26 - Suspects

L'image des cadavres ne quittait pas mon esprit. La vie ne tenait qu'à un fil dans la zone ; mes camarades tombaient comme des dominos. Le corps de Leeloo, et son expression de souffrance extrême, et celui de Jean, son cou disloqué et ses yeux crevés. Parmi les neuf personnes qui me faisaient face, se trouvait celui ou celle qui avait assassiné nos amis ; si tant est qu'il n'y avait qu'un seul coupable. Pourquoi ; pourquoi avait-il fallu que cela recommence ? Hologramme ne nous avait même pas donné de motivation, cette fois-ci... Malgré les efforts de Capucine, quelqu'un avait ôté deux vies. Le sempiternel stress provoqué par les procès me torturait à nouveau les entrailles. Nous jouions notre vie, comme le criminel mettait la sienne en jeu. Et la position d'Atlan, principal suspect de cette affaire, n'arrangeait rien à mon angoisse. 

Les visages traduisaient une certaine lassitude, mêlée à du dégoût. C'était la troisième fois que nous nous rassemblions dans la salle de conférence pour tenter de démasquer un meurtrier. Si nous y parvenions cette fois-ci... je ne voulais même pas imaginer l'exécution que subirait le coupable. Celles qu'avaient subi Flora et Thomas semblaient encore si proches, si fraîches dans ma mémoire... Et surtout si cruelles. Toujours est-il qu'au moins deux tombes viendraient s'ajouter aux quatre précédentes. Nous avions perdu six personnes, six amis. Même si Jean avait définitivement perdu les pédales ces derniers jours, il ne méritait pas une telle mort. Et Leeloo... elle venait à peine de retrouver le sourire, quant à ses sentiments non réciproques envers Emi. Je me jurai de tout faire pour démasquer celui ou celle à l'origine de ces scènes morbides.


Comme de coutume, un silence épais plana sur le tribunal. Capucine et Jack semblaient jauger chacun du regard, l'une sérieuse et l'autre amusé, cherchant déjà un potentiel assassin parmi nous. Ben restait silencieux, déplorant à nouveau la perte d'une camarade. Il se sentait coupable, étant le premier à avoir approché la scène de crime. Emi, blême, n'avait pas prononcé un mot depuis la mort de sa meilleure amie. Bianca était restée quasiment muette ces derniers jours, et ne semblait pas plus bavarde.
Je m'assis à côté d'Atlan, pour le soutenir du mieux possible. Tôt ou tard, il allait forcément être soupçonné ; et il était en mon devoir de prouver son innocence. Je tentai de l'encourager d'un regard, mais il fixait le vide, imperturbable.


Hologramme sonna le début du procès. Sans surprise, Capucine prit la parole en premier. 

- Mon avis sur la situation est très simple. Je pense que les événements des derniers jours ont tous un lien. L'enfermement de Jack, les différents mots... Même les cadavres sont rattachés. Selon moi, il n'y a qu'un seul et même meurtrier derrière tout cela. 

Personne ne trouva rien à redire. Cela sonnait juste. Jean était mort après Leeloo, ce qui impliquait que son assassin avait déjà vu le corps de la jeune fille avant d'installer le mécanisme de pendaison. Mécanique qui restait toujours obscur, mais nous en reparlerions sûrement à un moment ou à un autre.
Jack se racla la gorge exagérément afin d'attirer toute l'attention sur lui. Son visage pétillait d'une malice déplacée ; sadique. Il prit une inspiration et déclara d'un ton calme, toutefois empreint d'une intonation moqueuse :

- Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire. Lorsque le corps de Kitty a été découvert, Hologramme est tout de suite apparu, non ? De même, dès que nous avons trouvé Mary dans le congélateur, il a lancé le décompte jusqu'au procès, et ce, alors que Caleb, Atlanou et Yukinette cherchaient déjà dans l'infirmerie. Du moment qu'une personne tierce voit le cadavre, Hologramme apparaît. Donc... S'il y avait eu un second meurtrier, il aurait été considéré comme innocent en voyant le premier cadavre et nous aurions tous été réveillés. Vous ne pensez pas ? 

Il avait terminé sa phrase avec une voix aiguë, comme s'il posait la question à des enfants. 

- Mais quand Kitty a été tuée, tu as vu le corps avant tout le monde, souffla l'asiatique. Tu as toi-même jeté son couteau dans les toilettes ! Pourquoi est-ce qu'il n'y a pas eu d'annonce ? 

