Partie unique

Petite histoire qui vient de mon recueil  nébuleuse mais que je reposte en one-shot~

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Il monte les marches quatre à quatre, agilement et rapidement. Arrivé au bon étage, il s'avance vers la petite porte délabrée.

Elle s'ouvre avant qu'il ne toque.
Aucune surprise sur son visage, il a l'habitude de voir cette porte s'ouvrir dans un grincement sinistre avant même qu'il ait fait remarquer son arrivée.

Lorsqu'il aperçoit la personne derrière ce morceau de bois, un sourire illumine son visage malgré lui.

Il ne peut s'en empêcher. Il aime la voir, lumineuse et toujours pleine de vie.
Une vague de bonheur le submerge.

Tout les jours et ce depuis quelques semaines, il lui rendait visite un sac de courses à la main le soir après son travail.
Tout les jours, la vieille dame ouvrait la porte, pile au moment où il se postait à son palier.
Et tout les jours, un sourire s'affichait sur leur deux visages étrangement ressemblants, si l'on oubli l'âge qui les séparent.

Il entre sans un mot, les paroles étant inutiles depuis le temps. Ils savent tout deux immédiatement comment va l'autre juste en se regardant. Et aujourd'hui ils vont bien.

Le soleil brille, les oiseaux chantent.
Enfin peut être pas.
Peut être qu'il y a des nuages.
Peut être même qu'il pleut et que les oiseaux dorment.
Mais dans leur tête c'est une journée ensoleillée. Rayonnante.

Ensembles, ils vont dans le petit salon, unique pièce de vie du vieil appartement. Relié à une cuisine dont sortait avant une bonne odeur de nourriture. Maintenant elle ne sent plus rien si ce n'est les plats surgelés réchauffés et l'humidité.

Une fois assis, ils commencent. C'est toujours elle qui parle en premier. Et une fois lancés, personne ne peut les arrêter. La conversation est légère. Ils parlent de tout, de rien. Un n'importe quoi suffit. Ils ont parfois des débats, des désaccords. Mais ça ne rend leur conversation que plus intéressante. Ils sont heureux.

Et pourtant, ce n'était pas gagné.

___

Ils se sont rencontrés par hasard, une bousculade dans un petit magasin, là où il travaillait pour subvenir à ses besoins. Là où elle venait une fois par semaine acheter de quoi se nourrir.

Ils s'étaient percutés et criés dessus.
Lui, avait été étonné de voir une personne aussi âgée avec autant de répondant, n'hésitant pas une seconde à l'insulter.
Elle, l'avait trouvé mignon mais surtout très jeune, trop, pour travailler dans une supérette aux horaires aussi serrées.

Tout deux ne connaissaient rien de l'autre et pourtant, ils se voyaient toutes les semaines, même jour, même heure, dans cette petite alimentation de quartier.

Leur animosité n'avait d'égal que leur épuisement. Car c'est ce qu'ils étaient tout les deux, épuisés.
Elle, par le temps, son âge se répercutant sur son visage. Elle refusait qu'il vienne aussi changé son caractère mais ne pouvait cacher le fait qu'elle faiblissait de jours en jours.
Lui, par sa vie, tout simplement. Son rêve d'étude avait été balayé avec la perte de sa mère, son unique parent. Elle lui manquait mais il n'avait le temps d'y penser. Il devait travailler pour vivre. L'argent était devenu son unique moteur dans la vie.

C'est avec cet état d'esprit qu'ils s'affrontaient chaque mardi soir, à une horaire vide de tout autres clients.

Elle arrivait à la caisse, armée de son panier en plastique.
Il ne prenait pas la peine de sourire, le regard tranchant et balançait nonchalamment les articles dans un sac avant de les lui tendre et de récupérer son billet.
Un billet de 20€, jamais plus, jamais moins. C'était son forfait alimentaire hebdomadaire.

Mais un jour, leur routine manqua de s'effondrer devant les yeux ridés de la vieille dame.
En effet, le jeune employé manquant dangereusement d'argent s'était permis une petite virée dans les caisses du magasin, pensant que son acte ne serait jamais découvert.

C'était sans compter son patron avare du moindre centime qui s'aperçut rapidement des quelques billets manquants.
Fou de rage il débarqua à la supérette prêt à renvoyer notre ancien étudiant.
C'était à l'heure de pointe de la vieille dame qui passait au même moment en caisse, combattant son éternel rival à grands coups de regards froids et gestes dédaigneux.

Mais quand le patron entra, le regard d'acier du jeune qui jusque là rivalisait toujours avec celui enflammé de la vieille s'effrita pour finalement se briser lorsque le riche patron l'accusa.

La femme, bien qu'âgée, n'en était pas pour autant idiote et savait bien que si son adversaire avait commis un tel acte ce n'était pas par choix mais par pure nécessitée.
Elle avait depuis longtemps comprit qu'il était lui aussi en manque vital d'argent, ne voyant pas d'autres explications à son travail ici.

