15 - La tension monte

Jack sortit du réfectoire dans un éclat de rire. Capucine, poings serrés, prenait visiblement sur elle pour ne pas le gifler. Excédée, elle saisit un verre dans l'intention de le briser, mais sous les regards pesants de nos camarades, elle le reposa dans un grognement. Avec la règle de l'innocent tué au bout de deux jours, il fallait surveiller son comportement. Quiconque faisait peur, quiconque apparaissait comme un potentiel assassin était sur la sellette.

Les onze personnes restantes semblaient, comme moi, totalement perdues. Jean, sa moitié de bouteille et ses yeux exorbités quittèrent la salle en premier. Le jeune homme rasa les murs, nous menaçant toujours du verre tranchant, puis piqua un sprint jusqu'à être hors de vue. Un à un, mes camarades s'éloignèrent sans un mot, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que Ben, Capucine, Mary et Yukie. Nous nous assîmes à une table. Ben et Mary se proposèrent pour préparer quelque chose à manger. Le métisse aurait sûrement préféré discuter plutôt que cuisiner, mais depuis la découverte des poisons et encore plus avec le jeu des cibles, nous restions très prudents.

- Il faut surveiller Jean, déclara Yukie de but en blanc.

L'asiatique, assise en bout de table, regardait d'un œil distrait vers le couloir. Mais je remarquai sa mâchoire crispée et son teint livide. Elle avait peur ; peur d'être la cible du jeune homme. Si Jack disait vrai, alors j'étais sa propre cible et je n'avais qu'à m'inquiéter du blondinet. Mais mes camarades n'avaient pas la chance de posséder une telle information. Il était légitime pour elle de stresser en conséquence.

- Je suis sûre que c'est lui qui a pris le cinquième couteau, dit la brune. Il en manque un depuis l'exécution de Flora.

Je l'avais aussi remarqué quelques jours auparavant, mais il ne m'était pas venu à l'esprit que Jean était armé. Actuellement, il représentait la plus grande menace parmi nous ; pour sa cible, surtout. Nous soupirâmes à l'unisson, dépassés par les événements. Les deux prochains jours allaient être extrêmement tendus. D'autant que si personne n'était tué, nous devrions voter pour exécuter un innocent. Je réprimai un frisson en repensant aux paroles de Jack, et à la réaction de mes camarades. Voteraient-ils vraiment pour Atlan ? Il faisait peur, certes, mais qu'en était-il de Jack ? De Jean ? Mais leurs regards... Cette lueur coupable dans les yeux de la majorité lorsque Jack avait émit l'hypothèse qu'Atlan serai exécuté.


Une douce odeur s'éleva de la cuisine, et bientôt Ben et Mary revinrent avec des toasts et du café. Le reste du petit déjeuner se déroula dans le silence. Chacun cogitait, qui à sa cible, qui au meilleur moyen d'éviter les meurtres. Après quelques minutes, je pris la parole :

- Pourquoi ne pas révéler à tout le monde qui est la cible de qui ? Rien n'empêche de révéler une telle information, et, dans ce cas, nous serons fixés. Il y aura peut-être de la méfiance dans le groupe, mais les gens sauront qui est susceptible de les tuer.

- Et si quelqu'un ment ? dit Yukie.

- Nous avons une cible chacun, je suppose que tout le monde est la cible de quelqu'un. Nous verrons vite qui ne dit pas la vérité.

Capucine, qui était restée interdite posa sa tasse assez fort pour que le bruit coupe notre conversation. Mary sursauta. La brune me toisa, son visage n'exprimant plus qu'un profond mépris.

- Quelle réflexion d'abruti, lâcha-t-elle d'un ton froid. Vous êtes assez naïfs pour penser qu'Hologramme nous laissera sortir ? C'est simplement un prétexte pour nous forcer à tuer. Quelqu'un tombera dans le panneau et un procès aura quand même lieu. Ou alors, une personne mal intentionnée se servira de ces informations pour commettre un meurtre en toute discrétion. Remarque, c'est pas plus mal.

- Pardon ? s'enquit Mary, horrifiée. Tu veux vraiment qu'on s'entretue ?

- Je vais te poser une simple question, répondit Capucine. Qu'est ce que tu préfères ? Exécuter un coupable pour le meurtre d'un de tes camarades, ou un innocent, sans doute le moins apprécié d'entre nous, de manière parfaitement immorale ?

