21 - Insécurité
Atlan était adossé au mur, bras croisés et cigarette au coin des lèvres. Son regard planté dans l'horizon brumeux de la zone ne laissait paraître aucune émotion. Dès que je fus assez proche, il me saisit le bras sans un mot et me tira vers l'arrière du bâtiment. Il me fit éteindre la lampe de poche. J'ouvris la bouche pour le questionner, mais il plaqua sa main sur mon visage. Elle me parut brûlante au contact. Il stressait. Ses yeux, seulement éclairés par la lueur de la lune, cherchaient quelque chose dans l'obscurité. Atlan gardait sa sempiternelle expression neutre, mais les détails dans son comportement confirmèrent mon hypothèse : il avait peur de quelque chose. Ou de quelqu'un. J'avais froid. Le vent soufflait, soulevant son pesant de craintes. Je regrettai de ne pas avoir pris la veste d'Atlan.
Après un moment qui me parut une éternité, le brun entama à mi-voix :
- Ecoute, j'ai pas beaucoup de temps.
- Qu-quoi ?
Il recolla sa main, non sans me darder un regard glacial. J'avais parlé trop fort, conte tenu des précautions prises pour rester discrets. Mais ces mots... ils pouvaient avoir tants de sens que je m'étais tout de suite inquiété. Atlan regarda à nouveau aux alentours. Ses doigts frémirent.
- Laisse-moi finir. ( sa voix déclina un peu plus, transformée en un murmure presque inaudible ) Hier, j'ai vu que le donjon était ouvert. J'y ai découvert... des choses. ( il soupira ) Je ne peux pas t'en parler tout de suite ; il me faut encore des preuves.
Je ne comprenais rien à son discours, mais je gardai le silence. Le brun semblait vraiment préoccupé, et, à chaque phrase, se retournait nerveusement. Il crispa sa mâchoire quelques instants ; il réfléchissait à ses prochaines paroles.
- Depuis quelques temps, j'ai l'impression... d'être observé. Pas tout le temps, mais surtout le soir, quand on se retrouve sur le banc. Et avec ce que j'ai pu apprendre dans le donjon...
Il jeta un nouveau coup d'œil circulaire. Puis, sans prévenir, il se rapprocha pour me glisser à l'oreille d'une seule traite :
- Il y a un traître parmi nous. Ne me demande pas qui, ne me demande pas pourquoi, mais quelqu'un est là pour nous faire respecter les règles en bonne et due forme.
- Un traître ? soufflai-je d'une voix blanche. Mais nous ne sommes que douze... ça voudrait dire que...
- Réfléchis. Hologramme est intangible. Il ne peut rien contre nous. Plusieurs éléments confirment ma théorie. Alors, fais gaffe. ( il recula et esquissa un sourire ) Tu te souviens de ce que je t'ai dit, le premier soir ?
Je tentai de réfléchir mais mon cerveau était trop occupé à faire défiler les visages de mes camarades. Un traître, vraiment ? Quelqu'un pouvait-il vraiment tirer les ficelles de ce jeu sordide ? Il fallait être fou... Et puis, à en croire leurs réactions lorsque l'un de nos amis perdait la vie... Je ne pouvais imaginer que quelqu'un jouait la comédie depuis le premier jour. Une douleur naquit au creux de mon estomac. Je me refusais de soupçonner mes amis, et pourtant, mon esprit se portait de lui-même vers de potentiels suspects. Mais au final... il n'y avait que des potentiels suspects. Ma respiration s'accéléra. Non ; j'allais devoir me méfier de tout le monde. Tout le monde. Ben, Capucine, Yukie... Tout le monde. Je ne voulais pas avoir à faire ça. Après les meurtres, maintenant, il fallait douter des autres ; pas simplement des potentiels assassins ? J'en avais assez, d'être stressé en permanence.
Je me rendis compte qu'Atlan me fixait toujours, le visage éclairé par une expression radoucie. Il attendait ma réponse. J'avais mis du temps à réagir, mais bien sûr que je me souvenais de ce qu'il m'avait dit le premier jour. Comment aurais-je pu oublier cette phrase ?
- Tu m'as dit de ne faire confiance à personne. Même pas à toi.
