2 - Présentations musclées
J'eus un hoquet de surprise lorsque je pris conscience de la situation. Le bras faisait pression sur ma gorge, m'empêchant de respirer. Je m'agitai, dans l'espoir naïf qu'il lâche prise. L'étreinte ne se fit que plus forte.
- Caleb ! hurla Kitty en faisant irruption dans la pièce. Toi, lâche-le immédiatement !
Le sang affluait dans mes tempes et ma vision se brouillait rapidement. Je griffai le bras de mon agresseur, sans succès. Moi qui pensais enfin être en sécurité avec Kitty, j'allais mourir comme ça ?
- Pas question ! se mit à crier le garçon, hystérique. On est où ? T'es qui ? C'est qui ? Vous allez me buter comme vous avez buté les autres ?
Je n'entendis qu'à moitié sa voix suraiguë. Mon cerveau glissait lentement vers les limbes de l'inconscience. Ma gorge brûlait. Je tentai de parler, en vain. Les mots restaient bloqués. Des larmes affluaient au coin de mes yeux. Même si ma mémoire défaillait, j'étais persuadé de ne jamais avoir ressenti une telle douleur. Je voulais juste m'évanouir, et ne plus ressentir cette atroce brûlure.
- Ils ne sont pas morts, ils dorment ! Comme nous avant toi ! S'il te plaît, laisse-le !
- Où est ce qu'on est ? Pourquoi je me souviens de rien ? hurla mon agresseur.
Mes sens s'estompaient. Les voix m'arrivaient en écho. J'étais là sans vraiment y être. L'image floutée de Kitty, son visage horrifié encadré de douces boucles blondes, serait la dernière chose que je verrai.
- C'est la même chose pour nous ! Je t'en prie !
L'étreinte se desserra un peu, me permettant d'avaler une goulée d'air. L'agresseur hésitait. Mais il se reprit rapidement, et son emprise avec.
- Mensonges ! Tu vas me buter dès que je lâcherai ton copain, hein ?
- Bien sûr que non ! Pitié...
Alors que mes derniers espoirs de survie s'envolaient, une voix, bien plus posée que les autres, s'éleva.
- Si tu deviens un assassin, tu te mettras d'emblée à dos tous les gens qui roupillent. Quelqu'un qui aura trop peur de toi, comme la blonde, n'hésitera pas à te tuer ; par sécurité. Alors, prêt à te coller l'étiquette du psychopathe paranoïaque aussi rapidement ?
Le bras frémit et disparut de ma gorge. Je m'effondrai au sol, toussant et crachant. Kitty se jeta à mes côtés, me soutenant du mieux qu'elle pouvait. Le garçon à lunettes étant toujours derrière moi, je ne pus distinguer son visage. Mais la douleur perdurait. Et surtout, le choc. Il m'avait attaqué par derrière, sans aucune raison valable. Il fallait s'éloigner de cet homme, le plus tôt possible. Je tentai de me redresser, mais mes bras ne parvinrent pas à soulever mon corps. Je retombai contre le carrelage et me recroquevillai tandis que Kitty avait posé sa main dans mon dos.
La voix posée reprit.
- Bon, vous n'avez aucun souvenir ; moi non plus. C'est pas en tentant de s'entre-tuer qu'on va sortir d'ici. Réveillez les autres, on avisera après. Peut-être que quelqu'un aura plus d'informations.
- Tu étais réveillé depuis le début ? s'étrangla Kitty. Pourquoi tu n'es pas intervenu pour aider Caleb ?
Je redressai la tête, à peine remis de ma suffocation. De l'autre côté de la table se dressait une silhouette filiforme surmontée de cheveux bruns ébouriffés. Ses yeux nous fixaient... et quels yeux ! Une couleur bleu glacier impressionnante. Ils étaient presque fluorescents. Je frissonnai quand nos regards se croisèrent. Ils n'avaient pas seulement la couleur, ils avaient aussi la froideur d'un bloc de glace.
- Je n'avais aucune envie de me faire agresser par l'autre taré à lunettes, dit-il comme une évidence.
En parlant de mon agresseur... au prix d'un gros effort, et épaulé de ma camarade blonde, je me retournai pour découvrir qui avait failli me tuer.
