14 - Une deuxième motivation
Une semaine passa, toujours sur le ton de la légèreté. L'entente au sein du groupe était au beau fixe ; aucune dispute ne venait entacher la belle cohésion formée. Finalement, après un moment, nous avions obtenu ce que désirait Kitty plus que tout. Une union. Atlan, dans la semaine, était passé deux fois prendre le petit déjeuner. Il parlait peu, mais j'étais heureux de le voir parmi nous. De plus, nous nous retrouvions presque tous les soirs sur notre banc. Il me proposait toujours des cigarettes que je refusais un coup sur deux, mais ce rituel faisait maintenant part entière de nos habitudes.
Jack, fidèle à lui-même, s'était découvert une passion pour embêter Mary ; mais Yukie veillait au grain et le rembarrait régulièrement. Jean, malgré sa paranoïa, sortait un peu plus de sa chambre. Charlie demeurait un peu plus bavard, du moins, ses marionnettes parlaient plus que d'habitude. De ce que j'avais pu entendre, Charlotte semblait être douce et altruiste, tandis que Charles représentait un côté plus sadique et moqueur. En voilà un qui s'entendait bien avec le blondinet...
Emi et Leeloo étaient décidément devenues des amies très proches ; elles ne se quittaient jamais, passant la plupart de leurs journées à la piscine ou à la salle de musculation. La rouquine s'était entichée de Rufus ; ils semblaient entretenir une relation, mais personne ne les avait jamais vus s'embrasser. Cela semblait déranger Leeloo, mais la jeune fille laissait couler pour le moment.
Bianca menait toujours Thomas à la baguette. C'était à se demander si le jeune homme demeurait aveugle et sourd. La blonde lui hurlait dessus à longueur de journée, tandis qu'il exécutait le moindre de ses désirs. Il espérait visiblement la séduire ainsi, mais il se faisait toujours totalement exploiter. J'avais un peu de peine pour lui ; Bianca pouvait se montrer très crue dans ses insultes, et les « gros connard de puceau » fusaient régulièrement.
Quant à Ben... il tenait toujours d'attirer l'attention de Capucine, en vain. L'autre jour, je l'avais rassuré sur le fait que la jeune fille ne lui préférait pas Atlan, mais j'aurais peut-être dû modérer mes propos. Capucine n'avait eu d'yeux que pour le brun, lorsqu'il était venu manger avec nous, au grand dam de Ben. Pourtant, il n'abandonnait pas, et cherchait toujours mille et unes idées et scénarios catastrophe pour séduire la belle brune. Il me faisait part chaque jour de son avancée avec Capucine, et je dois dire que c'était souvent hilarant. En l'espace de quelques jours, Ben et moi étions devenus beaucoup plus proches ; je le considérais comme un véritable ami.
Nous avions l'impression de vivre une vie normale, en oubliant évidemment la zone, et nous composions avec les défauts de chacun pour former un groupe, uni et heureux.
Ce matin, je me réveillai sans mal, une demi-heure avant que Ben ne vienne me chercher pour le petit déjeuner. J'arrivais à dormir sans problèmes, maintenant. Atlan, l'autre soir, avait collé sa main sur mon front et déclaré « c'est bien ce que je pensais, tu as de la fièvre ». J'avais ri. Atlan ne riait jamais, mais je le voyais de plus en plus sourire, et de moins en moins me lancer un regard glacial. Ça lui arrivait, évidemment, de temps en temps, mais beaucoup moins qu'au début.
Je n'ouvris pas les yeux directement, et m'étirai avant de bouger les paupières. La vision qui s'offrait à moi m'arracha un cri de surprise. Hologramme se tenait assis sur le rebord de mon lit, tout sourire. Je me levai en trombe et reculai jusqu'à ce que le mur m'empêche d'aller plus loin.
- Coucou ! me lança-t-il joyeusement. Alors comme ça, tout le monde est heureux ? Personne ne pense à la tuerie ? Quel dommage, franchement...
