• Plume n°14 •
Salut les babies ! Chapitre en avance, avec en prime une petite photo de Rose (selon mon imagination) ainsi qu'une petite musique en média avec qui j'ai écris tout le chapitre ! J'espère que ça vous plaira 😘 On se voit en bas !
Rose
➰
Les jambes croisées devant moi et les mains délicatement liées sur mes genoux, je bravais ce silence glaçant avec une dignité sans comparaison. Leurs regards en coin, pour ne pas dire inquisiteurs ou suspicieux pesaient lourds sur mes épaules, m'écrasant impitoyablement dans le fond de mon siège et faisant naitre un malaise sans pareil dans mes pensées. Maxine avait disparu on ne sait où encore et m'avait lâchement abandonnée face à cette troupe de rappeurs tous plus perplexes les uns que les autres, désormais pressés que je prenne la parole pour expliquer la bombe qu'avait lâchée Mademoiselle Gravier un peu plus tôt.
Cette situation était affreusement gênante et je bénissais intérieurement Antoine qui me couvait d'un regard protecteur depuis notre départ du café ; sa présence savait prodigieusement bien apaiser mes angoisses et parvenait à consolider mes barrières mentales bien trop fragilisées ces derniers temps.
" Arrêtez de la regarder comme ça, elle n'a rien fait. " Me défendit-il justement et je respirais enfin, heureuse que toute l'attention ne soit plus concentrée que sur moi.
" Excuse-nous de vouloir des explications, mec ! " Se braqua spontanément Nekfeu et je pinçais mes lèvres pour ne pas l'envoyer bouler immédiatement. Bon sang, c'est dingue comme ce type me sortait par les trous de nez. Pauvre Max.
" Ce n'est pas à moi qu'il faut les demander. " Rétorquais-je.
" Oh mais je suis d'accord, et crois-moi, j'aurai des explications avec ta chère petite sœur dès qu'elle rentrera de sa petite fugue nocturne ! Mais là, comme tu le vois, elle n'est pas là ! Alors ça serait sympathique de ta part de nous expliquer la scène de toute à l'heure ! "
" T'expliquer, Ken ? T'expliquer quoi ?! Laëtitia a, il me semble, été suffisamment explicite ! "
" C'est moi qui vais être très explicite avec toi si tu continues à me parler comme ç- "
" Vos gueules ! "
Surpris par la bourrue grossièreté de Deen, tous braquèrent leurs regards dans sa direction tandis que j'apportais ma main à ma poitrine, toute aussi ahurie que le reste du groupe ; lui qui était ordinairement si serein, doux et amusant, n'était présentement qu'une boule de nerfs prête à exploser.
Jugeant que ce n'était définitivement pas le bon moment pour faire une réflexion sur son langage familier, je me mordis âprement la joue et fixais distraitement mes escarpins.
" J'avoue, calmez-vous. " Marmonna Mohammed en face de moi, tout aussi blasé qu'Ahmadeen. " Sans déconner, j'comprends pas pourquoi tu te vénères, Nek. Il est où le souci ? "
" Le souci ? " Articula le concerné, consterné qu'on lui pose cette question pourtant élémentaire. " Le souci c'est que – " Dans un geste machinal, ses mains glissèrent dans ses cheveux et tirèrent farouchement dessus jusqu'à temps qu'un rire nerveux fuit ses lèvres. " Roh, puis merde, laissez tomber. Si vous ne voyez pas où est le problème dans tout ce merdier, ce que ce n'est clairement pas moi qui ai un souci. "
Cette fois, je ne sus réprimer un sourire conquérant ; pour une fois que cet homme prenait une bonne initiative dans sa vie. Ses yeux rageurs se posèrent promptement sur moi et me lancèrent des éclairs, m'incitant implicitement à ravaler mon rictus cynique.
Chose que, cela va de soi, je ne fis pas.
Le silence retomba dans le bus et ne fut entrecoupé que par la respiration saccadée et tonitruante de Nek qui boudait dans son siège. Stupide gamin. Je roulais des yeux sur cette pensée et regardais une ultime fois mon téléphone, désespérée de ne pas avoir de nouvelles de Max malgré l'heure tardive ; Dieu merci, aujourd'hui était un jour de congé, les concerts ne reprenaient que le lendemain.
