35 - Chasse au cadavre

Dans ce chapitre, les éléments utiles à l'enquête seront mis en gras.





Nous nous étions rapidement répartis la tâche. Outre Ben et Capucine, Yukie et Bianca étaient parties explorer dans le jardin. Charlie se chargeait du premier étage, et Jack, du sous-sol. Atlan avait insisté pour que je l'accompagne au second ; je n'avais émis aucune réticence ; au moins, avec lui, j'étais sûr que personne ne nous attaquerait. Nous gravîmes les escaliers d'un bon pas, accompagnés de Charlie. Iel demeurait inexpressif, comme à son habitude. Je ne cherchais plus à discerner ses émotions, tant le ventriloque les cachait derrière ses longues mèches. Il s'arrêta à son étage tandis que nous arrivâmes au deuxième.


La salle de musculation, une autre salle de sport ainsi que la bibliothèque nous faisaient face. La dernière porte demeurait close, et ce malgré nos tentatives de l'ouvrir. J'imaginais que nous en découvririons le contenu après ce procès... si tant est que nous trouvions le tueur. Le... ou les ? La règle d'Hologramme stipulait bien qu'il pouvait y avoir deux coupables. Nous n'étions plus que huit, et cela réduisait les possibilités. Certains de mes camarades avaient-ils réellement pu s'affilier pour démembrer Rufus ? Rien que de l'imaginer me fit froid dans le dos. Je pris une grande inspiration ; mais mon esprit n'était pas prêt pour découvrir les membres du colosse et les réassembler comme un puzzle.

Les meurtriers jouaient avec nous. Le plan ensanglanté, la mare écarlate... rien n'était laissé au hasard. Je redoutais d'avoir à nouveau à soupçonner tout le monde, et, plus que tout, assister à une nouvelle exécution. La cruauté de ces mises à mort semblait croissante ; conte tenu de l'état du corps, il n'y avait aucun doute à avoir sur le fait que celle-ci serait atroce.


Atlan se racla la gorge. Il m'observait en silence, une cigarette au bord des lèvres.

- Tu as des soupçons sur quelqu'un ?

Sa question me laissa muet. Pour la première fois, le brun demandait mon avis après un meurtre. Au fond... durant les trois premières affaires, j'avais été plutôt inutile ; m'appuyant seulement sur les dires des têtes pensantes. Maintenant, avec Atlan à mes côtés, j'allais faire mon possible pour élucider cette affaire.
L'impression malsaine de m'habituer aux cadavres me traversa en un éclair. C'était un fait ; ce que j'avais ressenti à l'issue du duel d'Atlan contre Emiliana semblait être l'apogée de l'angoisse. Trouver le corps, et démasquer le ou les tueurs m'effrayait, évidemment, mais pas autant que l'image du brun avec un trou dans le ventre. 
Je me rendis compte que je le considérais depuis un peu trop longtemps. Il se fendit d'un rictus impatient.

- Non... enfin, je ne sais pas. C'est trop tôt pour les accusations, il me semble.
Il haussa un sourcil dubitatif.

- Ce n'est jamais trop tôt. Pourquoi tu crois que j'ai choisi d'aller au deuxième étage ? ( il ne me laissa pas le temps de répondre et poursuivit : ) Capucine et Ben me paraissent les plus suspects, dans cette affaire. Si l'un des deux cherche à descendre, on le verra directement.

Atlan avait déjà mis en place un plan pour démasquer les coupables ; il possédait une longueur d'avance sur nous tous. Son unique œil brillant d'une lueur déterminée, malgré l'expression blasée qui s'en découlait.


Le brun fouillait la bibliothèque, tandis que je m'occupais d'une des deux autres salles. L'aspect des machines de musculation ne me parut pas altéré. Je soupirai. Ces engins prenaient la poussière depuis les trépas coup sur coup de Leeloo et Emiliana. Elles y allaient quotidiennement, souvent rejointes par Rufus. Mais même le colosse avait cessé de s'y rendre suite au décès de la rouquine. Plus notre nombre diminuait, et plus le manoir me paraissait immense. Au départ, il y avait des gens à tous les étages ; chacun s'adonnant à son occupation favorite. Désormais, il était possible de ne croiser personne durant une demi-journée.