Alors lorsqu'elle entendit que celui-ci allait être renvoyé, elle ne put se résoudre à le laisser vaincu aussi facilement, elle n'avait pas encore remporté cette guerre des regards.
Elle enfila alors son masque implorant et se retourna vers l'homme gras et avare, mimant des larmes et parlant d'une petite voix.

Ce soir là, elle se dénonça à la place du garçon, inventant une histoire bancale sur son vol causé par son besoin d'argent.
Le patron loin d'être une lumière l'a crue malgré tout, se laissant embobiner par son joli jeu d'acteur et, pris de pitié, accepta de ne pas alerter la police si elle ne remettait pas les pieds ici.

Ce qu'elle accepta sans aucune hésitation malgré l'alarme sonnant dans sa tête pour lui indiquer qu'elle devrait désormais marcher beaucoup plus pour atteindre une autre supérette.
Le patron s'en alla, n'oubliant pas de préciser qu'il ferait poser des caméras dans son magasin pour s'assurer que rien de tel ne se reproduise.

Son départ laissa nos deux protagonistes seuls. Aucun des deux ne savait quoi dire ou faire.
Alors la plus âgée prit son sac et s'en alla. Mais avant de que les portes ne se referment elle entendit clairement le merci étouffé du jeune caissier entre deux sanglots.

Les deux ennemis étaient devenus alliés mais pas encore amis.
Pour ce faire, il faudrait que le garçon rende la monnaie de sa pièce à son héroïne d'un soir.
Ce qu'il tenait absolument à faire.

___

Trouver l'idée ne fut pas particulièrement compliqué, lui aussi avait eu tout le temps d'observer la vieille et avait vite découvert son point faible : son âge. Porter les sacs était devenu une véritable corvée.
Là où la dame devait faire un effort pour transporter ses quelques courses, lui les transportait sans problèmes du bout des doigts.

Ce fut donc sans plus attendre que le garçon s'en alla retrouver son aînée à l'autre magasin alimentaire le plus proche lors de son jour de congé pour porter ses sacs à sa place.
Et malgré son orgueil, elle accepta sans trop rechigner l'aide de l'adolescent, le trajet jusqu'à chez elle se faisant trop long pour son corps fissuré par le temps.

Voyant que son aide était la bienvenue, il lui proposa naturellement de faire ses courses à sa place.
Et elle accepta.
C'est ainsi que chaque vendredi soirs, après son travail se terminant un peu plus tôt pour le weekend, il allait jusqu'aux palier de la dame qui ne le laissait jamais entrer.

Elle lui donnait le fameux billet ainsi qu'une petite liste de courses ne dépassant jamais le prix.
Et il revenait une trentaine de minutes plus tard, un sac rempli en main.

Leur routine avait certe changée de jour et de lieu mais était toujours bien présente.
Le seul changement était leur relation qui se stabilisait au fil du temps, frôlant par moments une certaine empathie.
Mais leur rapport restaient tout de même distants, l'orgueil les empêchant de franchir le pas du dialogue.

Un jour qu'il arrivait chez la femme, il fut étonné de ne pas la voir sur le palier à l'attendre, un billet en main.
De suite, une légère appréhension s'empara de lui, il ne pouvait s'empêcher d'être inquiet.

Et heureusement.

La porte étant entrouverte, il se permis d'entrer après quelques appels sans réponses.

Il la retrouva écroulée par terre, sa main fermement accrochée à son billet.
Pas le temps de détailler le petit et vieux lieu de vie de la vieille qu'elle était déjà dans une ambulance en route pour l'hôpital.

Il l'avait suivi et se tenait toujours à son chevet lors de son réveil.
Il ne l'avait pas quittée une seconde, effrayé à l'idée que son état puisse s'aggraver malgré les paroles rassurantes des médecins lui répétant que ce n'était qu'un malaise dû à la fatigue.
Il comprenait son état, même si sa santé de fer l'empêchait de faire ce genre de malaise, il était toujours dans un état de fatigue intense.

Néanmoins, la sieste faite sur la petite chaise de l'hôpital lui avait fait un bien fou. Il ne dormait presque jamais, profitant des maigres heures passées chez lui pour étudier seul.
Il adorait étudier et rêvait d'avoir les moyens de reprendre ses études. Il économisait d'ailleurs dans ce but.

Après le réveil de la patiente, ils rentrèrent tout les deux chez elle. Il la raccompagna et eu le droit d'entrer pour la seconde fois dans son petit appartement.

Et pour la première fois, ils parlèrent. Durant des heures. De tout et de rien. De la société un peu trop détraquée, du beau temps quelque peu nuageux, des recettes de cuisines datant d'un siècle révolu, de la paix dans le monde.
Ils ne s'arrêtèrent plus, enchaînant débats sur débats.
Ils avaient toujours quelque chose à rajouter, un argument, une opposition.
Et malgré leur état de fatigue commun, ils ne s'étaient jamais sentis aussi vivants.