N'ayant reçu aucune réponse à mes précédents messages, j'en pianotais un sixième alors que la voix de Deen parvenait que très peu distinctement à mes oreilles.
« Rentre, s'il te plait. Je vais tout arranger, je te le promets. »
Presser mon index sur la touche envoyer me fit singulièrement mal, une lancinante douleur qui fut aussi fugace qu'insupportable, aussi brève que méritée. Méritée car le mensonge n'était pas quelque chose que je primais dans mon quotidien. Particulièrement quand il s'agissait de ma petite sœur ; dans notre cas, elle comme moi savions que rien ne s'arrangerait si simplement.
Et pourtant, malgré ma répugnance pour les mensonges, nos vies, la sienne, la mienne et plus généralement, celle qui unissait nos géniteurs, ma sœur et moi-même, n'étaient qu'un ramassis de tromperies et de manipulations en tout genre.
Le plus triste ? Nous continuons d'en user, et ce, un peu plus à chaque fois.
" Rose ! " Surprise par cette abrupte irruption dans mes pensées, je tressautais sur mon siège et relâchais mon téléphone sur mes genoux avant de ne rapidement le rattraper. Une fois m'être assurée qu'il ne risquait plus de tomber, je relevais mes yeux vers Antoine qui m'étudiait précautionneusement, une telle douceur dans le regard que je me sentis vaguement chavirer. " Tu m'as écouté ? Ça fait deux minutes que je te parle. "
" Pardon, j'envoyais un message à Max. Tu disais ? "
" Je te demandais comment est-ce que cela se faisait que ta sœur ait un casier judiciaire aussi ... rempli ? Enfin je veux dire, elle n'a pas forcément la tête d'une « délinquante ». "
Pour la énième fois de la soirée, j'expirai abondamment dans mes mains et eus le stupide réflexe de vouloir me frotter les yeux ; chose que je ne fis pas puisque je sus me souvenir à temps que j'étais encore maquillée. Dépassée par les évènements et partagée entre mon envie inconvenante de leur expliquer l'adolescence instable de Max et celle de me taire, je ne pris pas immédiatement la parole, me contentant de me perdre dans l'azuré du regard d'Antoine.
Mais après tout, qu'est ce qui me retenait ? Ce n'était assurément pas le plus infect de tous les secrets de la famille Laurens.
Et puis, après mûre réflexion, sustenter leur besoin d'éclaircissements quant à l'esclandre de cet après-midi parviendrait peut-être à tranquilliser leur curiosité maladive, à tous. Du moins, au moins le temps de quelques jours.
" Maxine a simplement fait une crise d'adolescence plus turbulente que la moyenne. Au lycée elle a rencontré un groupe de types que très peu fréquentables et elle s'est entichée de l'un deux, un certain Dylan si je me souviens bien. " Je fronçais des sourcils lorsque je vis Nekfeu du coin de l'œil se raidir ostensiblement dans son siège et relevais les yeux au ciel avant de reprendre le cours de ma phrase : " Dylan, Kylian, peu importe. Lui et ses petits copains ont fait rentrer Max dans leur petite bande. Bien évidemment, ma sœur a foncé tête baissée dans leurs pseudos délits et a plusieurs fois fini au commissariat de police et dans les pires cas, au tribunal. Pour le plus grand malheur de nos parents et de leur porte-monnaie, d'ailleurs. "
Agacée de devoir ressasser cette période d'horreur et de peur constante, je glissais dans le fond de mon siège et écrasais l'arrière de mon crâne contre l'appuie-tête, profitant pour une fois du silence qui planait après ma réplique franche.
