33 - Confessions
Mon cœur rata un battement lorsque j'aperçus la silhouette longiligne de la blonde. Jack avait les sourcils froncés et semblait en pleine réflexion. Son bras vint se placer devant moi pour me signaler de ne faire aucun geste. Je demeurais immobile et silencieux. Il avait l'air de vouloir observer un peu plus longtemps la jeune fille, mais si elle était bien l'instigatrice... Cela signifiait qu'elle avait organisé tout cela. Un frisson glacé me traversa, renforcé par la température ambiante. Je ne voulais suspecter aucun de mes amis, alors voir Bianca apparaître alors que nous traquions le traître... Mes mains étaient moites. J'aurais presque préféré ne rien savoir, et laisser quelqu'un de plus fort que moi la tuer. L'envie d'arrêter ce jeu morbide qui m'habitait fut soudain stoppée par la réalisation, non moins cruelle, de ce que cela impliquait. Je n'étais pas un assassin, et même avec Jack, je ne pourrais pas me résoudre à participer à un meurtre. Mais si Bianca demeurait la traîtresse parmi nous... le seul moyen d'arrêter la tuerie serait de la supprimer. Du moins... une part de moi l'espérait.
La blonde semblait... différente. Les vêtements courts et serrés qu'elle portait d'habitude avaient laissé place à une tenue beaucoup plus simple ; un survêtement et un grand t-shirt. Ses longs cheveux pendaient autour de son visage, sans aucun volume. La chose qui me surprit le plus fut sans doute son visage démaquillé. Pour la première fois, Bianca semblait à mille lieues de l'attitude provocatrice qu'elle se donnait. Mais qu'est ce qu'elle faisait là ? Je n'arrivais pas à l'imaginer en traîtresse, et pourtant... Sa présence confirmait la théorie de Jack.
Ce dernier reprit le taser. Le blond crispa ses doigts sur le corps de l'arme et plaça l'index sur la gâchette, prêt à le déclencher. Je me rendis compte que lorsqu'il s'en était servi pour me menacer, il le tenait presque du bout des doigts comparé à sa poigne actuelle.
Le rai de lumière passant par la porte éclairait son visage tendu, lui donnant un peu plus de relief. Je ne l'avais jamais vu habité par un tel mélange de stress et de rage. Jack semblait prêt à bondir et assassiner Bianca de sang froid, pourtant, il ne bougeait toujours pas. La situation était presque trop simple. A peine émettait-il l'hypothèse d'un éventuel traître que la supposée traîtresse entrait. La jeune fille ne semblait pas sur ses gardes. Nous étions face à un dilemme. Si Jack choisissait d'attaquer et qu'il se trompait de traître... Il serait accusé de meurtre et moi de complicité. Et selon la nouvelle règle, le coupable entraînait son associé dans sa chute. Le blond avait ma vie entre ses mains.
Bianca s'adossa contre un mur et glissa, jusqu'à s'asseoir par terre. Elle replia ses genoux contre sa poitrine et soupira. Elle jeta un regard brillant dans notre direction. Ma respiration se bloqua. Avait-elle remarqué la porte ouverte ? Si elle découvrait notre couverture, nous ne pourrions échapper à l'affrontement. Et Jack l'avait bien précisé ; l'instigateur serait sans doute entraîné au combat. Nous retînmes notre souffle, laissant le froid ambiant engourdir nos muscles.
J'approchai de manière presque imperceptible de l'ouverture, malgré le regard furibond que me lança Jack. Un seul faux mouvement, et nous ruinerions notre couverture. Mais a bien y regarder, la blonde ne nous fixait pas. Ses yeux étaient dirigés vers le cercueil en-dessous du nôtre.
- Salut. Ouais, c'est encore moi.
Je ne m'attendais pas à l'entendre parler dans de telles conditions ; même sa voix me surprit. Elle tremblait, bien moins tranchante qu'à son habitude. Bianca ne semblait pas dans son état normal, tant par sa tenue que son attitude, mais je restais sur mes gardes. L'un d'entre nous jouait sans doute la comédie depuis le début. Il fallait se méfier de tout le monde.
- Je suis pathétique, hein ? continua la blonde. Me ramener ici alors que... ( elle renifla ) Merde. Putain de merde...
