• Plume n°2 •
Maxine
➰
"Je les ai adorés ! " S'esclaffa subitement ma sœur. " Vraiment ! Bon à part leur gout vestimentaire douteux et leur humour carrément étonnant, ils sont géniaux ! "
Peu persuadée par son exaltation débordante, je ne répondis pas et me contentai de déposer précautionneusement ma besace sur notre bureau. J'étais éreintée par cette journée et savoir qu'il me restait encore deux shootings avant que je ne puisse me coucher, me fatiguait encore plus.
" Et avec Nekfeu, au fait ? Ça s'est passé comment ? " S'enquit-elle après que je me sois nonchalamment laissée retomber dans notre canapé. Je haussai pensivement mes épaules, toujours pas certaine que ces six mois soient une bonne chose. " T'exagères ! Ce type dégage un sacré truc, ça rendra parfaitement bien sur les photos, j'en suis persuadée ! "
Ça, c'était véridique.
Nekfeu était, sans me tromper, l'homme le plus charismatique que j'avais pu voir durant toute ma courte carrière. Tout, que cela soit ses yeux bruns, les pores de sa peau naturellement cuivrée, sa carrure athlétique, sa voix gutturale et enchanteresse, absolument tout chez ce rappeur débordait d'assurance et de confiance en soi. L'aura captivante qui paraissait le soustraire du monde aurait su faire défaillir n'importe quel homme ou femme dans ce monde, et n'avait d'égal que sa nonchalance phénoménale.
Mais si le silence qui me suivait telle mon ombre depuis deux années m'avait bien appris une chose, c'était reconnaître les gens cassés en deux par la vie. Et incontestablement, Nekfeu était une personne que la vie n'avait pas épargnée. Ses moments d'absence, de silence, ne m'avaient aucunement trahie ; au contraire, ils m'avaient permis de consolider l'opinion que je me faisais de cet homme : Son apparence de racailles des bacs à sable n'était qu'un leurre.
Probablement était-ce pour les mêmes raisons que, malgré son impolitesse et son incivilité, une part de moi avait apprécié le rappeur. Son âme était meurtrie et égoïstement, ses blessures et ses fêlures m'avaient convaincue d'accepter ce contrat.
" Max', je te parle ! " Un vif claquement de doigts finit par me faire sortir de mes songes et je lorgnai ma sœur qui avait troqué sa jupe et ses talons pour une tenue bien plus banale – banale dans le langage de ma sœur, bien entendu. " On doit appeler les parents avant de repartir. Papa t'a pris un nouveau rendez-vous chez un nouveau psy' et veut régler quelques soucis avec toi. "
Je soupirai outrageusement avant de ne ramener mes genoux contre ma poitrine. Bien sûr qu'ils m'appelaient pour ça, bien évidement. Le jour où lui et ma génitrice comprendront que persister à me trainer chez des psychologues hors de prix ne servait à rien, si ce n'est dépenser de l'argent inutilement, n'était pas demain la veille.
Ne vous méprenez pas, j'appréciais mes parents.
Malgré tout, dès lors qu'entendre le son de ma voix était devenu quelque chose de grandiose à leurs oreilles, le lien inintelligible qui me reliait à eux s'était effrité. Tellement désagrégé que même en n'y mettant de la volonté, je ne leur parlais jamais, me contentant de les écouter déblatérer sur une quelconque solution à mon « anomalie psychologique » comme ils aimaient l'appeler.
Un qualificatif qui me blessait plus que de raison, qui me broyait douloureusement le myocarde à chaque évocation, et qui me rappelait en permanence que mes parents ne voyaient en moi qu'une simplette petit chose dégénérescente qu'on devait réparer avec du temps et de l'argent.
Je mimai du bout des lèvres un « ok » pour dire à ma sœur de les appeler et Rose s'exécuta en hâte, pressée d'entendre nos créateurs à l'autre bout du fil.
***
" Batteries externes, recharges, ordinateur, câbles, app- Putain, on a pris l'appareil photo ?! "
Beugla brusquement ma sœur à ma droite et je roulai de yeux, exaspérée de la voir si affolée dès le matin. Aujourd'hui était le malheureux jour où nous partions en tournée avec l'Entourage et comme pour chaque voyage, Rose était à l'apothéose de son angoisse, craignant comme la peste l'oubli de quelque chose de primordial.
