42 - Recherches préliminaires
L'acier glacial sur ma nuque m'arrache un nouveau frisson tandis que mon agresseur se rapprocha d'un pas. Je me figeai. Qu'est ce que Bianca faisait à une heure pareille hors de sa chambre ? Pire, pourquoi était-elle armée ? Et cachée ? Il était évident qu'elle attendait ma venue, et avait attendu le bon moment pour me menacer. Mais... dans quel but ? Trop de questions se bousculaient dans mon esprit, et le stress prodigué par la menace du couteau n'arrangeait rien. J'étais à la merci de la blonde. D'un simple geste, elle pouvait attenter à ma vie. Lorsque Jack m'avait menacé avec son taser, j'avais pu profiter d'un moment d'inattention du blond pour essayer de l'attaquer à mon tour. Mais la blonde se trouvait être bien plus dangereuse que Jack. Elle avait déjà fait les frais d'un comportement trop expansif en se prenant un coup de taser ; elle ne referait pas la même erreur. Ses gestes, contrairement à d'habitude, étaient calculés. La blonde se servait de l'effet de surprise et me menaçait dans le dos. Tout semblait suivre un plan préconçu.
Si elle préparait un meurtre, j'allais y passer. Je déglutis, sans pouvoir empêcher mon cœur de battre comme un fou. Ma respiration devint bruyante sans que je n'y puisse rien. J'attendais qu'elle parle, et, en effet, Bianca ne tarda pas à cracher à mi-voix :
- Déverrouille ce putain de cadenas. Maintenant.
Je ne m'étais pas préparé à une telle demande. Je restai muet quelques secondes. Est-ce qu'elle plaisantait ? C'était un test ? La pression de la lame ne diminuait pas, il fallait que je réponde.
- P-pardon ? M-mais j'en suis i-incapable !
Je sentis sa main se crisper sur le manche du couteau.
- Joue pas au con ! siffla la blonde en appuyant un peu plus la pointe sur ma nuque. Qu'est ce que tu fous ici, si c'est pas pour rentrer dans la pièce ?
Sa logique m'échappait, sur l'instant. J'étais juste venu ici pour inspecter la nouvelle pièce. A une heure pareille, je pensais être seul, et voilà que je me retrouvais menacé par celle qui nous avait quittés la veille en plein fou rire. La situation demeurait trop improbable pour que je ne puisse ne serait-ce que réfléchir à comme m'en sortir.
- Fais pas l'innocent ! rugit Bianca. J'étais sûre qu'il viendrait ouvrir la porte, comme le gamin débile qui m'attendait dans la morgue !
Je ne comprenais rien à ce qu'elle racontait. Une goutte de sueur, sournoise, s'appliqua à glisser le long de ma tempe. La blonde avait un tempérament sanguin ; au premier faux-pas, j'étais mort. Je devais surveiller chacun de mes mots. Mais l'angoisse m'empêchait, justement, de mesurer mes paroles.
La porte métallique qui me faisait face semblait arborer un air moqueur. Je pouvais presque distinguer sur la surface brillante mon visage crispé par la peur. Et derrière moi, une silhouette plantureuse aux longs cheveux blonds ; menaçante. J'étais acculé. A demi avancé dans le couloir, il n'y avait qu'un cul-de-sac qui m'attendait si je tentais de fuir. Je déglutis. Bianca avait attendu le bon moment ; celui qui rendait toute fuite impossible.
Bianca appuya un peu plus le couteau. La lame s'enfonçait à présent sur ma peau, menaçant de la transpercer à tout instant. Je tentai de me calmer, de trouver une échappatoire, en vain. Elle avait une arme, pas moi.
Nous nous trouvions au deuxième étage. Si je hurlais, cela ameuterait sans doute mes camarades. Mais entre Atlan qui devait se trouver dans le donjon et les autres au rez-de-chaussée, la blonde pourrait me suriner à loisir et se cacher avant leur arrivée ; à l'instar d'Emi qui avait profité d'un moment de panique pour déclencher le mécanisme de pendaison. Je frissonnai. La lame agissait comme une menace, me coupant l'envie de tenter quoi que ce soit. Mais une question subsistait. Si Bianca voulait vraiment me tuer, pourquoi ne le faisait-elle pas ?