Bianca passa une main sur son visage et prit une grande inspiration. Elle garda cette position quelques secondes avant que le premier sanglot ne retentisse. Je réprimai un sursaut. Alors que nous soupçonnions la blonde d'être la traîtresse, voilà qu'elle se mettait à pleurer. Une pointe de culpabilité me saisit. Elle enfouit sa tête entre ses genoux et laissa ses épaules convulser. Je me mordis l'intérieur de la joue. Elle pensait sûrement être seule ; l'espionner ainsi me rendit mal à l'aise. J'avais l'impression de ne pas être à ma place dans ce tableau. J'aurais donné cher pour quitter la pièce, mais le bras devant moi, le taser et la menace du potentiel traître m'en dissuadaient.
J'échangeai un regard interloqué avec Jack. Le blond semblait aussi perdu que moi.
- Mais qu'est ce qu'elle fout ? murmura Jack. A qui elle parle ?
Le ton employé par le blond était presque rhétorique ; il se questionnait lui-même à voix basse. Les mêmes interrogations m'habitaient. J'avais imaginé le traître moins émotif. En fait, dans mon esprit, le traître apparaissait comme un psychopathe s'esclaffant devant les corps de ses victimes toutes les nuits, un immense sourire sadique barrant son visage. Quelqu'un comme Jack, en somme. Mais le blond n'avait jamais paru si déterminé ; plutôt ironique.
Bianca redressa un visage mouillé de larmes. Je n'arrivais pas à me dire qu'elle nous avait repérés depuis le début et se jouait de nous.
- Je suis désolée, souffla-t-elle. Je sais que mes excuses ne valent rien. Tout est de ma faute. ( elle ne put retenir un rire las ) Ce soir-là, si j'avais un peu plus réfléchi, tu serais peut-être encore de ce monde.
La blonde rejeta la tête en arrière, laissant des larmes sillonner ses joues. C'était la première fois que je voyais le masque provocateur de Bianca se fissurer ainsi. Elle paraissait presque... faible.
- J'ai l'impression de devenir folle. Avec... ce putain de rêve où un connard m'arrache les ongles. ( elle esquissa un sourire triste ) Au moins, la mort t'a épargné ça. Ça, et le fait de voir ces puceaux se voiler leur sale face. Je suis sûre que deux cons vont bientôt jouer le jeu d'Hologramme... Bordel, je m'en rends toujours pas compte ; on est dirigés par un putain d'hologramme !
La jeune fille s'essuya les yeux de la main ; ses joues étaient encore rougies et contrastaient du tout au tout avec son coutumier visage maquillé. Elle paraissait être une autre personne. Cette apparence... cette attitude... était-ce là la vraie Bianca ?
- De toute façon, souffla la blonde, je compte pas me laisser tuer par le premier salaud venu...
- Ah oui ? Et si je te disais qu'on préparait justement ton assassinat ?
La porte du cercueil s'ouvrit brusquement. Je sursautai. Jack, pendant que j'avais porté toute mon attention sur Bianca, avait reprit un sourire moqueur. Sans me demander mon avis, il venait de dévoiler notre cachette à la supposée traîtresse. Le voir changer d'attitude aussi rapidement me fit douter de l'avoir déjà vu sérieux. Les yeux de la blonde fusèrent dans ma direction comme des têtes chercheuses. Dans une émotion mélangeant fureur et angoisse, elle se releva d'un bloc. Elle semblait avoir renoncé à tout espoir de raisonner Jack, mais me fixait.
- Le jour où des p-puceaux comme vous me feront croire à leur bluff...
La jeune fille serrait les poings, le visage encore humide. Sa voix vacillait malgré ses tentatives de paraître sûre d'elle. L'ascenseur émotionnel avait été violent. Elle qui n'entendait qu'à soulager sa conscience meurtrie se retrouvait face à deux potentiels assassins ; dont Jack, qui s'approchait, le taser à la main. Je grimaçai, tentant en vain de faire comprendre à Bianca que je ne contrôlais absolument pas la situation.
Lorsque l'arc bleuté jaillit du taser, la blonde eut un sursaut. Elle sembla prendre conscience que Jack était armé et blêmit.
- Jack, arrête ! tentai-je d'une voix peu assurée.
