Chapitre Un

La salle de réception est bondée de monde pour l'anniversaire de maman. Je porte la flûte contenant ma boisson sucrée à ma bouche en lançant un regard aux nombreux invités. Cet événement me donne envie de dormir, mais je m'abstiens de tout commentaire pour ne pas attirer les foudres de grand-mère. Elle tient absolument à ce que nous faisions bonne impression, les apparences sont les choses les plus importantes aux yeux de la bonne société. Mon oncle Léander discute d'une voix forte avec d'autres invités, je le soupçonne d'avoir bu plus que de raison.

― Cache ta grande joie de participer à l'anniversaire de maman.

Alaric se glisse à côté de moi en tenant son propre verre. Il est plutôt bon comédien lors des événements mondains et parvient à conquérir le cœur des demoiselles présentes. Je lève les yeux au ciel en buvant une nouvelle gorgée. Il y a une quantité minime d'alcool qui n'est pas suffisante pour brouiller mon esprit, mais cela me donne une bonne excuse pour ne pas parler aux invités.

― Maman aurait préféré un repas simple plutôt qu'une grande réception, tu le sais aussi bien que moi. C'est une idée de grand-mère et je trouve épuisant qu'elle ne soit pas capable d'écouter les envies des autres.

― Cela ne nous empêche pas de l'aimer.

Je hausse les épaules.

― On ne t'oblige pas à porter des talons et une robe tellement serrée que je suis obligée de prendre des petites respirations. Je donnerais tout pour m'éclipser sans me faire repérer par grand-mère.

― Je crains que cela soit impossible, elle a des yeux partout.

Ma sœur est en grande conversation avec Jude Cowbell. Nous nous entendons peu parce que je le soupçonne de ne pas prendre au sérieux les sentiments qu'éprouvent ma sœur à son égard. Elle n'est peut-être pas capable de le reconnaître elle-même, mais elle déborde tellement d'amour que n'importe qui est susceptible de le sentir. Cette relation est interdite, Jude appartient au cercle des sept familles et nous n'avons pas le droit d'avoir la moindre relation intime avec eux. Je sais très bien que ma sœur ne franchira pas cette ligne, mais Jude pourrait profiter de sa gentillesse.

― Ce garçon est un horrible personnage, comment peut-elle éprouver de l'attirance pour lui ? J'aimerais qu'elle comprenne à quel point il est stupide et manipulateur ! Tu crois que je devrais m'incruster dans cette conversation ?

― Tu devrais lui laisser le choix de faire ses propres erreurs.

― Elle risque d'avoir le cœur brisé...

Alaric hausse les épaules.

― Nous avons tous eu le cœur brisé, n'est-ce pas ?

― Pas moi.

C'est la pure vérité, je ne vois pas l'intérêt de tomber amoureuse alors que ma vie est scellée avec un homme. Il est possible que je devienne la prochaine représentante et que ma famille sélectionnera un homme convenable pour constituer une alliance et perpétuer notre lignée. Tomber amoureuse d'un autre homme et prendre le risque d'avoir le cœur en mille morceaux n'est pas une perspective ne me donne pas particulièrement envie. J'aurais aimé que ma soeur possède une mentalité semblable à la mienne, mais c'est une grande romantique. Elle rêve de vivre un amour aussi sincère que celui de nos parents. Ayla pourrait devenir la prochaine représentante et la connaissant elle serait tout à fait capable de tomber amoureuse de son fiancé, mais est-ce le véritable amour ou est-il illusoire ? Dans mon cas, je sais que je ne pourrais jamais aimer mon époux.

― Cela ne devrait pas m'étonner, tu ne te laisses pas facilement approcher.

― Grand-mère possède certainement une liste de candidats et candidates convenables pour chacun d'entre nous alors à quoi bon chercher un amour éphémère ? Je ne compte pas craquer sur la première personne venue et tu devrais faire attention à ne pas te faire prendre avec le mec de la dernière fois.

Alaric écarquille les yeux puis place une main sur ma bouche afin de me faire taire. Je n'espionne pas mon frère, mais cette nuit-là je n'arrivais pas à dormir et j'ai entendu du bruit dans le jardin. J'ai vu mon frère embrasser un jeune homme que je n'avais jamais vu auparavant.

