Chapitre Quatorze
La famille est souvent synonyme de bonheur et d'harmonie. Quoi de mieux que d'accueillir un nourrisson pour un moment de joie et une descendance assurée ? Nous sommes amenés à supporter notre famille dès le jour de notre naissance peu importe qu'elle soit bonne ou mauvaise. Pour le meilleur et pour le pire. On ferme les yeux sur les remarques désagréables d'un oncle aux idées bien tranchées, un cousin préférant la compagnie de la nourriture à celles de ses proches et une grand-mère aux mille secrets. J'ai passé une partie de ma vie à fermer les yeux sur ces
défauts, mais aujourd'hui il n'est plus question de faire l'aveugle.
Cléo dépose une tasse de thé brûlante devant moi, la mine sombre. Je n'avais pas prévu de lui rendre visite aujourd'hui, mais elle est la seule susceptible de me conseiller. J'ai toujours eu l'espoir de me faire des idées sur ma grand-mère, mais je ne peux plus fermer les yeux. Je serre d'une main tremblante la petite fiole tout en essayant d'apaiser mes tremblements.
― Est-ce que tu peux m'expliquer la raison pour laquelle tu es allée sur un marché noir ? Inutile de te rappeler que c'est illégal et qu'un grand nombre de sorciers peu recommandables font du commerce interdit. Cela ne te ressemble pas de te mêler dans des affaires aussi sombres, Aza !
― J'avais de bonnes raisons de le faire.
La blonde soupire.
― Les conséquences auraient pu être désastreuses.
― J'en ai conscience.
Je dépose la fiole sur la table basse en regardant mon amante droit dans les yeux. Elle est la seule vers laquelle je peux me tourner.
— Cela va sûrement te paraître paranoïaque de ma part, mais je ne pouvais pas fermer les yeux. Les mises en gardes de la femme au cou tordu, le comportement de ma grand-mère et cet homme inconnu débarquant au milieu de la nuit. J'avais besoin de comprendre les circonstances et de prouver qu'elle prépare quelque chose.
— Ça n'explique pas pourquoi tu es allée sur un marché noir.
— J'ai lancé un sortilège pour surveiller les correspondances de ma grand-mère. Une adresse est apparue, c'était le fameux marché noir. Elle venait voir un homme pour récupérer une fiole identique à celle-ci.
Cléo soupire.
— Je ne veux même pas savoir combien tu as déboursé pour obtenir une copie.
— Le vendeur m'a simplement dit de mettre des gants en l'utilisant parce que les effets sont presque immédiats. Je ne connais pas les ingrédients composant cette potion, mais j'ai un mauvais pressentiment.
La sorcière se penche puis observe le liquide brillant. Cela fait trois jours que je contemple cette fiole dans l'espoir de rassembler le courage nécessaire pour étudier son contenu et ses effets. Je ne pouvais plus supporter de rester dans ma chambre à marcher en rond sans savoir quoi faire.
— Tu ne l'as pas utilisé sur toi-même au moins ?
— Non.
Elle soupire de soulagement.
— Durant mes cours particuliers de potions, mon professeur conseillait de tester les effets sur une plante. Elles sont plus réactives que le corps humain alors je pense que c'est la meilleure façon de découvrir ce que représente cette potion.
— Je ne voulais entraîner personne dans ces histoires.
— Tu ne peux pas tout garder au fond de toi, Aza. Je ne suis pas particulièrement heureuse de savoir ce que tu as fait pour obtenir cette potion, mais je ne suis pas là pour te juger.
Elle se lève puis s'approche de sa commode pour sortir deux paires de gants. Mon amante soulève délicatement le capuchon de la fiole puis glisse quelques gouttes sur une plante. En quelques secondes, le feuillage d'un beau vert prend une teinte marron avec des éclats noirs comme des veines. Des trous apparaissent sur la plante avant que celle-ci n'explose en mille morceaux.
Je pousse un cri tandis que nous nous écartons, choquées. Ce qu'il reste de la plante se résume à de la poussière. Je n'avais jamais vu un poison aussi violent et capable de tout détruire en l'espace de quelques secondes. Cela prendrait davantage de temps sur un être humain, mais il est évident que cela conduirait au même résultat : la mort.
— Un poison ! s'exclame Cléo.
— Je ne pensais pas qu'elle irait jusque là.
La blonde passe une main sur son visage. Cette situation me dépasse complètement. Je ne pouvais pas croire que cette potion était en réalité un poison et pourtant j'ai eu la confirmation.
— Ne retourne pas là-bas, cette vieille mégère prépare un sale coup et je refuse de perdre la seule chose qui a de l'importance pour moi.
