18 - Tueurs multiples

Il faisait encore nuit noire lorsque nous arrivâmes devant la salle de conférence. Personne n'avait osé parler sur le trajet, encore sous le choc. Mary... Elle ne se distinguait pas par son grand esprit et était facilement manipulable, mais elle œuvrait à la bonne humeur du groupe. La plus affectée par le meurtre de la jeune fille semblait être Yukie. A compté du moment où elle avait vu le corps, elle avait baissé la tête pour ne plus la redresser. Elle s'était vraiment attachée à Mary.
Les regards suspicieux fusaient. Nous en étions parfaitement conscients ; parmi nous se trouvait un assassin. Plus j'y pensais, et plus je peinais à me figurer les motivations ayant poussé un de nos camarades à commettre l'irréparable. Cette affaire n'avait aucun sens. Pourquoi le coupable n'avait-il pas simplement tué sa cible pendant le blackout ? Pourquoi chercher à assassiner quelqu'un d'autre, au risque d'être démasqué pendant le procès ? Je soupirai. Nous devions faire lumière sur ce meurtre pour tous nous sauver.

A l'instar de la chaise de Kitty, celles de Flora et Mary se trouvaient recouvertes d'un drap noir. L'ambiance était encore plus funeste que la première fois. L'obscurité extérieure nous obligeait à effectuer le tribunal sous la lumière blafarde et grésillante des néons au plafond. Je priai mentalement pour ne plus avoir à y revenir. Mais cette prière était vaine ; Hologramme trouverait toujours un nouveau motif pour nous forcer la main. Ben, à mes côtés, prit une grande inspiration. Yukie serra les poings, déterminée à trouver le criminel. Elle me semblait comme le triste miroir de ce que j'avais pu ressentir lors du premier procès. Assoiffée de vengeance. Capucine analysait chacun du regard ; elle semblait déjà avoir une idée du tueur.
Ce fut Atlan qui entama le tribunal, après qu'Hologramme ne nous ait rappelé l'obligation de voter en fin de procès. 

- D'abord, fit le brun, on peut d'ores et déjà éliminer quelqu'un. Les règles du jeu des cibles n'ayant pas été respectées... Celui ou celle ayant Mary pour cible est forcément innocent. Qui est-ce ? 

Un grand silence plana. Il ne pouvait y avoir qu'une personne ; une seule personne parmi nous capable de s'innocenter d'office. Les secondes défilaient, et aucun de mes camarades ne semblait décidé à parler. Pourtant... la personne en question avait une opportunité inouïe ! Il serait instantanément lavé de tous soupçons !


Une main aux ongles vernis de rouge vif se leva. Bianca, qui venait de se mettre debout, nous assassina du regard. Sa mâchoire demeurait crispée et son teint, blême. Capucine parut d'abord surprise, puis grogna et se replongea dans ses pensées. Jack, indigné, fit valdinguer ses bouclettes blondes en bondissant de sa chaise.

- Ah non ! Pas cool ! T'es pas drôle, la poufiasse. J'étais persuadée que tu l'avais tuée avec un coup de sein. Ça aurait été marrant.

Il ne pouvait cacher les tremblements de sa main, et conservait un teint livide suite au coup qu'il avait reçu. Il avait à peine nettoyé le sang maintenant sec sur son front, lui donnant un air encore plus fou. Sous le regard noir de la bimbo, le blondinet se rassit dans un éclat de rire. 

- Mais, sinon, comment être sûrs qu'elle dit la vérité ? dit-il une fois calmé. 

- Nous avons chacun une cible, répondis-je. A moins que Mary soit sa propre cible, ce qui me paraît... illogique, si personne n'avance avoir la victime pour cible, alors il y a de grandes chances pour que Bianca dise vrai. 

Jack esquissa un sourire narquois, comme s'il connaissait déjà la réponse à sa question. Il semblait autant s'amuser que durant le premier procès. Etait-il conscient que nous serions condamnés si nous nous trompions ? Sans doute ; mais la mort ne lui faisait pas plus peur que cela. 

- Bianca est innocentée, donc, admit Capucine presque à contrecœur. 

- Ce n'est pas pour ça qu'elle est totalement blanchie. 

Atlan darda un regard glacial sur la blonde, qui blêmit d'autant plus. Sa réaction... n'était pas naturelle pour quelqu'un de cent pour cent innocent. De même, une attitude fuyante ne l'avait pas quittée durant nos investigations. Elle avait nettoyé en vitesse le sang sur ses cheveux, sans se poser de questions, comme si elle savait d'où il provenait...


- Bianca ? dis-je d'une voix moyennement assurée. Lorsque nous nous sommes réveillés, avec Atlan, nous avons remarqué... du sang sur tes cheveux. Est-ce que tu sais d'où il provient ?

- J'ai l'air de savoir, connard ? aboya la bimbo. 

- Oui. Tu as l'air d'en savoir plus que ceux qui dormaient, en tout cas, la rembarra Atlan. 

