48 - Descente aux enfers
Jack était ma cible. Je me jetai sur lui en hurlant. La colère me submergeait. Mon esprit ne parvenait pas à passer outre mes émotions. Le blond ne cilla pas. Il connaissait mes intentions, pourtant, il attendait sans bouger, son regard limpide braqué sur moi. J'allais le tuer. Le mettre en pièce. Lui conférer une agonie bien pire que celle qu'il avait infligé à Atlan. Le faire souffrir pour tout ce qu'il avait fait. Pour Atlan. Pour Kitty, Flora, et tous les autres.
Une poigne de fer me saisit par les épaules. Les acouphènes m'empêchaient d'entendre les voix. Seule ma vision brouillée distinguait la silhouette de Jack. Je me débattis de toutes mes forces. Personne ne m'en empêcherait. Personne.
Je me sentis fauché aux chevilles et mon visage rencontra le sol en un instant. La douleur cuisante qui me saisit me fit revenir à la réalité. Un filet poisseux goutta dans ma bouche et sur mon menton ; je m'étais ouvert la lèvre en cognant par terre.
- Caleb, arrête ! Ne fais pas des choses que tu pourrais regretter...
La voix et les mains qui me maintenaient au sol appartenaient à Ben. Le métis m'avait stoppé à peine à un mètre du blond. Une seconde de plus et j'aurais été sur Jack. Je tentai de me relever, mais le basketteur était bien plus fort. Mes ongles se plantèrent dans le sol. Ma respiration lourde envahissait toute la salle. Je pleurais et riais en même temps.
Je crachai du sang et tendit ma main vers le blond, dans une vaine tentative de le frapper. Ben entravait sans mal tous mes mouvements. Le silence régnait ; tous mes camarades me fixaient désormais, qui effrayé, qui surpris. Capucine fixa le sol en serrant les poings. Yukie se mordit la lèvre, les yeux emplis de larmes. J'avais l'impression de ne plus les reconnaître, ceux qui m'avaient soutenu jusqu'ici. Ben, Bianca, Yukie, Capucine... Ils avaient tous été mes amis. Désormais, je ne voyais plus en eux que des obstacles se dressant devant mon but.
Je tentai à nouveau de me redresser, en vain. Mes mains tremblaient. Voir le visage du blond au-dessus de moi me donnait des envies de meurtre. La haine coulait dans mes veines, aussi brûlante que de la lave.
- Lâche-moi ! Lâche-moi... Lâche... moi...
Jack esquissa un rictus nerveux. Il passa la main dans ses boucles blondes, et jeta à l'assemblée un regard circulaire, empreint d'une fausse malice.
- Vas-y, Benoît, lâche-le. S'il me tue ici vous n'aurez pas de mal à trouver le coupable.
Sa voix sonnait faux. Il semblait penser tout le contraire de ses paroles. Pourtant, il restait là, immobile. Jack savait que si Ben me lâchait, je l'aurais tué.
- Ta gueule... Jack est... le coupable. Hologramme, je... je vote pour Jack...
Mes forces m'abandonnaient. Plus je tentais de me relever, plus la poigne du métis semblait se refermer sur moi. Mes hurlements s'étaient mus en murmures étouffés. Ma main était tendue vers le blond sans que je ne puisse l'atteindre. Mon poing se referma à nouveau dans le vide et se mit à trembler. Il se dédoubla, comme Jack, et mes acouphènes reprirent de plus belle. J'ouvris la bouche mais aucun son n'en sortit. Je me sentais tellement impuissant face au verdict futur. Si mes camarades prenaient la mauvaise décision, nous serions tous exécutés... mis à part le coupable. Ma tête retomba contre le sol, mais j'avais toujours Jack dans mon champ de vision.
En une fraction de seconde, je distinguai la silhouette plantureuse de Bianca bondir sur Jack. La blonde l'attrapa par le col de sa chemise et le toisa. Ses yeux lançaient des éclairs et sa bouche maquillée demeurait crispée. Jack était sur la pointe des pieds, obligé d'incliner la tête vers l'arrière pour ne pas étouffer, pourtant, après une seconde de surprise, il soutint le regard de son adversaire avec toujours le même rictus.
- Qu'est ce qui nous prouve que tu nous baratines pas des conneries ? cracha la jeune fille.
- Absolument rien, répondit Jack en haussant les épaules. Je vous l'ai dit, c'est ma parole contre celle d'Atlanou. Caleb a déjà choisi son camp. Vous êtes libres de le suivre et de mourir avec lui, ou de m'écouter et vivre encore un peu dans cet endroit pourri.