" Après qu'elle se soit faite connaître, notre père a fait jouer les avocats de son entreprise pour enterrer son casier judicaire plein à craquer : ça aurait pu nuire à sa réputation. " Rajoutais-je dans un gémissement, les paupières closes tant la fatigue irritait mes rétines. " Laetitia n'aurait jamais dû tomber dessus ; c'est du passé. Comme tu l'as si bien dit, Antoine, ma sœur n'est pas une délinquante : elle est simplement tomber amoureuse du mauvais garçon. "
Je rouvrais une paupière, curieuse de savoir quelle serait leur réaction, et je fus étonnée de les voir tous plus médusés les uns que les autres, désorientés et plongés dans leurs songes. Incompréhensiblement, un sourire moqueur gravita sur mes lèvres quand je me rendis compte de l'ironie de la situation : Moi qui avait craint au début de cette tournée de fréquenter des vauriens illettrés, je me retrouvais actuellement à leur en boucher en coin car ma chère petite sœur était, d'une certaine façon, plus rebelle qu'eux.
Je ne sais toujours pas si je devais en rire ou en pleurer.
" Mais en vrai ... " Débuta Fram', le menton réfugié dans le creux de sa main, un air pensif sur la figure : " Ta sœur est une putain de thug. "
Cette fois-ci, j'éclatais définitivement de rire et les autres ne tardèrent pas à faire échos à mon éclat de voix. Sauf Ken. Non, bien sûr, lui parut plus agacé qu'autre chose et choisit ce moment précis pour s'enfuir du bus à grandes enjambées, ne manquant bien évidemment pas d'heurter mon tibia avec son pieds en passant devant mon siège. J'ignorai son comportement bipolaire, bien trop hilare pour me concentrer sur sa si soudaine fuite.
" C'est quand même dingue qu'un microbe de sa taille cache autant de choses dans sa petite tête. " Ricana Doum's sur ma droite et je me contrariais instantanément, laissant mon rire se faner graduellement.
" Max a toujours été plus ou moins secrète. " Lui souriais-je, peu envieuse de lui montrer mon trouble face à sa réplique si véridique.
" Ouais, on a remarqué. " Ironisa Deen, vraisemblablement bien moins rieur que ses amis si l'on se fiait à la sévérité des traits de son visage. " Bref, je vais me coucher. " Sans réclamer son dû, le rappeur se releva subitement de son siège et nous tchéqua avant de ne partir s'isoler dans les couchettes.
" Vous devriez faire pareil, les garçons, il est tard et Max ne risque pas de rentrer de sitôt. " Conseillais-je à ceux restants et tous acquiescèrent d'un bref hochement de tête.
" J'avoue, j'suis mort. "
Bailla que très peu élégamment Alpha avant de nous saluer d'un geste de la main et d'emprunter le même chemin qu'Ahmadeen un peu précédemment. Les autres ne tardèrent pas s'éclipser eux aussi, suivant le mouvement et me laissant seule avec Antoine dans le salon. La rouge me monta au joue lorsqu'il m'indiqua d'un mouvement de la tête de le suivre à l'extérieur du bus, mais j'acceptais volontiers sa requête ; prendre l'air me ferait le plus grand des biens après l'épisode catastrophique que nous avions vécu aujourd'hui.
Le blond m'emboita le pas et marcha jusqu'aux marches du bus, là où il s'assit paisiblement avant de ne tapoter la place restante à sa droite. J'hésitais un moment, peu certaine de vouloir salir ma jupe fétiche, mais cédais après qu'il ait insisté de nouveau. Peu habille sur mes hauts talons, je déposais mon fessier à ses côtés, prêtant attention à ce que nos cuisses ne s'effleurent pas et déposais mon regard au loin, charmée par la pénombre ambiante et les bruits de cette ville.
Quelques rares oiseaux nocturnes sifflotaient dans nos dos tandis que le son de quelques voitures roulant sur la route près du parking parvenait à peine à nos oreilles. Le ciel était couvert, un froid inhabituel à la saison flottait dans l'air et j'eus une pensée pour ma petite sœur qui devait actuellement errer comme une âme en peine dans cette ville étrangère.
Mon organe vital se compressa douloureusement à cette pensée, comme à chaque fois qu'elle disparaissait. Je n'avais jamais compris, ni même saisi l'importance qu'elle accordait à ses instants de solitudes, ses moments d'isolements où elle coupait les ponts avec tout son entourage pendant une période indéterminée. Cette manie de se démembrer du monde s'était d'ailleurs affreusement exacerbée après que les médecins nous aient annoncé qu'elle était sujette à des troubles post-traumatiques.
