De la farine vivante
<<-Tu fais quoi?>>
Je hausse les épaules et laisse ma tête tomber sur le sol pour regarder encore les nuages.
Malheureusement sa tête dépasse quand même dans mon champ de vue, je lève les yeux au ciel et soupire.
<<-Je peux t'avouer un truc? Tu le dira à personne? Enfin... Oui... Je sais que tu le dira à personne mais tu m'as compris quoi... Je crois que je vais me plaire ici... Ouais... Vous êtes tous sympas, un peu fous, mais pas fous dangereux, genre il y a de la folie en vous, comme en moi... Comme en tout le monde d'ailleurs. Vous vous entraidez, vous vous moquez de vos maladies ou de vos problèmes, vous vous moquez des différences. Moi dans mon école j'étais considéré comme un monstre, c'était peut-être un bon point parce que j'étais tranquille comme ça, personne ne m'approchais, personne ne me cherchait... Mais en même temps j'étais seul... Ça m'énerve la solitude... Ça m'énerve le silence... Tu vois?>>
Je plaque mes mains sur mon visage et enfonce mes doigt sur mon crâne... Il ne s'arrêtera pas? C'est pas possible de pondre autant de phrases en une minute. Je décide de prendre mon carnet et d'écrire une réponse qui j'espère l'arrêtera.
"Moi j'aime bien le silence."
<<-Ah ok...>>
Enfin tranquille... Je croise mes bras derrière ma tête et ferme les yeux en souriant.
<<-Tu vois quand Mélanie m'a dit que t'étais muette je pensais que tu voulais pas t'exprimer, mais en fait tu veux juste pas utiliser ta voix... Ça fait réfléchir...>>
Non il n'a pas compris, je m'apprête à lui demander, par écrit, de partir mais je croise son regard et m'arrête net. Ses yeux bruns, bordés de cils, qui me fixent, son sourire éclatant, laissant découvrir ses dents blanches bien alignées. C'est vrai qu'il est nouveau... Ce serait méchant de l'envoyer balader, il ne sais pas où aller, il veut juste faire connaissance, je peux sacrifier un moment de tranquillité pour lui non? Je me retourne pour être sur le ventre, il s'allonge à côté de moi et regarde le carnet. Je lui souris faiblement et écrit:
"Tu as tout compris."
<<-Et... Ça fait quoi de pas parler? Je veux dire... Moi j'arriverais pas à m'arrêter de parler...>>
Tu m'étonnes...
"Au début c'était plutôt difficile... Mais j'avais promis de ne plus parler. Donc il fallait que je le fasse et petit à petit c'est devenu normal, ça fait un an et demi donc maintenant c'est devenu normal."
<<-Pourquoi tu parles plus?>>
Je fronce les sourcils, ce gars pose beaucoup trop de questions. Seule la psy sait pourquoi et ce n'est pas de moi que vient l'information, ce sont les parents.
"Je t'ai dis je l'ai promis."
<<-Ouais ça je sais, mais pourquoi? Qu'est-ce qu'il s'est passé pour que tu doives promettre de ne plus parler? T'as quand même pas rencontré Ursula dans la petite sirène qui t'aurais volé ta voix!>>
Je manque d'éclater de rire, mais me retient, il ricane de sa blague.
"C'est secret. Désolé"
<<-Ah ok... Pas grave, on a tous nos secrets.>>
Je tourne la tête vers lui, il me sourit.
<<-Waa ils sont trop beaux tes yeux! On dirait des paillettes! J'ai jamais vu des yeux aussi beaux!>>
J'éclate de rire.
"Tu me dragues là?!"
<<-Nenni, je te complimente nuance! C'est pas parce que je trouve que tu as des yeux magnifiques que je vais te demander en mariage! Les yeux de Mélanie aussi sont beaux!>>
"Mais elle est lesbienne."
<<-Tu m'as eu sur ce coup là... Remarque qui n'accepterai pas de se marier avec moi? Je suis parfait... Entre deux crises de nerfs, de larmes et vitres cassées... Hum...>>
Je pouffe. Je remarque que je n'ai jamais ris comme ça avec qui que ce soit dans ce centre... Ça fait longtemps...
<<-Salut...>>
Je me retourne, Xavier, toujours sur sa chaise roulante, je lui sourit, et me lève pour l'aider à s'allonge à côté de nous.
<<-Salut ça va? On faisait connaissance avec Eden, même si je sais toujours pas grand chose sur elle. Ne te vexe pas Eden, ça ne me dérange pas, c'est juste que je me pose beaucoup de questions comme toutes personnes normales... Enfin non pas normales, enfin Voila...>>
Xavier me lance un petit regard malicieux que je connais bien chez lui.
Traduction: Il était temps que j'arrive.
Je le tire vers moi, il s'accroche à mon bras, et avance en boitillant vers Simon pour s'allonger à ses côtés. Je me met de l'autre côté de notre nouvel ami et lui lance un faible sourire.
Sauf que maintenant que Xavier est là on ne sait plus de quoi parler, même si j'aime bien le silence, celui là est gênant. Simon tousse, il croise les bras et pose son menton dessus.
<<-Hum... Et toi Xavier? Ça fait quoi de perdre sa jambe?
-Mal...
-Non oui ça j'imagine mais genre, quand tu as dû marcher pour la première fois avec une prothèse ça a fait quoi?
-Bizarre, tu vois j'avais l'impression qu'il n'y avait rien en dessous de ma cuisse.