Effectivement, c'était le garçon à lunettes. Il demeurait, blême, plaqué contre le mur. Des gouttes de sueur dégoulinaient sur ses tempes, et ses mains tremblaient par convulsions. Il gardait les yeux braqués au sol et murmurait des mots incompréhensibles. Au fond... pouvais-je vraiment lui en vouloir ? Certes, il avait failli m'étrangler à mort, mais comme je l'avais réalisé avant, chacun réagissait différemment à la situation. Je m'étais caché sous la table en position fœtale, tandis que Kitty s'était improvisée exploratrice. Le brun aux yeux bleus, lui, avait choisi de nous écouter avant d'agir. Et mon agresseur... s'était simplement laissé gagner par la panique. Peut-être que j'aurais terminé comme lui, si Kitty n'était pas arrivée. Je relevai finalement le col de ma chemise pour cacher d'éventuelles marques de strangulation. Il ne fallait pas que les autres commencent à devenir suspicieux.
- Dites... entama une voix pâteuse.
Le métisse se redressa, main sur la nuque. Son grand manteau bleu et son jean déchiré trop large lui donnaient une dégaine assez spéciale, sans parler de ses cheveux en afro. Il nous observa tous un par un, mais son regard finit par s'arrêter sur moi. Pourquoi étais-je au centre de l'attention ? Mes joues se remirent à cuire. Pourvu qu'il ne remarque pas l'état de ma gorge !
- La vache, j'comprends rien du tout, lâcha-t-il en lissant les pans de sa veste.
- Tu te souviens de ton prénom ? demanda Kitty avec toujours la même gentillesse.
- Mon prénom ? C'est-à-dire que... j'ai l'impression que cinquante enclumes viennent de me tomber sur le coin de la tête.
Yeux-bleus soupira en levant les yeux au ciel, visiblement excédé.
- Ah, ça y est, ça me revient ! Benoît ! Mais appelez-moi Ben. dit-il en recoiffant ses cheveux crépus. Et vous, c'est comment ?
- Je m'appelle Kitty, et lui, Caleb.
Mon agresseur releva la tête, les yeux brillants. Il ressemblait à un fou furieux. Ben eut un léger froncement de sourcil.
- Jean, fit le garçon à lunettes d'un ton expéditif.
Les regards convergèrent vers celui qui n'avait pas encore parlé. Mon sauveur, si je puis dire. Mais difficile d'appeler « sauveur » ce jeune homme, qui semblait n'en avoir rien à faire. Il garda le silence jusqu'à remarquer qu'il se trouvait au centre de l'attention. Nous attendions tous sa réponse.
- Quoi ? Mon prénom ? Je ne m'en souviens pas. Voilà. Maintenant, foutez-moi la paix le temps que tout le monde finisse de roupiller.
Il se tira une chaise et s'y assit. Nous prîmes la décision de le laisser tranquille, au moins jusqu'à ce que tout le monde se réveille. Jean était parti se recroqueviller dans un coin de la pièce ; il se balançait d'avant en arrière en murmurant toujours des paroles incohérentes. Je me relevai avec l'aide de Kitty, tandis que Ben s'approchait.
- J'ai compris, fit-il avec un grand sourire.
- Vraiment ?
La tête de ma camarade se releva, le regard empli d'espoir. Et si Ben était ce quelqu'un mentionné par le brun ? Peut-être qu'il avait plus d'informations. Malgré moi, je ne pouvais qu'attendre impatiemment la suite de ce qu'il avait à dire.
- Vous me faites une surprise-party pour mon anniversaire ! Pour ça que je dormais. Ouah, c'est vraiment trop gentil de votre part ! Par contre, j'ai l'impression que je vous connais pas...
Une moue déçue s'imprima sur mon visage. En fait, il était un peu bête. Mais Kitty, bien qu'elle aussi désappointée, lui répondit d'une douceur presque irréelle :
- Désolée, mais on ne fait de surprise-party pour personne. En fait... on ne se connaît pas. Mais ce n'est pas grave, on va vite devenir amis et sortir d'ici !
- Euh... bonjour ? retentit une voix à nos pieds.
Bientôt, tous nos camarades se levèrent. Kitty accourait à chaque fois vers eux pour s'assurer qu'ils allaient bien. Ils semblaient, comme nous, sonnés et désorientés, et n'avaient que le souvenir de leur prénom.
Je m'échinai à les compter, et, fidèle aux paroles de Kitty, nous étions bien seize. Elle proposa que nous nous asseyions à la table, ce que nous fîmes. En même temps, il n'y avait pas grand-chose à faire de plus. Je trouvai ma place entre Kitty et Ben ; les deux seules personnes à peu près censées que j'avais rencontré. Jean vint également s'asseoir avec le groupe. Quant au brun, il posa sur chacun un regard froid avant de soupirer.
