Chapitre 3 [partie I] (version NON officielle)

AVA

À peine ai-je ouvert la porte de l'appartement, que mon frère bondit à ma rencontre.

- Alors, comment s'est déroulé ton entretien ? C'est dans la poche ?

- Dans le fumier, plutôt.

- Ils ne t'ont pas engagée ? s'indigne-t-il. Pourtant, tu es douée avec les gosses.

- C'était horrible.

- Pire que chez la toiletteuse ?

Je hoche la tête.

- Il m'est arrivé un incident ce matin, que j'ai omis de mentionner. Si je te raconte, il faut que tu me jures avant de ne pas te moquer ! Ni d'en parler à qui que ce soit ! Tu m'entends ?

- Tu m'intrigues. Vas-y, déballe.

- Promets-moi avant de ne rien dire à personne et de ne pas rire... Enfin, tu peux rire, mais dix minutes, pas plus.

- C'est bon, ma curiosité est piquée. Accouche, Ava. T'as fait quoi comme connerie ?

D'une voix tendue, je lui explique l'épisode de l'ascenseur.

Par deux fois, je songe à appeler les secours de crainte que mon frère ne s'étouffe, tant il rit fort. Mes nerfs lâchent : la journée a été si épouvantable que je finis à mon tour par céder à l'hilarité.

Entre deux éclats, je lui narre la suite de mes péripéties.

- Naaaaan ! C'est lui le beau-frère qui cherche une gouvernante ?

Je crois que Ben va trépasser d'un instant à l'autre.

- Et pour couronner le tout, j'ai oublié d'enfiler mes chaussures avant de partir. Regarde.

Je lui désigne mes beaux chaussons Cooky, symbole de mon amour pour Jeon Jungkook, le maknae des BTS, qui aujourd'hui ne m'aura pas porté chance, malheureusement.

- Du coup, il en a déduit que j'étais folle à lier.

Mon frère est en apnée, pris d'un fou rire magistral. Des larmes roulent sur ses joues écarlates, tandis qu'il se tient le ventre, le corps à semi plié.

- Pense à respirer de temps en temps, frangin, je ne voudrais pas que tu clamses dans mon salon. (Je soupire.) Bref, autant dire que mes chances d'être embauchée avoisinaient le néant. De toute façon, s'il n'avait pas refusé, c'est moi qui l'aurais fait. Tu m'imagines travailler sous ses ordres après ça ?

Les dix minutes d'amusement sont écoulées depuis longtemps, néanmoins Ben est incapable de se ressaisir. Dès qu'il me regarde, un gloussement s'échappe de ses lèvres.

C'était à prévoir. J'en aurais fait de même à sa place.

Heureusement pour moi, le ridicule ne tue pas. Puis, il faut relativiser, ce n'est pas comme si j'allais être amenée à revoir ce M. Manning... Alors, ses considérations à mon égard m'indiffèrent ! Qu'il me prenne pour une simple d'esprit ou une grosse dégueulasse, je m'en fiche. Après tout, je n'en pense pas moins de lui. Sur son front, au marqueur rouge, on peut y lire : connard imbu de soi. Je suis assez perspicace pour cerner les gens, et lui et moi, ne jouons pas dans la même catégorie.

Les jours qui suivent, je reprends mon train-train quotidien qui consiste à : éplucher les petites annonces, courir dans toute la ville pour des entretiens, faire chou blanc et rentrer chez moi, éreintée. Qui a affirmé qu'être au chômage était reposant ?

Néanmoins, trois semaines après ce que j'ai désigné comme « Le-jour-dont-on-ne-doit-pas-reparler », ma vie prend malgré moi un tournant à 180 degrés. La raison ? Mon frère s'est trouvé une copine. Une annonce qui peut paraître anodine, s'il n'avait pas voulu emménager avec elle aussitôt !

Tandis que je l'aide à emballer ses affaires (un bric-à-brac de vieilles choses récupérées pour la plupart dans la rue), je lui demande :

- Pourquoi tu es si empressé ?

Ma question n'est pas que par pur égoïsme. Certes, son départ va m'amputer de sa part de loyer, et ce n'est pas du tout le moment, cependant je m'inquiète réellement de cette brusque décision. C'est irréfléchi, insensé. Or, on peut l'accuser de beaucoup de choses, mais agir ainsi ne lui ressemble pas. C'est moi la fonceuse de la famille qui a pour habitude de me fourrer dans les ennuis jusqu'au cou.

J'insiste devant son silence :

- Tu la connais à peine, en plus !

Jamais je n'aurais imaginé que son déménagement me causerait autant de mélancolie. Les trois quarts du temps, il me court sur le haricot, seulement quand je rentre le soir, après une journée de déroute, il est celui qui me réconforte. Sans son soutien, j'ai peur de m'effondrer.

- Elle me plaît.

- Le petit facteur qui dépose mon courrier le matin me plaît aussi, ce n'est pas pour cela que je pars m'installer chez lui.

- Il ne voudrait pas de toi, de toute façon.

- Qu'est-ce que tu en sais, hein ? Si ça se trouve, il me kiffe en secret !

Ben s'approche de moi pour me saisir par les épaules.

