5 - Le manoir
- Qu'est ce que c'est grand ! s'exclama Emi.
La rouquine tapa des mains et, semblant avoir oublié le discours d'Hologramme, se mit à courir.
- Emi, attends, c'est peut-être dangereux !
Leeloo se lança à sa poursuite, bientôt suivie du reste de leur équipe. Rufus grogna avant de piquer un sprint et Capucine nous lança un regard noir puis s'éloigna.
- Bon, il faut que j'rattrape mon équipe, me dit Ben. A plus !
Sur ces mots, le métisse hurla une phrase comme « Eh ! Attendez-moi, bande de tarés ! » et partit en courant.
Je reportai mon attention sur ce qui nous entourait. Dans le ciel bleu, un beau soleil m'éblouit presque. La zone, comme Hologramme l'avait appelée, s'étendait sur une distance conséquente avant que l'horizon ne devienne blanc. On aurait dit une sorte de brume épaisse qui formait un cercle autour de nous. Et moi qui m'imaginais une ville des horreurs, poussiéreuse et sombre... l'herbe grasse et luisante semblait se moquer de moi, à présent. La zone était... plutôt apaisante, tout compte fait. J'inspirai une grande goulée d'air, frais, de surcroît. Je me sentais assez bien.
- Oh, regardez ! s'exclama Charlotte.
Charlie pointait avec sa marionnette une immense bâtisse à notre gauche. A mi chemin entre le château et les préfabriqués, elle ressemblait à un curieux manoir. La seule chose qui me vint à l'esprit en voyant cela fut sans doute : alors nous sommes vraiment censés vivre ici ? J'expirai doucement pour calmer le flux de mes pensées.
- J'imagine que le groupe d'Emi va faire un tour dans le jardin, dit Yukie en étouffant un bâillement. On n'a qu'à tous aller dans le manoir. Même à dix, on aura du mal à en faire le tour avant la nuit.
J'hochai la tête tandis que nous nous mettions en route. Un joli chemin dallé serpentait de la salle de conférence, finalement bien étriquée en comparaison au reste, jusqu'au manoir. Qui sait quelles surprises il nous réservait.
J'étais toujours partagé entre la peur et l'excitation. Malgré tout ce que j'avais pu m'imaginer, les lieux paraissaient magnifiques ; un vrai endroit pour vivre paisiblement. Mais les paroles d'Hologramme ne cessaient de résonner dans mon esprit. « Si vous voulez sortir d'ici, il vous suffit de commettre un meurtre »... Quel adolescent ne pouvait qu'imaginer tuer un de ses camarades ? Aucun. Nous n'étions pas des psychopathes. Pourtant, comme pour me donner tort, l'image de Jean, son regard exorbité, la douleur de son bras m'étranglant ; tout me revint en tête. Etait-il vraiment capable d'envisager un assassinat ? Qui d'autre, encore, pourrait être assez désespéré pour réfléchir à cette possibilité ? Atlan ? Non. Sous son caractère glacial, je le voyais quand même mal devenir un criminel ; il semblait aussi hautain que rationnel. Capucine, peut-être. Rufus, ou Bianca... Mais qu'est ce que j'étais en train de penser ?
Je m'arrêtai une seconde pour me hurler dessus mentalement. Hologramme mentait, il voulait juste semer le trouble entre nous. Et j'étais... en train de totalement tomber dans son piège. Je commençais à douter des autres sans plus de raisons que ma propre intuition. Quel abruti je faisais...
- Caleb, ça va ?
Kitty et Jack me fixaient, inquiets. Je les rassurai avant de repartir.
- Tout va bien. Le soleil m'a juste ébloui.
Je leur fis un sourire franc pour les rassurer. A les voir tous les deux, j'avais encore moins de raisons de me questionner. Kitty, son visage doux et son caractère altruiste, et Jack, ce gamin innocent.
Une promesse à moi-même naquit dans mon esprit. Même sans les connaître, je me jurai de les protéger jusqu'au bout, peut importe ce qu'il m'en couterait.
L'intérieur du manoir demeurait semblable à l'extérieur : immense. Un grand couloir se scindait en trois parties et nous faisait face. Nous nous séparâmes pour effectuer un rapide tour du rez-de-chaussée. A gauche du couloir, un grand réfectoire rattaché à une chambre froide. Le tout débordant de nourriture. Ceux qui nous avaient enfermés souhaitent vraiment que nous restions ici pour l'éternité ?
Chacun se saisit d'un fruit, d'un biscuit sec, ou quelqu'autre denrée comestible. Mon estomac se mit à grogner pour me rappeler à quel point j'avais faim. Combien de temps étions-nous restés inertes ? Plus d'une journée, c'était certain. Une pomme dans la main, j'étais prêt à continuer notre exploration.
A droite du couloir, ensuite, venaient les chambres. Il y en avait seize, exactement, et elles s'alignaient dans la continuité. Nos noms apparaissaient en lettres rouges sur les portes. Je cherchai le mien et finit par trouver ma chambre, entre celles de Ben et d'Atlan. Du moins... à priori. Le brun n'aurait même pas l'occasion de se souvenir de son prénom, et pour cause. Trois points d'interrogations sur sa porte semblaient se moquer de nous, là où nous avions chacun notre nominatif.
