8 - Le jeu a commencé


Tout le monde était déjà présent au réfectoire lorsque nous arrivâmes. Jean se rongeait les ongles dans un coin de la cuisine en gémissant que nous allions tous mourir. Ben demeurait étrangement silencieux. Les autres se trouvaient dans le même état ; ils avaient déjà empilés les enveloppes sur la table. Je m'apprêtai à parler mais un visage me surpris au plus haut point. Atlan. Le brun me toisa un instant avant de détourner le regard. Pourquoi... pourquoi était-il venu ? La réponse ne tarda pas à arriver.

- Que tout soit clair. Je n'ai pas décidé de me plier à votre réunion matinale débile. Mais l'autre blonde ( il désigna Kitty ) m'a forcé à être là.

Ses explications ne me satisfaisaient qu'à moitié. Kitty l'avait sûrement supplié de se déplacer, mais il aurait très bien pu l'ignorer. Atlan était peut-être plus concerné que ce qu'il laissait paraître par les « motivations » d'Hologramme...
Il y eut un grand silence durant lequel tout le monde fixait le tas d'enveloppes. Mon cerveau carburait à toute allure. Qu'est ce qu'elles pouvaient contenir ? Hologramme avait parlé de motivation. Quelque chose qui nous pousserait à vouloir sortir, et donc, commettre un meurtre ? Vu l'épaisseur de ces enveloppes... ça ne pouvait s'agir que des photographies. Je penchais pour des clichés de nos « proches », ceux-là même que nous avions oubliés. Ou plus simplement quelqu'un à qui nous tenions. Mais impossible de confirmer ma théorie sans ouvrir lesdites enveloppes. 

- Bon, on les ouvre ou pas ? s'enquit Emi.

- Leeloo pense qu'il ne faut pas, fit notre camarade musclée. 

Kitty s'avança. Elle avait repris ce regard déterminé, ce regard qui me chuchotait, au fond de moi, que tout irait bien. Kitty pouvait me redonner confiance sans même le vouloir. 

- Evidemment que nous n'allons pas les ouvrir ! C'est un piège d'Hologramme ! Regarder à l'intérieur de ces enveloppes, c'est jouer le jeu de ce monstre !

- Mais comment savoir ? dit Jack d'une petite voix. Est-ce qu'on est vraiment certains qu'il s'agit d'un piège ?

- Non mais vous êtes tous aussi cons que Thomas, ou quoi ? 

Bianca s'était levée de sa chaise et croisa les bras en dessous de sa poitrine disproportionnée. Elle nous regarda tous, un par un. La blonde saisit une enveloppe par le coin et l'agita devant le visage de Jack. Ce dernier, effrayé, baissa les yeux. 

- La planche à pain a raison ! continua Bianca en montrant Kitty. Si ces trucs viennent de ce connard d'hologramme, c'est forcément de la merde !


Personne n'osa parler après l'intervention de la blonde plantureuse. Je brûlais de curiosité, mais elle avait raison.

- Dans ce cas, il faut faire en sorte que personne ne puisse les ouvrir, fit Rufus. On ne pourrait pas les cacher ?

Capucine sortit de sa torpeur et posa sur le colosse un regard noir avant de parler.

- Abruti. Les cacher implique qu'au moins une personne connaisse la planque. On ne pourra pas être sûrs à cent pour cent que personne ne les prend. Non... on devrait les déchirer et répartir les morceaux. Ou les brûler. 

Atlan esquissa un sourire moqueur. Sans un mot, il sortit son briquet de sa poche et le lança vers la brune. Capucine l'attrapa au vol et questionna l'assemblée du regard. Tout le monde acquiesça plus ou moins. Oui, la plus sage décision était de détruire les enveloppes.
La jeune fille approcha la flamme du tas. Je retins mon souffle. Comment être sûrs que nous ne faisions pas une erreur ? Je me mordis l'intérieur de la joue, me retenant d'arrêter Capucine. Atlan remarqua mon hésitation et me fixa jusqu'à ce que les premières enveloppes commencent à s'embraser.