— Je ne peux pas fuir.
Cléo m'attrape par les épaules.
— Je suis sérieuse, tu ne peux pas t'exposer à un tel danger. On ne sait pas la raison pour laquelle ta grand-mère a demandé une telle potion, mais ce
n'est certainement pas pour faire une bonne cause !
— M'enfuir ne ferait qu'attirer l'attention. Je dois informer ma famille que quelque chose de sombre est sur le point de se produire. Elle est peut-être possédée par un vieux fantôme ?
— Arrête de chercher des excuses !
Un poison est forcément destiné à être utilisé sur quelqu'un. Un innocent pourrait perdre la vie si je reste les bras croisés. Cette situation est la plus difficile de toute ma vie.
— Il faut que je découvre qui est sa cible.
— Aza...
— Je ne veux pas que cela soit ma mère ou mon père ! Elle veut se débarrasser de quelqu'un et je dois l'arrêter au plus vite.
Alaric est le seul qui échappe à cette menace, mais je dois protéger le reste de la famille. Je ne porte pas mon oncle dans mon cœur, mais il ne mérite pas la mort. Encore moins ma cousine Esmée. Cela me rends folle de ne pas avoir davantage de preuves. Un frisson s'empare de moi lorsque je croise le regard d'un homme.
Je me détourne de Cléo puis m'avance vers le fantôme. Nous nous sommes rencontrés sur le balcon une seule et unique fois et pourtant je me souviens de notre conversation mot pour mot. Je ne m'attendais pas à ce que ce nouvel esprit inconnu revienne me voir. Tout ce que je sais c'est qu'il partage un lien avec la femme au cou tordu. Il serait peut-être plus simple de l'appeler par son prénom, mais ça reste difficile de l'appeler Astra.
― Vous ?
― Je suis heureux de vous revoir, Azaléa.
Le fantôme observe avec soin la femme en ma compagnie avec un certain intérêt. Je me demande quelle est son histoire personnelle et la raison qui le pousse à apparaître de façon aléatoire.
― Qu'est-ce que vous me voulez ?
― Vous êtes de très mauvaise humeur, ce n'est pas
bon pour le moral.
Non mais je rêve ! Un fantôme me donne des conseils sur la bonne attitude à adopter. Je lève les yeux au ciel en croisant les bras sur ma poitrine. Je n'ai certainement pas besoin qu'un esprit vienne me déranger avec des conseils.
― La femme au cou tordu avait le mérite de ne pas être trop bavarde. Que me voulez-vous ?
― N'importe quel sorcier susceptible de voir les défunts profiterait de cette occasion pour approfondir ses connaissances, mais cela ne semble pas être votre cas. Vous êtes une jeune femme vraiment unique.
Je peux lire une forme d'amusement dans son regard, mais je suis trop chamboulée pour répondre. Dans des circonstances différentes, j'aurais certainement montré davantage d'intérêt, c'est au-dessus de mes forces aujourd'hui. Un soupir s'échappe de mes lèvres tandis que je me tourne de nouveau vers Cléo.
― Il faut que je rentre et essayer de mettre de l'ordre dans toute cette histoire.
― Aza...
― Ne t'inquiète pas pour moi.
Je tente de récupérer le reste de la fiole, mais Cléo bloque mon mouvement. Elle glisse ses bras autour de ma taille pour m'attirer contre elle. J'entends ses gémissements dans mon dos, ce qui me donne les larmes aux yeux. Nous savons toutes les deux que cette menace est bien réelle malgré nos efforts pour prétendre le contraire. Je m'écroule au sol emportant dans ma chute la belle blonde.
― Je refuse de te perdre.
― Tu ne me perdras pas.
Cléo lève délicatement mon menton pour me regarder droit dans les yeux.
― Et si tu partais avec moi ?
― Quoi ?
― Je ne sais pas comment l'expliquer, mais j'ai le sentiment que c'est toi qui est en danger. Mon instinct ne me trompe jamais et elle ne pourra jamais t'atteindre si tu disparais pour toujours.
J'avale difficilement ma salive. Je ne peux envisager une telle chose, abandonner ceux que j'aime par crainte d'être la cible de ma grand-mère est impossible pour moi. Elle resterait innocente aux yeux de tout le monde, toutes mes actions n'auraient servi à rien. Je lutte contre mes envies intérieures et suivre les conseils de la blonde. Cléo ne me laisse pas le temps de répondre, elle dépose un baiser sur mes lèvres pour me faire taire. Sa langue danse avec la mienne durant de longues minutes, je ne peux me détacher de cette étreinte. Nous nous retrouvons toutes les deux allongées sur le sol sans nous détacher l'une de l'autre.
