3 - Le maître du jeu


Je sentis la main de Kitty attraper la mienne, et pour la première fois, j'aperçus ses iris brillants d'une lueur paniquée. J'aurais aimé pouvoir la rassurer comme elle l'avait fait auparavant, mais mon ventre se tordit. Les autres eurent la même réaction. Jack poussa un gémissement et se recroquevilla sur sa chaise. Emi se serra contre Leeloo. Mary plaqua ses mains sur ses yeux, comme redoutant une apparition horrifique. Même Bianca avait cessé ses ricanements et blêmit.

Les seuls ne semblant pas plus perturbés que cela étaient Atlan et Capucine. La jeune fille croisa les bras et jeta un regard supérieur à la salle ; elle semblait défier l'invisible. Le brun n'avait, lui, pas bougé. La voix lui avait pourtant répondu directement. A sa place, j'aurais été pétrifié.

- Les ventriloques sont priés de la fermer, fit-il calmement en fixant Charlie.

Bien sûr, Charlie pouvait tout à fait être à l'origine de la voix. Et si nous avions finalement eu peur pour rien ? Impassible, iel garda le silence pendant quelques secondes, avant de faire parler ses marionnettes.

- Charlie n'y est pour rien ! chantonna Charlotte.

- Ouais, si c'était Charlie, on le saurait ! renchérit Charles.

- Mais tu peux facilement modifier ta voix, dit Ben, incertain. Regarde la facilité avec laquelle tu fais parler tes... poupées.

Tout le monde acquiesça à la remarque du métisse. Charlie semblait figé comme dans de la glace. Il se leva d'un bloc. Son visage n'exprimait rien. Et ses yeux, invisibles derrières les grandes mèches, ne pouvaient par conséquent trahir aucune émotion. La chaise de l'adolescent racla le carrelage et tomba au sol dans un sinistre claquement métallique. Le silence se fit. Qui sait ce qu'il se passait dans la tête de Charlie ?


Soudain, iel se mit à battre l'air avec ses poupées ; un cri ignoble retentissant sans pour autant qu'iel ne bouge les lèvres.

- Qu'est ce que des poupées ? hurla Charlotte d'une voix hystérique. On est des êtres humains ! On est réels ! Je tuerai moi-même tous ceux qui emploieront à nouveau ce terme !

Ben pâlit d'un seul coup, choqué par une telle réaction. Il avait placé ses mains en signe d'apaisement, mais rien n'y faisait ; Charlie continuait à « hurler » en secouant ses marionnettes.

- Admet juste que la voix, c'était toi, soupira Atlan.

Le brun ne semblait pas plus dérangé que ça par l'attitude de l'adolescent. Kitty serra ma main un peu plus fort. Entre la crise de Jean, le ventriloque hystérique et l'attitude trop calme d'Atlan, difficile de savoir qui m'effrayait le plus.


La voix que nous avions entendue s'éleva à nouveau de nulle part.

- Allons, allons, les amis ! Arrêtez de vous disputer ! Je ne suis pas Charlie, je suis moi !

- Et t'es qui, toi ? demanda Emi.

- Je me présente, je suis l'Hologramme ! Mais pas de chichis, appelez moi juste « Hologramme », huhu.

A ces mots, une espèce de roue lumineuse apparut au sol, entre Jack et Atlan. Le blondinet eut un hoquet de surprise et devint blanc comme un linge. Une lumière bleutée émana du sol, et une sorte de tourbillon du même acabit se mit en marche. Nous restâmes sans voix, c'était surréaliste. Malgré moi, je me mis à écraser la main de Kitty. Je retins ma respiration jusqu'à ce qu'il apparaisse.

Ben poussa un cri et tomba littéralement de sa chaise dans un grand fracas. Jack commença à sangloter.

