Chapitre 3

« Alors bouffeur de grenouilles, tu te dépêches oui ou non ?

-Cessez de me mettre la pression ! »

Finut était assis sur une table, les pieds enchaînés. Devant lui se trouvait un morceau de papier qui servait de lettre de rançon. Tout avait déjà été écrit à l'exception du nom de famille de cette certaine Étide. Finut n'avait pas bougé et avait refusé d'aller plus loin. Amile, assis à l'autre bout de la table, l'observait avec un sourire malicieux. Une bonne trentaine de Muniens les observaient de part et d'autre de la maison. Certains sur les escaliers, d'autre assis par terre et certains même qui étaient accrochés sur une poutre avec l'unique force de leurs pieds. Ils se tenaient droit, à l'horizontal, leurs pieds étaient accrochés à la poutre mais leurs mains ne touchaient rien. Finut était impressionné par leur dextérité et leur force. Mais ce qui l'énervait encore plus, c'était ce regard fier sur le visage d'Amile qui était persuadé d'avoir gagné face à ce prétentieux de Finut. Au bout d'un moment, le prisonnier se mit à grogner:

« Arrête de me regarder comme ça !

-Est ce que tu sais au moins comment s'appelle Étide ?

-Comment veux tu que je le sache ?! Je ne savais même pas que c'était une fille !

-Elle s'appelle Étide Territe. »

Finut cessa de s'emporter et commença à se calmer un peu. Territe ? Il avait déjà entendu ce nom quelque part, il était persuadé que ce nom avait été répété plusieurs fois dans les livres d'Histoire de Mune. D'un seul coup, la mémoire lui revint:

« Territe ? Ce n'est pas celui qui a fondé Mune ?

-En effet. Et la famille royale de Préfance sont ses descendants. Ropie et Étide sont actuellement les plus jeunes connus...même si le Prince Ropie compte adopter un enfant prochainement, mais il n'aura pas son sang.

-Je m'en fiche de ça ! Pourquoi la Princesse Étide Territe...

-La Viviane Étide Territe.

-Viviane ? C'est quoi ce titre stupide ? »

Amile lâcha un long soupir. Ce Finut savait peut être parler Munien et connaissait brièvement leur histoire, il ne semblait pas être très informé sur les coutumes Muniennes. Il allait devoir tout lui expliquer, et ça allait durer longtemps. Amile s'installa plus confortablement sur sa chaise et déposa la pierre triangulaire de Finut au milieu. Il inspira un bon coup, puis, commença à raconter:

« Il y a des dizaines de milliers d'année, Mune était connu sous l'Empire de Mu. Nous ne vivions pas sur ce continent.

-Sérieusement ? Tu vas tout me raconter ?

-Je ne supporte pas de discuter avec des personnes incultes comme toi. Enfin bref, en une nuit, l'Empire de Mu a été entièrement détruit. Les Dieux n'ont pas supporté que les Territiens évoluent aussi vite en matière de technologie. Ils en abandonnaient leurs créateurs et, jaloux, les Dieux ont englouti notre Empire sous des tremblements de terre, des tsunami, des éruptions de volcans...

-C'est quoi des Territiens ? Et bah dis donc, vous avez pris cher, aha ! »

Le rire de Finut s'estompait peu à peu quand il voyait les regards noirs de tout les Muniens, le fixant après cette remarque. Même les yeux d'Amile étaient remplis de haine envers le Français. Comment osait il se moquer de toutes les victimes décédées lors de cette catastrophe ? De leurs ancêtres ? C'est pour ça qu'Amile ne comprenait pas le choix du Roi Préfance d'ouvrir Hétolia à des étrangers. Il espérait que le Roi Ineur allait faire mieux et stopper cette immigration.
D'autant que le Royaume de Rosalia a fermé ses portes. Alors pourquoi on ne ferait pas pareil ? En plus, y'a moins de problèmes là bas.

« Puisque tu sembles irrespectueux, Finut Voutoilier, ça ne sert à rien de te raconter la suite. Peyal, raccompagne le au cachot.

