Chapitre Douze

Il existe un grand nombre de personnes susceptibles de faire ce travail à ma place, mais je peux difficilement expliquer les raisons pour lesquelles je souhaite guetter les déplacements et communications de ma grand-mère. Dans le meilleur des cas, je passerai pour une fille un peu dérangée, mais ce n'est pas la réputation dont j'ai besoin. Camouflée sous la capuche de ma cape, je tente de me fondre dans la masse de ce marché noir.

J'ai passé ces dernières semaines à mener des recherches sur les transactions effectuées par ma grand-mère. Tout semble en ordre et ne présente pas la moindre anomalie, mais il est facile de camoufler de fausses informations pour ne pas attirer l'attention. Je suis heureuse d'être parvenue à lancer mon sort de retranscription avant son départ. Désormais, la moindre écriture de sa part est retranscrite dans un carnet. Cela me permet de suivre ses déplacements et différentes conversations. Les marchés noirs sont nombreux au sein de la capitale, mais il est difficile de les trouver. En voyant une adresse apparaître sur la page blanche, j'ai tout de suite su que c'était une occasion à ne pas manquer. Je suis parvenue à trouver une bonne excuse pour partir librement en veillant à ce qu'aucun membre de ma famille ne découvre la vérité.

L'emplacement n'est pas la chose la plus importante, il faut également prendre en compte le code pour accéder au marché. Celui-ci change à chaque nouveau marché alors il faut faire attention à avoir le bon. Je fixe le morceau de papier sur lequel j'ai dessiné le symbole pour le montrer et accéder à ce marché. Mon apparence est camouflé derrière un puissant sortilège capable de modifier mon apparence pendant un petit moment.
Une femme aux allures angéliques se tient devant le bâtiment abandonné. Je m'attendais à ce que cela soit un homme baraqué aux allures dangereuses, mais je me trompais. Elle dégage une expression sympathique et bienveillante. La blonde lève les yeux dans ma direction en remarquant ma présence.

— Une cape de qualité...

— Pardon ?

Elle pointe du doigt ma cape.

— Je sais reconnaître un tissu de grande qualité, elle est splendide. Tu as beaucoup de chance, j'espère avoir les moyens d'en fabriquer une digne de ce nom.

— Merci.

Je lui tends le papier sur lequel se trouve le symbole en guise de mot de passe. Elle claque des doigts pour le faire disparaître. Une vive douleur apparaît, ce qui me pousse à grimacer. Sur mon poignet se trouve désormais le symbole tatoué.

— L'accès est autorisé pendant quatre heures et non renouvelable. N'hésite pas à le montrer quand on te le demande, c'est une preuve de ton passage.

— Il y a des règles à respecter ?

La blonde penche la tête sur le côté en souriant.

— Laisse-moi te dire une bonne chose, ce genre de commerce ne sont pas des choses à prendre à la légère. Tu ne peux pas juste te pointer avec le mot de passe et te balader comme une fleur. Le respect, c'est la clé pour faire de bonnes affaires.

— J'en ai conscience.

— Comme c'est ta première fois, je te donne le nom des personnes à éviter. Henri essaiera de te vendre des potions provenant de royaumes voisins, mais ne te laisse pas avoir c'est des conneries. Il y aussi Charlotte, elle n'est pas facile à se débarrasser alors n'hésite pas à l'envoyer balader.

J'avale difficilement ma salive lorsqu'elle évoque le reste des personnes à ne pas approcher. Je ne suis pas une imbécile, les marchés de ce genre existent uniquement pour vendre des produits interdits à la commercialisation en temps normal et certains ont peu de scrupule.

— Amuse-toi bien !

Elle pose sa main sur la porte révélant un passage menant au marché noir. Je prends une grande inspiration tout en marchant dans l'obscurité. Des torches éclairent faiblement le chemin, ce qui suffit à me mener vers une nouvelle porte. Cette fois, c'est un homme qui m'accueille. Je remarque une certaine ressemblance entre lui et la fille rencontrée quelques minutes plus tôt. Des jumeaux, probablement.

— Bienvenue à toi dans le marché le plus excitant de toute ta vie. Tu as besoin de plantes rares, pierres magiques, incantations perdues ? Alors rencontre nos fabuleux marchands !
Il sourit.

— Abandonne les préjugés sur les commerces interdits et laisse-toi tenter par de nouvelles perspectives. Ici, tout le monde est libre.

— Merci, je suppose.

Le jeune homme sourit de nouveau en essayant de percevoir mon visage sous ma capuche. J'ai beau avoir une apparence différente, je protège toujours mes arrières.

— Bonne balade !

Une nouvelle porte s'ouvre sur une grande étendue de stands comportant des produits que je n'avais jamais vu auparavant. Les yeux écarquillés, je ne peux détacher mon regard de ces produits uniques et farfelus. La petite voix dans ma tête me demande de me concentrer sur ma mission. Je dois repérer grand-mère au milieu de cette foule.

Je me balade dans les allées en cherchant la vieille femme. J'ai l'impression de passer pour une folle et de devenir paranoïaque, mais c'est plus fort que moi. Mon regard parcourt les produits avec un certain intérêt. Je n'avais jamais éprouvé de telles émotions avant aujourd'hui. De l'adrénaline, de la curiosité et un soupçon d'excitation.

— De la poudre de fée, n'hésitez pas à en acheter !

— Des larmes de sirènes maudites !

