Je suis fière de toi


<<-Qu'est-ce que tu détestes le plus?>>

Je ris, nous sommes allongés sur l'herbe comme hier à regarder le ciel nuageux. C'est donc ça sa deuxième question?

"Le bruit inutile."

Il lit et éclate de rire. Des fossettes apparaissent ça et là sur son visage, ses épaules s'agitent au rythme de son rire. Je souris.

<<-Pourquoi ça m'étonne pas?>>

Je secoue la tête en levant les yeux au ciel.

<<-Mmm... Moi c'est le silence peut-être. Pas spécialement celui qui prends place souvent entre nous, celui là il est sympa, mais celui qui est gênant tu vois?>>

J'opine.

<<-Eden c'est l'heure!
-Je crois que je vais devoir m'y faire pendant une heure... Ce silence.>>

Je lui souris et me lève en soupirant, je sens son regard sur moi quand je traverse la pelouse pour rejoindre le bâtiment. J'ouvre la porte et m'engouffre dans le couloir, je monte les escaliers et trouve rapidement le cabinet de madame White. Je toque, et entre après avoir entendu sa permission.

<<-Bonjour Eden, comment ça va aujourd'hui?>>

Je hoche la tête, elle opine et écrit quelque chose sur la pile de feuilles qui est posée sur ses jambes croisées. Je m'assieds sur le canapé en face d'elle et me mords la lèvre.

<<-Rien à dire?>>

Je secoue la tête, comme d'habitude. Elle me sourit et écrit, encore.

<<-Ça fait un an que tu es ici, rien n'avais changé et je comprends, la perte d'une personne proche est très difficile à assimiler et à accepter. Elle doit te manquer, cette personne non?>>

Je baisse les yeux.

<<-Je suis fière de toi.>>

Je lève la tête vers elle en fronçant les sourcils, elle me sourit.

<<-Tu sais pourquoi? Parce que tu as fait un progrès, très petit, mais un progrès quand même. Tu t'es ouverte aux autres, je t'ai vu par la fenêtre, Simon est un gentil garçon, vous êtes devenus amis n'est-ce pas? J'opine. C'est très bien.>>

C'est la dernière chose qu'elle a dit pour cette heure. Nous sommes restés en silence... Encore. Quand sa minuterie en forme d'œuf sonne, je me lève et sors, ça m'a énervé. Vous allez me demander pourquoi alors que j'adore le silence. C'est tout d'abord parce que ce silence est pesant, contrairement à celui quand je suis sur la pelouse. Et ensuite parce que je ne peux pas penser, d'une certaine façon, Madame White m'en empêche, en me fixant en écrivant de temps en temps sur son bloc de feuilles bleues pastel.

Je referme doucement la porte et m'avance dans les couloirs.

Je me surprends à accélérer la cadence pour rejoindre la pelouse. Non... Ce n'est surement pas parce que le nouveau m'y attend... Non... Juste pour la tranquillité. Je tourne la tête vers la fenêtre, le ciel va bientôt prendre ses teintes oranges et violettes que j'aime tant.

Mais je m'arrête net quand je le vois allongé à la même place que quand je l'ai laissé, mais tournant les pages de mon cahier. Je fronce les sourcils, une boule se forme dans mon ventre. Je cours vers lui et lui arrache mon cahier des mains, il lève la tête vers moi, ne m'ayant pas vu arriver, quand il voit mon visage emplit de colère, il ouvre la bouche. Je ne prends même pas la peine d'écouter ses excuses et tourne les talons.

<<-Non Eden attends! S'il te plaît! Excuse-moi, je suis désolé. Je suis trop curieux, je sais pas ce que je voulais y trouver mais je m'ennuyais et je savais pas quand t'allais revenir... Ces connards m'ont confisqué ma montre, apparemment on peut se suicider avec un ressort... Je te jures! Eden s'il te plait arrête toi! >>

Je me retourne et le gifle, sa tête part vers la gauche, il pose sa main sur sa joue, le regard triste.

