Dans ce chapitre, les éléments utiles à l'enquête seront mis en gras. 

Le réveil fut encore plus pénible que tout ce que j'avais connu auparavant. Ma tête me semblait assaillie d'enclumes. Mes jambes mirent quelques secondes à m'obéir ; je les bougeai lentement, réprimant une grimace de douleur. Je remuai mes doigts, heureux de les sentir à nouveau, et pris quelques grandes inspirations avant d'ouvrir les yeux. Je me souvenais m'être endormi en face d'Atlan, et j'appréhendais le spectacle qui allait s'offrir à moi.
Un hoquet de soulagement m'échappa lorsque je le vis, et une douce chaleur envahit ma poitrine. Toujours adossé à la chaise, il semblait dormir paisiblement. Je remerciai en silence le ciel pour l'avoir préservé. Un sourire imprimé sur le visage, j'attendis que mes muscles soient assez réveillés pour pouvoir tenir debout, et en profitai pour passer en revue mon champ de vision. A mon grand soulagement, Ben se trouvait toujours endormi, ainsi que Capucine, dont la tête reposait sur le torse du métisse. Je ne pus m'empêcher de rire en imaginant leur réaction quand ils se réveilleraient.
La table me bloquait la vue ; en attendant de pouvoir constater l'état des autres, je reportai mon attention sur Atlan. Ses traits semblaient bien plus paisibles quand il dormait. Quelques mèches brunes retombaient sur son front, lui prodiguant un air encore plus serein. Il semblait... hors de cette tuerie, à mille lieues de l'image insensible qu'il se donnait.

Atlan ouvrit les yeux d'un seul coup. Il braqua ses iris sur moi comme des balles de revolver, me faisant vivement sursauter. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres, mais fut rapidement remplacé par une expression sérieuse. 

- Quand tu auras fini de me fixer, on pourra peut-être comprendre ce qu'il vient de se passer. 

Je détournai le regard, mort de honte et les joues brûlantes. D'un côté, j'étais évidemment on-ne-peut-plus soulagé de le voir en vie. D'un autre, je constatai qu'il était redevenu aussi froid et inexpressif que d'habitude. L'Atlan de la veille me manquait déjà.
Il se releva et me tendit la main d'un air distrait, ses yeux balayant la pièce à toute allure. Je me redressai à ses côtés, évitant avec soin son regard ; je sentais toujours mes joues cuire.
Yukie, réveillée également, nous rejoignit, suivie de Leeloo. 

- J'ai compté, déclara l'asiatique en réprimant un bâillement. Mary est toujours introuvable, et il manque Jack. 

- Leeloo pense qu'il lui est arrivé quelque chose, renchérit la jeune fille musclée. 

Sans attendre le réveil des autres, nous nous dirigeâmes vers le couloir comme un seul homme. Juste avant de sortir, Atlan pila net, fixant quelque chose avec attention. 

- Regarde, fit-il avec un mouvement de la main. 

Il désignait Bianca. La blonde, toujours face contre la table, semblait dormir. Mais en y regardant de plus près, je constatai que quelques unes de ses mèches blond platine demeuraient tachées de sang, au niveau du crâne. Cependant, elle respirait. L'impression que quelque chose de grave s'était produit pendant notre blackout ne fit que se confirmer lorsque nous fûmes dans le couloir.

Jack gisait, au pied de l'escalier. Allongé face contre terre comme un patin désarticulé. A l'instar de Bianca, ses cheveux blonds étaient ensanglantés. Nul doute qu'on l'avait frappé à la tête. Un cri de surprise m'échappa. Jack, mort ? Assassiné ? Non...

- Jack !

Je me précipitai vers le corps du blondinet et m'agenouillai à son niveau, les mains tremblantes. La panique me gagnait. Moi qui avait souhaité un meurtre, je... je me rendis compte à ce moment combien ces sentiments étaient malsains. A voir le corps de Jack, je regrettai immédiatement d'avoir ne serait ce qu'espéré me réjouir de la mort d'autrui. Il était sadique et pouvait effrayer, mais de là à le tuer ? Mon sang se glaça lorsqu'une chose me revint à l'esprit.
La cible d'Atlan.
La cible d'Atlan, c'était Jack.
Cette simple pensée me donna envie de vomir. Je titubai, sous le choc. Il ne pouvait pas... Non, il ne pouvait pas avoir fait une chose pareille...