- Alors... commença Kitty, visiblement peu sûre d'elle. On a tous l'air d'être dans la même situation : nous nous sommes réveillés ici, sans plus de souvenir que notre prénom. Derrière la porte, là, il y a un couloir. Je propose que nous allions l'explorer. Mais avant, présentons-nous !
La jeune fille me lança un regard, comme pour que je confirme ses dires. J'hochai la tête ; plus je l'écoutai, plus Kitty me paraissait formidable. Nous allions sortir d'ici grâce à elle, j'en étais persuadé. Plusieurs personnes semblèrent approuver, et le tour de table des présentations débuta. Kitty en première, évidemment, puis je donnai mon prénom. Ben se présenta, puis ceux qui venaient de se lever.
Je tentai de mémoriser les noms au fur et à mesure ; ce serait vraiment vexant pour les autres si j'oubliai leur prénom. A côté de Ben, une jeune fille au regard dur et aux longs cheveux noirs, raides. Elle s'appelait Capucine, et nous darda un œil agressif. Ensuite, la blonde à la poitrine disproportionnée se présenta sous le nom de Bianca.
- Alors, les puceaux, ça vous en bouche un coin d'être dans la même pièce qu'une déesse comme moi ? lança-t-elle juste après.
Je ne pus m'empêcher de la placer dans la catégorie « personnes peu fréquentables », et me jurai de ne jamais lui parler seul à seule.
- Tu veux quoi, l'éjaculateur précoce ? cracha-t-elle en ma direction.
Mes joues devinrent plus brûlantes que jamais. Ne plus fixer les gens, je m'efforçai de me répéter. Devant ma réaction, la blonde plantureuse partit d'un rire aigu ; sans doute fière de s'être déjà fait remarquer.
Le garçon assis à côté d'elle, Thomas, avait visiblement du mal à contenir ses regards lubriques en direction de sa poitrine. Ses joues roses rebondies et ses petits yeux lui donnaient des airs de porc. Et apparemment, ce n'étaient pas que de simples airs.
Toujours en suivant le tour de table, un autre jeune homme paraissait déjà excédé de la situation, ne se gênant pas pour soupirer à chaque fois que quelqu'un prenait la parole. Ses muscles saillaient sous sa chemise, qui demeurait, déjà, tâchée de transpiration. Il avait l'air d'un gros dur, mais il y avait fort à parier qu'il était terrifié. Il s'appelait Rufus. A côté de lui, une jeune fille asiatique, dont le visage reposait dans sa main. Elle semblait déjà épuisée, alors même que nous sortions d'un long sommeil. D'une voix lente, elle nous apprit son prénom : Yukie. Se succédèrent ensuite Mary, aux courts cheveux en bataille, et Flora, qui se tenait bien droite sur sa chaise.
Vint ensuite le tour d'un adolescent au visage rond. Ses cheveux noirs, mi-longs, cachaient entièrement ses yeux. Impossible de savoir s'il s'agissait d'une fille ou d'un garçon. Iel demeurait, inexpressif, et nous eûmes beau lui demander plusieurs fois son nom, iel resta dans la même torpeur. Nous nous apprêtions à le laisser, quand iel fit glisser sur ses genoux un sac à dos que personne ne semblait avoir remarqué. Kitty me jeta un regard, à nouveau, teinté d'espoir. Qui sait ce que contenait ce sac ? La réponse ne se fit pas attendre : deux marionnettes, une pour chaque main de l'adolescent. Elles étaient en forme de chat ; l'une portant un nœud rouge. Sans que ses lèvres ne bougent d'un millimètre, il commença à remuer ses marionnettes.
- Bonjour, je suis Charlotte ! « dit » le chat avec le nœud d'une voix aiguë.
- Et moi, Charles ! « fit » l'autre poupée d'un ton beaucoup plus grave.
Ben me donna un coup de coude dans les côtes.
- En fait, t'as raison, c'est pas une surprise-party. J'me souviendrai d'une telle personne si je la connaissais.
Je soupirai.
- Et comment s'appelle cette personne ? fit doucement Kitty en désignant le ventriloque.
- Charlie ! s'exclama Charlotte.
Charlie... même par son prénom, impossible de savoir si iel était un garçon ou une fille. J'haussai les épaules. Après tout, c'était un détail.
Les présentations reprirent avec Jean, qui ne semblait pas encore calmé. Ma gorge me titilla lorsqu'il lança son prénom d'un ton nerveux. Les deux dernières filles demeuraient de loin les plus atypiques. D'abord, une adolescente à la carrure plus carrée que n'importe qui ici présent. Ses muscles vallonnaient ses bras nus. Intérieurement, je remerciai n'importe quel Dieu que ce ne soit pas elle qui m'ait attaqué. Elle m'aurait brisé la nuque d'une simple pression.
