Chapitre Dix

La femme ne cesse de me contempler avec un sourire, elle ne semble éprouver aucun remord à se montrer sous une autre apparence après notre premier face à face dans un corps abominable à l'odeur nauséabaude. A-t-elle conscience à quel point j'étais effrayée en la voyant chaque nuit au pied de mon lit lorsque j'étais enfant ? Peu importe la raison, j'éprouve de la colère envers ce fantôme. Je me redresse avec difficulté en ne lâchant pas la main de Cléo.

― Vous avez passé les dix dernières années sous une fausse apparence pour vous de moi. Je croyais sincèrement que la femme au cou tordu était une personne au bon coeur, mais je découvre un fantôme manipulateur.

― La dernière chose que je souhaite est de te faire du mal, Azaléa. Je n'étais pas en mesure de me montrer sous une forme plus convenable avant le bon moment. N'oublie jamais que les esprits apparaissent pour guider.

Je croise les bras sur ma poitrine en la dévisageant longuement. Cette voix douce et cette gentillesse dans le regard ne laisse pas place au doute sur son identité. Astra Eastwood. Une femme pour laquelle j'ai toujours éprouvé un énorme respect, mais qui ne semble pas tout à fait honnête. Pourquoi s'amuse-t-elle avec moi de cette façon ? N'aurait-elle pas directement pu me dire que c'est sa propre composition que je cherchais ?

La sorcière lance un regard à Cléo en souriant faiblement.

― Je ne suis pas une ennemie, mais un fantôme veillant sur le bien-être de mes descendantes. J'arrive facilement à communiquer avec toi parce que ton cœur est ouvert aux changements avec une puissante détermination.

― Je m'efforce de devenir la meilleure représentante possible, mais toutes ces histoires commencent à m'étouffer. La seule chose que je désire est d'apporter un nouvel équilibre au sein de notre famille.

Le fantôme soupire.

― Il reste tant de choses à faire avant que tu puisses accomplir ce que tu souhaites. Tu n'imagines pas les ténèbres entourant notre famille depuis un grand nombre de générations et je crains pour ta propre sécurité.

― Je suis tout à fait capable de me défendre.

― Serais-tu prête à combattre ta propre famille pour déterrer les secrets du passé ? Pourquoi crois-tu que je t'ai demandé la composition perdue ? Elle te guidera vers les personnes susceptibles de te révéler la vérité, mais cela aura de terribles conséquences.

Je baisse les yeux en passant un doigt sur ma bague. Que veut-elle dire par de terribles conséquences ? Ce n'est qu'un morceau dont personne ne se souvient alors qui pourrait me faire du mal ? Cléo continue de me serrer la main afin de me montrer son soutien, cela me fait du bien de ne pas être seule dans ces histoires.

― Je te laisse le choix de suivre ton propre avenir, Azaléa. Cette mélodie est la clé pour te guider vers ce que tu recherches le plus profond de toi, mais chaque décision mène à une conséquence.

― Vous êtes un très mauvais guide.

Astra sourit de nouveau.

― Ma mission est sur le point de s'achever, d'autres tâches attendent mon arrivée. Tu es la seule maîtresse de ta destinée et il est temps de suivre ton propre chemin. Je n'ai aucun doute de ta bravoure et de ce que tu es capable de faire pour protéger les personnes que tu aimes.

― Attendez !

A mon grand regret, la sorcière s'efface lentement de mon champ de vision. Ses mains deviennent transparentes avant de disparaître laissant un vide dans ma poitrine. Je vacille en essayant de me remettre debout, mais la blonde me maintient assise. Mon corps est épuisé par la magie utilisée et je n'ai pas la force de résister. Cléo glisse un bras autour de ma taille pour me serrer contre elle.

― C'était la femme au cou tordu ?

― Une version différente que je ne connaissais pas. Je ne sais pas ce que je dois faire maintenant, mais peu importe ma décision il y aura des conséquences. C'est une véritable prise de tête.

Comment suis-je supposée prendre la bonne décision ? Cette composition perdue doit me mener vers une sombre vérité et je ne sais pas quoi faire. Cléo remarque mon trouble et me serre tendrement contre elle. Dois-je faire souffrir les personnes que j'aime pour que la vérité éclate ? Dois-je subir les conséquences de ma décision ? Tant de questions tourbillonnent dans mon esprit et me font un mal de chien.