Sous nos yeux écarquillés, la silhouette d'un jeune homme prit forme sur la roue. D'abord floue, elle se stabilisa petit à petit. Je me sentais nauséeux rien qu'à cette vision. Encore quelque chose d'inexplicable. Avec l'amnésie générale et notre présence ici, ça commençait à faire beaucoup.
Sa peau bleue ne m'étonnait même pas plus que cela. Son visage semblait se déconstruire et se reconstruire en même temps. De petits rectangles lumineux s'en décrochaient ; comme des pixels. On se serait crus dans un mauvais jeu vidéo. Son corps s'affina, habillé de vêtements simples. Sa face apparut en dernier ; le nez, une grande bouche souriante, et... Enfin, il tapa des mains et la roue s'évanouit. Hologramme ressemblait à... un hologramme. Mais le plus horrible... sans aucun doute, ses yeux. Des yeux noirs ; totalement vides. J'avais l'impression de me perdre rien qu'à chercher par où il regardait. Apparemment, je n'étais pas le seul à avoir remarqué ce « détail ». Bianca bondit en arrière et hurla :

- Dégueulasse ! C'est quoi cette merde ? Eh, le gros, protège-moi !

Quand il comprit qu'elle s'adressait à lui, Thomas, d'un mouvement hésitant, se plaça entre Hologramme et la blonde. Le pauvre se faisait déjà totalement manipuler... Flora avait collé les mains sur sa bouche et demeurait extrêmement pâle. Elle semblait prête à vomir.
Même Capucine n'en menait pas large. La voix, passait encore, mais à la vue de cette chose, la brune blêmit.


Kitty se décida à prendre la parole. Cela faisait quelques minutes que je n'avais pas entendu sa voix, et, au premier mot, je me décrispai. Tellement apaisante...

- Hologramme... qui que tu sois, qu'attends-tu de nous ? Comment peut-on sortir d'ici ?

L'apparition eut un léger sourire, qui s'agrandit, encore et encore. Impossible d'être certain qu'il fixait Kitty ; ou quiconque ici d'ailleurs. Est-ce qu'il voyait vraiment ? Je ne devais pas me poser de telles questions, il n'était pas humain. Ben se releva péniblement. Il grogna en se massant les tempes. Hologramme éclata d'un rire glaçant. Le métisse hurla de terreur une nouvelle fois, se reprit les pieds dans la chaise, et retomba.
Jack poussa un cri aigu en pleurant.

- Laissez-nous sortir ! Par pitié ! sanglota le blondinet.

- Oui, s'il vous plaît, on n'a aucune idée de ce qu'on fait là ! Ça doit être une erreur ! fit Mary.

Hologramme hurlait toujours de rire, mains sur le ventre. Des larmes, sortant je ne savais comment de ses orbites vides, roulaient sur ses joues. Il semblait vraiment en plein fou rire. Mes mains devinrent moites. Humain ou hologramme, qui pouvait bien rire de la détresse d'autrui ? Un fou. Un malade. Voilà ce qu'était Hologramme. Et même s'il n'était pas humain, la personne qui l'avait crée était celui ou celle à blâmer. Le visage de Kitty se décomposa. Nous venions de réaliser que cette apparition n'était clairement pas ici pour nous venir en aide.

- C'est impossible de partir ! La zone toute entière est close, s'esclaffa Hologramme. Vous resterez ici, l'éternité s'il le faut !

J'entendis un bruit saccadé à l'autre bout de la table ; Jean hyper-ventilait. Toujours en position fœtale, ses mains grattaient frénétiquement son crâne, quitte à arracher des cheveux. Il émit un bruit guttural, une sorte de gémissement sourd. Je me mordis l'intérieur de la joue. J'avais de la peine pour lui. Même s'il avait tenté de me tuer, sa détresse était bien visible.

- Oh, mais pas d'inquiétude, vous aurez tout ce qu'il faut à disposition. Nourriture, eau, et même des activités ! Petits veinards, ça va être sympa de vivre ici !