Un cri étouffé m'échappa lorsque mon regard se posa sur l'objet de mes recherches. Une main gisait derrière une machine. Avec toutes les appréhensions du monde je l'attrapai. Elle était enroulée avec du tissu désormais coloré en rouge au niveau de la section. Sans aucun doute pour prévenir les gouttes de sang durant son transport. Alors, Rufus avait bel et bien été démembré... Quel malade pouvait en être à l'origine ? Un de mes camarades. Encore. Quelqu'un que nous pensions connaître, mais qui, finalement, avait endossé la veste du tueur. Et ils pouvaient être deux...


Atlan m'attendait dans le couloir, un bras dépourvu de main jeté en biais sur son épaule. Sa neutralité me perturberait toujours... Il fumait d'une main ; l'autre retenant le membre, qui, lui aussi, se trouvait enroulé à l'extrémité par un linge. Il coinça la cigarette entre ses dents et me fit signe de lui donner la main de Rufus. Je ne me fis pas prier pour la lui remettre.
Des pas se firent entendre dans l'escalier. Capucine et Ben apparurent, l'une traînant une jambe entière, l'autre portant un autre bras, semblable à celui qui tenait Atlan. Le métis, plus blême que jamais, fixait le sol avec une répulsion infinie. Il ne réagit même pas lorsque la brune claqua du doigt devant son visage.

- Je ne sais pas quel malade a fait ça, fit Atlan d'un ton calme après avoir jeté son mégot. Quelqu'un a vraiment pété les plombs.

- Abruti. A t'entendre, on dirait qu'il n'y a qu'un seul coupable, siffla Capucine.

Les deux se toisèrent un instant, leurs yeux étincelants d'une froideur innommable. Dans d'autres circonstances, j'aurais intercepté le regard de Ben pour me dégager de la situation, mais ce dernier semblait toujours amorphe. Le voir dans un tel état me fit me questionner sur le mien. Voir ces membres me dégoûtait, mais pas autant que je l'avais imaginé. Je me sentis presque coupable de ne pas ressentir mon habituelle nausée à la vue du sang. J'éprouvais une certaine tristesse ; même si Rufus ne comptait pas parmi mes plus chers amis il était un camarade comme tous les autres. Personne ne méritait la mort...


Un hurlement nous tira tous les quatre de nos pensées. Je reconnus quasi-aussitôt la voix de Yukie.

- Merde, grinça Capucine. On a trop traîné.

Chargés des membres qui nous avions trouvés, nous nous ruâmes dans les escaliers. Ben fermait la marche, marchant plus qu'il ne courrait. Au premier, nous croisâmes Charlie et Bianca. La blonde portait une jambe sans pied et, eux aussi interloqués par le cri, nous suivîmes. Yukie se trouvait dans la cuisine. En bas des escaliers se trouvait Jack, tenait lui-aussi une partie de Rufus.

- C'est le pied, cette chasse au trésor ! Le pied, vous l'avez ?

Il agita l'attribut, tenant la basket qui l'habillait par les lacets. Le brun l'ignora et entra. Je l'entendis jurer tandis que l'asiatique sanglotait.





Posée sur la table comme un cadeau macabre... la tête du colosse. Je me figeai. Les membres, passaient encore. Mais voir le visage de la victime à quelques mètres... Sans compter le tronc qui gisait, emballé dans les mêmes linges que les autres membres, non loin de la flaque rouge. L'odeur du sang persistait encore. Ben lâcha ce qu'il transportait et se rua vers l'évier pour vomir. Yukie semblait à deux doigts de suivre son exemple, blême, tremblante.
Rufus avait les yeux fermés, et une expression relativement neutre. Sa peau commençait à se teinter de mauve au niveau des paupières et des lèvres ; et nul doute que la rigidité cadavérique emprisonnait dans sa bouche ouverte le taser de Jack. Lorsqu'il le vit, le blondinet stoppa net son rire gamin. La dernière fois que j'avais vu l'arme, elle gisait dans la piscine de sang où nous nous étions réveillés. Je n'avais pas vérifié sa présence en me levant ; peut-être aurais-je dû...