Le tas se transforma vite en un grand feu. Le papier brûlait comme du petit bois, et le haut du tas fut réduit à l'état de cendres en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Et nous restions muets, impuissants devant ce spectacle. Plus de regrets à avoir, à présent. Les enveloppes étaient parties en fumée. Kitty se serra contre moi lorsque les flammes s'estompèrent pour finalement disparaître, n'ayant plus de matière à consumer.

- Nous avons bien fait, sourit-elle. Hologramme ne nous auras pas ; nous ne nous entre-tuerons pas !

- Haha ! C'était pas si compliqué qu'de détruire les plans de l'hologramme, s'esclaffa Ben. 

A cet instant, Atlan disparut de mon champ de vision. Il bondit sur le métisse à une vitesse folle et le toisa, bien qu'il soit plus petit. Ben eut un hoquet de surprise et recula vivement. 

- Vous êtes bien naïfs... 

L'Atlan de l'autre soir réapparaissait. Qui sait s'il gardait son couteau sur lui. En tout cas, il avait conservé son sourire narquois, qui réapparut en un clin d'œil sur son visage. 

- J'ai regardé le contenu de mon enveloppe avant de venir. 

- Quoi ? s'étrangla Kitty. Mais tu m'as dit que...

Le brun récupéra son briquet, et glissa une cigarette entre ses lèvres. 

- Et alors ? J'ai menti. Tu m'as cru si facilement... ( il se dirigea vers la sortie, et nous lança au dernier moment : ) Si j'ai ouvert mon enveloppe avant de venir, quelqu'un d'autre l'a peut-être fait.


Après la bombe qu'avait lâchée Atlan, nous arborions tous des visages décomposés. En une phrase, une seule, la bonne humeur s'était craquelée. J'avais surpris certains de mes camarades s'entre-suspecter du regard. Le but d'Atlan n'était au final que de nous diviser. Voilà pourquoi il s'était déplacé. Il voulait nous monter les uns contre les autres ; et j'aurais dû m'en rendre compte dès notre conversation dans le jardin. Et ce quelqu'un qu'il n'avait de cesse de mentionner, était-ce toujours la même personne à laquelle il faisait allusion ?

- Ne t'en fais pas pour ça, Caleb. Il ment, c'est sûr. Personne n'est assez tordu pour avoir regardé le contenu de son enveloppe. 

La voix de Kitty me tira de mes pensées. Elle se forçait à faire bonne figure, un dvd dans les mains. Nous étions seuls dans la salle multimédia, au rez-de-chaussée. Et elle qui voulait préserver l'unité... tout le monde s'était séparé suite aux paroles d'Atlan ; chacun vaquant à son occupation favorite. Sans doute pour ne pas se torturer l'esprit à douter de son voisin. J'avais bien proposé à Jack et Ben de venir regarder quelque chose avec nous, mais l'un préférait bouquiner tandis que l'autre n'aspirait qu'à effectuer quelques dribbles. D'ailleurs, le bruit étouffé des ballons qui rebondissaient nous parvenait en écho. Le savoir proche me rassurait un peu, mais impossible de savoir pourquoi.


Nous ne nous étions pas longtemps pris la tête sur le film à regarder ; la première boîte à la couverture sympathique avait eu grâce de Kitty. Elle lança le film et vint s'asseoir à mes côtés. Son parfum tirant sur la vanille m'aida à calmer ma réflexion.
Je ne regardais pas vraiment le film. Mon cerveau demeurait encore trop préoccupé par l'attitude d'Atlan. Quant à mes yeux, ils étaient immanquablement attirés vers la jeune fille. Elle n'avait rien dit depuis un petit moment. Se pourrait-il... Non, Kitty ne me suspectait tout de même pas ?

- Je voudrai... entama-t-elle. Que tu me promettes quelque chose. 

Tout ce que tu veux, avais-je envie de lui hurler. 

- Dis-moi que tu n'as pas ouvert ton enveloppe. 

Je lâchai une expiration, témoin de mon stress. J'esquissai un sourire, et, au prix d'un gros effort, réussit à saisir la main de Kitty. Aussitôt, mes joues se mirent à cuire. 