- Ava, c'est la femme de ma vie.

- Comment peux-tu être aussi catégorique ?

- Parce que je le sais, c'est tout. Il y a parfois des choses qui ne s'expliquent pas. Elle et moi, on est complémentaires. Un peu comme ce Kinder surprise ! s'exalte-t-il en déballant la friandise illicite* qu'il a ramené de son dernier voyage d'Europe.

Tel un trésor inestimable, il décolle avec une précaution exagérée les deux parts de l'œuf sans casser le chocolat, puis ouvre la petite boîte jaune pour me montrer son contenu.

- Tu vois, elle est la notice, et moi le jouet en kit. Dès qu'elle est rentrée dans ma vie, j'ai eu la sensation d'avoir enfin trouvé ma moitié.

Merde, maintenant, je suis jalouse. Je soupire :

- Et moi, tu crois que je suis la notice de quelqu'un ?

- Bien sûr ! Il faut juste trouver à quel meuble Ikéa, tu corresponds.

- Pourquoi je serais la notice d'un meuble Ikéa et pas celle d'un Kinder ?

- Ta notice à toi, elle comporte dix-huit pages recto verso et est écrite en hiéroglyphes. Seul un expert peut la déchiffrer.

- Génial ! (Mon regard glisse sur Hagrid qui nous contemple d'un œil méfiant.) T'es en train de m'expliquer que je vais finir seule avec un imbécile de chat qui prend ma chambre pour une litière.

Dès lors où ses roupettes lui ont été retirées, le lendemain du jour-dont-on-ne-doit-pas-reparler, il s'est entêté à ne déféquer que sur ma descente de lit.

Si ça, ce n'est pas du vice !

- Euh... Hagrid vient avec moi.

- Ah. Oui, évidemment. C'est ton chat.

Je vais donc me retrouver seule. OK. Je peux gérer. Ça me va parfaitement ! Je n'ai pas du tout envie de pleurer. De toute façon, ce n'est pas comme si je voulais garder cet affreux animal...

Je renifle.

Néanmoins une présence, même diabolique, m'aurait en quelque sorte apaisée.

- Tu pleures ?

- Bien sûr que non ! C'est... l'odeur de la javel qui me brûle les yeux. J'ai dû désinfecter toute ma chambre, tout à l'heure.

- Je ne suis pas obligé de partir ce soir, tu sais. On peut se commander une pizza, ça te dit ?

Je meurs d'envie d'accepter, pourtant je me retiens. Mon frère a toujours fait passer mon bonheur avant le sien. C'est à son tour d'être heureux ; je ne l'ai jamais vu aussi rayonnant que depuis sa rencontre avec Alice. Il n'a pas à payer de mes erreurs.

- Arrête tes bêtises ! Du balai ! En plus, vous avez prévu de dîner en tête-à-tête.

- Je peux annu...

- Hors de question ! J'ai moi aussi mon programme : me foutre en pij et danser devant des MV de K-pop jusqu'à ce que le salon soit noyé sous mes litres de bave ou autres sécrétions.

Mon frère prend une mine horrifiée devant mon aveu spontané.

- Pitié, n'en dis pas plus ! Trop d'informations, là. (Il frissonne de dégoût.) Je ne veux pas être témoin de ta déchéance.

Je rigole.

- Allez, oust !

- Oh, j'ai failli oublier...

Ses bagages sous le bras, Ben se contorsionne pour sortir un papier de sa poche, qu'il déplie et me tend.

C'est un chèque. Ma gorge se noue.

- C'est mon... préavis pour le loyer. Je ne veux pas que mon départ te mette dans la panade. Je sais que tu as besoin...

- De rien du tout ! Garde cet argent, s'il te plaît. Je vais très bien m'en sortir.

- Ava. (Son regard compatissant m'arrache une grimace.) Je serais plus rassuré si tu l'acceptes.

- C'est gentil, mais je t'assure que ça va. J'ai... trouvé un travail, figure-toi !

- Ah bon ! Pourquoi, tu ne me l'as pas dit plus tôt ?

Parce que je ne le savais pas il y a deux secondes...

- Oui, avec tous ces derniers événements, ton déménagement et tout, ça m'est totalement sorti de la tête. Donc voilà, je commence demain.

Mais tais-toi Ava ! Bordel, tais-toi !

- C'est génial ! Faut qu'on fête ça !

- Ouiii ! J'avais justement prévu de vous inviter au restau cette semaine, Alice et toi.

Ta gueule ! FERME TA GUEULE, MAINTENANT !

Je le raccompagne jusqu'au seuil.

- Allez, file ! Tu ne voudrais pas faire attendre ta chérie.

- OK. On s'appelle ?

Je confirme d'un oui haut perché, tout refermant le battant sur lui.

Dès que j'aurai vendu un de mes reins, je t'appelle.

Une fois seule, je m'allonge sur mon canapé en fixant le plafond.

- Bien joué, ma grande ! Il ne te reste plus qu'à trouver un emploi, et vite.

~~

*Aux USA, une loi de 1938 interdit la vente de confiseries contenant des objets non comestibles. Les œufs Kinder Surprise sont donc interdits sur le sol américain.

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