" Oui. "
Je lui marmonnai à contre cœur et ses yeux s'exorbitèrent face à ma prise de parole. Un soupir las fuit mes lippes lorsque nous fûmes arrivés devant le parking privé où était garé le « tour-bus » et où, visiblement, une majeure partie des hommes que j'avais eu la chance de rencontrer il y a une semaine étaient. J'alignai mollement ma voiture auprès de celles déjà garées et ne me fis pas prier pour sortir de l'habitacle, m'échappant à vitesse grand V de cette atmosphère chargée en mauvaises ondes pour une autre bien plus respirable.
Ma sœur ne tarda pas à faire de même et tandis que je commençais à sortir nos multiples sacs de voyages, Blondinet trottinait déjà jusqu'à nous, sourire ravi aux commissures des lèvres.
" Wesh, les filles ! Bien ou bien ? " Je ne pus m'empêcher de ricaner devant la moue étonnée de ma sœur après qu'il lui ait claqué un baiser sonore sur la joue et je le tchéquai spontanément quand il me tendit son poing. " Toujours aussi bavarde, hein ? " Ricana-t-il avant que je ne lui adresse un clin d'œil malicieux. " Besoin d'aide pour porter les sacs ? "
" Ce serait très aimable, oui. " S'exaspéra ma sœur ainée qui trimait à extraire notre valise commune du coffre. Antoine lui prit aisément le sac de voyage des mains et revint à mes côtés pour que nous marchions ensemble.
" Ta sœur est toujours aussi ... " Il parut chercher ses mots, possiblement embarrassé de dire réellement ce qu'il pensait.
" Snob ? " Lui proposai-je, un rictus taquin sur la figure. Il s'étonna d'entendre ma voix, ses grands yeux bleus s'écarquillant sous la surprise. " Oui, tu peux le dire. "
" Fais gaffe, la muette, je m'étais presque habitué à ton silence. " Se moqua-t-il, et je lui tapai gentiment le bras en gage de réponse. " Mon Dieu, mais c'est qu'elle devient violente ! Entre toi et ta sœur, je ne suis pas certain que six mois suffisent pour vous reformater à notre image ..."
Je m'immobilisai sur le béton, ahurie qu'il ait osé dire une chose pareille. Ma bouche s'entrouvrit tandis qu'il surélevait innocemment ses épaules, un air ravi sur sa figure enfantine. Avait-il sérieusement parler de reformatage ? Pensait-il ne serait-ce qu'une seule seconde que lui et les barges qui lui servaient d'amis allaient d'éteindre sur nos personnalités respectives ?
Je plissai mes paupières, les lèvres taquinées par la myriade d'insultes que j'avais excessivement envie de lui cracher au visage, mais alors que je m'apprêtais à lui dire mon point de vue sur ce reformatage, je fus violemment percutée par quelqu'un. Tellement que si deux bras vigoureux ne m'avaient pas rattrapée par la taille, je n'aurais pas manqué de tomber tête la première contre le sol.
" Fais gaffe à où tu marches, la muette, manquerait plus que tu sois estropiée. "
Toujours dans le creux de ses bras, je me retournai en hâte vers celui qui venait de me susurrer ces quelques paroles dans le creux de l'oreille. Un chuchotement déloyal, certes, mais dit avec une telle luxure dans la voix que mon cœur en oublia de battre. Je tombai nez à nez, littéralement, avec Nekfeu qui me souriait effrontément, satisfait de me voir si décontenancée face à lui. Je battis furieusement des cils, désarçonnée par notre proximité indécente. Son souffle s'abattait avec délicatesse sur ma peau bouillante, roulant sur mon épiderme comme une goutte de pluie si fraiche qu'elle me fit frémir dans ses bras.
" Calme-toi, princesse, la tournée n'a même pas encore commencé. "
Un grand froid me saisit lorsque ses bras se défirent de mes hanches, glissant sur mes côtes langoureusement. Il prit un pas de recul, une distance juste suffisante pour permettre à mon cœur de brutalement se remettre en marche et mes neurones de se reconnecter les unes aux autres. Je chancelai imperceptiblement d'un pas, encore retournée par cet échange physique pour le moins qu'on puisse dire ... intense, alors qu'une colère colossale cheminait dans mes pensées.