" Arrête de réfléchir, ta sœur est une grande fille. " Me chuchota Antoine à ma gauche et je verrouillais mon regard sur ses mains qui s'afféraient à rouler une cigarette. Je grimaçais discrètement, n'aimant pas du tout l'odeur du tabac froid qui s'infiltrait dans mes narines.
" Je ne réfléchis pas, je me demandais simplement où elle était. " Rappliquais-je, saoulée qu'il me répète cette phrase à longueur de journée.
" C'est vrai qu'il y a une grande distinction entre les deux. " Gloussa-t-il avant de ne lécher les bordures de sa cigarette artisanale. Ecœurant. " Roh, allez, arrête de faire la gueule pour tout et n'importe quoi, bébé, ta sœur va revenir. " Je plissais mes yeux sévèrement après qu'il m'ait bousculée l'épaule, taquin, et réfutais immédiatement :
" Et comment tu peux le savoir, hein ? Tu ne la connais pas aussi bien que moi. "
" Non, en effet, mais je connais l'Fennec. " Lentement, il grilla l'embout de sa cigarette et l'apporta à ses lèvres, inspirant goulument cette toxine si cancérigène. " Elle et lui sont assez pareils sur ce point : toujours à partir loin de tout quand il y a un souci, s'isoler pour ne pas exploser en public. Ils partent, mais ils reviennent toujours, Rose. "
Curieusement, son soudain sérieux me fit froid dans le dos. De plus, cette vision de lui, seulement éclairé par les quelques lampadaires défectueux autours de nous, expirant cette fumée empoissonnée de ses poumons, me fis grandement réfléchir. Tellement, que pendant une dizaine de minutes, nous nous cloisonnâmes lui comme moi dans notre silence, réfléchissant à la portée de ses paroles.
" Jusqu'au jour où ils ne reviendront pas. " Ses yeux roulèrent dans ma direction et m'examinèrent prudemment, l'air de vouloir comprendre ce que sous entendait ma phrase. " Et je suis persuadée qu'un jour, ça arrivera. Elle partira, mais elle ne reviendra pas. Pas cette fois-là. "
Et j'étais terrifiée par cette simple hypothèse. Terrifiée et d'ores et déjà grignotée par la culpabilité ; car le jour où ma sœur disparaitrait définitivement, s'évaporant de la circulation sans laisser de traces, cela ne sera qu'uniquement de ma faute. Et je le savais, je savais pertinemment que cela arriverait un jour. Ce fameux jour que je craignais comme la peste et le collera depuis deux années, qui me terrifiait plus que la mort et la solitude, plus que le néant et l'abandon.
Maxine méprisait sa vie depuis des lustres, depuis son réveil dans cet hôpital de la capitale, depuis que le silence s'était profondément incrusté dans sa chair et ses os. Elle haïssait la Vie et les coups bas qu'elle lui infligeait sans jamais comprendre le pourquoi on lui faisait ça à elle.
Et un jour, un jour où elle aura essuyé un énième coup, je suis convaincue qu'elle s'en ira, loin de tout, loin de nous, loin de moi. Et quelque part, je savais que je saurai la cause primordiale de sa disparition.
" Comment a-t-elle fini par arrêter tout ça ? " Me sollicita calmement le blond, tout aussi perdu dans ses songeries que moi, et je ne compris qu'après un petit moment qu'il parlait des mésaventures de Max avec son ex petit-ami.
" Dylan et elle ont rompu le jour de ses vingt et un ans. Je ne sais pas précisément pourquoi, elle n'a jamais réellement eu l'occasion de m'en parler. " Soupirais-je, l'esprit vidée et l'âme meurtrie par les souvenirs qui déboulaient en masse dans mes songes. " Mais elle s'est arrêtée après ça. "
Lourdement, je laissais ma tête retomber contre le mur à ma droite et fermais mes yeux, savourant simplement le silence qui avait accueilli ma réponse. C'est ce que j'appréciais chez Antoine, cette sérénité permanente qui détonait farouchement avec mes pulsions hyperactives et mon manque de stabilité émotionnelle. Il influait du calme dans le chaos démentiel qu'était mon âme souillée par ces années de mensonges.