Il rit doucement, puis son regard s'arracha du mien pour fixer le sol. Je ne pus réprimer un sourire. Il ressemblait à un gamin boudeur, les bras maintenant croisés ; il cherchait ses mots, visiblement gêné. Après une grande inspiration, je posai ma main sur son épaule pour l'encourager à parler. Mon geste le surprit au départ, mais il ne recula pas. Atlan sembla se souvenir que son temps était compté, qu'il avait laissé le donjon sans surveillance. Le brun porta la cigarette à ses lèvres, aspira. Le mégot rougeoya dans la pénombre.
- Ce n'était pas dans mes plans, mais... je vais devoir te demander d'aller à l'encontre de mes propres paroles.
- Qu'est ce que tu veux dire par là ?
Ma voix avait fini par s'adapter d'elle-même ; le vent, bien que faible, couvrait toutes nos paroles.
Atlan prit soudain un air des plus sérieux. Pas froid. Juste sérieux. D'un geste, il chassa ma main, et posa les siennes sur mes épaules. Ses yeux bleus vinrent se planter dans les miens. Mais les glaçons qui lui servaient d'iris brûlaient d'une lueur de détermination.
- Je te demande de me faire confiance, Caleb.
A cet instant précis, je voulus hurler que j'avais toujours cru en lui. Mais une puissante intention me convainc que ces mots ne présageaient rien de bon. Alors je me contentai d'un « oui, bien sûr », avant qu'Atlan ne reparte en direction du donjon.
*
Ben frappa à ma porte ce matin. J'étais, pour une fois, levé à l'heure ; j'avais à peine dormi. Ajouté à la crainte du comportement de Jean, les soupçons sur un potentiel traître ne me lâchaient pas. Je regardais mon camarade métis d'un autre œil malgré moi. J'analysais ses paroles, ses gestes. Je me haïssais d'avoir à le suspecter ainsi, mais Atlan m'avait bien demandé de lui faire confiance ; et par confiance, il entendait sans doute de me signifier qu'il n'était pas ledit traître. Sa théorie, même si elle n'était pas totalement fondée, tenait la route. Hologramme représentait sans conteste le maître du jeu ; il se chargeait des exécutions et des motivations. Mais si un de nos camarades jouait une comédie sordide depuis notre arrivée... ce serait mille fois pire.
Mon ami ne fit pas trop de remarques conte tenu de mon attitude. Lui-même demeurait préoccupé depuis la veille, après la remarque cinglante de Capucine. Il était presque muet, et fixait ses pieds en permanence. Je m'inquiétais pour lui.
Rufus se joignit à nous sur le chemin du réfectoire, où se trouvaient déjà Leeloo et Emi. Les jeunes filles, debout devant une table, discutaient. Quand elle nous vit, la rouquine se fendit d'un large sourire et courut presque dans les bras de Rufus. Elle sauta dans ses bras, et enroula ses jambes autour de la taille du colosse. Ce genre d'attitude ne me surprenait pas ; la rousse était de loin la plus excentrique d'entre nous. Emi finit par glisser ses mains dans la nuque de son petit ami et l'embrassa à pleine bouche. Je détournai les yeux, gêné de devoir assister à une telle scène. Leeloo, bras croisés, semblait sur le point de pleurer. Quant à Ben... Il semblait se ficher de tout.
Quand elle eut fini son baiser, la rouquine se sépara du colosse, un filet de bave dégoulinant au bord des lèvres. Elle désigna l'objet de leur conversation.
- Quelqu'un trouve drôle d'écrire des messages comme ça !
Son doigt pointait un couteau, posé sur la table, accompagné d'un message manuscrit. Je ne reconnus pas l'écriture d'Atlan ; c'était déjà ça.
« Jack est enfermé dans la salle de bain de sa chambre. Voici son couteau. Vous pouvez vérifier dans le débarras, il en manque toujours cinq. C'est donc bien le sien. Faites-en ce que vous voulez, mais dites-vous qu'actuellement il ne peut tuer personne. »
Ben, qui semblait enfin être revenu parmi nous, grimaça.
- C'est vrai, ça ? Quelqu'un... a vraiment enfermé le gamin ?