- Je te jure, le puceau ; si tu ouvres pas cette porte maintenant, je vais te torturer jusqu'à ce que tu me donnes la combinaison.
Je pris une grande inspiration, sans parvenir à calmer mes bégaiements.
- B-Bianca, je t'assure ! J-je ne connais p-pas le code !
La sensation de la pointe du couteau sur ma nuque disparut d'un seul coup. J'y plaquai ma main et me tournai vivement, la respiration toujours sifflante. La blonde me jeta un regard assassin. Elle tenait toujours le couteau devant elle en signe de défense. Bianca finit par soupirer.
- Me regarde pas comme ça. Je pensais qu'il connaissait le code. (elle marqua une pause) Tu sais, le traître.
- Tu... Tu cherches le traître ?
- Non, pas du tout ! ironisa la blonde. Je cherche la virilité chez toi, et pour le moment je trouve rien !
Je déglutis. Ma question était inutile, et maintenant elle paraissait énervée ; en plus de toujours serrer la lame dans sa main. Nous nous fixâmes quelques secondes, chacun sur la défensive. Bianca semblait convaincue de ma culpabilité, et, de mon côté, j'évitais tout mouvement brusque avant qu'elle n'ait reposé son arme. Soudain, une pensée me traversa. Sans lâcher mon interlocutrice des yeux, j'esquissai un pas sur le côté, de manière à me retrouver dos au mur, à côté du couloir miniature. Cela m'offrait une fenêtre de fuite au cas où les choses tourneraient mal.
- Bianca... Tu savais, pour la pièce ? On aurait dit que tu attendais que quelqu'un vienne, et...
La blonde eut un petit rire moqueur, et réajusta ses boucles d'un geste bref. Elle tritura machinalement la bretelle de son soutien-gorge, presque visible sous son chemisier transparent. Je détournai le regard, bien trop gêné par cette image.
- Bien sûr, me confonds pas avec ton grand pote débile ! (elle afficha un air supérieur) Hier, quand je me suis proposée pour aller te chercher des antidouleurs, c'était pas parce que j'avais pitié de ta sale gueule. L'associable et la moche étaient dans ta chambre, le grand con et la planche à pain étaient aussi occupés, et le gamin, en position fœtale dans l'escalier. J'ai pu vérifier les portes avant tout le monde. Alors, impressionné ?
Sa dernière question sonnait rhétorique. Je me tus et m'apprêtais à partir quand une nouvelle question me traversa.
- Mais alors, tu... tu as récupéré le contenu de cette boîte ?
- Evidemment, le puceau ! Tu me prends pour qui ?
Sous mon regard rond, Bianca comprit en un instant qu'elle venait d'en dire trop. Du moins, à considérer son expression, elle aurait préféré me cacher cette information. La blonde fixa le sol et se balança d'un pied sur l'autre, sans toutefois lâcher son couteau. Elle semblait réfléchir. Je sentis mes mains moites glisser contre le mur. La menace était toujours présente. Mon dilemme intérieur me tenaillait toujours : fuir, en prenant le risque qu'elle me rattrape et m'attaque, ou attendre une quelconque réaction de sa part ? Ladite réaction ne tarda pas à arriver ; avant même que je ne prenne une décision. Bianca me toisa d'un air provocateur, cependant entaché par un rictus crispé et des yeux brillants d'appréhension.
- Bon, tu vas m'accompagner.
- Quoi ? Mais Bian...
- Ta gueule ! Est-ce que je t'ai demandé ton avis, le puceau ?
Je me tassai. Bianca avait un couteau. Elle était clairement en position de force. Et toute son attention se trouvait maintenant concentrée sur moi. Au moindre pas de travers, elle me planterait. Avec toutes les peines du monde j'hochai la tête. Je faisais peut-être une immense erreur en acceptant, mais je n'avais pas le choix.