- On a une chambre chacun... génial, fit Yukie.
Elle se frotta les yeux. Impossible de savoir si elle était heureuse, épuisée, ou les deux en même temps.
- J'en connais qui vont passer beaucoup de temps dans la leur ! s'esclaffa Bianca en faisant voltiger ses cheveux blond platine. En même temps, je vous comprends ; j'aurais aussi les hormones en feu si une beauté comme moi se trouvait dans les environs !
Thomas rit plus que raison à sa blague. Voyant la plupart des gens mal à l'aise, nous prîmes la décision de laisser les chambres de côté pour finir l'exploration.
Le dernier morceau de couloir, en face de la porte, n'était composé que d'escaliers. L'un descendait, contrairement à l'autre. Alors que les autres discutaient pour se répartir les recherches, mon œil fut attiré par une grille au sol. Carrée, elle ressemblait à une grande bouche d'aération.
- Tu as trouvé quelque chose d'intéressant ?
La voix de Flora me surprit ; je n'avais pas vraiment entendu la jeune fille depuis notre réveil.
- Non, juste cet espèce de conduit d'aération.
- Ah, oui, j'imagine que c'est pour ventiler le sous-sol.
Elle me sourit. Sa frange droite et ses tresses lui donnaient un air enfantin, mais sa voix et ses yeux verts paraissaient déjà adultes. Toutefois, je notai qu'elle se tenait à nouveau droite, les mains jointes et ramenées sur son ventre. Quelqu'un de poli, en somme. Je lui rendis son sourire. Plus nous avancions, et plus j'avais envie d'apprendre à connaître mes camarades.
- Caleb, tu viens ? On va au sous-sol !
Je me retins de dire à Kitty que je préférais aller dans les étages. Ils avaient tous l'air impatients de descendre alors je les suivis sans me plaindre.
Plus nous descendions l'escalier, et plus je regrettai de ne pas avoir émis le souhait de monter. Je ne me souvenais pas souffrir de claustrophobie, mais forcé de constater que mon malaise s'intensifiait à chaque marche. La remarque de Charlie, enfin, de Charles, n'arrangea absolument rien.
- Les sous-sols... c'est un endroit parfait pour tuer quelqu'un, chantonna la marionnette avec toujours la même voix grave.
Yukie pila net, tandis que Jack émit un gémissement apeuré. Nos regards convergèrent vers le ventriloque. Iel me perturbait toujours autant ; mes yeux jonglaient de la marionnette à son visage enseveli sous ses cheveux. Qui étais-je censé regarder ? Forcé de constater que ses chatons en peluche paraissaient plus vivants.
- Qu'est ce que tu racontes ? dit Kitty. Pourquoi parler de meurtre ? Cet hologramme n'était qu'un moyen de nous effrayer. Ces règles, c'est du grand n'importe quoi !
- Peut-être, peut-être, mais es-tu sûre que personne ne les a prises au sérieux ? répliqua Charlotte.
J'avalai ma salive. Des gouttes de sueur menaçaient de couler sur mes tempes. Je perdis le fil de la conversation pour forcer ma respiration à ralentir. Hors de question de faire une crise de panique maintenant ! Rien qu'à voir où ça avait mené notre camarade à lunettes...
Kitty garda le silence. Est-ce qu'elle réfléchissait à une réplique cinglante ? Non, j'en doutais. Se pourrait-il... ? Il semblait que la blonde pensait à la même chose que moi dans le jardin : qui avait le profil d'un futur assassin. Notre situation, l'amnésie, Hologramme et ses règles sans queue ni tête... nous étions tous en droit de nous questionner. Mais Charlie... iel l'avait annoncé si crument, avec un tel sérieux... Jamais je n'aurais pensé me méfier autant d'une marionnette chaton.
Plus personne ne dit mot, et, enfin, nous arrivâmes dans un nouveau couloir, néanmoins beaucoup plus étroit que celui d'en haut. Seules trois pièces s'alignaient face à nous. La première ne constituait que de simples toilettes mixtes. La pièce était assez grande pour accueillir un lavabo, et trois cuvettes. Plutôt mourir que d'aller pisser ici. J'espérai de tout cœur que nous chambres soient équipées de salles de bains.
Les deux autres salles s'avéraient bien plus intéressantes. La porte du milieu nous ouvrit la voie vers une grande salle de jeux. Bornes d'arcanes, grand écran et nombreux films... ici était le paradis du multimédia et rétro-gaming. Yukie déplora tout de même l'absence d'ordinateurs. Evidemment ; avec une connexion internet, nous aurions facilement pu joindre nos proches. Ou du moins... le monde extérieur.
La troisième salle scella mes doutes. Le manoir avait bien été construit dans le but d'y passer un long moment.
- Un terrain de basket ? s'exclama Jack lorsque j'ouvris la porte.
- C'est... immense, commenta Yukie d'une voix plate.