Les acclamations retentissent de chaque côté, j'ai la sensation d'être en pleine découverte d'un autre univers. J'ai un peu de mal à ne pas me détourner de ma mission. Mon esprit curieux pourrait bien se laisser tenter par certains produits. Je déambule dans ce marché noir à la recherche de ma grand-mère. Elle est susceptible d'avoir changé d'apparence pour se fondre dans la masse, mais le sortilège de marquage m'aidera à l'identifier.

Afin de ne pas paraître suspecte, je contemple quelques produits en prétendant vouloir acheter. Je ne compte pas dépenser ne serait-ce qu'une pièce de bronze dans ce marché noir, mais il est important de ne pas attirer l'attention. Je ne suis pas une idiote, nous sommes surveillés par différents sorciers patrouillant dans les allées. Ils recherchent de potentiels espions ou pire des gardes royaux déguisés.

― Envie de faire une farce à vos amis pour une soirée de l'horreur ? Avec cette plante, facile de simuler votre propre mort pendant un temps réglementé ! Rien ne vaut une dose de frisson pour amuser la galerie.

Je trouve ce genre de blague de très mauvais goût, mais je m'arrête quand même devant le vendeur. Il me présente la plante en question portant le doux nom de Aicizia provenant des océans les plus dangereux. Elle est interdite à la commercialisation à cause de ses propriétés dangereuses. De nombreux sorciers en fuite ont utilisé cette plante pour simuler leur mort avant qu'elle ne soit interdite à la vente.

― Ce sont les premières récoltes de l'année, ce qui font de ces merveilles les plus pures ! Comme vous semblez bien sympathique, je vous accorde une remise de trente pour cent lors de votre achat.

― C'est très aimable, mais je ne fais que regarder.

La pierre de mon bracelet se met brusquement à chauffer sur ma peau. Cela veut dire que grand-mère est dans les parages, il suffit de me concentrer pour la repérer. J'adresse mon plus beau sourire au vendeur avant de m'éloigner. Des étincelles provenant d'une jeune femme aux cheveux bruns confirment mes soupçons. Elle a volontairement changé son apparence pour ne pas se faire reconnaître.

Grand-mère s'avance d'une démarche confiante comme si elle connaissait ce lieu en adressant des regards sombres aux personnes sur son passage. Je reste à une distance raisonnable pour éviter qu'elle me remarque. J'ai besoin de comprendre la raison pour laquelle elle se rend dans ce genre de lieux. On ne prend pas autant de risques sans avoir une idée derrière la tête. Je ne crois plus en ma théorie de tests spéciaux.

Je m'adosse contre un poteau en faisant mine de refaire mes lacets afin d'écouter sa conversation avec un homme inconnu. Il porte un masque camouflant son visage ne révélant que deux pupilles marrons.

― Inutile de vous rappeler de prendre des précautions en utilisant cette potion.

― Je ne vous ai pas payé pour me donner des conseils.

Il soupire en lui donnant une petite boîte en carton dans laquelle se trouve une petite fiole. Le liquide argenté ne m'inspire pas confiance. Je ne me laisse pas déstabiliser par cette découverte, j'ai besoin d'en découvrir davantage.

― Personne ne peut retrouver la trace de notre rencontre ? demande-t-il.

― J'ai pris des précautions.

Je me contente de sourire. Ces précautions ne sont pas suffisantes pour qu'elle échappe à la vigilance de sa propre petite-fille. J'ai toujours été plus curieuse que mon frère et ma sœur, c'est ce qui fait ma force. Je n'abandonne jamais avant de trouver toutes les réponses à mes questions.

― Ravie d'avoir fait affaire avec vous.

― Moi de même.

Ma grand-mère range la fiole dans la poche de sa longue cape émeraude avant de passer devant moi. Elle ne remarque pas ma présence à mon grand soulagement. Je me redresse puis marche en direction de l'homme au masque.

― Je veux la même chose que cette femme.

Il éclate de rire face à ma demande, mais mon expression sérieuse le calme aussitôt. Je ne pourrais pas accéder à la fiole alors mon unique moyen est de commander la même chose même si je dois débourser une certaine somme d'argent. C'est dans ce genre de situation que je suis contente d'avoir fait des économies.

― Je ne fais pas affaire avec une gamine qui écoute les conversations des autres. Essaie de trouver quelqu'un d'autre pour remplir cette mission, je ne suis pas intéressé.

― Je suis prête à doubler la somme que cette femme a payé.

Cette fois, le sorcier ne rit plus.

― Et pourquoi une jeune femme aurait besoin de ça ?

― Cela ne concerne que moi.

Je sors de ma poche une bourse conséquente contenant toutes mes économies. J'avais espéré ne pas en avoir besoin aujourd'hui, mais c'est une situation urgente. Papa deviendrait fou en voyant ce que je suis en train de faire.

― Je serais curieux de connaître la raison pour laquelle vous faites appel à une magie aussi sombre, mais je respecte la demande d'une grosse cliente. Votre commande sera prête dans une semaine, mademoiselle...

― Zélie.

Nous convenons de nous revoir dans une semaine dans ce vieil entrepôt abandonné. J'ai conscience des risques que je prends et de ce que ça pourrait coûter. Satisfaite de cette transaction peu légale, je quitte le marché noir avec la ferme attention de découvrir ce que cache une vieille femme comme ma grand-mère.

22.05.2024

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