- Je te le jure, Kitty. 

Elle eut une expression définitivement soulagée, et replia ses doigts sur ma paume. Elle se décala pour me faire face, plantant son regard doré dans le mien. Mon ventre commença à papillonner. Qu'est ce qu'elle était belle...

- Alors je te fais confiance. Je n'ai jamais douté de toi, mais...

...Mais Atlan avait troublé tout le monde. Je la comprenais. Pour moi aussi, ne pas me questionner sur tout le monde constituait un effort immense.
Je lui souris. Kitty m'apportait tellement, depuis ces trois jours. Elle éclipsait toutes mes pensées négatives. La fatigue, aussi. A ses côtés, je me sentais presque fort. La blonde posa sa tête sur mon épaule ; mes joues n'avaient jamais été aussi brûlantes.


- Tu penses que quelqu'un a menti ?

- A part Atlan ? Non. Enfin...

Sa main se resserra sur la mienne. Elle était préoccupée. J'allais parler lorsque Kitty se redressa. Ses boucles blondes encadraient son visage rosi par les émotions. Des larmes perlaient aux coins de ses yeux. Elle me saisit l'autre main et les plaqua contre son cœur. Je pouvais le sentir battre sous ma paume. Avec ce geste, j'avais l'impression qu'elle me partageait une part d'elle-même. 

- Je veux croire en tout le monde, Caleb. Vraiment. Et chaque jour, chaque nuit, je me persuade que nous allons sortir d'ici... ensemble. C'est mon espoir. Comme une petite flamme que je tiendrais au creux de mes mains. Elle est si faible, si fragile... mais elle se bat. Chaque jour elle vacille, et j'ai peur qu'elle ne s'éteigne. Mais toi, Caleb, tu... tu la... tu la ravives. 

Les larmes creusèrent deux sillons sur ses joues colorées. Kitty pleurait, pour la première fois depuis notre arrivée. Ses efforts, tout ce qu'elle donnait pour préserver le groupe, pour nous insuffler de l'espoir... depuis trois jours, elle ne s'était jamais plainte. Elle avait supporté les caractères de chacun, et fait son possible pour nous rassembler.
Et moi... j'étais resté à me poster des questions comme un abruti, à inventer des scénarios catastrophe tandis que Kitty agissait. L'image du regard qu'elle m'avait lancé juste après mon réveil, quand je m'étais caché sous la table. Cette fois j'en avais la certitude. Jamais je n'avais connu quelqu'un d'aussi compréhensif. D'aussi altruiste. Kitty pensait au bonheur des autres avant le sien.
Je pris une grande inspiration. Je voulais lui prouver que pour une fois, j'étais là pour elle.
Je la pris dans mes bras et la serrai de toutes mes forces. Elle eut un hoquet de surprise mais finit par agripper ma chemise.


Ses sanglots couvrirent le son du film. Je caressai ses cheveux, et me rendis compte que mes propres joues demeuraient trempées.

- Je te protégerai, Kitty. Quoi qu'il arrive. Tu as ma parole. 

Elle renifla encore, tentant sans succès de calmer sa respiration. 

- M-merci, Caleb... Merci d'être mon espoir. 

- Merci d'être le mien, soufflai-je.

Nous prolongeâmes notre étreinte un moment, trop court à mon goût. Une vie toute entière à sentir le parfum de Kitty, la chaleur de son corps contre le mien... ce n'était même pas assez.
La jeune fille s'essuya les yeux du revers de la manche et replaça quelques unes de ses boucles.
Sans son contact, je me sentis soudain frissonner. Le manque de sommeil me revenait comme une claque en pleine tête. La blonde passa sa main dans mes cheveux et m'offrit un sourire doux dont elle avait le secret. 

- Repose-toi, chuchota la blonde. Tout va bien se passer. Tant que nous gardons espoir, tout ne peut que bien se passer. 