Le blond haussa les épaules avec un grand sourire gamin. Il anticipait cette phrase. Son visage poupin ne renvoyait aucune psychopathie, mais cela le rendait d'autant plus effrayant. Il avait repris son rôle d'enfant innocent, et, comme d'habitude, se servait de cela pour glisser d'importants indices dans le débat. 

- Oh, ça ? Peut-être ai-je certifié à Hologramme que le procès serait bien plus amusant s'il me laissait faire... Peut-être.


Je réprimai un frisson, me forçant à ne pas imaginer la scène. Jack avait pourtant raison, il ne pouvait y avoir qu'un seul et même tueur. Une seule personne à l'origine de l'agonie de Leeloo et du corps mutilé de Jean. C'était d'autant plus terrifiant.

- On digresse, là, asséna Capucine. Bien... Leeloo est morte en premier, comme écrit sur le rapport. Et l'absence de marques sur sa gorge ne peut signifier qu'une chose : elle est morte empoisonnée. 

- Et le couteau, alors ? dit Charles. Y'avait du sang partout, hell yeah ! Une vraie piscine !

L'assemblée se tut. Cette histoire de couteau dans la jambe compliquait les choses. Il était évident que la cause du décès demeurait le poison, mais pourquoi, alors, trancher l'artère post-mortem ? Mais il y avait un autre problème... A présent que le mot « couteau » avait été prononcé, les discussions allaient se recentrer sur ledit possesseur d'un éventuel couteau. A savoir Jean, qui était mort, ou Atlan. La question ne tarda pas. 

- Il n'y a que deux personnes pouvant se servir d'un couteau, déclara Emi. 

La rouquine fusillait Atlan du regard. Je ne pouvais pas lui en vouloir ; sa meilleure amie venait d'être découverte sans vie, et le brun demeurait le principal suspect dans cette affaire. Bientôt, tous les visages convergèrent vers ledit suspect. Il n'avait pas prononcé un mot depuis le début du procès, mais son visage n'exprimait aucune peur. 

Atlan, après quelques secondes, esquissa un sourire narquois, bien que crispé. Ses yeux bleus étincelaient d'une fureur sans nom. Il décrocha quelque chose de sa ceinture, le brandit devant nos yeux...

Et enfonça la lame de son couteau dans la table. Il l'avait planté avec une telle force que le bois se trouvait percé sur au moins un centimètre. 

- Voilà mon couteau, cracha-t-il. Faites-en ce que vous voulez, mais foutez-moi la paix.


En un geste, Atlan nous avait éclairés sur un point crucial. Seuls deux couteaux pouvaient se trouver dans la jambe de Leeloo ; il devenait donc évident que la lame appartenait à Jean. Le jeune homme était donc mêlé d'une façon ou d'une autre au meurtre de la jeune fille. Mais si la théorie de Jack tenait la route... il se serait donc suicidé ? Non ; je ne pouvais pas croire une telle chose. Jean avait perdu pied, mais il tenait à la vie plus que quiconque. Et cela impliquait qu'il se serait lui-même crevé les yeux, attaché les mains, et... Une hypothèse naquit dans mon esprit et s'imposa à moi.

- Le tueur a assommé Jean, dis-je sans conviction. A un moment ou à un autre, il lui a volé son couteau. 

Tout le monde se tourna dans ma direction. Devenir le centre de l'attention aussi vite rendit mes joues brûlantes. Atlan avait lui aussi posé ses yeux sur moi, bienveillants, et m'encouragea d'un sourire. Mon visage se remit à chauffer, mais pour des raisons différentes. Il comptait sur moi, et j'allais lui prouver que j'étais capable de résoudre cette enquête à sa place. Je voulais qu'il soit fier de ce que j'étais devenu, depuis la mort de Kitty. Aujourd'hui, je devais faire mes preuves.
Alors je me levai, et, présidant l'assemblée, pris tout mon temps pour continuer. Mes mains tremblaient ; je m'efforçai à les ignorer. 

- Le coupable a voulu faire accuser Atlan avec le couteau, ça ne fait aucun doute. Cependant... il y a quelque chose qui cloche. La victime a été empoisonnée, alors que son agresseur aurait simplement pu la tuer d'un coup de couteau...


