudainement son regard dans ma direction. Mon cœur se froissa atrocement quand je découvris la rougeur extrême de ses yeux bleutés : des vaisseaux avaient éclatés dans le blanc de ses orbes et faisaient ressortir la couleur translucide de ses iris que je jalousais depuis toujours.



" Co-Comment tu te sens ? " Bégayais-je dans mes larmes. Mais je me trouvais rapidement idiote d'avoir posé cette question ; ma sœur venait d'apprendre par la bouche de deux policiers inconnus qu'en deux jours de temps, son passé, son présent et son futur avaient été anéantis. Alors bien évidemment, le silence fut ma seule réponse. Je pinçais mes lèvres ardemment pour refouler un énième sanglot et repris malaisément : " Tu vas t'en sortir, ok ? Papa va tout arranger et tout redeviendra comme avant. Si il le faut, je quitterai mon boulot et Georges pour te soutenir, d'accord ? Hein, t'es d'accord ? "



Pleurais-je face à son manque de réaction et je dus cacher mon visage entre mes mains pour étouffer un geignement de douleur ; la voir ainsi par ma faute était la pire des tortures. Et savoir que j'allais devoir l'enfoncer un peu plus dans sa noirceur en lui annonçant que Dylan l'avait quittée me fit pleurer de plus belle. Quel genre de sœur étais-je ?



" Ecoute, je crois ... Je crois qu'il faut que je te dise quelque chose.  Dylan est – "



Mais je m'arrêtais net, anéantie de voir une larme souiller la peau laiteuse de ma sœur. Une perle d'eau limpide qui dégringola sa joue lentement, prenant le temps de ruisseler le long de sa pommette pour venir se déverser à la commissure de ses lèvres écorchées. Fiévreusement, peut-être pour lui donner un peu de mes maigres forces, je tentais de prendre sa main mais elle la recula vivement, comme brûler par mon touché qui se voulait réconfortant.

Un bruit déchirant vibra soudainement dans les airs et ce ne fut qu'après avoir regardé ma sœur que je compris que c'était l'un de ses sanglots qui venait d'exploser entre ses quatre murs. Je me pétrifiais autant de souffrance que de surprise. C'était la première fois depuis des années que je voyais ma petite sœur pleurer.



" Dylan t'as ... Dylan t'as quittée, Max. Il t'a quittée le soir de ton anniversaire et tu es immédiatement venue me voir après ça. Mon Dieu, je suis tellement désolée, je ... "



Mais elle n'avait que faire de mes mots. Elle n'avait que faire de mes excuses puisque cette fois-ci, ce ne fut plus un sanglot mais un hurlement larmoyant qui fendit l'air. Puis un second avant qu'elle ne se plie en deux sous l'assaut de la douleur qui déformait son visage angélique. Elle cria douloureusement dans son avant-bras et quand je tentai de la prendre dans mes bras, elle me repoussa férocement, claquant mes mains avant de ne subitement renverser le petit comptoir près de son lit où reposait un plateau repas.

Je bondissais sur mes pieds, horrifiée par sa réaction et reculais jusqu'au fond de la salle, les yeux fixés sur ma petite sœur que j'avais involontairement brisée un peu plus. Possiblement alertés par tous le bouquant provenant de notre chambre, une infermière rentra dans la pièce en trombe et se rua vers Max qui hurlait et pleurait dans ses draps. Son dos cambré en avant tremblait sous la puissance de ses sanglots tonitruants et lorsque la femme tenta de la redresser, elle n'y parvint pas ; ma sœur était bien trop obnubilée par ses pleurs.

Je n'entendis que très vaguement l'infermière appeler du renfort. J'étais tétanisée, obnubilée par l'état alarmant de ma sœur qui ne cessait de sangloter. Sa respiration saccadée broyait l'air avec frénésie et la voir ainsi me rappela fort justement la phrase que j'avais lue clandestinement dans son journal intime un peu plus tôt dans la matinée :



« La Mort ne tue pas. La Vie s'en charge à sa place. »












Alors alors alors ?! Trop pressée de connaître vos réactions ! J'espère que ce chapitre a éveillé quelques doutes, et si oui, je suis encore une fois pressée de savoir lesquels hehehe 😈

Je sais que certaines seront déçues de pas avoir eu leur dose de Kenouille mdr, mais ne vous en faites pas il revient au prochain chapitre !

Voila, des bisous les babies ❤️

-Clem

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