- Quel connard est revenu sur ses pas ? éructa Bianca.

- Toi, par exemple ? fit Capucine. Qu'est ce que tu faisais au premier, alors que tu étais censée enquêter dans le jardin ?

La blonde lui darda un regard glacé. Le combat invisible que menaient les jeunes filles faisait à nouveau rage. Bianca déposa la jambe près du tronc. La vue du sang ne semblait pas la déranger ; après tout, c'est elle qui avait sauvé Atlan après sa blessure au couteau. Elle se redressa, remit sa poitrine en place, fit voltiger ses mèches blond platine.

- L'autre ventriloque débile ne pouvait pas transporter ça ( elle désigna la jambe sans pied ) avec ses... marionnettes. Je lui ai juste filé un coup de main, la moche.

Atlan s'interposa entre les filles, excédé.

- Reconstituez juste ce putain de corps, c'est bientôt l'heure du procès.


Le brun me tira dans la cuisine, les laissant aux prises avec les membres du colosse. Ben, assis par terre contre un placard, avait enroulé ses grandes mains autour de ses genoux repliés. Je m'approchai et lui touchai l'épaule ; son état me faisait vraiment peine. Lorsqu'il releva la tête, je tentai un sourire qui se voulait rassurant, mais qui parut plutôt comme un rictus nerveux. Pour la première fois, je remarquai les cernes du métis. Sans doute que les miennes ressortaient plus sur mon teint pâle ; elles étaient tout au plus aussi importantes que les siennes. Ben semblait à bout de tout. Autant physiquement que psychologiquement. A nouveau... comment n'avais-je pas pu me rendre compte que son état empirait ? Je me serai bien giflé sur-le-champ, mais le temps filait, et, avec lui s'approchait le procès. Je n'avais pas envie de suspecter tout le monde. J'étais fatigué de cette quasi-routine macabre. A nouveau, je me promis de faire plus attention à mes amis, si tant est, bien sûr, qu'ils n'étaient pas des assassins. A chaque procès, nous découvrions une nouvelle facette des gens, souvent empreinte de folie. La folie... tant de nos camarades y avait déjà cédé. Est-ce que c'était ma destinée, aussi ? Rester bloqué à l'infini dans la zone, complètement taré. Je frissonnai.


- Là, la fenêtre, fit Atlan.

Il désigna le carreau, brisé en son centre. Je me souvenais de comment Rufus nous avait aidé à ouvrir la porte de la bibliothèque, où reposait le cadavre de Leeloo. Grâce à son coup de poing, j'avais pu ouvrir la porte sans que nous ayons à la défoncer. J'imagine qu'il en était de même pour la fenêtre ; quelqu'un l'avait ouverte depuis le jardin.
Un autre détail attira mon attention : la porte du lave-vaisselle, qui demeurait entrouverte. Lorsque je la tirai, un frisson me mordit la colonne vertébrale. Du sang, à peu près partout entre les couverts. Et une scie, dont la taille moyenne ne réussit pas à me rassurer. Calée entre les plats, elle demeurait, elle aussi, couverte d'hémoglobine.
Atlan se pencha par-dessus mon épaule pour voir.

- La tête devait se trouver là... voilà pourquoi cet enfoiré d'Hologramme a lancé le décompte.

Il soupira. Ben était toujours immobile, alors le brun jeta un simple regard circulaire avant de passer la main dans mes cheveux. Je fermai les yeux quelques secondes au contact, malgré la douleur récalcitrante, causée par le coup.


Nous restâmes immobiles jusqu'à ce que le brun brise le silence :

- Tu n'as pas vu ton agresseur, je suppose ?

- Non... mais Jack a couru dans la cuisine après avoir entendu le mixer tourner.