-Hein ? Non ! »

Finut commençait à paniquer. Il ne fallait surtout pas qu'il retourne aussi vite au cachot ou Peyal allait s'apercevoir que Espain n'était plus là...il devait absolument gagner plus de temps. Alors que le jeune garçon aux cheveux bouclés s'approcha de Finut, paré à le ramener, Finut se leva, prêt à courir vers la sortie. Mais c'était sans compter qu'il était enchaîné à la chaise et il se fracassa maladroitement par terre. Amile se mit à rire très fort:

« C'était quoi cette tentative stupide ? Les Français sont encore plus idiots que ce que je pensais.

-Tu rigoleras moins quand Espain reviendra avec de l'aide !

-Comment ça ? »

Oups...Finut venait de se rendre compte qu'il avait laissé s'échapper une information confidentielle. Amile fronça les sourcils et fit signe à des Muniens d'aller voir si les deux sœurs Voutoilier étaient toujours emprisonnées. Quelques minutes passèrent quand les deux Muniens revinrent en courant et en criant:

« Il manque la petite fille !

-...Finut, où est ta sœur ?

-Dans ton cul. »

Il ne fallut pas longtemps avant que l'aîné Voutoilier ne se reçoive un violent coup de pied dans le ventre de la part d'Amile. Le Munien en avait clairement marre du comportement de cet étranger et il se retenait de lui donner d'autres coups. Il attrapa le poète, sans gêne, par les cheveux et lui cracha au visage:

« T'as intérêt à répondre ou je te jure que tu vas passer un mauvais quart d'heure.

-Tu vas me torturer ? Va y... »

Les yeux de Finut étaient en train de s'assombrir, son visage avait fait disparaître son sourire malicieux et il marmonna, comme si il parlait à lui même.

« De toute façon, j'ai connu pire que la souffrance physique. »

De l'autre côté de la maison, à l'opposé de ces rues délabrées d'Hétolia, une grande maison dorée se dressait, assez loin du château. Les jardins étaient magnifiquement décorés et taillés, il n'y avait aucune présence de fissure sur la demeure et l'intérieur était somptueusement rempli. Pleins de domestiques descendaient et montaient les escaliers à une vitesse folle et une femme, environ la cinquantaine, se tenait dans le salon. Sa robe était longue et faite avec une soie pure et argentée. Elle portait toutes sortes de bijoux et même une petite couronne sur la tête. On devinait facilement qu'elle était riche et probablement membre de la famille royale.
Un homme, à peu près du même âge, et lui aussi avec une couronne mais plus imposante que celle de la femme, descendait les escaliers pour rapidement la rejoindre. Bien habillé, il évitait les domestiques avant de lancer à l'inconnue:

« Amagique ! Je te cherchais partout ! Regarde ce que j'ai trouvé !

-Quoi donc, Ropie ? »

L'espèce d'aristocrate s'installa sur le canapé et fit signe à sa compagne de le rejoindre. Il lui tendit alors des papiers, écrits en Munien, avec des espèces de têtes imprimées dessus. Il lui montra un des visages:

« Voici Eliel. Il a 10 ans et il est à l'orphelinat depuis qu'il a 3 ans. Ses parents, étaient argentiers mais à ce qu'il parait, ils le traitaient mal. Il a donc été placé ici.

-Le pauvre, il a l'air si mignon.

-Demain, il a un tournoi de Yaf. On pourra y assister si tu veux, ça nous permettra de le voir en vrai.

-Oh oui ! Excellente idée !

-Ropie ? »

Étide était rentrée dans la demeure, tenant par la main la petite Espain, toujours terrorisée. Ropie, un peu perdu, se leva et se dirigea rapidement vers sa cousine. Tout de suite, il s'agenouilla devant la petite fille en lui souriant:

« Coucou toi. Étide, c'est qui ? Je t'ai déjà dit qu'on cherchait un garçon.

-Ce n'est pas pour l'adopter idiot. Je veux que tu m'aides à traduire ce qu'elle dit, je crois qu'elle parle français.

-Ah bon ? »

Ropie reporta à nouveau son attention sur la fillette. Elle n'avait pas lâché la main d'Étide et n'osait pas s'approcher plus de l'étranger. Pour la mettre un peu en confiance, Amagique s'approcha de l'enfant et lui donna une peluche qui, de base,  était destinée à leur futur fils. Espain hésita un moment, puis attrapa le nounours en le serrant fort contre elle. Ropie sourit et lui murmura:

« Bonjour. Est ce que tu me comprends ? Je parle français.

-...Oui.

-Parfait. Comment tu t'appelles ?