Bianca serra les dents et resserra son emprise sur la chemise. Le blond déglutit et attrapa les poignets de la jeune fille. Son rictus forcé ne l'empêchait pas de blêmir. Il réalisait que je n'étais peut-être pas le seul à vouloir attenter à sa vie. Soudain, Bianca le relâcha avec un dédain non dissimulé. Jack porta les mains à sa gorge et prit une grande inspiration.
- Je te crois, déclara-t-elle d'un ton polaire. Mais si jamais on doit tous crever, je te retrouverais en Enfer et je te ferais bouffer ton putain de taser.
Le blond esquissa un sourire.
- Je savais que je pouvais compter sur toi et tes gros seins.
- Ne me fais pas changer d'avis, grogna la jeune fille.
C'était un cauchemar. Je sentais la situation m'échapper ; glisser entre mes doigts comme du sable sec. Bianca changeait de camp. Elle accusait Atlan. Comment pouvait-elle me faire ça ? Après toutes les recherches que nous avions effectuées ensemble ? J'avais pensé qu'elle me ferait confiance. Un goût amer envahit mon palais, et ce n'était pas dû au sang. Ils me trahissaient. Je ne m'étais jamais senti si vide. Je voulais leur hurler qu'ils prenaient la mauvaise décision, qu'ils allaient tous y passer. Mais mon esprit glissait vers l'inconscience. Ma tête tournait de plus belle ; elle avait peut-être heurté le sol plus fort que je ne l'avais ressenti. Dans quelques minutes, je ne pourrais que fermer les yeux et m'évanouir.
- Je... je suis désolée, fit la voix de Yukie. Atlan n'aurait jamais voulu tous nous tuer ! Il était froid et disant, mais... (elle me jeta un regard désespéré) C'est vraiment trop horrible. Jamais il n'aurait fait ça à Caleb... Alors, désolée. Je vote contre Jack.
L'intéressé blêmit. Bianca, restée à ses côtés, eut une moue désapprobatrice. Sa vie dépendait de notre choix. Elle voulut protester mais Jack tendit son bras devant elle pour l'en empêcher. Il semblait décidé à respecter le choix de chacun, malgré son angoisse croissante. Les poings serrés, la mâchoire crispée, il se tourna vers Ben. Le métis me maintenait toujours, mais son emprise se faisait moins présente. Choisis bien, je t'en prie...
Ses mains tremblèrent sur mes épaules. Je sentais le jeune homme en plein dilemme. Jack, Bianca et Yukie ne le lâchaient pas du regard. Voter pour l'un ou l'autre, c'était presque comme choisir ses alliés. Le manoir se divisait ; à l'issue de ce procès, si jamais nous étions encore en vie, la notion d'unité ne serait qu'un lointain souvenir. Ben ne pouvait pas se rallier à Jack. Il l'avait tant détesté par le passé... J'étais son ami, tout comme Yukie. Il devait nous faire confiance.
Le métis renifla. Il tenta de parler, mais un sanglot rauque le saisit. Il l'étouffa tant bien que mal, mais des larmes vinrent mouiller le dos de ma chemise. Ben pleurait comme un gosse en s'agrippant au tissu déjà trempé. Les filles baissèrent les yeux, mais Jack garda la tête haute, dépendant de la réponse que fournirait le métis.
- Hors de question, souffla-t-il. Vous pensez vraiment... que je vais prendre le risque de tous vous condamner ? Hologramme, je... je vote contre moi-même.
Nous eûmes une inspiration choquée. Deux votes contre Atlan, deux votes contre Jack. Et avec Ben qui refusait de voter, cela ne pouvait signifier qu'une seule chose...
Capucine eut un rire nerveux lorsque tous nos visages convergèrent dans sa direction. Elle savait que sa voix pouvait tout faire basculer. La brune recula d'un pas, elle-aussi en proie à une intense réflexion. Un sourire crispé habillait son visage blême. Elle se rassit à la table et plaça sa tête entre ses mains.
- Je vous déteste de me mettre dans une situation pareille, siffla-t-elle avec toujours un rictus.
Un nouveau vertige m'obligea à fermer les yeux. Le surplus d'émotions m'épuisait. La colère aurait raison de moi. La salle de conférence se brouilla. Les formes se distordaient, les sons assonaient. Quelques voix étouffées me parvinrent, puis un rire d'Hologramme en arrière-fond. Je sombrai.