La respiration encore bloquée dans ma gorge nouée, quelqu'un me héla de nouveau dans mon dos, une voix féminine cette fois-ci que je ne connaissais que trop bien.
" Professionnel et personnel, Max, professionnel et personnel. Deux choses différentes qu'on ne mélange pas, je te le rappelle. " Fredonna Rose qui passait en flèche devant mes yeux, les bras encombrés par tous nos sacs de voyage.
J'ouvris bêtement la bouche pour répliquer en secouant ma tête de droite à gauche. J'abandonnai ma prise de parole au bout de quelques secondes et passai rageusement mes doigts dans mes cheveux désordonnés, les yeux clos pour dissimuler ma colère. Je fulminai déjà alors que cette tournée n'avait toujours pas débuté, et cette vague impression que cette première heure annonçait la couleur pour ces six prochains mois finit de m'achever.
J'expirai un grand coup et rouvris enfin mes yeux, plus ou moins calmée par ces quelques secondes de calme plat.
Je saisis mes trois sacs de voyage que j'avais laissés malencontreusement tomber après que Barbie pute m'ait expressément bousculée, et fonçai le plus dignement que possible vers les autres qui s'étaient regroupés devant le bus. Plusieurs me saluèrent, alors que deux d'entre eux me lorgnaient curieusement, n'ayant pas encore été officiellement présentés.
" Passe, je vais les foutre dans le coffre, tu me fais de la peine avec ta taille de gnome. "
Se moqua Antoine à ma droite après que j'ai vainement essayé de ranger mes bagages dans le coffre surélevé du bus. Je le remerciai du bout des lèvres et l'aidai malgré tout, n'aimant pas restée inactive devant lui qui s'activait. Lui et ses petits bras frêles. Il se dépoussiéra les mains dans un geste machinal et alors que je repartais déjà en direction de ma sœur qui parlait avec Deen et un autre homme que je ne connaissais pas, Antoine me rattrapa de justesse, encerclant mon poignet à l'aide de ses doigts fins.
" Attends, on ira te présenter aux autres ensuite. " Interloquée par sa soudaine maladresse, je ne pus m'empêcher de le couver d'un regard maternel, stupide automatisme que j'avais acquis lors des nombreuses et incompréhensibles crises de larmes de ma sœur ainée. " Je vous ai vus tout à l'heure, avec Ken. T'as l'air d'être une meuf bien, Maxine, et je connais l'Fennec comme si c'était mon reuf', alors c'est pour ça que je vais me permettre de te dire une chose : Ne papillonne pas trop près de lui, tu te brûlerais les ailes, je te le garantis. "
Ses mots ne furent pas encore assimilés par mes pensées, qu'il me trainait déjà derrière lui jusqu'à ses amis. Alors que nous cheminions jusqu'à eux, mon cerveau était en effervescence, s'évertuant à trouver une traduction convenable à cette phrase emplie de sous-entendus. Bien-sûr que je ne « papillonnerai » pas près de Nekfeu, c'était une telle évidence que même mon inconscient en était convaincu. Assurément qu'il était un connard - du moins aux premiers abords - suffisamment grand pour que je puisse m'y « brûler les ailes ». Comment aurais-je pu passer outre ? Antoine me prenait-il réellement si simplette d'esprit ?
Quelque chose me susurrait que non.
Sa mise en garde sous-entendait ouvertement que Nekfeu divulguait quelque chose que je n'étais pas supposée connaître, et cela ne fit qu'attiser davantage ma curiosité.
Nous abordâmes alors le premier garçon qui parlait avec Deen et ma sœur. Plutôt rondouillard, chauve et barbu, je n'eus pas le temps de plus l'examiner que déjà ma tête se retrouvait bloquée sous le bras de Bigo – comme ils aimaient l'appeler.
" Alors, la muette, t'en as mis du temps à venir me parler. " Me taquina-t-il après que je me sois libérée de force de son emprise. Je lui souris timidement, dévoilant ma denture aux yeux de tous tandis que ma sœur prenait la parole.
" Elle n'est pas muette, bon sang, elle n'est simplement pas bavarde. " Ronchonna-t-elle, bougonne.
" C'est pareil. "
Lui répondirent à l'unisson Antoine et Ahmadeen. Les deux rappeurs s'esclaffèrent après avoir parlé en cœur et se frappèrent rigoureusement les mains, vraisemblablement béats d'avoir parlé en même temps pour dire la même chose.