Capucine me toisa. Ben et Emi semblaient complètement perdus dans mes paroles. Rufus grimaçait en se grattant la tête. Yukie se mordillait furieusement la lèvre, ne parvenant pas à comprendre. Jack se pencha vers Charlie pour lui chuchoter quelques mots à l'oreille.
Finalement, ce fut Bianca qui rompit le silence. La blonde nous fixa un par un, comme si son caractère reprenait ses droits après trois jours de mutisme. 

- Vous avez vraiment rien compris, bande de puceaux en manque ! grinça-t-elle à mi-voix. A quoi ça servirait de faire plusieurs victimes, hein ? A part s'il s'agit du gamin sociopathe ( elle désigna Jack qui arbora un grand sourire ), ça n'a aucune intérêt !

- Ah, la guenon a une idée ! s'exclama Jack. Tous aux abris, elle veut peut-être qu'on fasse une parto...

- Jean s'est fait tuer parce qu'il était un témoin gênant, voilà ce qu'elle veut dire, dit Capucine. 

Elle se tourna vers Bianca pour confirmer ; cette dernière hocha la tête. Cette hypothèse me paraissait tout à fait plausible ; ce qui expliquait le coup de couteau post-mortem, si le tueur n'avait pu récupérer l'arme qu'après la mort de Leeloo. Mais le mystère du sang dans l'escalier restait entier. Je me tordis nerveusement les doigts en réfléchissant. Nous avions des éléments en notre possession, mais rien n'incriminait totalement une personne en particulier. Je balayai l'assemblée. Personne ne laissait entrevoir la moindre culpabilité. Celui ou celle ayant commis un double meurtre de sang froid possédait un parfait jeu d'acteur. Cette seule constatation acheva de me glacer le sang.
Ben, qui réfléchissait depuis un bon moment, entama d'une voix hésitante :

- Et si... Leeloo s'était juste suicidée ? Elle... n'allait pas très bien. Alors peut-être qu'elle a tué Jean parce qu'il était dangereux, et s'est suicidée juste après avec le poison. Ça expliquerait la porte bloquée de l'intérieur, et...

Jack s'esclaffa d'un rire mauvais. 

- T'es vraiment le plus débile, Benoît ! Même si Leelouille avait elle-même monté le mécanisme du pendu, ça n'explique ni le sang dans les escaliers, ni pourquoi le corps de Jean est tombé à un moment précis

Le métis baissa la tête, vaincu. Les mots de Jack, lancés comme des poignards, avaient fait mouche. Il avait non seulement fait taire Ben, mais également soulevé un autre détail crucial. Le blond semblait plus motivé que jamais. Je repensai à l'autre jour où j'avais discuté avec Charlie. Jack savait parfaitement qu'un meurtre se préparait ; Leeloo était déjà condamnée lorsque nous avions lu le premier message de l'assassin. Le plan du meurtrier commençait. Ainsi, il avait fait exprès de se laisser enfermer par le coupable pour posséder un solide alibi. A présent, il semblait s'amuser comme un enfant devant un jeu vidéo. Je ne savais pas exactement pourquoi le meurtrier l'avait écarté du crime, mais j'avais tout de même une idée : Jack avait été particulièrement intelligent et sournois lors des deux premières affaires, et demeurait une menace pour les potentiels criminels. L'écarter durant la préparation et la réalisation du crime assuraient au coupable qu'il ne puisse pas le gêner.


Capucine était restée silencieuse depuis un moment, mais elle redressa la tête, son regard glacial se posant sur nous.

- Il suffit d'observer la deuxième corde pour avoir une idée du mécanisme. La boucle à son extrémité ne peut signifier qu'une chose. Jean était non seulement attaché à Leeloo, mais également à un autre endroit. En toute logique... la poignée de porte. 

Un murmure d'incompréhension secoua l'assemblée. Atlan toisait la brune, le visage figé dans un calme olympien. Capucine, quant à elle, épluchait toujours ses suspects des yeux. Son regard s'attardait sur certaines personnes. Elle poussa un soupir et nous expliqua :

- Réfléchissez, bande d'abrutis. Dans l'état où se trouvait Jean, il ne pouvait ni voir, ni crier. Restait à l'empêcher de bouger. En attachant l'extrémité de la deuxième corde à la poignée, il suffisait juste d'ouvrir la porte de l'infirmerie pour le libérer. Ça ne l'a peut-être pas précipité de suite, laissant le temps au coupable de s'enfuir, mais une chose est sûre... ( elle marqua une pause ) Jean est lui-même passé par la fenêtre. Il était aveugle et devait souffrir le martyre. Il a dû paniquer et courir partout sans réfléchir. 