Il jeta un « regard » à l'assemblée qui demeurait muette, tous trop choqués par ses paroles. Je refusai d'y croire mais pourtant, une petite voix me soufflait que cette chose disait la vérité. Peur, incompréhension, ces sentiments recommençaient à se mélanger dans mon cerveau. Et des questions affluaient en masse, me donnant mal à la tête.

- Bon, bien sûr, vous verrez les mêmes visages tous les jours. J'espère que vous allez vous entendre et devenir amis... pour la vie, huhu !


- Conneries !

La voix rauque qui venait de résonner dans la salle appartenait à Rufus, l'un des deux colosses. Son visage, son corps, tout ne criait qu'une seule émotion : la colère. La pure, la vraie, la crue. Il se leva d'un bond et fondit sur Hologramme. J'eus à peine le temps de distinguer sa silhouette massive que déjà, il se trouvait devant l'apparition numérique, muscles bandés. Son poing énorme eut tôt fait de s'abattre en direction du visage de son opposant... et de le traverser de part en part. Déséquilibré par son propre poids cumulé à la vitesse, Rufus vacilla et s'effondra sur le carrelage.

- Abruti, lâcha Capucine. On ne t'as jamais appris que tu ne peux pas frapper une image numérique ?

- Rufus ! s'exclama Kitty. Tu vas bien ?

L'amusement d'Hologramme n'en était que renforcé. Il rit encore plusieurs secondes qui me parurent des heures, devant nos visages décomposés.
Quand enfin il reprit son sérieux, seuls les sanglots de Jack et les inspirations de Jean comblèrent le silence mortuaire qui s'était installé.

- Vous avez vraiment cru pouvoir m'arrêter ? ( Rufus grogna ) Bon, je passe l'éponge pour cette fois, mais attention, à la prochaine incartade, je te coupe la main. Et crois-moi, passer une vie avec une main en moins, c'est pas cool. Surtout pour la b...

- Pourquoi on est là ? demanda Yukie d'une voix ensommeillée. Il y a bien une raison, non ?

- Huhu, tu es perspicace, mais malheureusement, c'est un secret. Contentez-vous de vivre heureux... ou pas.

Je lâchai la main de Kitty pour serrer les poings. Il devait forcément mentir ! Notre amnésie, notre réveil... tout cela devait bien avoir un but ! Mais avec si peu d'éléments en notre possession... comment trouver ? On ne savait même pas ce qui nous attendait à la sortie de cette salle.


- Il n'y a vraiment aucun moyen de s'échapper ?

La voix d'Atlan me fit frissonner malgré moi. Elle sonnait faux. Impossible de mettre la main sur ce qui me dérangeait, mais ce ton, cette assurance... Comme s'il s'attendait déjà à la réponse. Je sentis à ce moment qu'on me fixait. Capucine dardait un regard froid dans ma direction. Avait-elle remarqué la même chose que moi ?

- Ah, enfin, la question que j'attendais ! chantonna Hologramme en applaudissant. Figurez-vous qu'il existe bien une façon de sortir d'ici.

- Laquelle ? hurla presque Jean, qui s'était relevé.

A nouveau, son regard me fit froid dans le dos. Yeux écarquillés et luisants d'une pseudo-folie ; le jeune homme avait définitivement craqué. Et ce « moyen de sortir » l'avait violemment dégagé de sa crise de panique. Il attendait à présent la réponse, de la même manière qu'un chien attend son os.
J'étais néanmoins aussi curieux de connaître la réponse à sa question. Un moyen de sortir ? Evidemment que tout le monde voulait sortir. Nous n'avions même pas découvert la « zone » dont parlait Hologramme, mais peu importait, j'avais certainement des proches à retrouver. Même si... je ne m'en souvenais pas. Cette constatation fut l'effet d'un coup de poing. Comment... ?
Hologramme reprit alors la parole. Son sourire venait encore de s'agrandir. Il était carnassier. Un prédateur faisant face à ses proies ; nous.


- Si vous voulez sortir d'ici, il vous suffit simplement de commettre un meurtre.


[Reste : 16]

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