Chapitre Quatre

Les premiers rayons du soleil filtrent à travers les rideaux de ma chambre et chatouillent mes yeux. J'enfonce ma tête sous mon coussin en marmonnant des mots peu flatteurs pour les oreilles sensibles. Cette soirée était une mauvaise idée et je n'aurais peut-être pas dû boire autant. La présence de Cléo modifie ma perception des choses et libère une partie de moi que personne ne connaît.

― Tu es réveillée ? chuchote une voix à la porte.

Je marmonne en guise de réponse. La porte de ma chambre s'ouvre et je reconnais aussitôt les pas de ma sœur, elle a tendance à marcher sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller Alaric dont le sommeil est aussi léger que celui de notre grand-mère. Je me redresse en frottant mes yeux afin de faire face à Ayla.

― Il est beaucoup trop tôt pour discuter... dis-je.

― Je sais, mais nous n'aurons pas le temps aujourd'hui. Tu as ton cours d'équitation et j'accueille des amies pour l'heure du thé. Il faut absolument que tu me prêtes ton ruban blanc, je n'arrive pas à remettre la main sur le mien.

J'avais oublié mon cours d'équitation et ce stupide goûter auquel j'échappe à mon grand soulagement. Ma jumelle s'installe sur mon lit puis me lance un grand sourire tout en me dévisageant.

― Qu'est-ce qui s'est passé avec Jude ?

― Tu viens me réveiller à une heure aussi matinale pour me parler de ton coup de cœur du moment ? J'accepte que tu viennes réciter ton discours, tes leçons et me parler des derniers romans que tu as apprécié, mais ça c'est au-dessus de mes forces.

Je plonge sous ma couette en espérant la faire fuire. J'aime ma soeur du plus profond de mon coeur, c'est une jeune femme exceptionnelle qui aime la vie et aider les autres. Elle possède une nature profonde différente de la mienne, mais qui la rend unique. L'unique chose que je ne supporte pas c'est les états d'âme au sujet de l'amour surtout lorsqu'il est question de cet imbécile de Jude.
― Tu as disparu pendant le reste de la soirée avec une expression étrange. Je te connais suffisamment pour savoir que tu n'aurais jamais giflé Jude sans une bonne raison, ai-je le droit de la connaître ?

― Ce n'est pas important, je me suis mal comportée.

Tout le monde me conseille de ne pas me mêler des histoires personnelles de ma sœur alors il est temps de les écouter et la laisser faire ses propres choix. Connaissant Ayla, elle tournerait immédiatement le dos à Jude pour ses horribles mots et ce n'est pas ce dont j'ai envie. Je ne souhaite que son bonheur, mais je ne peux pas toujours la préserver du danger extérieur surtout lorsqu'il est question des hommes.

― Tu ne cracheras pas le morceau ?

― Oublie cette histoire et va prendre ton petit-déjeuner.

Elle secoue la tête.

― Uniquement si tu manges avec moi.

― Il est huit heures du matin, j'ai encore besoin de sommeil.

Ma soeur passe une main sur ma couverture en baissant les yeux. Nous passons moins de temps ensemble ces derniers temps, mais avons chacune un emploi du temps. Je travaille également sur ma présentation avec acharnement, ce qui me laisse peu de temps libre pour passer des heures à discuter avec Ayla.

― Il y a encore des tartelettes à la rose.

― Tu n'essaies pas de me tendre un piège ?

Elle secoue la tête en tirant la langue.

― J'en ai caché plusieurs pour que tu puisses en avoir.
― Je ne sais pas si je dois te frapper ou t'applaudir pour ce chantage, Aylana.

― C'est à de voir, mais je compte bien manger ces tartelettes si personne ne se porte volontaire. Tu oserais passer à côté d'un tel régal uniquement pour ces heures de sommeil supplémentaires ?

Il existe un grand nombre d'avantages à avoir une sœur dans la vie quotidienne, mais en ce moment je ne vois que l'inconvénient. Ayla connaît chaque parcelle de ma personnalité et n'hésite pas à utiliser mes faiblesses contre moi. Je prends une grande respiration en levant les yeux vers ma jumelle. Les tartelettes à la rose sont mon plus grand point faible, je ne peux pas fermer les yeux.

― Accorde-moi dix minutes pour enfiler une tenue convenable.

― Pas une minute de plus ! s'écrie-t-elle en sortant de ma chambre.

Je soupire en repoussant la couette pour me lever. Je me dirige vers ma penderie pour sélectionner une tenue confortable. Mon choix se porte sur une jolie robe noire avec un col en dentelle blanc ainsi qu'une paire d'escarpins. Habituellement, je demande de l'aide aux domestiques, mais je ne souhaite pas abuser des bonnes choses. J'attache mes cheveux en une rapide queue de cheval puis inspecte mon apparence dans le miroir. C'est simple, confortable et correspond à ce que j'apprécie.