Un grand blanc pesa sur l'assemblée. A l'exception de Jack, Atlan et Capucine, nous avions tous baissé la tête. La façon dont était mort Jean... était presque inhumaine. Lui, qui faisait tout pour survivre et se cachait sûrement depuis deux jours, avait été victime d'un malheureux hasard. Je n'osais même pas me figurer la douleur qu'il avait ressentie en revenant à lui. Qui sait s'il ne s'était pas volontairement jeté par la fenêtre après avoir compris la situation dans laquelle il se trouvait ? Mon cœur se serra. Personne ne méritait d'être tué de cette manière. Personne.


- Dans ce cas, celui qui est monté en premier est extrêmement suspect, susurra Jack.

Ses yeux brillants se posèrent sur Ben comme ceux d'un prédateur traquant sa proie. Le métis blêmit, déglutit. Une goutte de sueur roula sur sa tempe. Il mesurait facilement trente centimètres de plus que Jack, et pourtant, il paraissait terrifié face au blond. 

- Je... je... entama Ben. Si j'suis monté, c'est parce que j'ai reçu une lettre signée « Capucine ». ( il baissa les yeux, partagé entre la peur et la honte ) Je l'ai trouvée sous ma porte en me levant, alors j'ai pas hésité. Mais... mais quand j'ai vu du sang dans les escaliers, et la porte de la bibliothèque fermée de l'intérieur, ça m'a fait flipper. Alors je suis directement redescendu pour aller chercher Caleb. 

- Et tu penses qu'on va gober un tel mensonge ? chantonna Jack, un sourire carnassier relevant ses pommettes. Tu as très bien pu écrire ces trois lettres toi-même. En fait... tu joues la comédie depuis le départ ! Espèce de salaud !

Un grand fracas fit taire l'éclat de rire du blond. Capucine venait d'abattre sa main sur la table et assassinait Jack du regard. Elle avait les joues rouges, mais son visage demeurait quasi imperturbable. Seuls ses yeux lançaient des éclairs. 

- Laisse-le, abruti. Je crois en son alibi. 

Le blondinet parut étonné quelques instants, puis son sourire revint, plus menaçant que jamais. Il se mit à hurler d'un rire à glacer le sang. Tête rejetée en arrière, mains enroulées autour de la taille. Sa folie me surprendrait toujours. 

- Comme c'est noble de ta part, Cicine ! Défendre son prince charmant, ça m'arracherait presque une larme. Mais plus sérieusement... si ce n'est pas Benoît, alors, qui est-ce ?


Je me refusais d'accuser Ben comme étant le meurtrier de Leeloo et Jean. Ce n'était juste pas possible ! Pas après le banc des cœurs brisés... Il semblait si préoccupé par l'état de la jeune fille, et voulait à tout prix lui remonter le moral. Le métis me lança un regard désespéré. Les coups de massue s'enchaînaient pour mon ami. D'abord, le meurtre de Leeloo juste après notre entrevue. Ensuite, le véritable coupable s'était servi de son amour envers Capucine pour l'attirer dans un piège. Et maintenant, il était lui-même suspecté ! Je tentai, en vain, de trouver quelqu'un d'autre à inculper, mais je n'y parvins pas. De toute manière... Je ne pouvais encore me résoudre à accuser l'un de mes camarades. Ils paraissaient tous si... innocents. Excepté Jack, évidemment, mais ce dernier bénéficiait de l'alibi que lui avait fourni l'assassin.

Et alors que nous semblions dans l'impasse, la voix d'Emi résonna. La rousse se tenait debout, le visage éclairé d'un sourire doux. Elle semblait apaisée, et son attitude hurlait « je connais la vérité ». Rufus, assis à sa droite, la couvait d'un regard protecteur. A sa gauche, Bianca ne put réprimer une moue désappointée. 

- L'infirmerie se trouvait au troisième étage, dit-elle calmement. Et nous étions tous ensemble lorsqu'il y a eu le grand bruit. Tous... sauf Atlan. Il est le seul à avoir pu déclencher le mécanisme sans se faire voir. C'est donc lui le meurtrier. Il a tué Jean, et a gardé son propre couteau pour se disculper. Mais l'ordure qui a assassiné Leeloo, c'est bien lui. 


Sa voix sonnait comme du velours, pourtant, à cet instant précis, je n'entendis qu'un serpent siffler.


[Reste : 10]

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