- Charlie n'aime pas faire du sport, grogna Charlotte.
Je fis le tour de la salle sans plus les écouter, Jack sur mes talons. Cette salle, par sa taille, me fascinait. Qui avait bien pu construire un tel bâtiment ? Je soulevai un à un les ballons orangés ; nous les avions trouvés dans un petit débarras attenant. Tous avaient un point commun : aucune égratignure, aucune marque d'usure n'abîmait leur caoutchouc. Personne ne semblait avoir vécu ici... avant nous, évidemment. Cette constatation paraissait de plus en plus troublante. Mon cerveau se remit tout seul en marche, élaborant mille et une théories. Mais elles aboutissaient à la même conclusion désespérante ; sans plus de souvenirs, impossible de se figurer un contexte spatiotemporel, et donc, situer la zone.
Le ballon glissa tout seul de mes mains et rebondit plusieurs fois sur le parquet. Le bruit me parut vacarme assourdissant et me fit immédiatement sursauter. Jack, discret mais toujours derrière moi, hésita un instant avant de poser sa main sur mon avant-bras.
- Kitty a raison. On va sortir d'ici dans peu de temps, et on deviendra tous amis.
Sa voix frémissait, cependant l'adolescent paraissait enfin convaincu que nous - je - ne lui voulions aucun mal. Et même si ses joues demeuraient toujours rougies par les sillons de ses larmes, il gardait la tête haute. Ce « nouveau Jack » me réchauffa le cœur. Mais une certaine honte ne tarda pas à ressurgir. D'abord Kitty, maintenant Jack... je ne devais plus laisser paraître de signes de faiblesse ; je voulais les protéger avant tout.
- Ah, Caleb ! retentit la voix de Ben.
Le métisse rentra dans le débarras en baissant la tête pour ne pas se cogner à l'encadrement de la porte. Son allure presque dégingandée paraissait à présent flagrante ; et ma chemise simple faisait pâle figure face à son style vestimentaire unique. Ben arborait également un large sourire, communicatif de surcroît, puisque je surpris mon camarade blond à laisser paraître un visage soulagé.
- Dites... repris le métisse, d'un ton plus sérieux cette fois. J'ai aucun souvenir à part mon prénom, vous non plus, mais en voyant ce terrain de basket... j'sais pas, c'est comme si une partie de moi savait que j'étais fait pour ce sport.
En même temps, vu sa grande taille, le basket-ball semblait plus qu'approprié. Cependant, la déclaration de Ben constituait un point important conte tenu de nos recherches pour sortir d'ici. Chaque détail pouvait s'avérer crucial. Ainsi, on avait sûrement construit cette salle parce que d'une manière ou d'une autre, Ben demeurait relié à ce sport.
Une pointe de jalousie inattendue vint me titiller la poitrine. Malgré moi, je ne pouvais qu'espérer trouver à mon tour une pièce de ce genre qui m'en apprendrait plus sur ce que j'avais oublié de moi.
- Enfin, bref, on a terminé le tour du jardin. C'est... vachement grand. En rentrant dans le manoir, j'ai croisé la troisième équipe qui descendait les escaliers.
Jack et moi échangeâmes un regard, impatients de savoir ce qu'il se trouvait dans les étages.
- Il y a trois étages en tout. Plus le sous-sol, du coup. Ils n'ont pas tout visité en détail, mais certaines pièces sont fermées à clé.
- Fermées à clé ? Comment ça ? l'interrogeai-je.
- Ils ont essayé d'ouvrir, mais pas moyen. Bianca à demandé - ordonné - à Rufus et Leeloo de défoncer les portes, mais Hologramme est apparu et nous a formellement interdit d'y toucher. ( il sembla réfléchir à la suite ) J'suis pas du genre peureux, hein, mais faut avouer qu'il est vachement flippant. Alors on n'a pas cherché à les forcer.
Ces salles fermées rajoutaient une énigme de plus à la longue liste mentale que j'avais dressée. En tête, caracolaient notre amnésie et l'identité de l'instigateur. Selon moi, il y avait obligatoirement, quelque part, une personne à l'origine de notre kidnapping. Et puis, l'hologramme ne pouvait qu'être une programmation effectuée par un être humain. Je me convaincs de garder ces hypothèses pour moi tant que je n'aurais pas assez de preuves pour les justifier et les valider.
Nous prîmes la décision de rejoindre les autres qui attendaient au rez-de-chaussée. Flora et Mary m'apprirent qu'outre les pièces verrouillées se trouvaient une salle de musculation, une salle de travaux pratiques, ainsi que d'autres activités. Je retins un soupir. Toutes ces installations, ce manoir, cette zone... c'était idyllique. Presque irréel.
Lorsque nous fûmes regroupés, Capucine, qui était finalement restée avec son groupe, planta son regard perçant dans le mien. A mille lieues de l'enthousiasme de Ben, la jeune fille croisait les bras d'un air grave.
- Au fait, dit-elle, pas trace d'Atlan. Cet abruti fait définitivement bande à part.
[Reste : 16]
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