- Du calme, il respire.

La voix d'Atlan, presque cassante, me fit redescendre sur Terre. Le brun me fixait, penché sur le corps, une main sur la gorge de Jack. Je compris, en voyant son expression, qu'il savait à quoi je pensais. Il avait dû entrevoir, à ma réaction, la demi-seconde où je l'avais soupçonné. Je baissai les yeux, mortifié. Quel con, mais quel con. Je me serais giflé sur-le-champ si Yukie n'avait pas attiré notre attention. Elle brandit une boîte en plastique en fronçant les sourcils. 

- Une boîte de pilules dans l'escalier. J'en ai vu des similaires à l'infirmerie. 

- Allons-y, dit Atlan. On s'occupera de Jack plus tard.

Je suivis mes trois camarades, me promettant de me rattraper vis-à-vis d'Atlan. Il était une des personnes en qui j'avais le plus confiance ici, alors il n'était pas question de douter de lui. Nous nous mîmes à courir dans les escaliers, remontant vers le troisième étage. Une légère appréhension grandit à mesure que nous montions les marches. J'avais encore en tête l'image du cadavre de Kitty, baignant dans la mare de son propre sang. Pourvu que le corps soit dans un meilleur état...
La scène que nous découvrîmes acheva de sceller mes craintes. L'infirmerie, dont la porte était grande ouverte, déplorait une pagaille mortuaire. Pas trace de corps, cependant. 

- Leeloo ne voit pas de cadavre, commenta le colosse. 

Yukie fit un rapide tour d'horizon, jetant même un œil sous les lits.

- En effet, il n'y a personne. Qu'est ce qu'on fait ? On cherche ailleurs ? 

- Non, fit Atlan d'un ton froid. On ne cherche nulle part ailleurs qu'ici. 

Devant nos expressions d'incompréhension, il s'expliqua. 

- Quand on découvre un corps, Hologramme nous laisse un court délai pour investiguer. Tant que le cadavre n'est pas trouvé, on dispose de tout le temps qu'on veut pour analyser la scène de crime. ( il sembla réfléchir une seconde, puis, planta ses yeux dans les miens comme pour me mettre en garde du verdict ) Il va de soi que la victime est Mary. Si le meurtrier visait Jack, il ne l'aurait pas juste laissé assommé. 

Il fallait se rendre à l'évidence ; ma camarade aux cheveux courts était visiblement la victime. Sa disparition au moment de la fête comme maintenant me laissait à penser qu'elle gisait quelque part, sans vie. Mais où ? Et surtout, qui l'avait tuée ?

A contrecœur, nous nous mîmes à investiguer dans l'infirmerie, sans même prendre connaissance de l'état du corps. Atlan donna quelques directives avant que nous ne commencions. La peur l'avait visiblement quitté ; son attitude hautaine reprenait le dessus, ses regards glacials et son ton tout aussi froid. Il envoya Leeloo vérifier l'état de Jack, histoire de ne pas perdre quelqu'un d'autre. Il lui ordonna également de prévenir les autres dans la cuisine à mesure qu'ils se réveilleraient : ils pouvaient se rendre à loisir à l'infirmerie, mais hors de question de chercher le corps avant d'avoir trouvé tous les indices possibles. Yukie, Atlan et moi-même commençâmes donc les recherches.
La première chose qui attira nos yeux fut inéluctablement une énorme tâche écarlate sur le côté d'une des armoires. 

- Le sang n'est pas totalement sec, commenta le brun. 

L'infirmerie avait beau être grande, la scène de crime, nous supposions, semblait se concentrer vers l'entrée. J'eus beau chercher du côté des lits, ou dans les armoires, rien ne semblait vraiment avoir bougé.
De son côté, Yukie nous fit part de sa découverte : sur le sol gisait un erlenmeyer ensanglanté, comme ceux qu'on pouvait trouver dans un des placards. Le verre de l'objet était assez épais pour qu'il ne casse pas en tombant, ou en frappant. Un crâne, par exemple. Mais impossible de savoir s'il s'agissait de l'arme du crime sans avoir vu le corps. Je notais mentalement ces détails, prêt à tenter de faire le lien avec le cadavre lorsque nous le découvririons. Un second objet sur le sol attira mon attention. A environ un mètre de l'erlenmeyer, se trouvaient une seringue et un flacon brisé. En tournant la petite bouteille je pus lire l'étiquette. 