La jeune fille aux cheveux courts se mordit l'intérieur de la joue, sans doute pour éviter de pleurer. Elle ne répondit pas à la question de Capucine, mais vu sa réaction, elle préférait l'option « tuer un coupable ». Nous nous souvenions du calvaire de Flora, et personne, encore moins un innocent, ne méritait de recevoir pareille torture. Ben mâchait son toast silencieusement, mais après un regard à Mary et moi, il déclara d'un ton presque coupable :

- Je... Je suis d'accord avec Capucine.

Je me concentrai sur ma tasse de café pour ne pas montrer ma déception. Ils avaient raison, au fond, mais si un meurtre était commis, un innocent mourrait quand même. Simplement, des mains d'une seule personne au lieu du groupe entier. C'était juste un problème de conscience. La culpabilité d'envoyer un innocent à la mort, volontairement, serait bien plus forte que si nous vengions simplement une victime en exécutant son meurtrier. J'avais beau tourner le problème dans tous les sens, il aboutissait toujours à une même conclusion : dans deux jours, nous ne serions, au mieux, plus que treize. Si personne ne tuait au bout du délai imposé, les moins intégrés étaient sur la sellette. Jack, Jean, et surtout Atlan. Il avait de grandes chances d'y passer si aucun mort n'était à déplorer. Pourrait-il aller jusqu'à commettre l'irréparable afin de sauver sa peau ? J'en doutais, d'un côté, mais... La simple idée qu'il se fasse exécuter sur le bon vouloir d'Hologramme m'arracha un frisson. D'abord Kitty, et ensuite Atlan ? Pourquoi mes amis étaient-ils toujours les premiers menacés ? A ce rythme là, Ben serait le prochain. Je crispai mes doigts sur l'anse de la tasse pour chasser ces sombres pensées.


Une main se posa sur mon épaule et me fit sursauter. Ben soupira en la retirant. Les filles étaient sorties pendant que je réfléchissais. Il ne restait plus que nous, et un profond sentiment d'appréhension. Le métisse empila les tasses et assiettes d'un air distrait. Il semblait tout aussi préoccupé que moi ; un pli soucieux barrait son front. Lorsqu'il eut terminé sa tâche, le silence s'installa. Il le brisa rapidement.

- Au moins, Hologramme a le sens de l'humour.

Il fixa le sol, blêmissant. Je le questionnai du regard, et sa réponse ne tarda pas.

- Ma cible, c'est Capucine.

Un rire nerveux m'échappa. Au moins, j'étais certain que Ben ne serait pas le prochain coupable. D'un côté cela me rassurait, mais de l'autre, je ne pouvais que compatir. J'éprouvais le même sentiment de pseudo-culpabilité depuis la découverte de ma cible, alors même que je n'y étais pour rien. Hologramme voulait vraiment nous pousser dans nos retranchements. Suivant sa logique, il avait dû donner à tout le monde une cible ambiguë ; une cible qu'on ne pouvait pas se résoudre à tuer. Mais il le fallait bien, pour éviter l'exécution d'un innocent. Tuer un de ses amis, ou envoyer un autre au casse-pipe, voilà les seules options que nous avions.
Mon ami se leva d'un bloc et passa la main dans ses cheveux crépus.

- Je vais faire du basket. Tu sais ou me trouver, si jamais...


Je passai le restant de la journée seul avec mes idées noires. Le jeune des cibles refusait de quitter mes pensées, malgré tous mes efforts pour m'occuper l'esprit. J'avais bien tenté de trouver un livre comique à la bibliothèque, mais sans succès. Le moindre mot se rattachant à « cible », « innocent » et j'en passe me rappelait la triste vérité. Et chaque personnage me faisait penser à l'un ou l'autre de mes camarades ; ceux-là même qui participaient au même jeu cruel. De toute manière, même le meilleur des romans m'aurait désappointé. J'aimais lire, en temps normal, pourtant. Mais je savais que les deux prochains jours allaient être difficiles d'un point de vue moral.