Je descends les marches de l'escalier afin de me rendre dans la cuisine. Nous avons souvent l'habitude de manger dans cette pièce lorsque personne d'autre n'est présent. Ayla discute avec une domestique puis secoue la main dans ma direction en me voyant. Elle porte une jolie robe rose et blanche avec une paire de talons et un collier de perles autour de son cou. De nous deux, Ayla s'est toujours montrée plus élégante que moi.

― Je ne t'avais pas menti comme tu peux le voir.

― Heureusement sinon je t'aurais demandé d'en préparer toi-même !

Elle rit.
― Profitons de ce petit-déjeuner avant de faire une petite balade dans le jardin, qu'en penses-tu ?

― C'est une excellente idée.

Nous prenons notre petit-déjeuner dans une ambiance légère et agréable. Je suis contente de retrouver le merveilleux goût de mes tartelettes favorites. La recette semble trop compliquée pour que je parvienne à les recopier à l'identique, mais j'aimerais essayer un jour. Je suis sur le point de prendre une nouvelle gorgée de lait lorsque la femme au cou tordu fait irruption dans la cuisine. J'avale de travers et commence à tousser de plus en plus fort.

― Aza ! Est-ce que ça va ?

― J'ai... avalé de travers.

La femme au cou tordu m'indique du regard une silhouette familière plantée derrière la porte. Un frisson de terreur s'empare de moi lorsque je croise le regard froid de ma grand-mère qu'elle ne tente plus de camoufler. Est-elle toujours en colère de ce qui s'est passé avec Jude à la soirée ? Elle ne me laisse pas le temps de bouger pour la rejoindre, celle-ci disparaît de mon champ de vision. Ayla remarque mon trouble et pose sa main sur mon épaule.

― Qu'est-ce qui se passe ? Tu es bien pâle...

― Nous devrions reporter notre balade, je viens de me souvenir qu'il me reste un devoir très important à terminer. Je suis vraiment désolée, mais c'est une tâche urgente et tu sais que je déteste avoir du retard dans mes devoirs.

Elle hoche la tête.

― Ce n'est pas grave, je vais profiter de cette occasion pour avancer dans ma présentation. Nous avons tout le temps pour nous promener, n'est-ce pas ? Amuse-toi bien pendant ton cours, j'espère que tu dépasseras ton score.

― Et toi profite-bien de ton thé.
***

La chaleur de l'après-midi est écrasante, je regrette de ne pas avoir eu l'intelligence d'annuler mon cours. Je passe une main rassurante sur la crinière de Lune tandis qu'elle s'abreuve dans l'eau du lac. Nous ne sommes qu'à quelques kilomètres de notre domaine et pourtant j'éprouve toujours un étrange sentiment. Grand-mère reste quelques jours supplémentaires pour nous aider dans notre présentation. Cette nouvelle ne m'enchante pas, j'espérais pouvoir souffler un peu, mais ce n'est malheureusement pas le cas.

J'aime énormément ma grand-mère, c'est une femme qui ne se laisse pas marcher sur les pieds et peut tout à fait donner de bons conseils. Cependant, elle ne ressemble plus à la femme que j'ai connu en étant enfant. Plus nous grandissons, plus je remarque son intérêt pour Ayla. Elle a toujours eu une préférence pour ma soeur, mais cela devient de plus en plus flagrant avec le temps. Alaric existe peu pour elle, ce qui le satisfait tout à fait. Elle se montre parfois très froide lorsque nous discutons, mais je suppose que c'est dans sa nature.

J'attendais son départ avec impatience pour me remettre à dessiner librement. Depuis son arrivée, je n'ai plus eu l'occasion de me pencher sur mon travail sans craindre qu'elle ne débarque dans ma chambre pour me remonter les bretelles. Elle accepte les activités utiles comme l'équitation ou la lecture, mais l'art est une chose qu'elle ne supporte pas.

― Nous devrions repartir avant que la température ne monte encore.

Duncan, mon professeur particulier, s'approche de moi avec sa propre monture. Cela fait des années qu'il me donne des leçons, je le considère davantage comme un ami. Je hoche la tête en me remettant en selle. Lune a suffisamment de mal à supporter la chaleur, il vaut mieux ne pas s'attarder trop longtemps.

― Essaie de te tenir un peu plus droite, Azaléa.

― Compris.

Je me redresse aussitôt en indiquant à mon cheval de se mettre en route. En temps normal, j'apprécie beaucoup les balades cependant mon esprit ne cesse de penser à Cléo et la réaction étrange de grand-mère. Trop de choses se bousculent dans ma tête, j'ai besoin de temps pour apaiser mon esprit et remettre de l'ordre dans tout ça.

21.04.2024

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