La blonde repousse une mèche collant sur ma joue en me souriant faiblement.

― Tu es en droit de connaître certaines vérités aussi difficiles soient-elles.

― Elle m'a dit que cela aurait des conséquences. Certains secrets ne devraient pas être révélés au grand jour et je devrais davantage me concentrer sur ma présentation devant les Anciens au lieu de me perdre dans des complots inexistants.

― Il est normal que tu éprouves de la peur à l'idée que tout ce que tu connais vole en éclats, mais il y a certainement une raison pour laquelle tu éprouves toutes ces craintes et voit les fantômes.

Je lève les yeux vers elle.

― Je t'entends me répéter à quel point tu veux changer les choses et si c'était l'occasion ? Imagine une seconde que cette mystérieuse quête de la composition perdue est en réalité un moyen de bousculer les habitudes de ta famille et de révéler les sombres secrets enterrés ? S'il y a bien une personne capable de le faire, c'est bien toi, Aza.

― Et si tout le monde me tourne le dos ?

Je ne supporterais pas de perdre l'amour de ma famille et surtout de ma sœur. Nous nous sommes peut-être éloignées ces derniers temps cependant son amour compte plus que tout. Mes mains tremblent, je peux même sentir les battements de mon cœur s'accélérer dans ma poitrine. J'ai l'impression de mourir de l'intérieur, c'est un sentiment indescriptible. Cléo plonge son regard dans le mien puis parle d'une voix douce.

― Peu importe ce qui se passera, je serai toujours présente pour toi.

― Tu le promets ?

― Je le jure, Azaléa.

***

― Est-ce que ça va mieux ?

La porte de ma chambre s'ouvre doucement sur ma jumelle. Elle tient une petite assiette dans laquelle se trouve le repas du soir. Je ne suis pas fière de sauter les repas en famille, mais affronter le regard de ceux que j'aime est au-dessus de mes forces. Ayla entre dans ma chambre puis dépose l'assiette encore chaude sur ma table de chevet.

― J'ai pensé que tu aurais un peu faim malgré ta douleur au ventre.

― Merci c'est gentil.

Ma sœur m'observe quelques secondes avant de prendre la parole.

― Est-ce que tout va bien ?

― Une fatigue passagère ne t'inquiète pas pour moi.

― Je pourrais demander à papa et maman d'annuler le bal pour notre anniversaire. Tu aurais le temps nécessaire pour te reposer et ne pas te prendre la tête.

Il est vrai que je ne suis pas vraiment d'humeur pour faire la fête en compagnie de notre famille et nos amis, mais je ne veux pas priver ma sœur de cette occasion spéciale. Elle a passé des mois à choisir une robe et des accessoires pour notre soirée d'anniversaire. Je tiens absolument à ce qu'elle passe un bon moment.

― Est-ce que tu veux parler de ce qui te tracasse ?

― Dans quelle langue dois-je te dire que tout va bien ? Tu devrais aller dormir pour être en forme demain.

Je suis la première surprise par ma façon de lui répondre, mais c'est plus facile de la repousser au lieu de répondre à ses interrogations. Un jour, elle comprendra les raisons de mon silence et me pardonnera. Ayla n'abandonne cependant pas cette séance d'interrogation puis s'installe à côté de moi.

― Aza... qu'est-ce qui se passe exactement ?

― Je suis juste fatiguée.

Je m'allonge dans mon lit en lui tournant le dos pour ne pas croiser son regard. Ayla est plutôt douée pour déceler les mensonges surtout lorsque c'est les miens. J'enfonce ma tête sous le coussin en réprimant des larmes.

― J'aimerais avoir la capacité d'entrer dans ta tête pour déceler ce qui te tracasse.

― Ne t'inquiète pas, ça va.

Ayla ne s'attarde pas davantage à mon grand soulagement. Elle quitte la chambre sans poser davantage de questions puis me laisse seule. Je me redresse et me force à manger quelques bouchées du repas de ce soir. Ce soir je dois prendre une grande décision susceptible de changer toute mon existence.

15.05.2024

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