― Les murs ont des oreilles, Aza.

― Désolée.

Il soupire en passant une main dans ses cheveux.

― Tu n'as raconté ça à personne ?

― Bien sûr que si ! J'ai immédiatement rédigé une lettre à grand-mère pour l'informer que tu avais craqué sur un mec, ironisé-je.

― Cette blague n'est pas drôle, personne ne doit savoir ce qui s'est passé. Tu sais très bien que grand-mère n'accepte pas les relations de ce genre et elle veut que nous soyons tous caser pour perpétuer la lignée familiale.

Alaric ne peut pas être pleinement heureux en camouflant cette partie de lui-même. Je me contente de hocher la tête en promettant de garder le secret. J'aimerais tellement que les choses évoluent et que nous puissions prendre nos propres décisions. Je promets de changer certaines règles en devenant représentante. Grand-mère se précipite dans notre direction, un verre à la main. Elle ne passe pas une seule soirée sans boire minimum deux verres, il arrive parfois qu'elle soit ivre. En raison de son âge, personne ne fait de commentaire sur son mauvais comportement, mais ce n'est pas l'envie qui manque.

― Mademoiselle Cora Moriarty est une parfaite candidate pour un mariage. Qu'attends-tu pour lui proposer une danse ? Aucune femme ne devrait attendre sur le côté en espérant qu'un gentleman l'invite à danser.
― J'y vais de ce pas.

Mon frère m'abandonne à mon grand regret et je me retrouve seule avec grand-mère. Nous ne sommes pas proches, elle me donne souvent l'impression de préférer Ayla. Je n'ai jamais vraiment eu de valeur à ses yeux.

― Cela vaut pour toi aussi, Azaléa.

― Quoi donc ?

Je fais mine de ne pas comprendre pour ne pas me retrouver dans la même situation que mon frère. Grand-mère est fourbe, elle sait très bien que mon frère ne refuse rien. Je suis la seule à avoir un minimum de caractère et ne pas craindre les réactions de cette vieille femme. Elle ne m'impressionne pas et c'est bien ce qui la dérange.

― Il y a de charmants jeunes hommes de bonne famille qui attendent un sourire de ta part. Ne reste pas dans ton coin à jouer la timide, ta sœur fait la conversation à tout le monde pendant que tu restes dans l'ombre.

― Je ne me sens pas tout à fait en forme pour charmer des garçons, grand-mère.

Elle claque sa langue contre son palet en levant les yeux au ciel.

― Cesse de me prendre pour une idiote, j'ai encore toute ma tête.

― Comment oserais-je te prendre pour une idiote ? Je profite juste de la soirée en dégustant cette délicieuse boisson en me montrant la plus bienveillante possible. J'ai même dansé avec monsieur Morelli.

― Je parle de danser avec des personnes de ton âge, Azaléa. Cela ne peut pas faire de mal d'agrandir ton carnet de contacts même si tu es plutôt appréciée. N'oublie pas que les Anciens ne tarderont pas à choisir le nouveau représentant et tu es sur la liste.

Je repousse mes cheveux derrière mon épaule en prenant un air confiant. J'ai conscience que mon destin est peut-être de devenir la représentante, mais je ne compte pas abandonner mes convictions.

― Il est difficile de totalement te comprendre, Azaléa.

― Personne ne le peut.

Elle soupire en s'éloignant pour parler à un groupe de femmes d'un certain âge. Je me retrouve de nouveau seule à mon grand soulagement. Je me balade dans la salle afin de me rapprocher du buffet. Je meurs de faim, je n'ai rien avalé depuis le petit-déjeuner alors il est hors de question de me priver de ces délicieuses préparations.

Je pioche dans les plats en me préoccupant peu de mes manières. J'ai toujours eu ce sentiment de ne pas être à la bonne place et de jouer un rôle. Ayla est comme un poisson dans l'eau, elle ne doute jamais et tout le monde l'apprécie pour sa bienveillance et son sourire. Il m'arrive d'éprouver une petite jalousie. Je lance un regard à ma jumelle toujours en grande conversation avec cet imbécile de Jude. Quand va-t-elle comprendre que c'est un idiot draguant tout ce qui bouge ?