Je ne sais pas si c'était mon imagination, mais lorsque Bianca m'avait insulté, le regard du brun était devenu d'autant plus assassin. Non, c'était forcément dans ma tête...
La blonde, poings serrés et mâchoire crispée, commençait à attirer les œillades suspicieuses. Bientôt, tout le monde fut tourné vers elle. Bianca nous décocha un magistral doigt d'honneur, sans pour autant répondre aux accusations. Elle mordait nerveusement sa lèvre inférieure, enlevant petit à petit le rouge dont elle était maquillée. Pourquoi ne voulait-elle pas parler, si elle était innocente ? Jack, visiblement lassé d'attendre, prit la parole. 

- Vous êtes vraiment débiles si vous n'avez toujours pas compris. ( il enchaîna du tac-au-tac ) Il suffit de me regarder. Le sang sur les cheveux, tout ça... Non, franchement, c'est certain que l'autre guenon en rut a été frappée. 

Le teint de Bianca vira au rouge vif. La « guenon » semblait prête à bondir à chaque instant sur le blond, tous ongles vernis dehors. Sa réaction provoqua deux choses. L'hilarité de Jack, mais également un murmure généralisé qui secoua l'assemblée. On se mettait à douter de l'innocence de la blonde. On se demandait si elle n'avait pas menti. Mais si elle avait menti... quelqu'un d'autre aurait levé la main. Quelqu'un d'autre se serait désigné comme ayant Mary pour cible. Je peinais à comprendre son attitude. Elle semblait être innocente... mais coupable en même temps.


Yukie foudroya Bianca du regard.

- C'est complètement illogique, de frapper quelqu'un qui dort, cracha l'asiatique. Tu étais donc bien réveillée pendant notre blackout ! Ne nie pas !

- Charlie ne l'a pas vue manger la nourriture préparée ! chantonna Charlotte. Elle a demandé à Thomas un autre plat !

A compté de cette réflexion, quelques interjections indignées jaillirent du groupe. Certains confirmaient les dires du marionnettiste. D'autres lancèrent une salve d'insultes à l'attention de la blonde. Le silence mortuaire et étouffant du départ venait d'être remplacé par un brouhaha incompréhensible. Jack, la tête rejetée en arrière, hurlait de rire comme un démon. Sa déduction avait provoqué une réaction en chaîne, et, désormais, l'explosion n'allait pas tarder. Il était le chimiste, et Bianca la poudre. Restait à savoir qui y mettrait le feu. Yukie, furibonde, et devant l'incapacité de la blonde à argumenter, l'insultait sans discontinuer. 

- Vos gueules !

La voix de Ben, puissante, couplée à ses poings frappés sur la table, coupèrent net les babillements de chacun. On pouvait entendre une mouche voler dans la salle de conférence. 

- Nos vies sont en jeu, alors merde ! Vous réglerez vos comptes après ! J'veux simplement trouver le coupable, j'veux pas mourir !

Le métisse lança un regard plein d'espoir à Capucine, comme pour l'encourager à parler. La brune grogna, et, s'appliquant à l'ignorer, s'exprima d'une voix on-ne-peut-plus sérieuse. 

- Si nous assumons que Bianca a été frappée, reste à trouver avec quoi. La scène de crime étant à l'infirmerie, je suis intimement convaincue qu'elle s'y est rendue. N'est-ce pas, Bianca ? 

La blonde baissa les yeux, blême ; enfermée dans un mutisme coupable. 

- Il y a peu de possibilités, poursuivit Atlan. L'armoire, ou l'erlenmeyer. Ce sont les seuls objets tâchés de sang, et si le coupable avait nettoyé le sang versé par Bianca, il aurait aussi nettoyé l'infirmerie et surtout, n'en aurait pas laissé sur ses cheveux. 

A chaque mot, Atlan m'impressionnait un peu plus. Couplé aux déductions de Capucine et Jack, ces trois-là semblaient survoler le procès, nous laissant à nouveau comme pâle figurants. Je me raclai la gorge, déterminé à conclure leur théorie. 

- C'est forcément l'erlenmeyer. Si elle avait été frappée sur l'armoire, sa blessure aurait été bien plus conséquence. 

- L'erlen-quoi ? Le machin en verre qui traînait à l'infirmerie ? 

Yukie et Capucine jetèrent à l'unisson un regard noir à Emi. Leeloo se pencha vers la rouquine et lui chuchota quelques mots à l'oreille ; sans doute pour lui expliquer de quoi il en retournait.


Un grand silence plana sur l'assemblée après cette constatation. Bianca s'était bien rendue à l'infirmerie, et avait, volontairement à mon avis, évité la consommation de somnifères. Cependant... conte tenu du jeu des cibles, si elle avait tué Mary, elle serait déjà libérée de la zone. Alors, pourquoi ? Jack s'était fait assommer au pied des escaliers ; voilà son alibi. Bianca était innocentée. Cela voulait dire que...

- Une troisième personne n'a pas subi les effets du somnifère, asséna Atlan en même temps que ma pensée. 