- C'est du somnifère à injecter, entre autres, dis-je pour informer mes camarades. 

- Ce n'est donc pas celui qui s'est retrouvé dans la nourriture, commenta Yukie.

Nous échangeâmes un regard perplexe. Atlan, lui, était resté accroupi. Il se releva, tenant entre ses doigts une nouvelle pièce à conviction. Un tesson du flacon de somnifère, tâché de sang.

Un cri étouffé nous parvint depuis le rez-de-chaussée, presque simultané avec l'apparition d'Hologramme.

- Coucou ! fit le tas de pixels. Vos petits camarades ont trouvé le corps avant vous ! A compté de ce moment, vous avez une heure pour...

Atlan l'interrompit. Il toisait Hologramme de toute sa hauteur, ses yeux bleus étincelants. 

- Attends, attends. Si le jeu des cibles est vrai, alors quelqu'un va pouvoir sortir. A quoi cela servirait-il de faire un procès ? 

Le maître du jeu resta interdit quelques secondes, puis s'esclaffa. 

- Effectivement, le jeu des cibles tenait si quelqu'un tuait sa cible. A bientôt pour le procès !

Nous laissant sur cette dernière phrase énigmatique, il s'évanouit dans une roue de lumière. Maintenant que le corps avait été trouvé, nous devions nous dépêcher. Atlan semblait toujours impassible, mais ses yeux lançaient des éclairs. Il était visiblement furieux que les autres ne l'aient pas écouté et aient cherché le corps. Nous descendîmes aussi vite que nous étions montés.

Le corps de Jack avait disparu, sans doute amené dans le réfectoire par Leeloo. Le réfectoire, d'ailleurs, semblait encore plein de monde. Une certaine agitation y régnait, dirigée surtout vers la cuisine. Le blondinet, assis sur une chaise, maintenant une poche de glace sur le côté de son crâne. En me voyant, il esquissa un sourire carnassier, la mâchoire à demi crispée par la douleur que devait lui prodiguer sa blessure. Il parla d'une voix rauque, ignorant le sang qui maculait son visage.

- On peut dire que le cadavre a... refroidi l'ambiance. 

Sur ces mots, il s'esclaffa. Qu'est ce qu'il y avait de drôle ? Je savais que Jack était un psychopathe, mais sa blague semblait réfléchie. J'avais un mauvais pressentiment...
Ben jaillit de la cuisine, blême. Il courut presque dans ma direction. 

- C'est Mary, fit-il, encore sous le choc. 

Je grimaçai. Mary... elle était si douce, si... naïve. Elle n'aurait jamais fait de mal à personne ; elle ne méritait pas la mort. Capucine nous rejoignit et me glissa le rapport de meurtre dans les mains. 

- Je vais faire un tour, déclara-t-elle en sortant. 

J'espérai qu'elle trouve plus d'indices que nous.

« Victime : Mary
Lieu du crime : l'infirmerie ( 3e étage )
Heure du décès : environ vingt trois heures trente ( durant le blackout général )
Cause du décès : fracture du crâne, causant la mort subite
Informations complémentaires : la victime souffre également d'une seconde blessure au crâne et des marques de strangulation »