Je descendis les escaliers aux côtés de la blonde, toujours armée, qui faisait des haltes fréquentes pour s'assurer qu'il n'y avait personne dans les couloirs. Elle semblait prendre toutes ses précautions pour ne pas être vue. En même temps, posséder un couteau dans le manoir ne menait jamais à une fin heureuse. Soit on était un meurtrier, à l'instar de Flora ; soit ledit couteau se retournait contre soi, comme avec Jean. Et si quelqu'un la surprenait, rien ne garantissait qu'il n'essaierait pas de commettre un meurtre et de l'accuser ; de la même manière qu'Emi avec Atlan.
La blonde ne manquait pas non plus de se tourner vers moi, esquissant un léger mouvement avec la lame ; dissuasive de toute fuite. De toute manière, les réactions de Bianca avaient éveillé en moi une certaine curiosité. J'avais renoncé à imaginer ce qui pouvait se trouver derrière la porte blindée, mais le mystère de la boîte subsistait. Et Bianca en connaissait le contenu.
Nous entrâmes dans sa chambre après qu'elle se soit assuré que personne ne nous ait suivis.
La pièce était agencée de la même manière que ma propre chambre. Un lit plutôt simple, une armoire, un bureau, et une porte donnant à la salle de bain. La seule différence résidait dans les vêtements éparpillés au sol, sur le lit ; sans parler du maquillage omniprésent. Il régnait dans cette pièce une atmosphère unique. Le capharnaüm ambiant jurait avec le soin que la jeune fille apportait à son apparence. Je restai quelques secondes interdit, absorbé par cette contemplation futile.
Bianca s'assit sur le lit et croisa les jambes. Je détournai rapidement le regard pour ne pas aviser sa jupe bien trop courte et m'assis, mal à l'aise, sur la chaise qui traînait à côté du bureau. Je passai la main dans mes cheveux pour calmer ma nervosité, en vain. La blonde désigna une pile de feuilles posées sur la table.
- Voilà. J'ai trouvé ça dans la boîte. Mais j'y comprends rien.
J'attrapai la première feuille à ma portée. Il plana un épais silence le temps que je prenne connaissance du document. Mon interlocutrice soupirait à intervalle régulier. Elle s'impatientait. Mais sous ses airs hautains, je pouvais sentir émaner la peur. La blonde tapait du pied de manière presque imperceptible et triturait une mèche sans discontinuer. Yukie n'avait pas tort lorsqu'elle émit l'hypothèse que Bianca restait avec elle pour s'assurer un alibi. Depuis le dernier procès, elle n'était restée seule qu'en allant me chercher des antidouleurs ; au moment même où elle avait découvert la nouvelle pièce. Evidemment, la blonde se trouvait seule avant de me menacer, mais elle passait le plus clair de son temps avec Yukie. L'asiatique devait laisser faire ; les jeunes filles ne s'étaient jamais appréciées, mais les meurtres changeaient la donne. Chacun était rongé par la crainte. Quel serait la prochaine motivation ? L'étau se resserrait sur nous, les sept survivants. Chacun marchait sur une corde instable, et, bientôt, Hologramme s'appliquerait à dégainer des ciseaux. Qui tomberait en premier ? Qui couperait la corde d'un camarade, sans remords ?
Le regard assassin que me lança Bianca me rappela la présence du document dans mes mains. Je repris ma lecture. Du moins... je tentais de trouver un sens aux chiffres qui s'étalaient, rangés dans des cases. Plusieurs pages étaient couvertes de tableaux similaires. Ça n'avait aucun sens. Sous les yeux impatients de la jeune fille, je passai en revue une dizaine de pages, sans succès. Des chiffres, encore des chiffres. Parfois, des symboles incompréhensibles. Des lettres encadrées. Je m'apprêtais à renoncer à trouver un sens à tout cela lorsque deux mots attirèrent mon attention. Au bas de la dernière page ; ils semblaient à eux seuls renfermer un immense mystère.
- Projet Eden ? lus-je à haute voix.
- C'est le seul truc lisible, soupira Bianca. Qu'est ce que c'est censé nous apporter ? On doit faire des putain de cocottes en papier avec ces feuilles qui servent à rien ?