-Espain...Voutoilier. »

Étide fit un clin d'œil à Ropie à l'entente de ce nom. L'homme savait très bien ce que ça signifiait. Voutoilier, c'était le nom de famille d'un homme qu'Étide avait engagé il y a plusieurs mois, dans le seul et unique but de tuer le roi. Si cette petite portait le nom Voutoilier, ça veut dire que l'homme recherché était à Hétolia. Et Étide devait absolument le retrouver avant que le Roi ne tombe sur lui et se doute de quelque chose. Ropie continua les interrogations, un peu plus pressé:

« Dis moi...est ce qu'il y a d'autres personnes de ta famille avec toi ?

-Oui ! Mon frère et ma sœur ! Mais ils ont été enlevés par des Muniens, dans une maison super moche ! »

Ropie comprenait ce qu'Espain voulait dire par là. Cela devait sûrement être les Hétoliens déchus, qui avaient encore fait n'importe quoi. Il se releva et laissa Amagique s'occuper de la petite fille. Il commença ensuite à chuchoter à l'oreille d'Étide, pour que personne ne les entendes.

« Donc, elle a un frère et une sœur, des Voutoilier eux aussi. Seul problème, ils ont été enlevés par la Brise de Feu.

-Bon sang, ils vont vraiment nous gâcher la vie jusqu'au bout, ceux là...même si je suis étonnée qu'un grand criminel comme Tueurue Voutoilier se soit laissé avoir.

-Il a sûrement été pris par surprise. Peu importe, on a besoin de lui. Va le récupérer, je reste ici avec la gamine.

-Ok, assurez vous qu'elle soit bien cachée. Il ne faut surtout pas qu'Ineur et Trotre la découvrent.

-Compte sur moi. »

Étide hocha la tête et repartit à l'extérieur pour récupérer son cheval noir. Espain, en la voyant partir, voulu la rejoindre mais Amagique la retint et commença, elle aussi, à lui parler en français.

« Ça va aller. On est les cousins d'Étide. Elle est partie sauver ton frère, Tueurue Voutoilier.

-Tueurue Voutoilier ?! Mais mon frère et ma sœur s'appellent Finut et Guente ! Tueurue, c'est mon père ! »

En entendant les paroles d'Espain, Ropie se précipita vers elle, inquiet et perdu. Il posa sa main sur son épaule et la fixait avec ses yeux bleus écarquillés. Son sourire chaleureux de tout à l'heure avait disparu et avait laissé place à la surprise et à l'incompréhension. Amagique, elle aussi, semblait désorientée:

« Comment ça ? Mais alors, ton père n'est pas ici, à Hétolia ?

-Non ! Il est mort une semaine avant notre départ ! C'est avec mon frère et ma sœur que je suis venue !

-Nom d'un chien des montagnes ! Il y a une confusion. Il faut prévenir Étide ! »

Mais c'était trop tard. La cavalière s'était déjà élancée en direction de la Brise de Feu. Elle n'aimait pas aller là bas mais, elle n'avait pas le choix. C'était un endroit dangereux et très mal vu à cause de ceux qui y vivaient. On les appelait les « Enfants Ricochets ». Ceux qui étaient nés en deuxième, sous la loi concernant l'enfant unique, propre à Hétolia. Personne ne savait d'où venait cette règle mais, c'était une tradition. Et il ne fallait pas la briser. En général, quand on avait un deuxième enfant à Hétolia, on le tuait. Mais pour beaucoup de parents, c'était une douleur trop immense. Alors, ils confiaient leurs enfants à une Brise de Feu. Ce quartier où tout les seconds nés s'étaient retrouvés.
Bien évidemment, il y avait une grosse inégalité entre les deux camps. Les premiers nés comme Ropie ou Étide, vivaient majoritairement dans des familles aisés, allaient à l'école, gagnaient beaucoup d'argent.
Chez les Enfants Ricochets, ce n'était que de la misère. Il n'y avait pas de marché qui fonctionnait suffisamment pour rapporter de l'argent. Quand un incident survenait, les secours ou les cavaliers ne s'en préoccupaient pas si ça venait d'une Brise de Feu.
À force, quand quelqu'un comprend que son sort n'a aucune valeur, il va se mettre à chercher une valeur ailleurs. Même si il doit en arriver à des extrémités. Le meurtre, le viol, les cambriolages, les enlèvements...c'était malheureusement quelque chose de commun chez ces personnes.
Même au plus jeune âge, ça existait déjà. Étide arrêta son cheval brusquement, quand elle aperçut un groupe de trois enfants qui traversaient la route.