Des enfants. J'allais shooter durant six mois avec de grands enfants bourrés à la testostérone.
" Au fait, Maxine, je te présente Eff Gee, le – "
" Mon meilleur pote depuis l'enfance. " L'interrompit le brun, enchanté de me présenter auprès de son ami. Je tendis ma main courtoisement et Eff Gee l'attrapa, un air préoccupé sur la figure.
" Excuse-moi, mais tu me dis vraiment quelque chose, on se connait ? " M'interrogea-t-il.
" Bien sûr que tu la connais, mon pote, c'est Maxine Laurens ! La meuf dont Eli' nous parle tout le temps et aussi celle qui a suivi Booba en tournée l'année dernière ! "
Mes joues s'empourprèrent à cette souvenance. En effet, l'année précédente j'avais eu le malheur de suivre Booba lors de ses concerts. Et tout comme pour Nekfeu, le contact entre lui et moi n'était, mais alors absolument pas, passé entre nous. Si bien que deux mois avant la fin de la tournée, si les menaces factices de ma sœur et les probables répercutions qu'auraient pu avoir mon acte sur ma carrière ne m'avaient pas fait réfléchir, j'aurais immédiatement arrêté de les accompagner.
Néanmoins, il était étrange de me dire qu'en effet, Eff Gee me rappelait vaguement quelqu'un à moi aussi. Plus je le regardais, plus ses yeux brunis me revenaient en mémoire, une sorte de flash que j'aurai pu aisément assimiler à un rêve éveillé : confus, obscur, mais présent, encore chaud dans mes souvenirs.
" Mais nan ?! " S'époumona-t-il subitement. " Putain, mais Fonky comment t'as fait pour avoir Maxine Laurens dans nos rangs ?! "
" J'ai un talent de persuasion dont tu ne soupçonnes même pas l'existence, mon pote. "
Répliqua le concerné, espiègle, et je fus étonnée de le voir échanger un regard complice avec Rose, l'air de rien. Plus encore, je fus stupéfaite de voir ma sœur rougir mignonnement. Ahurie, mes sourcils se froncèrent : cela faisait des années que je n'avais plus vu les joues de ma sœur s'empourprer pareillement. Tout compte fait, je crois même ne les avoir jamais vues.
Et pourtant, juste là, sous mes yeux, Rose Laurens, femme d'affaire dans l'âme, venait de virer écarlate après un simple coup d'œil de la part de Fonky Flav, rappeur grandissant dans le milieu. Ils étaient deux mondes si distincts par leurs intérêts que s'était à peine imaginable qu'une banale amitié puisse naitre entre eux !
Je rangeai cette idée absurde dans le fond de mes pensées et me convainquis obstinément que je poussais l'analyse trop loin ; assurément, Rose et Antoine ne partageaient et ne partageraient rien, le contraire m'en donnerait des frissons d'effroi.
Professionnel et personnel, deux choses qu'on ne mélange pas. Comme le disait si justement ma sœur.
" Max, tu m'as écouté ? " Distraitement, je relevai mon regard vers Deen qui m'avait interpellée et secouai honteusement la tête, désolée d'avoir encore été que si peu attentive. " Ouais, je vois ça. " Railla-t-il. " Tu pensais à quoi ? "
Mystérieusement, je le narguai en faisant danser mes sourcils, refusant de lui délivrer réellement le fond de mes pensées. Pas que l'envie m'en manquait, simplement que je n'en voyais pas l'intérêt. Et aussi car, possiblement, une grande majorité de mes songes, dits à voix haute, me feraient passer pour une folle à lier bonne pour la maison de repos.
" T'es vraiment étrange comme meuf, Maxine Laurens. Tu le sais ? " Me sourit-il et par mimétisme, un sourire s'ébaucha sur mon visage face à la bienveillance et la bonne humeur permanente de ce type. Comment Diable faisait-il ? Comment parvenait-il à conserver ce trait de caractère intact dans ce monde si fondamentalement vipérin dans lequel nous vivions ? " Allez, viens, je vais te faire visiter le bus. "
Lorsque son bras se déposa nonchalamment sur mes épaules, j'eus envie de m'en dégager, n'idolâtrant pas des masses le contact humain. Mais je m'y empêchai, me refusant catégoriquement de paraitre plus associable que je ne l'étais déjà avec mon handicap et laissai sa main pendre mollement contre moi.