Sur ces mots, j'attrapai l'appareil. Il était toujours empli du milkshake préparé la veille par Yukie. A ceci près que... il me semblait que la couleur était plus foncée, la dernière fois que j'en avais bu. Je l'ouvris d'une main incertaine. La boisson m'angoissait. Elle me rappelait le douloureux souvenir de Yukie, la veille. La jeune fille m'avait avoué des sentiments à sens unique, simplement parce que je n'avais pas été assez attentif. La culpabilité m'envahit à nouveau lorsque je me rappelai l'avoir violemment poussée. Quand je voyais l'état de Ben, je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il en était de même pour tout le monde. L'asiatique demeurait, épuisée et fragile. Quel genre de connard étais-je pour lui répondre de cette manière ? J'aurais dû aller m'excuser. Si seulement il n'y avait pas eu le sang, le cadavre en pièces détachées... tout ça.

Le regard d'Atlan, aussi glacial que brûlant, me fit presque sursauter. Il resta silencieux ; son œil m'analysait. Il avait sans doute intercepté mon attitude, mais ne disait rien. Je me mordis la joue. Notre relation n'était même pas fixée que déjà, je devais lui cacher des choses. Le baiser de Yukie. J'étais à la fois en colère contre elle et contre moi. Mais surtout contre moi.

- Tu comptes ouvrir ce mixer ou tu as des choses à me dire ?

Ma main se crispa sur le couvercle. Je bégayai quelques syllabes incohérentes avant d'ouvrir l'appareil, visage baissé en direction du sol.


Une odeur immonde se dégagea instantanément du bol, me faisant presque lâcher le mixer. Atlan s'en saisit avant qu'il ne s'explose par terre. La boisson n'avait pas pu tourner en si peu de temps ! Et malgré le goût approximatif du milkshake, la veille encore il sentait la fraise.  Le brun inspecta le contenu en silence, avant de froncer les sourcils.

- Qu'est ce qu'il y a là-dedans ?

- Du... Du milkshake. Enfin, je crois...

Le jeune homme redressa la tête pour me fixer.

- Tu crois ? Pitié, ne me dis pas que tu as goûté à ça.

Je sentis mes joues cuire tandis que je réfléchissais à une excuse, en vain. Mais force est de constater que le contenu du mixer avait changé. Du moins, quelqu'un avait rajouté un ingrédient au mixer avant de l'allumer. Je risquai un œil par-dessus le bol du mixer, et pus apercevoir le changement. Des... os. Des morceaux d'os flottant à la surface. Je réprimai une envie de vomir croissante. Tout cela n'avait aucun sens. Nous avions retrouvé le corps en pièces détachées, mais j'étais à mille lieues d'imaginer retrouver des os dans le mixer. Qu'est ce que le tueur cherchait à faire ? Je ne comprenais rien...


- Houston, on a un problème.

Sur ces mots, Jack apparut dans la cuisine. Ses yeux se posèrent sur le lave-vaisselle, puis sur le mixer, et il esquissa un sourire sardonique. Ses boucles commençaient tout juste à sécher, et regagnaient un peu de leur volume perdu, mais ses mains demeuraient de nouveau maculées de sang ; il avait sans doute aidé à la reconstruction du corps. Le blondinet étouffa un rire moqueur lorsqu'il aperçut Ben, mais finit par se racler la gorge de manière caricaturale.

- Il manque une main.

- Quoi ? m'enquis-je.

- On a tout, sauf une main. Pourtant, tout le monde à trouvé ce qu'il était allé chercher. La blondasse et Yukinette ont eu le tronc, moi le pied, Cicine une jambe entière et Charlie une jambe sans pied, Atlanou et Benoît des bras sans main, et Caleb une main.

Il comptait sur ses doigts à mesure qu'il parlait. Je remarquai sa main agitée de tremblements presque imperceptibles. Malgré les apparences, il stressait. Notre réveil dans le sang, son taser dans la bouche de la victime... Les preuves s'accumulaient et certains allaient sans aucun doute l'accuser, à l'instar de Capucine. Je ne savais pas quoi penser du blond. Il m'avait paru si sérieux, si impliqué dans la morgue, en me parlant du traître... J'avais toutes les peines du monde à l'imaginer me piéger ainsi et commettre un meurtre. Jack était animé d'une certaine folie, et ce depuis le début ; mais pouvait-il vraiment laisser des preuves aussi évidentes ?

Mais plus le temps aux réflexions, le procès s'annonçait.


[Reste : 8]


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