Je secoue la tête et m'en vais, mais il ne renonce pas et me suis en criant mon nom. Je cours vers la chambre, je n'ai à peine le temps de la fermer qu'il la pousse. Je recule de quelques pas, il entre et regarde autours de lui, bouche béé.

<<-Waaa... C'est super beau... C'est toi qui l'a fait?>> Dit-il en regardant mon mur couvert de photos.

Je le pousse hors de la chambre et calque la porte, je m'empresse de la fermer à clef et m'appuie dessus en soufflant. Je me laisse glisser pour me retrouver assise le dos contre la porte.

Comment ose-t-il faire ça? Comment ose-t-il fouiller dans mes affaires comme ça, dans ma vie privée? Il aurait pu découvrir... Tout découvrir. Il y a trois mois j'avais entrepris d'écrire une lettre pour Madame White où je lui racontais tout, s'il l'avait lue... Mais non, j'ai remarqué qu'il n'était qu'au debut et j'avais écrit la lettre à la fin. C'est peut-être le bon moment de l'arracher maintenant...

C'est ce que je fais, je l'arrache du cahier et la déchire doucement en petits morceaux. Je les laisse tomber devant mes yeux comme des flocons de neige. Je les observe un moment, puis entends toquer à la porte.

<<-Eden... Je suis désolé...>>

J'arrache une autre feuille, prends un nouveau crayon, j'avais laissé l'ancien sur la pelouse. Et écris.

"Laisse-moi tranquille."

Je le glisse sous la porte et attends. Je n'entends plus rien, il est surement parti... Bon vent.

Mais quelque chose effleure ma main, je baisse les yeux et voit le bout de papier dépasser.

"Non"

Je soupire.

"Pourquoi?"

Je le fais passer sous la porte.

<<-Parce que je veux me faire pardonner... Demandes moi ce que tu veux, je le ferais. Je ferais tout pour me faire pardonner!>>

Je prends une autre feuille et écris.

"Commences déjà par me laisser tranquille. Arrête de venir m'embêter quand j'ai envie d'être tranquille. Le silence est la chose la plus précieuse que j'ai et tu le détruis, ne viens plus me parler. "

<<-Tout sauf ça en fait...>>

Je soupire et m'adosse un peu plus à la porte.

<<-Eden... Je suis désolé, je m'ennuyais à mourir mais je voulais t'attendre ici. Je me suis dis que lire les petits mots que tu écrivais ferait passer le temps un peu plus vite, mais je savais pas que c'était secret. Et je te jure que tout ce que j'ai lu parlait de tes préférences niveau patates sautées. J'ai aussi appris que tu détestais le ketchup, mais que si tu le mélangeais avec la mayonnaise ça allait... Tu vois j'ai pas appris grand chose...>>

Je me pinçe les lèvres pour ne pas sourire.

<<-Enfin bref... Je me sens tellement con... J'aurais dû jouer avec l'herbe ou je sais pas... Pardon...>>

Je reprends une feuille.

"C'est une atteinte à la vie privée t'es au courant?"

<<-Je sais... Je suis qu'un abruti... Je mérite pas ta compagnie... >>

"Ne dis pas ça."

<<-Si je le dis... Tu m'a fais confiance, une confiance que tu n'accorde pas à tout le monde, tu t'es confiée à moi, tu m'as écouté, tu m'as réconforté. Je me suis jamais senti aussi bien qu'après t'avoir parlé de tout ça... Et quand tu es partie, j'ai senti un petit vide... Je voulais encore parler, mais tu étais chez Madame White. Alors j'ai lu le début de ton cahier, je savais pas spécialement de quoi ça parlait mais ça me distrayais et j'imaginais des scénarios. Je ne pensais pas qu'il y avait des choses secrètes dedans. Mais si il y en a, je les ai pas lues. Je te promet... Eden pardonnes-moi...>>

Je soupire une énième fois en secouant la tête.

