14.

Il leur avait fallu du temps. Le soleil était de plus en plus présent, l'air commençait à devenir très chaud et le vernis s'écaillait des ongles de Maxime. Pendant des semaines et des semaines, l'artiste et le modèle recommençaient à zéro. Des petits rendez-vous, des sorties à la plage, des soirées cinéma. Maxime avait l'impression d'apprendre à nouveau à aimer. Et il se réjouissait de cette nouvelle découverte du modèle. Il n'avait plus besoin de se poser de questions, de douter de ses sentiments ou même de boire.

C'était doux, tendre, et fort, et l'artiste renaissait à chaque instant où Sidjil touchait sa peau. Maxime se concentrait sur les sensations qui le prenaient, comment son cœur s'enflammait et à quel point il battait vite. Comment son rire venait illuminer son esprit, comment le son de sa voix le ramenait toujours sur terre, et comment ses étreintes lui donnaient une impression de sérénité totale.

Bien sûr, ce n'était pas seulement doux et tendre. Le soir, Maxime subissait toujours des crises, mais il apprenait peu à peu à accepter l'aide de Sidjil. Il n'avait pas craqué depuis que le modèle était revenu vers lui, et même si c'était effrayant de dépendre de sa présence pour vivre sainement, Maxime se disait qu'il n'avait qu'à voir cela comme un coup de main. Il ne voulait pas être un poids pour son modèle, mais ce dernier ne cessait de le rassurer sur ce point.

L'alcool lui manquait énormément. Durant les premières semaines, tout était trop dur. Son mental ne suivait plus et son corps non plus. Parfois les braises dans son esprit se ravivaient. Entre les sueurs froides, les terreurs nocturnes, les tremblements, Maxime se sentait incapable d'avancer. Mais Sidjil l'aidait quand il en avait besoin, et lui apportait le confort nécessaire.

Ses cauchemars, eux, étaient toujours présents. Il perdait Sidjil de plein de manières différentes, toutes plus sombres les unes que les autres. Il avait l'impression de brûler vif, de perdre la moitié de son âme, sa raison de vivre. Mais chaque matin, il redécouvrait son modèle, la chaleur de son corps contre le sien, et sa main dans ses cheveux. Alors il était rassuré.

Mais ce soir là, c'était trop dur. Sidjil était chez ses parents, Maxime était seul. Il voulait laisser son amant profiter de sa soirée, alors il ne le prévint pas. L'artiste était assis sur le rebord de sa fenêtre, pourtant très haute, et il basculait entre sa clope et sa bouteille de bière. Il avait essayé de dessiner, de jouer à un jeu vidéo, et même de faire le ménage pour chasser ses idées noires. La peur le rongeait peu à peu et un courant d'air frais venait raviver les flammes dans sa tête.

Il se détestait, pour toutes les fois où il avait trahi la confiance que Sidjil lui donnait. Il s'en voulait pour tout le temps qu'ils avaient perdu et il regrettait amèrement sa naïveté face à ses doutes. Il ne doutait plus, il en était sûr, mais il sentait qu'il avait besoin de se rattraper, de vraiment montrer à Sidjil qu'il l'aimait de tout son cœur. Mais encore une fois, sa peur l'avait fait reculer. Ce soir, le modèle dînait chez ses parents, et il était prévu depuis plusieurs semaines que Maxime les rencontre lors du repas. Mais depuis hier, Maxime sentait l'angoisse et l'appréhension lui ronger l'estomac, alors il avait prétexté un mal de ventre violent.

Une fois de plus, Maxime avait laissé ses doutes prendre le dessus, et il se faisait rattraper par son erreur : il méritait la douleur aiguë que lui apportait la nausée, tandis qu'il buvait encore et encore. Il avait peur de la réaction de son amant lorsqu'il lui annoncerait qu'il n'allait pas bien, pour la énième fois du mois. Maxime décida d'attendre le retour de Sidjil pour lui en faire part.

Maxime balançait dangereusement ses pieds sur le rebord de la fenêtre, constatant la hauteur à laquelle il était. Tout en repensant à sa peur du néant qui l'attendait sûrement cinquante mètres plus bas, Maxime se rongeait les ongles en observant le vide. Il avait peur de bien des choses, mais pas cela. La sonnerie de son téléphone chassa ses pensées.