La blonde tomba en arrière sur son lit, les bras en croix. Elle souffla à nouveau et passa ses paumes sur son visage. Je me sentais aussi perdu qu'elle, après la lecture de ces feuilles. Leur signification était une chose. Mais ce qui me tenaillait le plus était de savoir pourquoi, et surtout qui avait déposé ce carton derrière la porte. Sans doute Hologramme, mais... Cela sonnait faux. Et le cadenas à code... Si Bianca ne se trompait pas, alors seul le traître serait en mesure de connaître la combinaison. Je pouvais potentiellement rayer la blonde de ma liste mentale ; elle ne se serait pas si exposée si elle savait déverrouiller la porte. Mais comment pouvais-je en être certain ? J'expirai pour remettre en ordre mes pensées.
- J'en ai marre, dit soudain Bianca.
Sa voix sonnait presque gamine, étouffée par ses propres mains. Elle ne semblait même pas s'adresser à moi ; juste à elle-même.
- J'en ai marre, répéta la blonde. Pourquoi nous ?
Alors que je la fixais, elle se releva, les cheveux en bataille et les yeux brillants. Elle me parut tout de suite épuisée ; comme si son maquillage n'était plus capable de le cacher. Tout le monde craquait différemment. Il y avait ceux comme Ben qui extériorisaient avec leurs poings. D'autres, comme Jack, qui attendaient d'être à bout pour envisager se mettre à pleurer. Yukie calmait ses nerfs avec un air de piano. Capucine... avait toujours eu un caractère difficile, de toute manière. Et Atlan... Atlan... Un frisson me saisit. Je réalisai que le brun, malgré une paranoïa enfouie, n'avait jamais disjoncté à proprement parlé. Je ne le souhaitais pas, mais...
- Tu t'es jamais posé la question, le puceau ?
Bianca me fit revenir sur Terre. Je secouai la tête. Cette phrase n'aurait pas du me perturber autant, pourtant, elle résonna en moi jusqu'à devenir une véritable interrogation. Bianca sembla remarquer mon malaise et leva les yeux au ciel.
- Je... je ne sais pas...
- Alors t'es comme les autres, grogna la blonde. Seize personnes lambda se retrouvent balancées dans le pire merdier du monde, doivent obéir à un connard d'hologramme - un hologramme, merde ! - et tu trouves ça normal ?
Elle se leva sans que je ne puisse réagir et m'attrapa par le col. Je déglutis. Elle semblait à la fois déterminée et effrayée par une sentence invisible.
- Ecoute-moi bien, le puceau. J'ai peut-être déjà essayé de tuer quelqu'un. Je suis peut-être responsable de la mort de Mary et Thomas. Je... (elle détourna le regard et se mordit brièvement la lèvre) Je culpabilise peut-être chaque jour. Mais je compte pas crever ici. Quand Hologramme se ramènera avec sa prochaine connerie, je la lui ferais bouffer. Et le traître, je vais le trouver. Même s'il faut vous torturer un par un pour ça.
- Je...
- Ta gueule ! aboya la blonde, les yeux brillants. Je vais trouver le traître, t'entends ? Et toi... toi... (elle crispa ses lèvres colorées quelques instants) Maintenant que t'es au courant de tout, t'as pas d'autre choix que de m'aider ! Sinon... Sinon, je balance aux autres que t'es le traître !
Je restai interdit quelques secondes. Bianca paraissait toujours furibonde, le visage pincé en une expression excédée. Elle n'avait pas relâché sa prise, et ne le ferait pas sans avoir obtenu une quelconque réponse. Mais malgré son attitude insultante ; malgré sa manière de me menacer en toutes circonstances... Je savais que Bianca n'était pas une mauvaise personne. Elle cherchait juste des alliés. Peut-être plus déterminée que Jack dans l'optique de démasquer le traître. Si elle l'avait voulu, elle aurait dix fois pu me poignarder pour me faire parler, sans que ce soit mortel. Pourtant, quand je lui avais juré ne pas connaître le code, elle m'avait cru. Alors je pris une grande inspiration, et, sans réfléchir à dans quoi je m'embarquais, j'acceptai.
[Reste : 7]
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