Sur notre chemin menant à la « porte d'entrée » du bus, il me venta tout du long les bienfaits de ces six mois à leurs côtés, ô combien leur compagnie me sera salvatrice, mais encore une fois, je ne l'écoutai que d'une oreille distraite, tous mes sens étant accaparés par le beau brun qui parlait avec ma sœur un peu plus loin.
Isolés du reste du groupe, Rose et Nekfeu discutaient on ne peut plus sérieusement à en croire les traits sévères de leurs visages. Les bras croisés sur sa poitrine athlétique, le rappeur hochait la tête par intermittence tandis que ma sœur paraissait lui parler d'un sujet capital, le dos droit, son assurance naturelle dégoulinant d'elle par tous les pores de sa peau.
Mon pouls s'affola follement sous mon épiderme quand la possibilité que ma sœur soit en train de parler d'un sujet me concernant me sauta au visage. Serait-elle capable d'aller jusque-là pour me faire couper les ponts avec le brun ? Je me crispai inconsciemment dans les bras de Deen lorsque, justement, comme si mon aura angoissée avait excité son attention, Nek me lorgna par-dessus l'épaule de Rosie. Et étonnement, son sourire en coin ne se forgea pas aux commissures de ses lèvres, non, il arborait un tel sérieux que mon cœur crut louper un battement.
Car si sa nonchalance animait implacablement mon animosité, son air concentré, lui, jetait une vague de froid sans précédent le long de mon épine dorsale. Au point que, malgré la distance qui nous séparait, ses yeux sombres me firent vibrer d'effroi par leur façon si singulière qu'ils avaient de me détailler.
Où était passé l'odieux personnage d'il y a quelques minutes ? Où étaient passés son insolence et son horripilant manque d'amabilité ?
" Juste, fais gaffe aux marches, elles - "
Je repris brutalement le cours de la réalité quand je trébuchai lamentablement sur la première marche de ce petit escalier. Ma chute ridicule provoqua la jubilation des quelques hommes auprès de moi, y compris de Deen et je le foudroyai du regard, si honteuse que tout mon corps eut envie de se ratatiner dans un coin pour qu'on m'oublie.
" ... Elles sont plutôt hautes. " Finit-il de dire, hilare, juste avant de ne me tendre sa main pour me soulever du sol où je gisais piteusement. Plus cramoisie que jamais, j'acceptai son aide et me dépêchai de me remettre sur mes deux pieds, mes yeux cherchant avec ardeur Rosie et Nekfeu. Je sentis mon sang s'agglutiner dans mes tempes quand je ne les vis nulle part, angoissée par la possibilité que ma sœur soit bel et bien en train de lui parler de ce que je croyais. Mais alors que je m'apprêtai à partir à leur recherche, une voix dans mon dos me fit m'immobiliser.
" Tu tombes déjà pour moi à ce que je vois, la muette ? Je suis flatté. " Se moqua-t-il, faisant référence à ma chute magistrale d'il y a quelques instants.
Je me retournai précipitamment vers Nek qui lui, ne m'attendit pas pour escalader les quelques marches, me manquant bien sûr pas de me bousculer l'épaule au passage. Je serrai gaminement mes poings le long de mon buste et me mordis âprement la lèvre, refusant d'adresser un traitre mot à cet abruti fini. C'était de la pure et dure provocation, et il était inconcevable que ce type parvienne à me faire parler pour si peu ; c'était de la salive gaspillée inutilement.
" Fais pas attention à Barbie, il est comme ça avec tout le monde. " Tenta de me consoler Ahmadeen toujours à mes côtés, mais alors, une étrange sensation naquit dans le creux de ma poitrine. Avec tout le monde, étais-je tout le monde aux yeux de Nekfeu ? Un rejet acide remonta jusque dans ma bouche quand je me rendis compte de l'absurdité de mes propres raisonnements. Bien évidemment que je l'étais, c'était un fait avéré. Mais alors pourquoi ce pincement désagréable au cœur ? " A toi l'honneur, tu vas voir, l'intérieur est ouf'. "
J'abandonnai mes futiles questionnements dans un coin de mes pensées et abdiquai bien sagement, montant ces foutues marches - je fis bien attention à ne pas me ramasser une seconde fois.