« Hé ! Petits, faites attention.

-Pourquoi vous êtes vous arrêté ? Vous auriez pu nous renverser. »

Étide jeta un coup d'œil à l'enfant qui venait de parler. Il semblait être le chef du groupe. Elle reconnut un signe distinctif chez lui, un collier avec un triangle forgé dans une étoile. Elle sourit en comprenant qu'il s'agissait du même orphelin qu'elle avait arrêté quelques semaines plus tôt, alors qu'il volait des pommes à un marchand.

« Content de te voir aussi Sarre. J'espère que tes petites heures en prison t'ont fait réfléchir.

-Ouais, c'était génial. Les autres prisonniers m'ont montré comment tuer un garde. Et toi ? T'as pas envie de nous montrer, en nous tuant ? Tu nous rendrais service.

-J'aurais bien voulu mais je suis pressée. On verra ça une autre fois ! »

Sans attendre une autre réponse, Étide s'élança à nouveau avec son cheval vers la brume sombre qui engloutissait déjà la Brise de Feu. Sarre, accompagné des deux autres orphelins, Rembre et Choiser, la regardaient partir en souriant malicieusement. Au bout d'un moment, Sarre finit par lâcher:

« Choiser. Va trouver Amile et préviens le que la Luciole se rapproche de la lumière. »

Choiser hocha la tête et monta sur un toit, à l'aide de ses mains et de ses pieds seulement. Les Enfants Ricochets étaient vraiment habiles, même les plus jeunes. Il n'y avait aucun doute là dessus.
On ne pouvait pas en dire autant des habitants du Royaume de Rosalia.

Ce Royaume se situait à l'opposé du continent de Mune. Lui aussi avait des traditions, mais aucune qui imposait la loi de l'enfant unique. Pour cela, les familles nombreuses étaient communes et les habitants étaient très souvent destinés à des métiers basiques, de chaînes, comme le service.
C'était le cas de la jeune Prunelle. Elle devait amener aujourd'hui des couvertures à la Princesse du Royaume. Mais maladroite comme elle était, la jeune fille blonde trébucha facilement sur une marche et s'écrasa par terre. En se relevant, énervé à cause de la douleur du choc, elle se mit à pousser un cri de rage.

« C'est pas vrai ! J'en ai marre ! »

La jeune servante ramassa tout le linge qui était tombé par terre. Les autres domestiques prêtaient pas attention à elle et l'un d'eux lui écrasa la main sans le vouloir. Prunelle lâcha un petit cri de douleur alors que le servant qui lui avait fait mal, s'arrêta et commença à paniquer. Il s'approcha d'elle et s'agenouilla pour vérifier si elle allait bien.

« Oh mince, mince ! Pardon, je suis vraiment désolé Prunelle ! Ça va ? T'as pas mal ? Va mettre ça sous de l'eau froide !

-T...T'en fais pas Incaitre. J'ai eu plus de peur que de mal. »

Incaitre lâcha un petit soupir de soulagement mais qui fut de courte duré. Un jeune chevalier qui avait vu la scène, se précipita vers la blondinette et se mit aussi à vérifier son doigt, totalement affolé.

« Ça va Prunelle ??

-Oui, Corfait. Ne t'en fait pas, c'était un accident.

-Bon sang Incaitre ! Fait plus attention ! »

Le servant, avec une tâche noire dans l'œil, qui avait accidentellement fait mal à la jeune fille, baissa la tête pour regarder le sol. Il n'osait même pas affronter le regard sévère de Corfait, qui ne supportait clairement pas qu'il ai pu faire mal à sa bien-aimée, même par accident. Prunelle brisa le moment de tension entre les deux hommes, en se relevant d'un coup, sourire au lèvre.

« Bon, arrêtez de vous regarder comme des chiens devant un os !

-Mais Prunelle...tu...

-Je vais bien Corfait ! Et puis...on va pas rester là. On a du boulot qui nous attend ! En route, mauvaise troupe ! »

Prunelle était l'optimisme incarné. Ça amusait beaucoup Corfait et Incaitre. Ils savaient qu'elle était impossible à changer, et ils espéraient qu'elle resterait comme ça.

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Tags: #histoire