Sidjil

-je rentre bientôt <3

Il prit une grande inspiration. Il n'avait pas besoin de l'appeler, il arriverait d'un moment à l'autre. Il finit rapidement sa bière et la jeta derrière lui dans le salon. Ses yeux n'arrivaient plus à focaliser sur ses chaussures qu'il voyait au dessus de la rue. Le pire dans toutes ses pensées, c'était qu'il n'avait plus de raison de se sentir aussi misérable, mis à part son propre comportement. Léo était vraiment sorti de sa vie, et partageait un amour puissant avec Sidjil. Il n'avait que lui même à accuser de son mal-être, et ça lui faisait mal : serait-il toujours son propre bourreau ? Réussirait-il à vivre en sa propre compagnie, avec la torture de ses pensées ? Les larmes coulaient à flot sur ses joues tandis qu'il finissait son mégot.

Sidjil lui manquait. Mais d'une minute à l'autre, il reviendrai et il serait en sécurité avec lui. C'était à ses côtés que Maxime respirait le mieux. Il avait toujours ses idées noires en sa présence, mais elles étaient tellement lointaines et floues qu'elles n'avaient plus d'importance. Elles laissaient place à de l'amour, de l'espoir, de la confiance, et le tout permettait de réduire en cendres l'incendie de son esprit.

-Max ?

Merde, il n'avait pas rangé ses détritus. Il se retourna rapidement, tentant de quitter le rebord de la fenêtre sans tomber, mais Sidjil arriva au salon avant que Maxime ne puisse descendre.

-Maxime, qu'est-ce que tu fous ?

Sidjil s'approcha rapidement de Maxime qui sortait enfin de l'encadrement de la fenêtre, trébuchant sur ses cadavres de bières. Il prit sa tête dans ses mains et plongea son regard dans le sien. Maxime n'osait rien dire pour sa défense, et se contenta de le regarder en retour, les larmes aux yeux. Le modèle semblait vouloir dire tant de choses, mais pour une certaine raison, il ne le fit pas.

Sidjil posa un doux baiser sur le front de Maxime, et le prit dans ses bras. Pendant plusieurs minutes, ils restaient comme cela, et Maxime relâchait la pression en pleurant à chaude larmes contre le torse de son amant.

-J'suis désolé, marmonna-t-il.

-T'inquiètes pas Max, je comprends...

Sidjil caressait l'arrière du crâne de Maxime, lui chuchotant des mots doux. L'artiste tentait de s'expliquer mais seulement ses sanglots se faisaient entendre.

-On en parlera demain, là t'as besoin de dormir mon chou.

-Mmh...

Il se laissa guider vers la chambre, sans quitter la main du modèle. Ils s'installèrent dans le lit, Maxime dans les bras de son modèle, entremêlant leurs jambes. Une fois calés sous le drap, Maxime remarqua qu'il avait arrêté de pleurer. Il releva la tête pour embrasser Sidjil, en essayant de lui transmettre tous ses remords. Puis il se laissa emporter par le rythme de leurs respirations et partit dans un sommeil lourd.

Il se réveillait sous une pluie de baisers. Maxime décidait de garder les yeux fermés quelques secondes de plus, appréciant son doux réveil. Après tout, il avait le droit de profiter de ce réconfort palpitant, avec la forte douleur qui lançait dans ses tempes.

-Hey...

-Hey.

Sidjil resserra son emprise autour de la taille de Maxime. Ses yeux s'attardaient sur le visage de Maxime et ses sourcils se froncèrent. Mais l'artiste ne se sentait pas prêt de parler. Il avait trop mal à la tête.

-T'as mal dormi ?

-Oh, tu sais, les cauchemars...

-Mmh, j'aimerais pouvoir t'aider dans tes rêves.

-Tu en fais déjà assez, Sid.

Ils avaient déjà eu plusieurs fois cette conversation. Maxime expliquait souvent à Sidjil qu'il ne voulait pas trop dépendre de son aide, par peur de prendre trop de place. Et cette fois, Maxime sous entendait sa crise de la veille.

-Max, je te l'ai déjà dis. Tout ce que je fais, c'est t'aimer. Et ça ne me prend pas d'énergie, parce que c'est si facile pour moi. Plus facile que de respirer.

Le modèle relevait la tête de son amant à l'aide d'un doigt sous son menton, et Maxime fut attendri par son regard.

-Je t'aime tellement Sid...

En réponse, il eut le droit à un baiser plein de tendresse. Il souriait contre les lèvres de son amant, profitant de cet instant de douceur.

-Je suis vraiment désolé, Sid. Je veux vraiment rencontrer tes parents, mais j'ai paniqué... Je saurais pas t'expliquer pourquoi, mais j'étais effrayé. Je suis vraiment une merde...

-Eh, Max, je t'ai dis que je comprenais, ne t'inquiète pas. Ils se sont pas vexé, et moi non plus. On fera ça une autre fois, quand tu seras prêt.

Maxime posa sa tête sur l'épaule du modèle.