Je tiquais discrètement lorsque je sentis justement ses doigts glisser entre les miens. Je descellais mes paupières et observais consciencieusement la façon qu'avait son pouce de cajoler le dos de ma main, massant mes articulations dans une pression délicate. Un feu crépitant se réveilla dans mon estomac lorsqu'il se rapprocha de moi et qu'il apporta ma main à ses lèvres, l'embrassant tendrement avant de ne déposer ses lippes sur le haut de mon front brûlant.
Je soupirai d'aise lorsque les effluves de son parfum remplacèrent l'odeur immonde du tabac et me blottissais contre son buste quand il nicha son nez dans mes cheveux. Dans ses bras, incompréhensiblement, mon cœur d'adolescente se réanimait, frappant impitoyablement contre mes côtes jusqu'à ce que je baisse les armes, acceptant ce que je démentais à longueur de journée ; tout comme ma sœur, j'avais besoin d'aide.
" Rose, je peux te poser une question ? " Susurra-t-il et je marmonnais un vague « oui », bien trop ankylosée par le plaisir inconditionnel que je ressentais ainsi blottie dans le creux de ses bras. " Est-ce qu'un jour tu me raconteras ce qu'il s'est passé dans vos vies pour que toi et ta soeur soyez aussi ... renfermées ? "
Profitant qu'il ne me voit pas dans cet instant de faiblesse, je grimaçais amèrement contre son sweat et ballotai ma tête de droite à gauche, essuyant au passage la vulgaire larme qui avait perlé le long de mes cils.
Comment raconter l'inexplicable et avouer l'inavouable ? Comment briser le cercle vicieux dans lequel la famille Laurens toute entière s'était empêtrée il y a quelques années ?
En se taisant.
En enterrant les secrets et en les trainant jusqu'à nos propres tombes. « Le silence est certaines fois préférable aux cris. » m'avait un jour dit Maxine. Et Dieu sait comme cette phrase coïncidait à nos vies.
" Non. "
Non, car si j'étais incontestablement une menteuse invétérée, je savais malgré tout, tenir une promesse.
***
Le lendemain matin, après que les rayons brûlants du Soleil aient traversés ma fenêtre pour venir chatouiller mon visage et donc fatalement m'extirper à mon sommeil, mon premier réflexe fut d'aller voir si Max était rentrée. Malheureusement, quand je ne vis personne dans sa couchette, je sus qu'elle n'était pas revenue de la nuit. Dépitée, je jetais un coup d'œil à ma montre et soupirai discrètement quand je me rendis compte qu'il était déjà neuf heures du matin. Mon téléphone n'indiquait aucun message, aucun appel, simplement un écran noir dépourvu de notifications.
Déjà angoissée par ce manque de nouvelles, je me laissais choir sur le bord de son lit et tombais nez à nez sur Nek qui dormait profondément dans la couchette en face de celle où j'étais assise. Des feuilles des papiers couvertes d'encres jonchaient son matelas alors qu'un style rose fuchsia trainait non loin de son visage. Pourquoi Diable avait-il un stylo rose fuchsia ? J'ignorai cette pensée et fus tiraillée par l'envie de lire une de ses feuilles. M'en voudrait-il ? Oui, très certainement.
Mais étonnamment, j'eus envie de savoir ce qu'il se passait dans la tête de cet homme qui méprisait si ouvertement ma petite sœur. Ce même homme qui, involontairement, savait faire parler Maxine. Un rappeur qui avait réussi, là où moi et des dizaines de médecins, psychologues, psychothérapeutes, hypnotiseurs, avaient failli lamentablement.
Qu'avait-il de plus que moi ? Qu'est-ce que Max pouvait avoir trouvé en cet homme pour estimer, que lui, valait le coup de s'exprimer ?
Je tendais un bras dans sa direction et attrapais la première feuille qui me tombait sous la main. Après m'être assurée une dernière fois qu'il dormait à poings fermés, je me couchais délicatement dans les draps de ma sœur et tendais la feuille au-dessus de ma tête, concentrée sur ce papier froissé et chiffonné. L'encre noire avait bavé à certains endroits, d'innombrables ratures m'empêchèrent de lire la totalité de son contenu, mais je fus étonnée de la facilité avec laquelle je me laissais absorbée par ses quelques écrits, ses quelques mots alignés grossièrement.