-Justement il n'y avait rien non?
-Si mais quand je dis rien c'est vraiment rien même pas d'air, du vide quoi. Le vide qu'on retrouve dans 99,9999% de tout ce qui nous entoure mais qu'on ne remarque pas.
-Ah ouais... Ok...>>
Je m'allonge sur le dos et ferme les yeux.
<<-Xavier! C'est l'heure! Crie la psy en ouvrant la fenêtre.
-L'heure de quoi? Demande Simon.
-L'heure de la séance avec la psy. Bon j'y vais, à dans une heure!>>
Je lui fais signe de la main.
Nous regardons le ciel un moment en silence, je soupire, il m'imite, je recommence, il le fait encore une fois. Je jette un petit coup d'œil vers lui, il sourit sans quitter le ciel des yeux. Je soupire. Il soupire. Je ris en secouant la tête, me retourne et écris sur le cahier.
"Et toi pourquoi tu es là?"
<<-J'ai une idée!>>
Je fronce les sourcils, il contourne la question ou quoi?
<<-Une fois par jour, je dis un truc sur moi et toi tu dis un truc sur toi! Ok?>>
Je souffle, mais opine, au moins ça me distraira... Je m'allonge sur le côté, vers lui, il fait pareil en me regardant. Je remarque que ses yeux sont cernés, c'est surement le seul point commun entre tous les patients de ce centre... Mais ça ne change pas le fait qu'il soit extrêmement mignon, mais trop bruyant.
<<-Tu commence où je commence?>>
Allez autant en finir tout de suite, je me retourne et prends le crayon pour écrire la réponse.
"Je ne te dirais pas pourquoi je ne parle plus ni ne mange plus, du moins pas maintenant, mais je peux te dire comment je suis arrivée ici. J'ai essayé de me suicider en fait... Mes parents m'ont retrouvé dans ma chambre, j'avais pris un rasoir, et je m'étais ouvert les veines..."
<<-Ok à moi!>>
Je fronce les sourcils tout en me remettant comme avant, lui m'imite. D'habitude on me regarde bizarrement quand je le dis, enfin quand je l'écris, même si je ne le fais pas tout les jours, c'est surtout le groupe qui m'a regardé bizarrement, pour Lauren on savait pourquoi mais moi pas, c'est ça qui les intriguaient.
<<-Je vais faire pareil que toi! Je vais dire pourquoi je suis ici comme ça c'est donnant donnant!>>
Il s'allonge sur le dos et regarde le ciel, il ouvre la bouche et inspire, j'attends qu'un son en sorte. Il prends un brin d'herbe et l'enroule autours de son doigt tout en parlant.
<<-Je ne sais pas ce que tu as, ni ce qui t'es arrivé mais je peux te dire que la bipolarité c'est nul, surtout quand on est atteint de la plus rare au monde. C'est une maladie déjà chiante à la base mais quand, au lieu de chaque mois environ, tu changes d'humeur tout les deux jours, c'est vraiment invivable. En plus on te donne des cachets qui n'ont aucun goût! Un truc horrible je sais même plus comment ça s'appelle... Genre... Non je sais vraiment plus... On dirait que tu suce du concentré de farine. Je souris. Alors ils essaient de nous amadouer en les colorant en rose ou en bleu et mettent des petits sourires ridicules dessus pour qu'on ai bien l'impression de se droguer à l'ecstasy. Parce que c'est vraiment ce que tu ressent quand un de ces trucs là font effet sur toi. D'être drogué. De plus être toi-même tu vois?>>
J'opine, il ferme les yeux et se mords la lèvre tout en continuant à chipoter à son brin d'herbe.
<<- Ces dernières semaines étaient difficiles... Trop difficiles... D'accord les cachets me calment mais... Je suis pas Simon quand je les prends. Je suis une copie de Simon, je ne pense pas comme Simon, ne parle pas comme Simon, même ne respire pas comme Simon. Alors j'ai arrêté de les prendre, tant pis si je cassais tout, de toute façon dans la maison je peux crier personne n'entends, ils sont tous tellement occupés avec leurs formulaires de divorce à la con...>>
Une larme coule sur sa joue, je fronce les sourcils.
<<-J'en pouvais plus... Une fois je cassait tout, puis je tombais en larmes, puis j'éclatais de rire... Alors ces putains de cachets je les ai pris... J'ai tout pris. Toute la boite. Je l'ai avalée, je n'étais plus que de la farine vivante. Mon sang était de la farine liquide... Du concentré de farine. Mes parents m'ont retrouvé dans la cuisine, à terre, deux heures après... Ils étaient dans la pièce d'à côté et ils m'ont même pas entendu m'écrouler à terre comme une merde... Ils...>>
Je prends sa main, il ouvre les yeux et me regarde, étonné. Puis me sourit, je prends le carnet.
"Tes parents vont divorcer?"
<<-Ouais... C'est à cause de moi...>>
"Mes parents aussi. Je crois qu'ils ne s'aimaient plus mais c'était moi qui les gardais liés, j'étais la colle. Mais on s'est brisés, j'ai arrêté de manger, de parler et j'ai essayé de me suicider. Je les ai brisés."
Il sourit, faiblement mais c'est un sourire sincère, une autre larme coule sur sa joue.
Je reprends sa main et la serre, il ferme les yeux.
<<-T'es une fille cool Eden. Quelqu'un de bien. >>
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