Malo enfila sa veste de baseball, qui tranchait avec sa chemise blanche tout juste repassée. Il eut un sourire en voyant sa veste de costume pendue à un cintre, accrochée à son armoire. Sa mère prenait la peine de la sortir à chaque fois, mais il ne l'enfilait jamais.

— Tu ressemblerais vraiment à un pingouin coincé, si tu la mettais, remarqua Mila, ayant aperçu son regard vers l'habit.

L'adolescent laissa échapper un petit rire, ayant anticipé cette remarque. Il ferma la porte de sa chambre et se recoiffa rapidement en passant devant le miroir du couloir.

— Je sais bien, tu me le dis à chaque fois.

— Il n'empêche que c'est grâce à mes précieux conseils que tu es stylé ! se vanta Mila, un sourire en coin sur les lèvres.

Elle était bien satisfaite de son œuvre. Malo était une véritable pépite de la population masculine, et ce n'était pas les filles de son lycée qui l'aurait contredite. Il ne le savait pas, mais beaucoup d'entre elles (et même quelques ils) craquaient pour lui – Mila avait fait sa petite enquête. Mais bon, malheureusement pour elleux, son cœur était déjà pris. Mais Monsieur était trop timide pour déclarer sa flamme, alors le célibat s'accrochait encore à lui avec désespoir.

Mila était un peu jalouse, parfois. Elle aussi, elle aurait voulu aimer. Et se faire aimer. Contrairement à son frère, les films romantiques, ça la faisait rêver : elle aurait donné cher pour avoir une petite amie attentionnée, capable de la faire rire à chaque seconde, ou de lui faire les plus belles des surprises. Mais bon, c'était comme ça, et elle ne pouvait rien y faire. Alors elle vivait les sentiments à travers le cinéma, lorsque Malo voulait bien lui prêter son ordinateur, ou acceptait même de regarder un film avec elle.

— Malo, dépêche-toi !

En entendant la voix de sa mère, le brun accéléra et descendit les marches en vitesse. Il restait toutefois prudent : durant son enfance, et même le début de son adolescence, il avait déjà manqué plusieurs fois de glisser et de faire un câlin au carrelage du rez-de-chaussée. Cela n'était jamais arrivé à Mila, qui possédait de véritables dons d'acrobate, et elle ne manquait pas de partir dans un fou rire chaque fois qu'elle surprenait son frère à se raccrocher à la barre en bois à la dernière seconde, comme s'il s'accrochait à la vie.

Une fois sortis de la maison, le brun se glissa à l'intérieur de la voiture, à l'avant, et sa sœur sur le siège arrière, au centre. De sa place, elle avait une vue parfaite sur la route, et pouvait taquiner Malo dès que l'envie lui prenait.

— Allez, on y va, annonça leur mère en bouclant sa ceinture.

Les drames de sa vie avaient fini par marquer son visage, et elle faisait quelques années de plus que son âge. Malgré cela, elle était toujours aussi jolie que lorsqu'elle avait la vingtaine. Mila l'admirait beaucoup, et avait toujours voulu lui ressembler en grandissant. C'était encore un souhait auquel elle avait dû renoncer.

— Tu veux passer par où, cette fois ? demanda leur mère, tout en tournant sur la rue principale.

— J'ai vu que le champ près de la rivière était couvert de coquelicots, répondit Malo, son regard perdu à travers la fenêtre.

Il y était passé l'autre jour, lors d'une de ses rares sorties en solitaire. Mila avait voulu se reposer, une fois n'est pas coutume, alors il avait enfourché son vélo et s'était perdu dans la campagne qui entourait leur petite ville.

Ils atteignirent ledit champ en quelques minutes, et Malo se faufila parmi les herbes. Peu à peu, les brins de coquelicots formèrent un bouquet dans sa main, des tons de rouge chaleureux, aussi colorés que des fraises.

— J'aime bien les coquelicots, dit Mila dans un sourire.

Malo jeta un coup d'œil en direction de sa mère. Elle s'était un peu éloignée, et observait la rivière sans un mot, quelques fleurs rouges à la main. Il en profita pour caresser doucement le dessus de la tête de sa sœur, comme il le faisait souvent lorsqu'ils étaient tous les deux.

— Je sais bien, chipie, murmura-t-il.

Il appela sa mère, afin qu'ils repartent vers leur destination du jour. Le trajet fut plutôt court, ponctué de petites taquineries de Mila, et de chansons des années 80 provenant d'un vieux CD de leur mère. C'était son habitude, de conduire sur un tel fond musical. Cela lui rappelait sa jeunesse, lorsqu'elle avait l'âge de Malo, l'époque où elle chantait dans les bars et dansait sur les pistes de danse. Le jour où elle avait rencontré leur père, aussi. Le temps où tout n'était encore que vie, innocence et beauté.

Elle se gara sur un petit parking, entre plusieurs champs. Il n'y avait pas d'autres voitures, pour une fois. Ils seraient tranquilles. Malo préférait cela : pas de drames, pas de curieux, rien que leur famille et son intimité. Il tendit à sa mère le bouquet de coquelicots, autour duquel il avait noué un ruban blanc sur le trajet.

Ils passèrent sous l'arche en fer forgé, et Mila ne put s'empêcher de rire en voyant un pigeon perché tout en haut.

— Imagine, il nous fait pipi dessus !

Malo laissa un petit sourire se former sur ses lèvres. Sa sœur avait tendance à être plutôt mature pour son âge, alors entendre ce genre de remarque lui faisait plaisir ; malgré ce qui lui était arrivé, elle parvenait à garder un petit côté enfantin.

— Au fait, tu crois qu'ils ont une famille, les pigeons ? demanda-t-elle soudainement, renforçant le sourire du brun. Avec des grands-pères pigeons, et des mémés pigeons, et des tatas pigeons...

Mila baissa alors la voix, voyant qu'ils approchaient du grand chêne. Une fois à son pied, les deux enfants restèrent en retrait, laissant leur mère s'accroupir sous les feuillages. Elle déposa le bouquet de coquelicots sur la tombe, tout en essuyant une larme qui avait réussi à se frayer un chemin sur sa joue.

— Bonjour Mila, dit-elle d'une petite voix. J'espère que tu vas bien.

La petite brune entoura ses bras autour du cou de sa mère, un sourire sur les lèvres.

— Je vais bien, maman, ne t'inquiète pas. Malo veille sur moi.

Malo posa sa main sur l'épaule de sa mère, un regard attendri envers le fantôme de sa jumelle.

— Toujours, murmura-t-il.