Eux qui vivaient seuls depuis si longtemps, ils pensaient s'être habitués à ne plus dialoguer.
Pourtant parler avec quelqu'un leur faisait tant de bien. Une oreille attentive qui écoute nos pensées. Ça leur avait tellement manqué.

Ce jour là marqua définitivement le début d'une amitié et d'une nouvelle vie pour tout les deux. Une vie où ils ne seraient plus seuls.
En effet, à partir de ce soir, lorsque le jeune revenait des courses de la retraitée, ils s'asseyaient tout les deux dans les vieux fauteuils usés du salon et se mettaient à parler, à se raconter leur vie.
Leur routine avait de nouveau pris un tournant inédit.

Elle lui racontait son passé, ses regrets et espoirs avortés. Elle lui contait sa vie en tant que femme forte, vie pleine de moments durs et colorés.
Lui parlait de ses rêves, de son avenir inatteignable.

Tout allait pour le mieux et pour la première fois, ils étaient heureux. Ils s'étaient énormément attachés l'un à l'autre et aucun ne souhaitait voir cette routine se briser.

Pourtant, la plus âgée sentait de plus en plus le poid des âges sur ses toujours plus frêles épaules.
Elle sentait que sa vie était passée, qu'il était maintenant temps de laisser la place à d'autres générations, temps de lui laisser la place.

Mais elle refusait de l'abandonner, perdu dans ce monde bien trop grand pour lui.
Car il restait un enfant. Un enfant qui a juste grandi trop vite.

___

Alors, un jour, un jour plus beau que les autres, un où les chants d'oiseaux sont vraiment audibles par la fenêtre, elle sent que c'était le moment. Le moment pour lui expliquer. Lui raconter. Lui parler comme elle ne l'a encore jamais fait. Comme une mère avant d'être une amie.

Mon garçon, ce monde dans lequel tu vis, dans lequel tu évolues est loin d'être si incroyable comparé à tout le reste.
Notre planète n'est rien d'autre qu'un grain de sable dans le désert qu'est notre galaxie.
Et cette galaxie est elle-même perdue dans un univers si vaste.
Dis moi, connais-tu la théorie des multivers ?

Il secoue la tête négativement alors que la vieille dame reprend, ne prenant pas la peine d'attendre sa réponse qu'elle connait déjà.

Cette théorie vise à expliquer que notre univers n'est rien d'autre qu'une poussière perdue dans une multitude d'autre univers tous plus grands et plus merveilleux les uns que les autres.
Tu imagines ? Des dizaines de milliers d'univers identiques ou bien très différents du notre. Contenant peut être de la vie, une énergie mystérieuse. Un monde si vaste. Des possibilités infinies.

Alors tu vois, notre planète, notre pays, notre vie, ta vie, ce n'est rien. Rien comparée à ce monde fabuleux. Notre mort ou même celle de l'humanité toute entière n'aura jamais d'impacte sur cet univers là.

Elle fait un pause dans son monologue, reprenant son souffle faible. Déjà la fin ?

La mort n'a aucun impacte sur l'Univers avec un grand U mais elle impactera celui de nos proches. C'est grâce à eux que l'on existe, sans proches nous ne sommes rien, qu'un minuscule grain de poussière dérivant avec le vent.
Alors qu'avec des gens qui pensent à nous, on prend forme, on devient quelqu'un. On devient important. Même si ce n'est qu'une fraction de secondes, même si ce n'est que pour une poignée de personnes, on a des regards tournés vers nous.

Alors même si j'en viens à mourir demain, même si ma mort ne change rien, je pourrais être fière d'avoir vécu.
Car j'aurai eu de l'importance pour quelqu'un, j'aurai pu laisser mon empreinte, aussi infime soit elle, dans l'univers d'une personne qui compte pour moi.
Je n'aurai pas vécu inutilement.
J'ai marqué ton univers et je veux qu'après ma mort tu marques à ton tour l'univers de quelqu'un. Je veux que ce quelqu'un se souvienne de toi comme tu te souviendras de moi.

C'est pour ça qu'il faut que tu trouves une personne pour qui exister, devient important pour elle, laisse une trace de ton passage dans son univers et grâce à toi je laisserai aussi une partie de moi dans cette multitudes d'univers sans fins.
Laisse ton empreinte et la mienne pénétrer les mémoires.

Je n'ai pas eu une vie facile, mais j'ai eu une vie dont je suis fière et qui mérite de rester dans ton cœur.
Alors toi aussi soit fier de ta vie.
Laisse-la marquer les univers de ceux qui rencontreront ton chemin.
Soit quelqu'un dont on se souvient.
Soit fier de ton univers.

~~~

END !
Histoire pas très longue, j'ai pris du plaisir à l'écrire et j'espère que ça se ressens un minimum lors de la lecture.
J'ai hésité à rajouter une fin où la vieille meurt et le jeune reprend ses études, etc... Mais je trouvais ça bien comme ça.

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