Un élan de courage m'enveloppe tandis que je m'avance vers eux. J'ai souvent tendance à protéger ma sœur même si en théorie elle est l'aînée. Je soulève ma robe un poil trop encombrante avec toute cette tulle lavande puis m'approche d'eux. Jude est le premier à me remarquer, il cesse aussitôt de sourire et je peux voir des étincelles dans son regard.

― Aza, je suis heureuse de te voir ! s'exclame ma sœur.

― J'avais envie de passer un moment avec notre ami.

Le mot ami sonne presque comme une menace, mais cela n'impressionne pas Jude. Il se contente de sourire et s'incline poliment devant moi.

― Je me demandais si j'aurais le plaisir de proposer une danse à Azaléa Eastwood.

― Quelle bonne idée ! Aza tu ne peux pas refuser une danse, grand-mère te tuerait !

Elle a raison, c'est une occasion de clouer le bec de ma grand-mère et des autres mauvaises langues. Je peste contre moi-même en suivant Jude au centre de la piste sous les yeux curieux des invités. Tout le monde sait que Jude s'intéresse davantage à Ayla alors notre danse ne passe pas inaperçue.

― Je sais exactement ce que tu essaies de faire.

― De quoi parles-tu ? demandé-je d'une voix innocente.

Il place ses mains autour de ma taille tout en me faisant danser au rythme de la musique. J'aimerais lui écraser le pied pour faire preuve de bonne foi, mais ce mauvais pas risque d'énerver davantage grand-mère et je n'ai pas envie de l'affronter une fois de plus.

― Tu essaies d'éloigner Ayla de moi.

― Toute relation entre vous est impossible alors cesse de lui faire croire quelque chose. Ayla est une bonne personne qui mérite de connaître le véritable amour, je connais ta réputation pour savoir que tu joues avec elle.

Nous tournons en même temps avant qu'il ne me fasse basculer d'un mouvement délicat.

― N'as-tu jamais songé que je pouvais ressentir une réelle attraction pour elle ? Ayla est une jeune femme brillante, pleine d'esprit et incroyablement belle. Je ne vois pas pourquoi je ferais semblant de l'apprécier.

― Aimer et apprécier ne sont pas les mêmes choses !

― Parce que tu en sais quelque chose ?

Il ricane.

― Non bien sûr que non. Je n'ai jamais vu qui que ce soit revenir indemne d'un échange avec toi, tu ne laisses aucun homme te faire de compliments et tu restes dans une espèce de bulle protectrice.

― Tu ne sais absolument rien de moi.

― Suffisamment pour savoir à quel point tu es ennuyante comme femme. Tu ne possèdes pas le moindre secret et personne ne s'intéresse à toi parce que tu n'es que l'ombre d'Ayla et ça te ronge de l'intérieur.

Je m'immobilise avant la fin de la chanson puis lui adresse une violente claque. Je lui tourne le dos avant de me précipiter hors de la salle de réception. Je croise le regard inquiet de mon frère et l'air interrogateur de mon père. Ils demanderont des explications, mais pour le moment je veux quitter cet endroit. Je monte l'escalier à toute vitesse pour regagner ma chambre et m'enfermer à l'intérieur. Un simple geste suffit à balancer mes chaussures dans un coin de la pièce. J'ai envie d'arracher cette robe et la jeter dans les flammes de la cheminée. Comment ose-t-il dire une chose pareille ? Ayla et moi sommes complémentaires et je ne l'ai jamais considéré comme une rivale ! Espèce de connard arrogant, méprisable ! Je ne laisserais personne me traiter de la sorte, jamais.

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Bonjour ! Comment allez-vous ?
Aujourd'hui on se retrouve pour la publication hebdomadaire de ce court roman.   
Comme toujours un petit commentaire et une étoile font plaisir alors n'hésitez pas ça m'encourage dans mon travail.
À bientôt !

20.04.2024

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