A nouveau, une vague d'indignations secoua le groupe. Elle fut cependant plus brève que la précédente, rapidement remplacée par une quiétude chargée de suspicions. Nous pataugions dans cette affaire. Sans plus de témoins, sans plus d'indices ni d'alibis... comment savoir qui était éveillé pendant que nous dormions ? 

- Donc, résuma Yukie qui ne décolérait pas, le véritable tueur a assommé Jack ET Bianca ?

- Non, chantonna Jack. Juste avant de me faire lâchement frapper, mon pétass-o-mètre s'est emballé. Ça ne peut être qu'une personne avec des gros seins, j'en suis certain.


Une nuée de projecteurs à pupilles se braqua sur la blonde. Depuis le début du procès elle demeurait au centre de l'attention ; mais son mutisme ne l'aidait pas à la blanchir. Elle balbutia quelques syllabes incongrues avant, enfin, d'exploser. 

- Allez tous vous faire foutre ! hurla-t-elle. 

Ses mèches platine valdinguèrent de part et d'autre de son visage furibond. Jack, Capucine, Yukie, Atlan, moi-même ; elle nous jetait son regard assassin comme une rafale de mitraillette. 

- Vous voulez la vérité ? continua-t-elle sur le même ton. Ouais, je ne dormais pas. Ouais, j'ai assommé ce connard de mioche. Et ouais, j'avais planifié de tuer la planche à pain ! Je l'avais droguée avant la fête. Je... je voulais la tuer proprement. Une surdose de somnifère, c'est ni dégueulasse ni douloureux. Mais c'est pas arrivé, parce que cette connasse a fait foirer mon plan, et m'a frappée avec son foutu verre de merde !

Le blondinet arborait un immense sourire carnassier. Sa dernière remarque, balancée d'un innocent ton moqueur, avait été le coup de grâce pour la blonde. Depuis le début du procès, Jack insultait Bianca dans le seul but de la faire craquer. C'était à la fois cruel et intelligent. 

- Tu mens, tu mens ! se mit à crier Jean. C'est toi qui as tué Mary ! Ça ne peut être que toi !

- Va te faire foutre, le bigleux ! Si j'avais pu la tuer, je serai déjà loin de vos sales gueules !

Les deux continuèrent à se lancer des piques d'une voix suraiguë. Jean, comme à son habitude, tendait vers l'hystérie, accompagné par Bianca, poussée à bout par les accusations continuelles. Mais elle avait raison. Si Bianca avait réussi à tuer Mary de ses propres mains, alors elle serait sortie d'ici sans passer par la case tribunal. Atlan abattit ses paumes sur la table. Il se dressa comme un titan face à des fourmis. Le silence retentit.
Le brun prit tout son temps pour balayer l'assemblée du regard, s'arrêtant cependant quelques secondes supplémentaires sur une personne en particulier. Mais les glaçons qui lui servaient d'yeux finirent par se braquer sur la principale suspecte. 

- Bianca, montre-nous tes mains. Ce n'est pas une question, c'est un ordre. 

La blonde comprit où il voulait en venir. Elle fut d'abord réticente, mais face à nos douze visages tournés vers elle, elle s'exécuta à contrecœur.


Ses paumes, à première vue, arboraient une teinte immaculée. Exemptes de tous défauts, à moins que l'on n'y accord un œil plus attentif. Une entaille, minuscule. La couleur rouge vif ne laissait pas place au doute : la plaie n'était pas cicatrisée. Elle était récente. A cet instant, je compris l'intérêt de la question d'Atlan. Son intelligence... dépassait presque l'entendement. Je n'aurais jamais pensé à demander telle chose ; pourtant, cela confirmait les dires de la blonde.
Le brun me fixait, et effectua un bref mouvement de tête pour me laisser la parole. Il savait que j'avais compris. 

- Elle a raison, dis-je. Si Mary l'a bel et bien frappée, elle a dû tomber au sol... Elle devait tenir le flacon de somnifère à injecter. Il s'est brisé, et elle s'est entaillée sur un tesson. Ça tient la route. Mais... ( je ne pus réprimer une moue décontenancée ) Nous n'avons toujours aucune idée de l'identité du tueur. 

Yukie se leva de nouveau. Depuis le début, elle avait bataillé pour faire lumière sur ce meurtre. Elle voulait venger Mary, comme j'avais voulu venger Kitty. Mais son visage demeurait partagé entre la déception et l'incompréhension. Ses yeux se posèrent sur la même personne qu'avait fixée Atlan auparavant. Elle ne voulait pas y croire ; elle semblait refuser d'admettre la culpabilité de notre camarade. Pourtant... 

- Tu... Tu es le seul. Le seul qui ait pu mettre le somnifère dans le repas... 

Le présumé coupable esquissa un sourire las. 

- Mary est morte, elle n'aurait jamais drogué la nourriture ! Et... et moi non plus. Tu étais au courant... Tu étais complice... Tu...

Capucine termina sa phrase d'un ton glacial. 


- J'espère que tu as des arguments, Thomas.


[Reste : 13]


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top