Sur le chemin de la bibliothèque, j'avais jeté un rapide coup d'œil vers la salle de musculation, où se retrouvaient quotidiennement Emi, Leeloo et Rufus. Tous manquaient à l'appel. Même constat pour les autres pièces. Si le but d'Hologramme était de briser la cohésion, alors il avait dépassé ses objectifs. Chacun s'isolait, ruminant dans son coin. Qui sait à quoi pensaient mes camarades ? Qui serait le prochain à mourir, à mon avis. Que ce soit assassiné ou exécuté, au moins une personne n'avait plus que deux jours à vivre. Ce n'était pas la solution, de se couper des autres. Il nous aurait fallu nous rassembler, nous serrer les coudes. Mais mon exemple parlait de lui-même. Je n'avais qu'une aspiration : être seul. Du moins jusqu'au soir.
Je culpabilisais de ne trouver aucune solution. Je n'étais pas le meilleur cerveau du groupe, mais la vie d'Atlan était en jeu ! Après avoir vu la réaction des autres aux paroles de Jack, il y avait peu de chances qu'ils votent pour quelqu'un d'autre. Certes, je pouvais toujours... tenter de faire pencher la balance du côté d'une tierce personne, mais dans ce cas, je condamnais moi-même un innocent. Un meurtre indirect. Un soupir m'échappa. La peur me tenait le ventre depuis plusieurs heures, s'étant peu à peu transformée en une immense crampe.
J'aurais pu rejoindre Ben pour tenter de me changer les idées, mais l'envie n'y était pas. Je voulais juste... que le soir arrive, et que je puisse rejoindre Atlan dans le jardin. Il saurait trouver les mots pour calmer mon esprit, sans aucun doute. Je donnai un coup rageur dans mon oreiller. Bordel ! Je ne pouvais pas me résoudre à le perdre ! Pas maintenant !


*


Le soleil prit tout son temps pour se coucher. A croire qu'à l'instar d'Hologramme, il se moquait de moi. J'étais assis au troisième, dans la bibliothèque. Une fenêtre m'offrait une vue dégagée sur le jardin. La salle de conférence apparaissait, au loin, étirant une ombre menaçante face à l'astre déclinant. Je pouvais même distinguer les tombes minuscules, les pauvres empilements de pierre que j'avais réalisés en l'honneur des défuntes. La simple idée de devoir en faire d'autres me dégoûtait.
Les coudes sur le rebord, je restai là jusqu'à ce que le soleil ne disparaisse dans la brume. Il l'éclairait d'orange, de rose et d'or ; le spectacle était magnifique. Nous semblions entourés d'une toile vierge, se teintant de couleurs le matin et le soir. C'était éphémère, mais à chaque fois différent. Un sourire las m'échappa. Belle métaphore de notre vie dans la zone. Courte, surtout pour certains, mais qui se terminait de manière pour le moins originale. Qui assassinée, qui torturée, qui... désigné par un vote. La question perdurait toujours dans un recoin de mon esprit, sans que jamais je n'aie pu y apporter de réponse : que faisions-nous ici ? Qui nous avait enfermés, et pourquoi ? Cela ne servait à rien de se retourner le cerveau maintenant ; mon esprit demeurait gonflé à bloc de scénarios catastrophe et d'appréhensions concernant le jeu des cibles. Ma tête semblait sur le point d'imploser, après avoir cogité la journée toute entière.


Lorsque le soleil eut enfin disparu dans les limbes de l'horizon, je me rendis compte qu'un sourire s'était dessiné sur mon visage à la simple pensée d'aller dans le jardin. Le décor de la bibliothèque, désormais dépourvu de lumière, avait tout pour effrayer. Mais je n'en avais cure, et traversait la pièce quasiment au pas de course.

L'air frais, fidèle à lui-même, m'ébouriffa les cheveux dès que je fus sorti. Mes yeux s'habituaient de mieux en mieux à l'obscurité, durant mes balades nocturnes. Je gardais toujours ma lampe de poche, mais l'allumais rarement. Ce soir, je faisais sans. La lune, pleine, éclairait toute seule l'étendue de la zone. Nous en avions déjà fait le tour, plus d'une fois, mais il n'y avait que des murs transparents, et du brouillard, tout autour. Rufus avait donné quelques coups de poings, mais rien n'y faisait. Nous étions enfermés, sans l'ombre d'un doute. La claustrophobie des premiers jours me quittait lentement, contrairement à ce stress quasi-permanent. Quand je sortais, le soir surtout, je ne me sentais en sécurité que lorsque j'étais assis sur le banc. N'importe qui pouvait surgir de l'ombre et m'assassiner. Jack, par exemple. Il était impossible de savoir à cent pour cent s'il disait la vérité, mais vu son attitude, j'étais presque certain d'être sa cible. S'il lui venait à l'esprit de m'égorger par derrière, j'étais sans défense. Peut-être faudrait-il qu'à l'instar d'Atlan, de Jack et de Jean, je m'équipe d'un couteau. Il y en avait bien assez dans le débarras. Mais leur disparition se savait vite, et les possesseurs de lame étaient dès lors pointés du doigt. Quand je voyais où cela avait mené Kitty et Flora... je pouvais m'en passer, finalement. Un tel objet devait se manier avec précaution, et, je pense, je n'étais pas assez sûr de moi pour l'utiliser sans blesser personne. Tout de même... l'envie, ou plutôt le besoin de posséder une arme me travaillait de plus en plus.