Le blond se retourna et me fit un clin d'œil exagéré. Je ne comprenais plus rien à ses plans. Il semblait à nouveau s'amuser de la situation, et son inhabituel air grave avait laissé place à son classique sourire gamin. Cet instant d'inattention profita à Bianca. Comme moi dans le réfectoire, elle entrevit sa chance et bondit sur le blond. Mais Jack avait appris de ses erreurs ; il ne se laisserait pas maîtriser deux fois consécutives. En une seconde à peine, il vira sur le côté. Emportée par son propre élan, la jeune fille ne put freiner à temps et me percuta de plein fouet. Nous chutâmes lourdement sur le sol. Je me frottai la tête sous les rires du blond. Bianca se releva comme une flèche, les cheveux ébouriffés et le regard noir. Hébété, je regardai mes camarades se faire face. La jeune fille réfléchissait, mais demeurait livide. Jack la toisait, jouant volontairement avec le taser de manière distraite. Stratège, il se plaça devant la porte, agitant l'arme comme menace.
- Tu en penses, quoi, Caleb ? chatonna le blond. On ne la soupçonne plus ou bien on la torture jusqu'à ce qu'elle avoue ?
- De quoi tu parles, le mioche ? rugit Bianca. Je pige que dalle !
Mes yeux valdinguaient de Jack à la jeune fille. Il semblait tout me remettre entre les mains, bien qu'il sache ce que cela impliquait. Je ne pouvais pas me résoudre à accuser Bianca d'être la traîtresse, mais d'un autre côté, si nous la laissions libre et qu'elle était réellement à l'origine de la tuerie...
La blonde ne me laissa pas le temps à la réflexion. Tentant le tout pour le tout, elle se rua en direction de la porte avec un hurlement.
- Vous ne me tuerez p... !
La phrase mourut en un son guttural. La jeune fille sembla se figer une seconde face à Jack. Puis j'entendis le bruit électrique du taser. Pour illustrer ma pensée, Bianca tomba au sol dans un bruit mat. Un filet de bave coulait sur son menton, et ses paupières entrouvertes n'aspiraient pas à l'énergie. Elle ressemblait à une poupée de chiffon. Jack la poussa du pied et, ne constatant aucune réaction, esquissa un sourire satisfait.
- Puissant, ce machin, dit-il en désignant son arme.
*
Avec un dernier effort, nous hissâmes la blonde, inconsciente, sur son lit. Après une fouille sommaire, nous n'avions découvert aucune arme dans ses affaires. Jack était formel ; un éventuel traître ne pouvait se permettre d'être sans défense. Impossible de savoir toutefois s'il était sérieux ou souhaitait se donner un peu plus de temps pour observer Bianca.
Je jetai un dernier regard à la jeune fille. Ce soir-là, son attitude provocante avait laissé place à un visage bien plus fragile. Bien plus humain. Même inanimée, elle semblait empreinte d'une immense tristesse. Je soupirai. Nous étions vraiment tous à bout de nerfs.
Lorsque nous fûmes sortis, Jack se frappa le front de manière théâtrale.
- Mince ! J'ai oublié... quelque chose !
Sans me laisser le temps de réagir, il s'engouffra à nouveau dans la chambre de Bianca, pour en ressortis quelques instants plus tard. Il brandissait, hilare, un marqueur indélébile.
- Où est-ce que tu as trouvé ça ?
- Voyons, Caleb, fit le blond, qui dit taser dit victime inanimées. Et qui dit victimes inanimées dit marrade à volonté ! Je ne pouvais pas laisser passer une telle occasion d'exprimer mes talents d'artiste !
Sur ces mots, il repartit d'un rire enfantin. Jack demeurait une énigme à lui tout seul. Tantôt sadique, tantôt gamin ; j'avais même pu en découvrir une facette sérieuse. Ses expressions pouvaient changer du tout au tout en une seconde à peine, et impossible de dire s'il était bon acteur ou réellement sincère. Je gardai le silence. Et maintenant ? J'étais quasiment convaincu que Bianca n'avait rien à voir avec l'instigateur que nous recherchions. Sa réaction face à notre présence et l'absence d'armes dans ses affaires semblaient alimenter mon hypothèse. Mais dans ce cas, le véritable traître courait toujours, et tirait les ficelles à son bon vouloir. Je soupirai. Si ça tombait, il n'y avait même pas de traître, finalement.