Il prit un air embêté, puis posa son menton dans sa paume pour réfléchir. Je gardai le silence, sachant pertinemment que je ne pouvais ni m'enfuir ni l'attaquer. Au fond de moi, même si je ne voulais pas m'y résoudre, je savais pertinemment pourquoi Hologramme venait de si bon matin.
- Vous vous entendez trop bien ! Moi qui pensais qu'après vous avoir donné les enveloppes votre cohésion volerait en éclats, vous les avez brûlées ! Franchement, je suis déçu.
Il sembla fouiller dans les pans de sa « veste » et en tira une sorte de tablette tactile qu'il posa sur mon lit.
- Je vous ai laissé un peu de répit, vous pouvez m'en être reconnaissants. Mais maintenant, fini de rigoler ! On se remet à jouer aux apprentis meurtriers ! Huhu !
Il disparut dans un éclat de rire.
Fébrile, je saisis la tablette. Qu'est ce que ça allait être, cette fois ? Le passé tumultueux de l'un d'entre nous ? Des photos de nos « proches » ? Mais rien de tout cela. A peine mes doigts eurent effleuré l'écran qu'une vidéo se mit en marche. Hologramme, habillé d'un costume et d'un haut-de-forme, réalisa une danse ridicule avant de se mettre à parler.
« Chers participants à la tuerie ! Je déclare ouvert le jeu des cibles ! »
Je restai interdit. Jeu des... cibles ? Quel genre de motif cela pouvait-il être ?
« Les règles sont simples. Chaque joueur se voit attribuer une cible en la personne d'un autre joueur. Vous aurez, à partir d'aujourd'hui, quarante huit heures pour commettre un meurtre ; qu'il s'agisse de votre cible ou non. Cependant, si vous tuez votre cible, vous bénéficierez d'un avantage non négligeable : sortir d'ici sans procès ! Elle est pas belle, la vie ?
Cependant... si aucun meurtre n'est commis d'ici deux jours, vous voterez à la majorité pour exécuter l'un d'entre vous. Pour rappel, le vote est obligatoire, huhu !
Caleb ! Ta cible est... »
C'est horrifié que je vis le visage d'Atlan s'afficher sur l'écran. Il était donc ma cible. Merde... cela voulait-il dire, inversement, que le brun devrait me tuer moi ? Ou alors, les cibles étaient réparties au hasard et quelqu'un d'autre m'aurait comme cible ? Je balançai la tablette sur mon lit et m'habillai en vitesse : il fallait rejoindre les autres au plus vite, avant que l'ambiance ne dégénère. J'avais un très mauvais pressentiment.
Lorsque j'ouvris la porte de ma chambre, Jack me fit face. Il semblait m'attendre. Un sourire carnassier imprimé sur le visage et un couteau de boucher dans les mains. Son rictus s'agrandit lorsque je sursautai. Lentement, il commença à s'approcher, le couteau pointé dans ma direction. Il ressemblait à un jaguar, et moi, un lapereau. Je reculai, tentant sans succès de me calmer et faire le point sur la situation. Mais la lueur sadique dans ses yeux, étincelante, m'empêchait de penser à autre chose qu'à la lame.
- Devine qui est ma cible ? chantonna-t-il d'un ton gamin.
J'avais deviné à l'instant même où il était apparu derrière la porte. Mais était-ce un mensonge ? Cela ne m'étonnerait pas du personnage, mais Jack avait déjà prouvé qu'il pouvait avoir des pensées meurtrières. Allait-il vraiment essayer de me tuer, si rapidement après l'énonciation du motif ?
Le blondinet avançait toujours ; il ressemblait à un enfant jouant à un jeu. Un jeu qu'il était sûr de gagner, en somme.
Soudain, sans crier gare, il bondit sur moi. Le choc me déséquilibra et nous tombâmes au sol dans un bruit étouffé par la moquette. Une cuisante douleur au dos me paralysa une seconde. Bien assez de temps pour que Jack ne place son genoux sur mon torse, m'empêchant ainsi de bouger. Je ne lui soupçonnais pas tant de force ; et cela me surprit assez pour lui laisser à nouveau l'avantage.