Sombre et exigu, ce bus était pourtant l'endroit le plus improbable que je n'avais jamais vu. Des néons bleus vissés au plafond, une télé grand écran, des canapés en tissu regroupés dans un coin stratégique du bus, des dizaines de jeux vidéo empilés proprement sur une table basse ... Si je n'avais pas su qu'il s'agissait du bus où j'allais loger pour les six prochains mois, j'aurai pu penser à une petite chambre de bonne située dans un quartier huppé de la capitale.
Tandis que Deen me faisait la visite guidée du véhicule, me montrant au passage ma couchette ainsi que la salle de bains et les toilettes, le restant des garçons se regroupèrent a l'intérieur, certains déjà en train de fumer leur joint. Un brouhaha monstre résonnait entre les murs fins du bus et bourdonnait dans mes oreilles désagréablement ; c'était dingue comme ces hommes pouvaient faire du bruit.
Peu de temps après que le chauffeur nous ait demandés de nous asseoir, le bus démarra, s'engageant sur la route qui nous mènerait tout droit à Nancy, premier concert de la tournée « Feu tour » avec en tête d'affiche, Nekfeu lui-même. Confortablement assise sur l'un des seuls sofas disponibles, plusieurs des garçons comme Antoine, Doum's et Framal vinrent me rejoindre gaiment, un amas de questions à me poser.
Ne restant plus que deux sièges en face de moi, je fis de la place à Antoine pour qu'il vienne s'asseoir à mes côtés et plantai mes écouteurs dans mes oreilles, décidée à écourter ce long trajet au maximum et à couper court l'interrogatoire que les garçons n'allaient pas tarder à me faire passer.
Ils ricanèrent d'ailleurs après mon geste, me reprochant mon manque de sociabilité. Je ris timidement, ayant entendu leurs paroles très distinctement malgré le son qui se déversait dans mes tympans.
" On va passer six mois ensemble, la muette, va bien falloir qu'on apprenne à se connaitre un minimum, non ? " Me taquina Framal en face de moi et je cédai à contre cœur, enlevant mes écouteurs de mes oreilles pour subir leurs questions au quelle je ne pourrai même pas répondre. " Ok, alors dis-nous, es-tu célibataire ? "
J'eus un léger rire sonore face à son sourire taquin et répondis silencieusement par l'affirmative, ma dernière relation sérieuse remontant au lycée : une relation désastreuse compte tenu de nos jeunes-âges, de notre manque de maturité évident, nos hormones en surchauffes et notre incapacité à parler ouvertement. Un chaos qui malgré tout, m'avait profondément bouleversée par son authenticité ; une confusion d'amour et d'engueulades à tout bout de champs qui avaient su me combler jusqu'à ce que notre relation finisse de la plus brutale des manières.
" Depuis quand t'habites sur Panam avec ta reus' ? " Me sollicita distraitement Doum's, concentré sur le roulage de sa cigarette artisanale.
" La véritable question est : pourquoi tu ne parles plus ? " Me réclama subitement une voix en face de moi.
Je braquai anxieusement mon regard vers Ken qui venait de faire son irruption dans notre petit carré, chaise à la main. Il s'installa négligemment auprès de Framal, ses deux coudes venant se poser sur ses genoux, rapprochant fatalement son visage du mien. Instinctivement, peut-être même misérablement, je ramenai mes jambes contre mon buste pour instaurer une distance suffisante entre lui et moi et dus battre furieusement des cils pour intégrer pleinement sa question dans mes pensées.
Les pulsations de mon palpitant s'affolèrent contre mes côtes, si bien que je pus les sentir retentir jusque dans mes oreilles, m'assourdissant partiellement. Par machinisme, je recherchai ma grande sœur dans le bus, prête à lui lancer un appel à l'aide pour qu'elle vienne m'extirper de cette impasse, mais le brun reprit alors :
" T'es au courant que ta sœur ne pourra pas continuellement parler à ta place ? "
Je me figeai, le cœur prit dans un étau insupportable alors que mon cerveau fonctionnait à plein régime pour me trouver une issue de secours à ce piège vicieux que venait de me tendre Nekfeu.