*
Je me réveillai en sursaut, le souffle court. Les événements me revinrent. Les images affluaient dans mon esprit, si bien que je dus plaquer mes mains sur mes tempes pour taire un mal de crâne naissant. Mais une chose demeurait certaine : j'étais vivant. Ce qui ne pouvait signifier qu'une chose ; Capucine avait condamné le véritable coupable. Jack était-il mort ? Peut-être. Sans doute, même. J'avais perdu connaissance avant le verdict, laissant la jeune fille décider de notre sort avec son vote.
Je passai mes paumes sur mon visage en expirant. On m'avait transporté dans ma chambre. Sûrement une idée de Ben ; je pouvais m'imaginer le métis me soulevant sans peine.
Lorsque j'eus totalement repris conscience, un frisson glacé me rappela ma solitude. Atlan était mort. J'avais vu son cadavre sous le donjon en flammes. Peu importait les circonstances, le résultat était le même à chaque fois : Atlan ne serait jamais plus. Je ne sentirais plus jamais son odeur de tabac. Il ne poserait plus jamais son regard glacial sur quiconque le contredisait. Les larmes commencèrent à envahir mes yeux. Je me sentais faible, si faible. Et seul. Tellement seul. J'enfouis mon visage dans mes mains et commençai à pleurer. Mon corps se recroquevilla. Toutes les larmes que j'avais refoulées depuis sa mort arrivaient en même temps.
Je sanglotai longtemps. Quelques minutes ou quelques heures ; le temps était distordu derrière le rideau salé. Il fallait que je sorte. Je ne pouvais pas rester ici. Lentement, je me redressai et essuyai mes joues d'un revers de manche. Je devais au moins m'assurer que le coupable était mort.
Ma paume était étrangement moite au contact de la poignée. Mes doigts frémirent avant que je les referme sur cette dernière. Est-ce que c'était... de la nervosité ? Pourquoi mon corps semblait-il se préparer à un danger imminent ? C'était incohérent. Si je me tenais, en vie, devant cette porte, ça signifiait bien que le procès avait eu une issue favorable. Je soufflai pour calmer mon stress croissant.
La poignée refusa de s'abaisser. Une boule naquit au creux de mon estomac. Je retentai le mouvement. Une fois. Deux fois. Trois fois. Quelque chose bloquait la porte depuis l'extérieur.
Il ne me fallut pas longtemps pour commencer à m'acharner sur la poignée, la respiration sifflante, les entrailles sans dessus-dessous. Je secouais la porte, y donnais des coups de pieds, en vain. Les murs de la pièce semblèrent se rétrécir. Je me sentais claustrophobe. Enfermé dans ma propre chambre. Mes poings s'abattirent sur la porte. Un éclair de douleur traversa mes phalanges. Je glissai sur le sol en gémissant. Ma respiration se fit plus lourde. Plus rapide. Saccadée. Je ne parvenais pas à comprendre ce qu'il se passait.
Un crissement retentit et la poignée s'abaissa. Je sursautai et reculai. Mes pensées étaient toujours brouillonnes ; je peinais à distinguer le rêve de la réalité. Mon esprit flottait encore dans un entre-deux, un brouillard de sons et d'images dont je doutais encore de la véracité.
- Capucine ?
Mes épaules retombèrent à l'instant où je vis la jeune fille entrer dans la pièce. Son regard glacial m'électrisa quelques secondes. La brune semblait troublée. Elle déposa sur le bureau un sandwich, puis s'adossa contre le mur. Elle gardait ses distances.
- Ben et Yukie t'ont préparé ça, fit-elle. J'ai vérifié, tu peux le manger sans crainte.
A en croire son ton lourd en sous-entendus, elle faisait allusion au somnifère que j'avais ingurgité avant le meurtre. Je me mis debout pour faire face à Capucine. Sa voix était étrange. Presque en retenue. La jeune fille croisa les bras et détourna le regard. Je remarquai sa mâchoire crispée, encadrée par ses longs cheveux lâchés, sales et en bataille. Malgré sa façade, Capucine n'échappait pas aux griffes de la fatigue. Les cernes creusaient des fossés sous ses yeux sombres, et son teint cireux faisait ressortir nombreuses imperfections. La brune semblait toujours sur le qui-vive, au détriment de son apparence ; c'était sans doute une des raisons pour lesquelles elle s'entendait si mal avec Bianca, reine de la superficialité.
Une question s'imposa alors. J'avais distinctement entendu le bruit d'un objet, sans doute une chaise, crisser derrière la porte.