-T'es tellement... bienveillant Sid.

-Oui, parce que je t'aime et que c'est normal.

Après ces étreintes, les deux amants se préparèrent pour leur journée. Maxime devait aller travailler au tabac, et Sidjil devait aller voir des amis à lui. Puis le soir, ils se retrouveraient au cours de dessin, l'un en tant qu'élève, l'autre en tant que modèle vivant. C'était leur petite routine, dans laquelle ils avaient décidé de laisser leur relation évoluer. Et de semaine en semaine, ils se rapprochaient à nouveau, se redécouvraient, et Maxime était comblé.

Avant de partir, l'artiste se posa à la fenêtre de son appartement pour fumer. Il repensait à hier soir, et aux quelques mois qu'il venait de vivre et ne put s'empêcher de se trouver ridicule. Ils avaient perdu du temps, tellement de temps à faire semblant. Si seulement Maxime avait été moins apeuré par ses sentiments... Et aujourd'hui encore, il faisait de même.

-Max, à quoi tu penses ?

-Mhh... à nous.

Il lui prit la cigarette des mains avant de tirer dessus.

-Je m'en veux tellement, Sid...

-Max, on en a déjà parlé, tout va bien aujourd'hui.

Sidjil s'approcha de son amant et passa ses mains autour de sa taille. Maxime se sentait bien, certes, mais il avait cette peur irrationnelle que tout s'arrête un jour. Le modèle avait l'air de lire dans ses pensées.

-Je suis là, et je compte pas te lâcher.

-Tu me promets ?

-Bien sûr.

-Moi non plus, je compte pas me débarrasser de toi.

La journée passa tranquillement. Maxime, bien que fatigué, se tenait debout au comptoir de son tabac, et servait ses clients. Il attendait avec impatience la fin de son travail, pour rejoindre Sidjil au bar avant le cours de dessin. Le moment tant attendu arriva enfin et Maxime se dirigeait vers le bar en question, cherchant du regard son modèle.

-Max ! J'suis là !

Il se retourna vers la voix qui l'appelait. Sidjil était assis à une petite table ronde ensoleillée, un grand sourire illuminant son visage. Il s'approcha de lui et se pencha pour l'embrasser, sentant sa main dans le bas de son dos.

-Tu m'avais manqué.

-T'es adorable... J'ai commandé pour toi !

-Okay, super ça.

Il s'installa sur sa chaise et lança la conversation, racontant sa journée banale à Sidjil et écoutant la sienne.

-Il faut vraiment que je te présente à mes potes. Vraiment, ils vont t'adorer !

-J'aimerais bien en vrai... Mais euh, pas en ce moment...

-Oui oui, je sais bien, t'inquiètes pas. Quand tu seras prêt mon chou.

Maxime étouffa un petit rire dans sa main, sentant ses joues rougir. Même après tout ce temps, il était toujours surpris des marques d'affection de son amant.

-Avoue t'aimes bien ce surnom.

-Mmh... Oui, c'est adorable. Un peu niais mais j'aime beaucoup !

Une main sur sa jambe, l'autre sur sa joue, Sidjil était tout à lui. Peu importe les regards de travers qu'ils se prenaient, Maxime se sentait à l'aise et son cœur battait à toute vitesse.

-Et toi, alors ? Quand c'est que tu me trouves un p'tit surnom ?

L'artiste réfléchissait à cette question en se perdant dans les yeux de son modèle préféré. Il repensait au nombre de fois où il avait esquissé ses yeux sur son carnet, combien de fois avait-il ombré sa pupille et son iris, détaillé ses cils, un par un ? Des dizaines, des centaines de dessins de lui s'éparpillaient chez lui. Sa plus grande source d'inspiration, il l'avait trouvée, et c'était Sidjil. Il regarda son nez, détaillant son visage, ses moindres traits, rides, poils, imperfections, et remarqua avec plaisir qu'il connaissait par cœur chaque recoin. Il sourit tendrement à son amant qui affichait maintenant un regard inquiet face à sa non réponse. Puis il s'avança lentement vers lui, et déposa ses lèvres sur les siennes.

-Tu risques de trouver ça bête, ou ringard...

-Dis le moi, Maxime, je veux savoir.

-Promis tu me juges pas ?

-On verra...

-C'est assez particulier, mais je trouve que ça résonne très bien avec la façon dont je te vois.

Il regarda ses mains un instant, puis releva ses yeux vers ceux de son amant. Puis, avec un sourire timide qui cachait une certaine assurance, il murmura sa réponse.

-Tu es ma muse, Sidjil, depuis tout ce temps. Alors c'est comme ça que je t'appellerais. Muse.


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