La vue du banc chassa mes réflexions afin de les remplacer par un doux parfum d'habitude. La lune perçait à travers les rares nuages, formait un rai de lumière circulaire autour du banc. Un projecteur naturel pour une scène banale, routinière. Je m'installai ; Atlan se faisait attendre. D'habitude, je le trouvais toujours en train de fumer. Mais ce besoin viscéral de réaliser notre rituel m'avait sans doute poussé à me dépêcher. J'attendais. Il mettait du temps, ce soir. Peut-être était-il à court de cigarettes ?
Je me tordis les doigts, nerveux. Ma respiration s'accéléra sans que je n'y puisse rien. Je me levai et commençai à inspecter la zone d'un œil affolé. Mon cœur cognait fort dans ma poitrine. Qu'est ce qu'il foutait, bordel ? Je me sentais comme un toxicomane en manque ; mes craintes revinrent au galop. Je marchai à toute vitesse vers le manoir. Il devait être là ! La paranoïa m'enveloppa comme une couverture. Voilà ce que ressentais Jean. Le moindre bruit résonnait dans mon esprit, me faisant sursauter. Je passai la tête dans l'embrasure de la porte principale. Personne. Les couloirs demeuraient désespérément vides. Je reculai. Il était allé directement s'asseoir sur le banc, oui, ça devait être ça. Mais il n'y avait même plus l'éclat de la lune sur notre lieu de rendez-vous. Ma respiration, devenue incontrôlable, me poussa à m'asseoir. Mon corps tremblait. Je me refusai de croire que j'allais le retrouver dans le même état que Kitty. Pas lui !


Alors que j'hyper-ventilais, la tête enfouie dans mes genoux repliés, une main m'agrippa l'épaule. Je relevai la tête, oubliant un instant mes yeux humides.
Deux yeux bleus me transperçaient, accompagnés d'un sourire narquois qui se figea quand Atlan vit mon visage.

- Tu es sûr que ça va ?

- A... Atlan ?

Il me questionna du regard, mais j'étais incapable de lui donner une réponse constructive. Le voir en un seul morceau suffit à, à nouveau, balayer mes craintes. Je me jetai dans ses bras sans réfléchir, trop heureux de sentir son odeur de tabac.

- Caleb, tu veux aller te reposer ?

La voix d'Atlan m'apparut incertaine, et, me rendant compte de mon geste, je reculai vivement. Mes joues brûlaient de honte, mais au moins j'étais certain qu'il ne s'agissait pas d'une hallucination. Le brun s'assit à mes côtés sans me lâcher du regard, et s'alluma une cigarette.

- Je... Pardon. Vraiment. Je pensais que tu... enfin... tu vois...

- Ne m'enterre pas si vite, dit Atlan d'un ton calme. J'ai à peine quinze minutes de retard. Disons que j'ai simplement pris plus de précautions que d'habitude.

Je compris directement son sous-entendu. Avec le jeu des cibles, il se doutait que quelqu'un cherchait à le tuer. Je me mis à rire, et, devant son incompréhension, l'éclairai :

- Personne ne te tuera. Du moins... pas tant que je serai encore en vie.

- Alors comme ça, je suis ta cible ?

J'acquiesçai. Je savais que lui révéler était la chose à faire. Le brun plongea son regard dans l'horizon, pensif.

- J'espère ne pas te donner envie de me tuer, à l'instar de ma propre cible. ( il soupira ) Jack.

Cette révélation me confirma qu'Hologramme jouait avec nos nerfs. A moi, il me donnait une cible impossible, sachant pertinemment que jamais je ne penserai à assassiner mon ami ; et à Atlan, il lui donnait une cible facile. Le blondinet prenait un malin plaisir à se moquer de lui. Il avait vraiment dû prendre sur lui ce matin, pour ne pas penser à le tuer sur place.