***
La nuit est tombée depuis quelques heures et malgré mes efforts je n'arrive pas à me détacher des bras de mon amante. Nous l'avons fait à quatre reprises en l'espace de quelques heures, je ne veux pas quitter ce cocon confortable. Elle joue avec une mèche de mes cheveux en ne me quittant pas des yeux.
― Ma proposition tient toujours au sujet d'un potentiel départ.
― Les choses ne sont pas aussi simples...
Je me penche pour ramasser mes sous-vêtements ainsi que ma robe. Je n'aurais pas dû m'attarder auprès de Cléo, mais je ne pouvais me résoudre à quitter ses bras après ces heures de passion.
― Tu pars toujours comme une voleuse en essayant de te fondre dans les murs. Les domestiques de cette maison connaissent très bien mes activités et ne répéterons pas ce que nous avons fait.
― Je me fiche bien des commérages.
Ce n'est pas totalement vrai, mais je préfère manger des yeux de grenouilles plutôt que de le reconnaître devant Cléo. Elle se contente de soupirer en se rallongeant dans son lit, les doigts parcourant mon dos nu.
― Laisse-moi au moins t'offrir un repas digne de ce nom.
― Je vais commencer à croire que tu veux faire de moi ta prisonnière.
Elle rit.
― J'aimerais juste que tu goûtes à une véritable vie de couple durant quelques heures. Généralement les couples prennent un bon repas après des moments aussi passionnés alors qu'en dis-tu ? Tu acceptes mon invitation ?
― D'accord, mais uniquement parce que je meurs de faim.
Cléo s'enroule dans la couverture puis sort du lit. Elle enfile rapidement ses vêtements traînant encore sur le sol puis s'approche d'une petite clochette constituée de perles. Je reconnais cet objet, maman l'utilise lors des réceptions pour indiquer aux domestiques d'apporter un repas.
― Est-ce que tu as des allergies ?
― Pas à ma connaissance.
― Parfait.
Je suis à peine rhabillée que quatre domestiques entrent dans la chambre pour dresser une table et apporter un plat. Cléo s'installe sur la chaise et m'invite à faire de même pour que nous partagions un véritable repas. Depuis le début de cette relation, il n'a jamais été question de romantisme en dehors du lit. Nous nous sommes jamais promenées main dans la main dans les allées de la capitale, ne m'a jamais embrassé sous les étoiles ou passé plus d'une nuit ensemble sans se quitter. Ce dîner est le premier que nous partageons, l'unique preuve que notre relation est plus profonde que le plaisir charnel.
Je prends place face à mon hôte, les mains tremblantes. Je ne devrais pas être nerveuse, nous ne sommes que toutes les deux et aucun membre du personnel ne trahira la confiance de Cléo. Un domestique verse un liquide rose scintillant dans nos verres, je contemple la boisson d'un regard curieux.
― C'est du Noxious, un alcool léger provenant de provinces. Il est composé de fruits et de plantes apaisantes, c'est un véritable délice tu vas voir.
― Je n'en avais jamais entendu parler.
― Il n'existe qu'une seule personne fabricant cet alcool, il n'est pas encore très populaire au sein de la capitale, mais ce n'est qu'une question de temps avant que cela ne devienne une mode incroyable. Je fais tout pour le faire découvrir aux habitants de Slonia, tu es l'une des premières à le découvrir.
Je trempe mes lèvres dans cette curieuse boisson. Le goût éclate dans ma bouche, les fruits forment une harmonie stupéfiante avec les plantes. C'est à la fois frais et nouveau, je ne doute pas qu'il devienne rapidement populaire. Mes yeux s'écarquillent de surprise, ce qui fait doucement rire Cléo.
― Je savais que cela te plairait.
― C'est tellement bon !
Le repas est tout aussi délicieux composé d'une viande cuite à la perfection et des légumes provenant du jardin personnel de Cléo. Aux yeux de la société, ce n'est qu'une femme excentrique organisant de grandes soirées, mais Cléo est bien plus débrouillarde que la plupart des personnes de ce royaume.
― J'ignorais que tu appréciais le jardinage.
― Cela apaise mon esprit et m'occupe quand je m'ennuie.
Je découpe un morceau de ma viande en souriant.
― Tu es pleine de surprise, Cléo.
― Et encore tu ne sais pas tout de moi.
Cette magnifique soirée s'achève à mon grand regret. Je suis déjà contrainte de partir et retourner auprès des personnes que j'aime plus que ma propre vie. Je dépose un dernier baiser sur les lèvres de Cléo avant de marcher en direction de ma maison, la boule au ventre et le cœur plein d'appréhension.
28.05.2024
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