« Noyée dans cette masse informe,
Cette femme au visage dur qui passe en force,
Elle pense fort à sa carrière, fonce malgré le harcèlement des hommes,
Mais la seule chose qui la pousse quelque part, c'est le manque,
Elle a besoin de plus qu'un antidépresseur assez puissant, - »
Un gribouillis m'empêcha de continuer ma lecture, alors, frustrée, je retournais fiévreusement cette feuille et lisais un autre paragraphe, avide de connaître la suite de cet extrait.
« Un sourire éternel qui traîne en elle,
Comme si cette vie n'était qu'une triste blague,
Alors il l'exhibe pour que l'on apprenne de force,
Que le règne de l'homme se trouve dans la science,
Et que la magie n'existe pas.
Mais on résistera. »
Ces deux paragraphes furent les seuls que je parvins à déchiffrer parmi tous les cafouillis et dessins qui étaient esquissés sur ce fragment de papier plié. De vulgaires mots alignés et qui pourtant, m'ébranlèrent par leur authenticité et leur véracité ; de simples phrases couchées sur le papier mais qui, péniblement, me firent comprendre ce qu'Antoine avait voulu m'expliquer la veille : Ken et Max se ressemblaient affreusement. Leur vision maussade de la réalité, la manière si péjorative qu'ils avaient de décrire notre société, leur tendance à fuir le monde dès la première contrariété ...
Peut-être était-ce pour cela qu'ils se détestaient si viscéralement ; ils se ressemblaient trop.
J'eus du mal à déglutir quand l'éventualité que la femme décrite dans ce texte puisse être Max. Alors était-ce ainsi que le monde la voyait ? Comme une vulgaire femme bonne à être mise sous antidépresseurs ? Mon corps fut traversé par un frisson désagréable quand je me rendis compte, qu'en effet, elle pouvait dégager cette impression. Je me mordis la lèvre sévèrement lorsqu'une larme récalcitrante parvint à ruisseler sur ma tempe, résultante de ma culpabilité permanente.
Dans un regain de fierté, j'essuyais rageusement cette perle salée et me remettais sur mes deux pieds, redéposant ce malheureux bout de papier là où je l'avais trouvé. Le cœur lourd, je me décidais à sortir du bus pour préparer le petit déjeuner aux garçons. Extraire la table en plastique du coffre du bus fut une véritable épreuve, et ne parlons pas de toutes les chaises ; je ne manquais d'ailleurs pas de m'arracher un ongle, chose qui bien évidement, me fit grogner de mécontentement. Le plus discrètement que possible, je pris malgré tout le temps de sortir des verres et des assiettes, préparer les jus d'orange et le café.
Après quoi, je partais enfin me préparer pour la journée, profitant du sommeil lourd des garçons pour prendre le temps de me doucher. La petitesse de la cabine de douche était assez horripilante, mais avec le temps, je commençais peu à peu à me faire à cette vie de route, savourant simplement l'idée de visiter la France avec d'autres personnes que ma sœur.
Après tout, depuis deux ans, nous traversions le monde, seules, sans jamais prendre de s'attacher à d'autre personnes. Je lamentais la solitude de ma sœur, mais je n'étais pas certaine d'être meilleure qu'elle, finalement. Aucune de nous deux n'avions d'amis à proprement parler, simplement des connaissances, des relations ; des mots pour ne pas dire des inconnus. Et cette vérité jusqu'à présent ignorée par mes pensées me fit une fois encore mal.
Elle comme moi n'avions personne, si ce n'est nous-même, depuis deux années.
Lorsque je sortis finalement de la salle de bain, je fus étonnée de voir que la plupart des garçons étaient réveillés. Leur brouhaha coutumier remplissait mes oreilles alors que je cherchais Antoine du regard, pressée de ressentir sa présence réconfortante près de moi. Actuellement, il était peut-être le seul en mesure d'améliorer cette matinée chagrinante.