Bon sang, bien-sûr que je le savais. Tous les jours, à chaque foutue fois que je me retrouvais dans une situation similaire, je bénissais ma sœur d'être à mes côtés depuis ces deux années ; qu'importait nos engueulades perpétuelles ou nos divergences d'opinions, sans Rose, à l'heure actuelle, je ne serais rien.
Après ma sortie de l'hôpital, après que les médecins m'aient diagnostiquée comme sujette à des troubles mineurs de la parole, ma sœur avec qui je ne partageais pas grand-chose à l'époque, avait tout abandonné pour me suivre où que j'aille. Que cela soit son fiancé, Georges, avec qui elle devait se marier trois mois plus tard, son haut poste dans son entreprise, ses amis, sa vie tout entière finalement : elle avait tout lâché pour m'accompagner dans ma passion malgré ma réticence.
Et même si ce jour-là me faisait cauchemarder jours et nuits, je savais qu'un jour Rose déciderait de m'abandonner pour reprendre sa vie là où l'avait arrêtée.
Et ce serait tout à fait légitime.
" Ferme-la, mec, tu la fous mal là. " Intervint Antoine auprès de moi, réprobateur.
" Si elle ne veut pas répondre, il suffit qu'elle utilise sa langue pour m'envoyer chier, c'est pas compliqué. " Répliqua-t-il, ses yeux toujours aussi fixement plantés dans les miens qui rutilaient de torpeur.
" Mec, t'es chiant, sans déconner. On était bien là, pourquoi tu viens niquer l'ambiance là ? "
"Je nique pas l'ambiance, mon pote : je la mets au pied du mur, y'a une nuance. " Enfin il déroba son regard de moi, plantant ses orbes obscurs sur mon sauveur temporaire qu'était Antoine.
" Joue pas avec les mots. " Ronchonna son interlocuteur, vraisemblablement saoulé par l'insistance de son ami.
" Comme vous voudrez. " Il soupira mollement en se relevant de sa chaise faite de bois et d'osier. Dans une moue faussement indifférente, il réitéra : "Je dis ça pour toi, la muette : Un jour faudra que t'apprennes à voler de tes propres ailes. Les gens ne pourront pas continuellement être à tes petits soins, princesse. "
J'eus un soubresaut imperceptible tant ses mots consciencieusement choisis me retournèrent l'estomac avec virulence. Alors qu'il s'en allait rejoindre Alpha un peu plus loin, je pus péniblement sentir la bile remonter dans ma bouche, lentement et vicieusement, une ascension qui faisait vaguement référence à celle de mes souvenirs indistincts dans mes pensées. Une escalade jusqu'à mes songes qui me foudroya le cœur à chaque nouvelle seconde qui s'écoulait dans un silence morbide.
Difficilement, j'inspirai une faible goulée d'oxygène et resserrai fébrilement mon emprise sur mes deux genoux quand je pus enfin sentir tous les regards des autres brûler ma peau. Curieuses ou désolées, leurs œillades me firent gigoter sur mon siège qui me parut soudainement bien moins confortable qu'au préalable.
Malgré tout, divulguant mon malaise du mieux que je pus, je leur adressai un sourire qui se voulait rassurant avant de ne renfoncer mes écouteurs dans mes oreilles. Sans réclamer mon du, je lançai ma Playlist musicale pour faire taire les démons hurlant dans mes pensées lugubres et sortis mon ordinateur pour travailler les photos de mon shooting de la veille. Une façon comme une autre de mettre définitivement fin à cet interrogatoire auquel je n'aurais jamais dû accepter de participer.
Peu à peu, les garçons appréhendèrent mon geste et se remirent à leurs activités sans rechigner, m'oubliant pendant quelques heures. Deux heures où je fus incapable de me concentrer sur les portraits que j'avais fait de cette égérie d'une marque de vêtements italiens mondialement connue. Cent-vingt minutes où tout ce que je fus en mesure de faire, c'est observer à travers la fenêtre où j'étais appuyée ces paysages urbains, puis ruraux qui défilaient sous mes yeux éreintés.
➰
Désolée pour le contre temps ! J'ai eu un problème avec la publication 🤔
Alors, qu'en pensez vous ? Nek ? Max ?
Je vous souhaite une bonne nuit, et on se retrouve sûrement demain soir pour le chapitre 3 !
Bisous 😘
-Clem
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