Jack se racla la gorge pour attirer mon attention et mit un terme à mes pensées. Il me tendit la main dans une expression neutre.
- Bon, j'imagine que je dois respecter ma part du marché, dit-il à contrecœur.
Je ne pus m'empêcher de sourire. Il ressemblait à un enfant après une défaite dans un jeu vidéo. Ses joues pleines renforçaient son air boudeur. Je saisis sa main et la serrai brièvement. Le blond avait-il vraiment de mauvaises intentions ? Certes, il agissait parfois comme un fou furieux, mais ce soir, il m'avait prouvé sa bonne volonté. Je pris une grande inspiration. J'allais lui dire que je lui prêterai main forte dans sa quête de l'instigateur. J'étais, moi aussi, déterminé à démasquer le traître. Bien que je ne possédais pas l'intelligence du blond, je voulais me rendre utile.
- Jack, je...
Le blondinet me fit signe de me taire. Son visage avait encore changé ; cette fois-ci, ses traits exprimaient une certaine tension. Je crus l'apercevoir blêmir.
- Chut, écoute, murmura-t-il.
Je me concentrai pour capter un quelconque son, et en effet. Un léger bruit métallique, aussi monocorde que persistant, semblait émaner de la cuisine. Je me figeai en reconnaissant un mixer. Le blond fronça les sourcils. Le taser se lova au creux de sa main, prêt à choquer quiconque croiserait sa route. Le bruit ne diminuait pas. Il semblait se moquer de nous depuis les tréfonds du réfectoire.
- Je vais me les faire, fit Jack à mi-voix.
Son ton ne laissait pas place au doute. Je tentai d'y déceler une pointe de sadisme, mais je ne perçus qu'une insatiable soif de justice.
- Attends, c'est peut-être un piège ! dis-je à la même hauteur.
Le blond me regarda comme si je venais de faire une mauvaise blague. Ses iris bleus me parurent aussi brillants que la lumière du taser. Il resserra sa prise sur l'arme et dégagea les bouclettes devant ses yeux du revers de la main.
- C'est forcément un piège. Reste ici.
Il fonça vers la cuisine. J'avais imaginé pour lui une approche plus discrète et vicieuse, mais Jack entendait de surprendre son adversaire par sa vitesse. Ma respiration s'accéléra. Devais-je aller l'aider ? Oui, sans doute, mais... mais s'il me tendait lui-même un piège ? Cette dernière pensée acheva de me pétrifier. Mon esprit doutait à toute allure. Il n'avait que trop prouvé ses talents de manipulateur. Même s'il me paraissait fiable ce soir, il pouvait tout à fait me manipuler à sa guise ; voulant gagner ma confiance pour m'entraîner dans une embuscade. Qui sait s'il avait un complice ? Qu'est ce que j'étais en train de penser ? Je me tordis les mains, en proie à un dilemme fatal. Mensonge ? Vérité ? Comment pouvais-je faire le tri ?
Un bruit sec couvrit le roulis du mixer et coupa net mes pensées. Il n'avait retenti qu'une seule seconde, pourtant, il me glaça le sang. Quelque chose de grave se tramait ; et le son coïncidait avec le moment où Jack était entré dans le réfectoire. J'étais maintenant certain qu'il était sincère... et en danger.
Je me ruai en direction de la cuisine. Une odeur métallique, immonde, croissait à mesure que je me rapprochais de la porte. Une boule se forma au creux de mon ventre. Mon cerveau était sur off, la panique m'envahissait tel un poison. J'aurais dû y aller avec lui. La culpabilité ne me lâcha pas sur les derniers pas, et lorsque j'entrai...
Le corps de Jack, inerte, s'offrait à mes yeux. Il gisait face contre terre, baignant dans une mare écarlate, le taser à quelques centimètres de sa main tendue. Ma respiration se coupa et ma tête se mit à tourner. Je cherchai de l'air, une prise, mais un objet vint percuter ma tempe à pleine puissance. Un éclair de douleur me traversa, et je me sentis sombrer.
[Reste : 8]
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