- J-Jack ! Arrête ça !
Il éclata de rire et brandit le couteau. Ses traits démoniaques semblaient empreints d'une gourmandise pour la souffrance d'autrui. Je cherchai du regard quelque chose à ma portée pour me défendre, mais rien. Je fermai les yeux et serrai les poings, me préparant mentalement à la douleur atroce. La lame fendit l'air, sifflant dans sa course folle.
Un grand « tchac » retentit. Une seconde, puis deux passèrent. J'étais vivant. Je clignai des yeux, encore sous le choc. En voyant le visage hilare de Jack, je compris. La lame demeurait plantée à quelques centimètres à peine de mon oreille. Je sentis des gouttes de sueur mouiller mes tempes, tandis qu'une boule empêchait ma gorge de laisser passer le moindre son.
Le blondinet se redressa, ramassa son couteau, et me fit un clin d'œil.
- T'es chou quand tu paniques, Caleb. Mais fais gaffe, un meurtre est si vite arrivé... à ta place, je ferai attention à ce qu'on ne mette pas du poison dans ma bouffe. Aller, bisous !
Je restai immobile quelques minutes, me repassant la scène en boucle, avant de me rendre au réfectoire en courant. J'appréhendais la réaction de mes camarades, et je ne fus pas déçu.
Tout le monde était déjà là quand j'arrivai. L'ambiance semblait pesante, et bruyante. La nouvelle motivation avait créé une vague de panique dans le groupe. Plusieurs personnes étaient rassemblées dans un coin de la pièce, mais je n'arrivai pas à en comprendre la raison.
Ben me vit et se dépêcha de me rejoindre. Ses cheveux encore plus volumineux que d'habitude et sa chemise mal boutonnée montrait qu'il était parti en catastrophe après le motif d'Hologramme.
- Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Jean a pété un câble, me dit le métisse en désignant l'attroupement.
Je jouai des coudes, me plaçant à côté de Rufus. Et en effet, le jeune homme à lunettes se tenait dans le coin du réfectoire, une bouteille en verre à demi brisée dans les mains. Il menaçait du tranchant quiconque tentait de s'approcher pour le raisonner, en l'occurrence Leeloo et Yukie. Il tremblait par convulsions et transpirait à seaux. Ses yeux exorbités et son teint livide n'exprimaient qu'une seule émotion : la peur. Hologramme avait réussi, en quelques minutes, à briser la belle cohésion que nous avions enfin mise en place.
- Me touchez pas ! hurla-t-il en secouant le morceau de verre. Vous voulez me tuer, hein ? Eh bien ça n'arrivera pas ! Je vous tuerai le premier !
Sa voix, hystérique, suffit à terrifier Mary. Les lèvres du jeune homme se déformèrent en un ignoble rictus, mi-terrifié mi-rieur. Je voulais me convaincre qu'il ne mettrait pas ses menaces à exécution mais... voir une personne si paranoïaque avec des armes à disposition ne pouvait que m'inquiéter. Je passai machinalement la main sur ma gorge, titillé par d'anciens souvenirs douloureux.
Qui pouvait bien être intéressé par la nouvelle motivation ? A voir le visage de Jean, déformé par la peur, je ne pus que craindre d'autres réactions de ce genre.
- Génial, un peu d'animation ! s'exclama Charles de sa voix rauque.
Charlie venait d'apparaître à nos côtés. Iel n'exprimait toujours aucune émotion, ce qui ne l'empêchait pas de rendre ses marionnettes presque vivantes.
Atlan, adossé à côté de la porte, tira son briquet de sa poche. Il fixa Capucine, puis mit l'objet entre elle et son regard perçant.
- Tu veux les brûler, encore ? railla-t-il. Vous savez que ça n'empêchera pas les meurtres, hein ?