Atlan me tendit une cigarette qu'il m'alluma. Désormais, je ne toussais plus, et commençais à comprendre pourquoi le brun avait quasi-toujours une clope au coin des lèvres. Nous nous tûmes, savourant l'enveloppe du nuage de fumée que nous créions. C'était comme un petit cocon ; une bulle auquel nous seuls avions accès. Cela me réchauffait le cœur. Pour la première fois de la journée, je ne craignais plus le futur. Je voulais rester dans l'instant présent, y rester pour toujours. Mais le brun, à mi-voix, rompit le silence.

- Ça t'arrive d'avoir peur ?

La question me prit au dépourvu. Lui, Atlan, me demandait quelque chose d'aussi évident ? Il ne m'avait pas vu, dix minutes auparavant ? Et alors je compris. Sa question parlait d'elle-même. Ses mots hurlaient là où son visage restait impassible. Atlan avait peur. Il avait peur d'être désigné lors du vote. Il craignait de mourir si aucun meurtre n'était commis. Je ressentis cette peur. Dévorante. Je l'avais ressentie depuis le matin, d'ailleurs. Une angoisse qui prend aux tripes, se répercutant dans chaque centimètre carré du corps. Atlan était trop fier pour laisser paraître le moindre signe d'anxiété. Mais avec cette question, il m'informait de son état. Une question comme réponse, en somme, ça lui ressemblait bien.
Je m'éclaircis la voix.

- J'ai toujours peur. Peur de mourir, évidemment. Lorsque Jean a tenté de m'étrangler le premier jour. Quand Jack a révélé son vrai visage, et que, ce matin, il a failli me poignarder. J'ai eu peur aussi le jour où tu as plaqué ton couteau sous ma gorge, pour me montrer que la vie ne tient qu'à un fil, et qu'il ne faut pas se fier aux autres. Si je t'avais écouté, peut-être que la chute aurait été moins douloureuse, durant le premier procès. Mais c'est comme ça. La peur régit notre quotidien. C'est impossible de s'en débarrasser totalement, et quoi que l'on fasse, il perdurera toujours une étincelle de paranoïa en chacun de nous. Parfois, certains s'en trouvent submergés, et, incapable de faire face au tsunami d'angoisse qui leur arrive en pleine tête, craquent. Jean en est un parfait exemple, mais je ne suis pas en reste. J'ai honte de me montrer comme ça, aussi faible. Mais qu'est ce que j'y peux ? Cette peur, c'est une part de moi. Plus elle se développe, plus elle affute silencieusement mon sens du doute ; plus elle fait de moi quelqu'un de réfléchi. La peur, elle effraie. On se voit déjà devenir tarés, à se méfier de tout le monde ; et finir seuls. La peur peut réveiller notre plus profond instinct animal à son bon vouloir. Mais je pense que c'est une bonne chose. La peur infecte notre inconscient, et, sournoise, nous pousse parfois à rejeter certaines personnes. Mais au fond, on saura toujours vers qui se tourner. Il y a des gens qui peuvent calmer notre peur d'un simple regard. D'une simple... odeur de tabac. Aussi étrange cela puisse paraître, l'angoisse semble faire de nous des êtres crus, parfois seuls, mais sincères. Alors oui, j'ai peur ; trop souvent même. Mais actuellement, je me sens bien. Parce que je ne ressens pas cette peur sur ce banc. A tes côtés. Cette peur que tu m'as faite ressentir le premier soir n'a cessé de croître, de corrompre mon esprit, mais je me sens grandi. Grandi et fier d'avoir surmonté cette peur. Même si ça ne dure qu'un instant, un tout petit instant, je n'ai plus peur. Grâce à toi.


J'avais tout balancé, tout sorti d'un seul coup, et je finis mon monologue presque essoufflé. Quelques larmes avaient sillonné mes joues sans que je ne m'en rende compte.
Atlan demeurait silencieux ; il ne m'avait pas interrompu une seule fois. Qui sait comment il allait réagir. Au fond, je n'étais pas le mieux placé pour lui donner des conseils. Mais je me sentais libéré d'un poids après ce discours pour le moins utopiste.
Le brun releva la tête, et je crus entrevoir le coin de ses yeux étinceler dans la pénombre. D'une voix presque inaudible, il me répondit.


- Merci, Caleb.


[Reste : 14]

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top