Personne ne lui répondit ; nous étions tous en pleine réflexion conte tenu du message. D'un côté, l'auteur n'avait pas tort. Si Jack avait vraiment été enfermé dans sa chambre, sans arme, alors il ne représentait plus une menace. D'un autre côté... pourquoi la personne l'ayant enfermé taisait-elle son identité ? Par peur de représailles ? Non, ça ne tenait pas la route. Tout le monde ici, excepté peut-être Atlan, avait peur du blond. Celui ou celle ayant enfermé Jack nous avait proposé cette idée, nous aurions tous été d'accord. Mon mauvais pressentiment, que je traînais depuis l'exécution de Thomas, grandit encore un peu plus. J'avais l'impression d'être écrasé par le stress et les questions sans réponses.
- Leeloo pense que c'est une bonne chose, dit la jeune fille musclée. Jack a failli tuer Jean !
- Il ne l'aurait pas fait, répondis-je. Du moins... je crois.
- En attendant, fit Rufus, ça fait une menace de moins. Reste à savoir où est cet hystérique de Jean...
Je me retournai machinalement, comme s'il pouvait apparaître d'un seul coup. Rufus avait raison, Jean représentait une menace, et était même plus dangereux que Jack. Le blondinet entendait simplement de jouer avec nos nerfs, de terrifier les plus faibles d'esprit comme Mary auparavant. Il voulait simplement s'amuser, et était bien trop intelligent pour commettre un meurtre. Du moins... il ne tuerait pas avant d'échafauder un solide plan.
Jean, en revanche, était un cas à part. Son hystérie demeurait bien plus inquiétante que la psychopathie du blond. Il pouvait tuer n'importe qui, n'importe quand. Pas de manière préméditée ; juste sur un coup de sang. Il possédait toujours son couteau, et quiconque le croisait s'exposait à sa paranoïa. Jean pensait que nous voulions tous le tuer. En se persuadant de cette idée, il était, pour lui, légitime de se débarrasser d'un potentiel tueur. Il était plongé dans un tel délire qu'on ne l'arrêterait pas.
Nous fîmes part de la découverte aux autres lorsqu'ils arrivèrent. Atlan devait encore rester dans le donjon. Je me promis de lui apporter de quoi manger. Du moins, après avoir vérifié la chambre de Jack. Les gens semblaient de plus en plus étranges. Yukie me fixait de manière insistante. Bianca ne s'exprimait que par monosyllabes. Emi et Rufus passaient leur temps à s'embrasser en public. Ben semblait perdu en permanence. Jean ne vint pas, au même titre que le blond.
Capucine faisait les cent pas autour de la table, triturant furieusement ses longues mèches brunes. Elle réfléchissait. Bien qu'elle ait cédé à la panique la veille, après l'événement de la trappe, la brune avait reprit pied et paraissait motivée à trouver des solutions. Elle était la seule entre les trois plus intelligents d'entre nous à pouvoir agir ; Atlan étant dans le donjon, et Jack apparemment enfermé dans sa chambre. Mais cela restait à prouver. Qui ne nous disait pas que le blond nous tendait un piège, et avait lui-même déposé son couteau dans le réfectoire ?
- On n'a pas le choix, fit-elle d'une voix glaciale. Le couteau de Jack est ici ? Bien. On va le remettre dans le débarras. Et on va s'assurer que plus personne ne puisse accéder à des armes.
- Qu'est ce que tu entends par là ? chantonna Charles. Tu comptes tuer tous ceux qui s'approchent du troisième étage ?
La jeune fille foudroya Charlie du regard. Jack avait vraiment une mauvaise influence sur l'adolescent. Puis ses yeux glissèrent en ma direction, et elle me fixa avant de continuer. Personne ne l'interrompit. Elle dégageait... quelque chose. Une aura charismatique. A cet instant précis, j'entrevis en Capucine le leader qu'il nous fallait. Quelqu'un pour mettre de l'ordre dans nos esprits nerveux et embrouillés. La jeune fille ne sembla pas s'en rendre compte, mais tous les regards convergeaient vers elle, brillants d'une lueur admirative.
- Il y a des cadenas à code, dans le débarras. On va en utiliser un pour fermer définitivement la porte. ( son regard devint d'autant plus froid ) Une clé, c'est trop risqué. Ça se vole trop facilement. Mais un code implique qu'au moins une personne connaîtra la combinaison.
Le brune avait prononcé cette phrase sans laisser place à la réflexion. Elle avait déjà fait son choix.
- Et cette personne... ce sera toi, Caleb.
[Reste : 12]
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