Je me blottis contre sa paume, savourant de nouveau cette sensation de chaleur. Je fermai les yeux, et Kitty me guida vers le dossier du canapé. Elle baissa le son du film que nous n'avions absolument pas suivi. Un semi-silence s'installa, altéré par les dribbles fréquents, et je commençai à glisser vers les limbes du sommeil. Kitty laissa vagabonder le bout de ses doigts sur mon crâne. C'était la sensation la plus délicieuse que j'avais jamais éprouvé.
Lorsque je fus quasiment endormi, le contact se rompit et la jeune fille murmura à mon oreille :

- Je vais aux toilettes, histoire de me rafraîchir le visage. 

J'ouvris un œil. Je voulais qu'elle reste à côté de moi. Sa présence m'apaisait tant...

- Je reviens vite, me rassura-t-elle. Promis.


Je me réveillai quelques minutes après que Kitty ne soit partie. Son absence laissait un grand vide dans la salle, mais surtout, dans mon cœur. Les dribbles de Ben résonnaient encore en coups éthérés.
Désorienté et un peu gauche, je titubai jusqu'au couloir. Kitty m'en voudrait sûrement de m'être levé ainsi, mais qu'importait. A peine avais-je passé la porte qu'un visage familier m'apparut. Jack marchait dans ma direction. A voir sa tignasse blonde et ses grands yeux bleus, je me rappelai de ma promesse. J'allai définitivement le protéger, lui et Kitty. Le blondinet paraissait enfin détendu, par rapport à ses débuts. Les livres qu'il semblait tant apprécier lui avaient redonné le sourire. J'étais heureux de le voir comme ça. 

- Qu'est ce que tu fais ? me questionna-t-il une fois arrivé à mon niveau.

- Kitty est partie aux toilettes. J'allais simplement... l'attendre. 

Il eut un rire clair. Tournant les talons pour marcher à mes côtés, il répondit :

- Je viens avec toi, alors. J'ai finalement envie de regarder un film avec vous... l'offre tient toujours ?

- Evidemment ! m'exclamai-je. 

Je lui ébouriffai les cheveux. Kitty serait si heureuse de passer du temps avec Jack ! Peut-être que nous pourrions convaincre Ben de se joindre à nous pour le deuxième film. Et même s'il préférait le basket, le simple fait de discuter avec lui me ferait plaisir.
En l'espace d'à peine une heure, Kitty avait ravivé un espoir caché au fond de moi. Je me sentais enfin capable d'agir pour la cohésion du groupe ; oui, j'allais tout mettre en œuvre pour que tout le monde vive en harmonie, jusqu'à sortir d'ici ! Et même une fois dehors, je ferai tout mon possible pour me lier d'amitié avec toutes ces personnes que je n'avais pas encore eu l'occasion de bien connaître.
Un grand sourire vint redresser mes traits.
Kitty était mon espoir.


J'ouvris la porte des toilettes, Jack sur mes talons.
D'abord, le déni. Mon regard vacillant refusait de se poser ; de voir une vérité aussi atroce que douloureuse. Tous mes membres se mirent à trembler par convulsions. Mon cœur cessa de battre un instant. La flamme, ma flamme, celle qui portait en elle mon espoir nouveau, fut soufflée sans que je ne comprenne. Je tombai à genoux, suffoquant. 

Le sang écarlate avait formé une auréole autour de sa tête ; une auréole pour l'ange qu'elle représentait. Ses yeux noisette demeuraient grands ouverts, comme si elle avait voulu voir l'espoir jusqu'à son dernier souffle.
Je ne me rendis pas compte tout de suite que j'étais en train de hurler. Ma vision se brouilla, immergée d'un torrent de larmes brûlantes. Elles coulèrent à flot, trempant mes joues et ma chemise, mais je m'en foutais. Je voulais être en train de rêver. Me réveiller, voir son visage angélique, son sourire doux, son regard qui avait le don de me calmer.
Et je la haïssais d'avoir cru. Je la détestais d'avoir pensé que nous serions en sécurité.
Mais je l'aimais. Je l'aimais, et jamais, jamais je n'aurais de nouveau l'opportunité de sentir sa chaleur, humer son parfum, raviver sa flamme.


Elle gisait là, sans vie.

Kitty...


[Reste : 15]


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