- Pourquoi vous m'avez enfermé ? soufflai-je.
- Tu as fait peur à tout le monde, répondit la brune en haussant les épaules.
Je me tus, attendant la suite de son discours. Son regard papillonna un instant ; elle cherchait à dire quelque chose, elle réfléchissait aux mots qu'elle allait employer. Mes poings se crispèrent. J'avais un mauvais pressentiment. Capucine avait par le passé prouvé sa franchise, elle n'hésitait jamais à dire la vérité, aussi tranchante soit-elle. Là, c'était différent. Ses lèvres formèrent une lettre, puis une autre. Elle soupira. Et puis, finalement :
- Atlan s'est bel et bien suicidé.
Mon souffla se coupa. Un poignard invisible s'enfonça dans mon dos. Si nous étions en vie, dans le manoir, et que la brune disait vrai...
- Tu... tu as voté contre lui ?
- Oui. Jack avait raison. On serait mort si on l'avait prit pour le coupable.
Un grand silence s'installa. Les derniers mots de Capucine résonnaient encore dans mon esprit. Elle les avait prononcés avec une telle neutralité que j'avais été incapable de répondre. Un frisson me mordit la colonne vertébrale. Jack, innocent ? Impossible. Il était coupable, toutes les preuves pointaient contre lui. Je ne pouvais me résoudre à l'idée qu'Atlan avait échafaudé un plan pour tous nous tuer. Il devait y avoir une autre explication !
- Ecoute, Caleb, je sais que ça doit être le bordel dans ton esprit, mais il faut accepter la vérité. Atlan est mort de ses propres mains, et a tout mis en œuvre pour faire accuser Jack. (elle soupira) Si j'avais bêtement écouté mes sentiments, il aurait gagné. Nous serions tous morts.
- Non, non, non ! hurlai-je. Il y a forcément quelque chose qui nous manque, il ne peut pas... il ne peut pas avoir voulu notre mort. Il ne peut pas avoir voulu... me tuer...
- Pourtant, c'est la seule explication qu'on a, répondit la brune d'un ton tranchant. Ecoute, je suis moi aussi tombée dans le panneau. Atlan s'est servi de nous. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi il a fait ça mais je compte bien le découvrir. (elle marqua une pause) En attendant, plus personne ne doit mourir inutilement. D'où ta présence ici.
- Qu'est ce que tu veux dire par là ? soufflai-je.
- Après t'avoir transporté dans ta chambre, on a fait un vote. A la majorité, il a été décidé que tu resterais enfermé jusqu'à ce que nous ayons trouvé une sortie.
Je déglutis. Je peinais à comprendre ses paroles, cherchant un humour inexistant dans sa phrase. Ils allaient réellement m'enfermer ici ? A nouveau, la claustrophobie me saisit. La pièce semblait minuscule, et son absence de fenêtre rendait l'atmosphère étouffante.
- Vous... vous me prenez pour quoi ? Un monstre ? Vous n'avez pas le droit de prendre ce genre de décision. Non, pas le droit...
- Tu nous as forcés à la prendre, Caleb ! s'emporta Capucine. C'était quoi, cette attitude pendant le procès ? On a vraiment cru que tu allais commettre un meurtre sous nos yeux. Tant que tu es instable, on ne peut pas prendre le risque que tu fasses une connerie.
- Mais...
- Ne rends pas les choses plus difficiles, putain ! Je veux juste rassurer tout le monde et éviter la paranoïa générale. Alors reste ici quelques jours, fais-toi oublier. Je t'apporterais de quoi manger. Quand les tensions seront retombées, tu pourras revenir.
Je me redressai, choqué par les paroles de la brune. Capucine eut un léger sursaut, qu'elle tenta de dissimuler, mais je vis ses yeux luire d'anxiété. Son expression froide ne parvenait pas à cacher l'appréhension. Je fis un pas en avant. La brune sembla saisit quelque chose dans sa poche arrière. Je réalisai alors que j'étais moi-même la cause de sa nervosité. Elle avait peur de moi ? Nous nous fixâmes encore quelques secondes avant qu'elle ne pose à côté du sandwich un objet rectangulaire : une caméra.
- Après son combat contre Emiliana, Atlan m'avait demandé de te remettre ça s'il lui arrivait quelque chose. Alors... voilà.
La porte se referma derrière la brune, me laissant seul face à ce qui s'apparentait être le dernier souvenir que j'aurais d'Isaac. Et quelque chose me poussait à croire que ce n'était pas qu'un simple message d'adieu.
[Reste : 6]
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