Je jouai des coudes pour entrer dans la cuisine. Je n'avais toujours pas vu le corps, après tout. Quelques personnes se trouvaient rassemblées dans le fond de la pièce. Charlie, toujours inexpressif, laissait ses marionnettes inspecter la scène de crime. Emi se mordait la lèvre, sans doute pour s'empêcher de pleurer. Quant à Bianca, elle se figea en nous voyant arriver, et sortit précipitamment. Quand le cadavre de Mary entra dans mon champ de vision, la blague de Jack prit tout son sens.  
La jeune fille reposait dans le congélateur de la cuisine, les lèvres bleues. Du sang avait coulé en sillons sur son visage, entre ses yeux qui demeuraient clos. Figée pour toujours dans une expression crispée. Elle semblait avoir souffert, du moins, avant de se voir asséner le coup fatal. Qu'est-ce qu'elle faisait dans un tel endroit ? Le lieu du crime, l'infirmerie, se trouvait pourtant trois étages plus haut... Quel était l'intérêt de cacher le cadavre juste à côté de l'endroit où nous dormions ?  
Atlan semblait lui aussi réfléchir à la même chose. Au bout de quelques minutes sans réponse, il tourna les talons.  

- Allons interroger Jack. Après tout, c'est visiblement le seul à ne pas avoir dormi. 

Je compris son sous-entendu ; quelqu'un avait sans aucun doute assommé le blond.

Le blondinet semblait nous attendre. Il nous offrit un grand sourire malgré la douleur. Ses membres tremblaient mais rien ne semblait pouvoir affecter son sempiternel air gamin. Il s'exclama, hilare :

- Quel meurtrier givré ! Non, franchement, c'était glacial de sa part que de jeter notre pauvre petite Mary dans un congélo !

Il haussa les épaules, pensif. 

- Ah, quand même, ça m'embête. Mary était mon souffre-douleur préféré. L'autre jour, je lui avais même demandé de faire cinquante pompes, et devinez quoi ? Elle les a f...

- On n'a pas beaucoup de temps, alors arrête de dire des conneries et réponds à mes questions, le rembarra Atlan. 

L'attitude de Jack ne cessait de me surprendre. Comment pouvait-il être aussi insensible à la mort d'une de nos camarades ? 

- Dis-nous ce qu'il s'est passé pendant que nous dormions, dis-je. Tu ne sembles pas avoir été affecté par le somnifère. 

Jack prit un malin plaisir à nous voir nous languir de sa réponse. A nouveau, il possédait des informations cruciales ; quelle ironie qu'un tel menteur soit toujours au bon endroit, au bon moment. Nous ne pouvions que le croire sur paroles, malgré tout ce que cela impliquait. 

- Eh bien, c'est simple, entama-t-il. J'étais persuadé que quelqu'un aurait l'idée de nous empoisonner, un jour. Cette fête m'a semblé idéale pour qu'un tueur en herbe s'essaie à la chimie. J'ai fait semblant de manger. ( il afficha une expression narquoise ) Quand vous vous êtes tous endormis, j'ai décidé d'aller faire un petit tour ; ah, j'étais persuadé que Mary voulait buter quelqu'un, et pas l'inverse ! Mais le véritable tueur m'a pris au dépourvu, et avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, il m'a attaqué par derrière et m'a frappé. Vu ce que j'ai ressenti au contact de l'objet, je plancherai sur une poêle. Ça fait vraiment mal. 

Jack était un psychopathe, sans l'ombre d'un doute, mais son témoignage eut le mérite de nous apprendre plusieurs choses. C'était bien la nourriture qui avait été empoisonnée. Etant donné que j'en avais mangé peu, il semblait logique que je me sois réveillé le premier. Mais cela impliquait aussi que quelqu'un, en l'occurrence le tueur, n'avait pas été affecté par le poison. Une personne avait donc fait semblant de dormir tout du long. Je frissonnai. C'était tordu. D'abord, Hologramme qui sous-entendait que le meurtrier n'avait pas tué sa cible. Ensuite, la localisation du corps. Je peinais à assembler tous les éléments, mais j'étais certain qu'Atlan y parviendrait, avec Capucine et Jack.

En parlant de la brune, elle revenait de son exploration. Elle vint directement s'adresser à Atlan, et à moi, par la même occasion.

- Je n'ai rien trouvé d'intéressant. A part un détail, bien qu'il soit assez insignifiant. La porte de la chambre de Mary ; elle était grande ouverte. 

Nous échangeâmes un regard pensif. L'heure du procès approchait, et ensemble, nous devrions résoudre cette enquête. Parmi mes douze camarades restant... l'un d'entre eux était le meurtrier de Mary. Et nous allions le démasquer.

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