- Leeloo est enchantée de vous rencontrer, finit-elle par dire d'un ton enjoué.
Bizarrement, la voix ne collait pas avec le physique. Et cette manière de se présenter à la troisième personne... Mais pas le temps de se poser des questions. La dernière fille, à l'incroyable tignasse rousse, prit la parole.
- Apparemment, je m'appelle Emiliana. Mais qu'est ce que c'est chiant, comme prénom ! Alors appelez-moi Emi ! Je suis sûre qu'on va trop bien s'entendre !
- Elle, elle a pas vu Charlie et Bianca, murmura Ben.
Restaient deux garçons. Le brun aux yeux bleus, et un autre. C'était justement à son tour de se présenter, mais quand il vit les regards braqués sur lui, les larmes lui montèrent aux yeux. Avec ses bouclettes blondes et ses grands yeux bleus, il ressemblait à un enfant apeuré.
- Je... je sais pas... j'y suis pour rien... s'il vous plaît... ne me regardez pas... comme ça.
Des larmes affluaient aux coins de ses yeux tandis que sa lèvre inférieure se mit à trembler. Je ne pus m'empêcher de le prendre en pitié. Quiconque nous avait enlevés devrait payer pour l'avoir mis dans cet état !
- Personne ne t'accuse de rien, dit Kitty de son éternelle voix rassurante. On voudrait juste savoir ton prénom, pour devenir amis, tu comprends ?
Même en sachant que les paroles de ma camarade ne m'étaient pas destinées, je me sentis moi-même plus en confiance. Elle avait le don de calmer les gens.
- J... Jack. Mon p... prénom c'est Jack, renifla le blondinet.
- Enchantée, Jack. Tu vas voir, je te promets qu'on va vite bien s'entendre, sourit Kitty.
A ces mots, le brun haussa les sourcils d'un air dubitatif.
- Ne lui fait pas de promesses que tu ne sauras pas tenir, lâcha-t-il d'un ton glacial.
- Mais...
- Vous me faites marrer, avec vos beaux discours. Je vous rappelle qu'on vient à peine de se rencontrer, sans la moindre idée de ce qu'il se passe. A ta place, je ne prévoirai pas tout de suite de faire ami-ami avec le premier inconnu venu.
Un silence de mort s'écrasa sur l'assemblée. Ses paroles... prononcées d'une voix si hautaine, si cassante, avaient refroidi les bons sentiments de tout le monde. Son regard polaire balaya une nouvelle fois l'assemblée. Il venait de piétiner le peu de bonne humeur que nous nous étions efforcés d'avoir. J'entendis une chaise racler contre le sol à côté de moi. Ben s'était levé.
- Toi, dit-il. Tu parles, tu parles, mais t'es le seul à ne pas t'être présenté. T'as honte de ton prénom, ou quoi ?
- Mon Dieu, quel abruti, grogna Capucine à l'attention du métisse.
- Navré, mais je ne me souviens de rien du tout. Même pas de mon prénom.
Emi bondit alors de sa chaise comme une enfant face à un nouveau jouet.
- Trop cool ! On va pouvoir t'en donner un ! C'est pareil que quand on adopte un petit chien !
A cet instant précis, le regard du brun se fit plus perçant que jamais. Mais cela n'arrêta pas la rouquine, au contraire. Elle arborait un grand sourire, une myriade de tâches de rousseur habillant ses pommettes.
- On n'a qu'à t'appeler Océan ! Tes yeux, ils me font penser à l'océan.
- Quel nom pourri, commenta Capucine.
La jeune fille se renfonça dans sa chaise et croisa les bras. Toutes ces présentations semblaient l'ennuyer au plus haut point.
- Et pourquoi pas Atlantique ? proposa Kitty. Ou alors... Atlan ?
Atlan... j'aimais bien, comme prénom. Et visiblement, les autres aussi, puisque tout le monde finit par acquiescer. Tout le monde, sauf le concerné, évidemment. Il croisa les bras, fixant un point invisible sur le mur.
- Faites ce que vous voulez, je m'en fous. Je veux juste partir d'ici.
- Je crains que ce ne soit pas possible.
Une voix, plus glaçante encore que le regard d'Atlan, sembla résonner de nulle part. Nous eûmes beau nous tourner et retourner, il n'y avait que nous seize dans la pièce. Pourtant, la présence s'intensifia.
Et un rire, un rire atroce se mit à retentir.
[Reste : 16]
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