Je suis restée un bon moment à réfléchir, peut être une heure... Ou une minute, je ne sais pas.

Ce n'étais pas sa faute, il voulait juste faire passer le temps... Et puis il n'a rien lu... Il n'a pas vu la dernière page. Je ne devrais pas être aussi dure avec lui, il ne savait pas qu'il ne devait pas le lire. Il a vécu toute sa vie rejeté par les autres, il ne sais juste pas s'y prendre à ce niveau.

Je secoue la tête, me lève et ouvre doucement la porte. Je crois savoir où est sa chambre, il m'en a parlé à un moment. Je  m'apprête à partir dans les couloirs quand je le vois dos contre le mur, assis et endormi.

Je m'accroupis pour voir son visage, ses yeux sont fermés, ses longs cils noirs forment un arc d'ombre sur ses joues parsemées de tâches de rousseurs. Ses lèvres pleines et roses sont neutres, aucun sourire habituel à l'horizon. Ses cheveux tombent légèrement sur son front, décoiffés. Ses sourcils sont légèrement froncés, ce qui me fait sourire. Il serre contre lui les feuilles où j'avais, auparavant, écris des mots que je regrette maintenant. Ses genoux sont repliés sur le papier, il dépasse tout juste.

Je me mords la lèvre, personne ne l'a vu à côté de ma chambre?

Remarque peu de personnes traversent ces couloirs, ils sont tous cloîtrés dans leur chambre, dans la bibliothèque ou sortis dehors. Je m'appuie contre le mur, dans la même position que Simon. Mais apparemment, j'ai la discrétion d'un hippopotame car je l'entends émettre un grognement. Il s'étend légèrement et baisse la tête vers les feuilles de papier, il fronce les sourcils puis se remémore sûrement des événements des dernières heures. Simon lève la tête vers le mur en écarquillant les yeux et tourne la tête vers moi, je baisse les yeux, il cligne des yeux plusieurs fois.

<<-E...Eden?>>

J'opine en souriant légèrement.

<<-Pourquoi tu es là? T'es sensée être dans ta chambre et me détester jusqu'à la fin des temps non?>>

Je secoue la tête et me tourne totalement vers lui pour lui prendre la main.

<<-Pourquoi tu fais ça? Tu... Tu me pardonnes?>>

J'opine, un énorme sourire se dessine sur ses lèvres et illumine tout son visage, ce sourire est contagieux.

<<-Eden je suis vraiment désolé, je... Je t'ai tout dis en fait, j'ai pas d'autres excuses que celles que je t'ai dis à travers la porte...>>

Je souris et opine encore une fois.

<<-Ça t'a peut-être t'étonné le fait que j'insiste autant pour ton pardon... Mais comme je te l'ai dis... Personne ne voulait de moi avant, et toi tu m'as accepté comme j'étais, même si tu voulais pas qu'on te saoule avec des histoires, tu as écouté les miennes, tu m'as réconforté, tu a même partagé quelques unes des tiennes. Je sais pas si pour toi je suis quelque chose, mais pour moi tu es mon amie... La seule que je n'ai jamais eu. Et je voulais en aucun cas te perdre, c'est pour ça que j'étais terrorisé et que j'insistais comme un abruti...>>

J'ouvre la porte et prends le crayon qui traînait à terre et écris.

"Je te pardonne, et je te demande pardon aussi..."

<<-Pourquoi?>>

"Pour ce que je t'ai dis. Sur le fait que tu venais m'embêter et que tu détruisais la chose la plus précieuse que j'avais, le silence. Ce qui est totalement faux, parce que la chose la plus précieuse pour moi maintenant ce n'est pas le silence... C'est les amis, j'ai mis du temps à comprendre, mais en fait c'est ça. Tu ne détruis rien, tu arranges tout."

Il sourit, et à ce moment là, dans le couloir, assise sur le sol crasseux couvert de poussière, je découvre que je n'ai jamais vu un sourire aussi vivant de ma vie.

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