Je le retrouvais finalement attablé avec Alpha, Mekra et Nekfeu, tous concentrés sur la lecture de leur ... magazine ? Mon cœur s'emballa dans ma poitrine quand je reconnus le mot « Elle » en tête de couverture ainsi qu'une photo de Maxine en première page. Bêtement, je trottinais jusqu'à la table et saisissais l'un des derniers magazines restants.
" Page quarante-deux. "
Me souffla pensivement le blond, toujours aussi obnubilé par sa lecture et je me dépêchais de retrouver ladite page. Mes gestes étaient au bord de la frénésie et lorsque je vis enfin le titre, mon cœur s'arrêta dans la poitrine ; horrible confusion d'angoisse et de soulagement.
« Maxine Laurens : Une lumière d'espoir pour la jeunesse française. – L. Gravier.
Chères et dévouées lectrices du Elle magazine, si aujourd'hui je décide de ré-aborder le sujet de Maxine Laurens, photographe prise en exemple par des millions de jeunes, c'est car j'ai eu le privilège de la revoir il y a peu. Après m'avoir aimablement accordé une interview en exclusivité, je peux assurément dire que je m'étais trompée à son sujet. »
Pressée d'arriver à la conclusion de cette rubrique, je tournais fiévreusement les quelques pages qui vantaient les mérites de ma sœur et où plusieurs de ses clichés étaient épinglés, et arrivais directement à la conclusion de cette article signée Laëtitia Gravier.
« Ainsi, il est indéniable que cette jeune-femme à la bonté d'âme évidente, est un exemple à suivre. Maxine Laurens est l'incarnation même de sa génération. Travailleuse et volontaire, cette jeune-femme à renommée internationale prouve que peu importe son passé, la notoriété est accessible à tous ceux ayant la folie des grandeurs. Elle démontre dans ses innombrables photographies comme les relations internationales, la mixité sociale et l'ouverture d'esprit sont fondamentaux au bon développement de notre monde.
Ce fut un honneur et un plaisir de l'interviewer de nouveau, et je la remercie encore de m'avoir accordé cet entretien malgré mon précédent article la concernant. »
Estomaquée, je me laissais tomber dans une chaise libre près de moi et relisais une troisième fois les dernières lignes de cet article invraisemblable. J'apportais machinalement ma main à ma bouche pour couvrir le sourire tremblotant qui s'était esquissé aux commissures de mes lèvres, et parcourais une ultime fois ce reportage inventé de toutes pièces.
" Le moins que l'on puisse dire, c'est que ta sœur lui a fait putain de peur. " Ricana malicieusement Mekra en face de moi et je relevais mes yeux dans sa direction, encore médusée par la tournure si inattendue que venaient de prendre les évènements.
" Et qu'elle a un sacré sens de la négociation. " Pouffa Alpha, la tête plongée dans son magazine.
Mon téléphone vibra au même au moment dans la poche de mon blazer et je me dépêchais de le saisir, incroyablement enthousiaste. Mais ma bonne humeur se fana bien vite quand je vis le contenu du message que venait de m'envoyer ma sœur. L'exaltation éphémère que je venais de vivre était cruellement retombée, léguant sa place à une toute autre émotion, pour ne pas dire son parfait opposé, le chagrin. Un déchirement lancinant dans ma poitrine que, quelque part, je savais avoir amplement mérité.
« J'ai tout arrangé, Rose. Toi tu n'as rien fait, tu n'as jamais rien fait. »
➰
Alors, que pensez-vous de ce "petit" chapitre ? 🤓 Les pdv de Rose vont être assez cruciaux dans ce livre, donc je suis pressée d'avoir votre avis haha !
Aussi, je tiens à vous dire un putain de gros merci car on a atteint les 10k vus en moins d'un moins de deux mois ! Donc merci merci pour tout ça, pour tous vos votes et vos gentils commentaires ❤️
Enfin, je tiens à vous prévenir que j'ai enfin fini la " storyboard " de Mutique et qu'il y aura bel et bien un Tome 2 si tout ce passe bien !
Voilà, je vous souhaite un bon dimanche, même si la plupart d'être en vous êtes en vacances haha 😂 Bisous les babies !
-Clem
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top