Devant le silence de la brune, il nous darda une dernière œillade assassine, prêt à sortir du réfectoire. Capucine baissa la tête, rougissante ; de honte, je présume. En une phrase, Atlan remettait en cause toute notre unité. Mais il n'avait pas tort. La première fois, brûler les enveloppes n'avait en rien empêché le meurtre de Kitty...
- Quelle bonne idée, Atlanou ! s'exclama un Jack tout sourire. Pourtant... à ta place, je me réjouirai du meurtre à venir. ( il n'attendit aucune réponse et poursuivit en chantonnant ) Tu fais l'associable depuis le début du jeu et tu effraie tout le monde, alors, je ne serai pas si étonné si les gens te désignaient comme la personne à exécuter !
Les yeux d'Atlan avaient rarement brillé d'une telle froideur, malgré le fait que Jack n'en avait cure. Il savait très bien avec qui il jouait ; le brun ne le tuerai pas, du moins, pas sur l'instant. Atlan était bien trop intelligent pour se jeter bêtement sur lui et le marteler de coups, même s'il en avait vraiment envie.
J'avais du mal à croire que mes camarades puissent voter pour Atlan ; il n'était pas celui qu'il paraissait être. Mais je dus me rendre à l'évidence. Plusieurs personnes avaient baissé la tête aux paroles du blondinet. Mes camarades étaient-ils vraiment prêts à sacrifier Atlan, simplement parce qu'il se mélangeait peu au groupe ? Cette idée me rendit nauséeux. Je devais tout faire pour empêcher cela.
Ben s'éclaircit la voix et lança bien fort :
- Ecoutez, j'sais qu'Hologramme veut qu'on s'entretue, mais ça ne va pas arriver ! Il nous reste quarante huit heures pour trouver une sortie, ou tout du moins une solution à ça. Nous ne commettrons pas la même erreur que la première fois. J'crois en vous, vous n'êtes pas des meurtriers !
A ces mots, un sourire sadique illumina les traits enfantins de Jack. Il s'approcha d'un seul coup du métisse, le faisant reculer jusqu'à une table. Les autres avaient formé un arc de cercle autour d'eux, délaissant la paranoïa de Jean quelques secondes.
Jack mesurait facilement deux têtes de moins que Ben. Mais son aura menaçante compensait ses centimètres manquants. Le métissa avala bruyamment sa salive tandis que le blondinet s'appliquait à le scanner du regard. Il fut pris d'un rire gamin, et appuya son index sur le torse de son interlocuteur.
- Mon pauvre Ben... niveau naïveté, t'es entre Mary et Caleb.
Je serrai les poings à la pique. Le blond poursuivit de son sempiternel ton amusé.
- Tu ne veux pas te salir les mains, c'est une chose. Mais est-ce que tu ne t'es pas dit que celui ou celle t'ayant pour cible pourrait avoir quelques pensées... sanglantes ?
Le basketteur blêmit. Jack se retourna et nous fit face. Il détailla chacun d'entre nous, se délectant comme d'habitude de nos réactions. Il semblait tenter de lire dans nos pensées ; et ressemblait à un parfait psychopathe.
- Alors, à ton avis, c'est qui ? A la place d'Hologramme, je choisirai une personne en qui tu as une totale confiance, pour qu'il ou elle puisse te zigouiller en toute discrétion. Je me demande qui est l'heureux élu. Caleb, peut-être ? ( je réprimai un frisson en pensant à ma propre cible ) Ou... Capucine ?
Le blondinet fixa la jeune fille comme s'il avait déjà deviné quelque chose. La brune, mâchoire et poings serrés, le fusilla du regard. Elle fouetta l'air de la main pour éloigner ses accusations et s'éloigna, médisante. Juste avant de sortir, elle lança :
- A ton avis, Jack, les gens vont-ils plutôt voter pour Atlan, ou pour un gamin insupportable qui nous emmerde au quotidien ?
Le blondinet, l'air de rien, lui tira la langue.
- Arrête, je vais rougir ! ( il marqua une pause, soudain sérieux ) Je sens qu'on va bien s'amuser, pendant deux jours...
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