49 ・Retour à la réalité
Rhea Kei.
— Je ne suis pas un garde du corps très efficace, hein ?
A peine que mes yeux puissent s'habituer de nouveau à la lumière, que mes membres ne me paraissaient plus ensevelis au fond du matelas, qu'il arrivait à me faire sourire.
Toujours fidèle à lui-même. Ses cheveux noir ébène et sans doute le fait que la chambre d'hôpital était blanchâtre et unie, faisait ressortir ses yeux. Des yeux d'une banquise glaciale. Ceux dont j'avais toujours été jalouse.
Et qui, pourtant, me regardaient avec une intensité brûlante.
Assis sur le tabouret à mes côtés, il était appuyé sur le bord du lit, appuyant son menton dans sa paume. Quel crâneur, je vous jure.
— Tu sais quoi ?
Il prononçait chacun de ses mots avec une douceur qui me berçait. Comme si même les sons pouvaient m'atteindre. Comme si tout ce qui m'entourait pouvait encore me briser.
Après tout, je devais être dans un piteux état. Je baissais les yeux sur mon plâtre, survolant les mots à la volée, un sourire aux lèvres.
A cet instant, je me sentis soudain prise en étau. Enchaînée, ligotée a ce lit dédié aux malades.
— Je vais être égoïste. Comme toujours. Je ne vais prévenir personne que tu es réveillée. Mais...
Au moment où je me redressai, son visage se retrouva à quelques centimètres du mien. Ses mains me maintenaient fermement les poignets contre le drap blanc aux motifs simples.
— ... Tu vas être obligée d'écouter ton daddy.
Je roulai des yeux face à son clin d'œil ironique. Évidemment qu'il n'allait pas me laisser m'en aller comme si de rien était.
Frustrée, mon sentiment de faiblesse commençait à attirer à la surface ma colère. Je soupirais, maintenant le contact visuel tout en reculant, m'enfonçant dans mon coussin à contre cœur. Je lui jetai un regard empli de mépris.
Quand est-ce qu'on allait arrêter de me dicter ma conduite ?
Toutefois, il fallait que je reprenne mes esprits. J'étais dans une situation critique, la colère n'allait qu'alimenter mes maux de tête.
Même si rester ici à ne rien faire m'insuportais déjà, la douleur de mes blessures me rappelait que je n'était pas toute neuve. Mais ce n'était pas ça qui allait m'arrêter, il me suffisait simplement de m'échapper lorsqu'Eos aurait le dos tourné.
On ne dit pas à un serpent de rester immobile quand des proies rôdent dehors.
— Depuis...
— Tu ne dors seulement que depuis hier. Phoenix va bien, me devança-t-il.
Un pressentiment me fit porter une main à mon visage, le palpant doucement.
— Ce sont... Des cicatrices ?
Une au coin de la lèvre, et une autre au niveau de la tempe.
— Oui. Ça te va bien.
Il m'observait de ses yeux translucides, réactif à la moindre grimace de douleur que je puisse afficher. Je fus forcée de boire un grand verre d'eau, bien que mon corps me semblât encore sommeillait. J'étais loin d'avoir faim.
— Alors, Flash McQueen. Un accident ? Tu as oublié de changer les roues ? Comment ça se fait que c'est toi qui conduisais ?
— Je...
Accident.
J'avais eu un accident de voiture.
Soudain, comme une pellicule de film, les images d'hier se bousculaient dans ma tête. Ce fut si rapide que mon tic prit le relais, et mes yeux bougèrent dans tous les sens, dans l'incapacité d'avoir un point fixe.
Moi partant à la recherche de Zayn. Lui qui me montre les antidotes. Moi qui accepte de monter avec lui. Lui qui me révèle que Léo est son frère, et que j'ai... Tué leur frère aîné.
Accident. De voiture.
Mes yeux s'écarquillèrent d'eux même. Je n'entendais pas ce qu'Eos me murmurait. Tout ce que percevait, c'était ça.
L'accident et les flammes.
FLASHBACK-
C'était comme si des milliards d'aiguilles me transperçaient, mon cœur subissant le premier.
J'avais essayé, pourtant. De garder le contrôle de moi-même, d'être calme. De lui rendre hommage.
Mais tout me paraissait si difficile, si brûlant, si douloureux.
Désormais les genoux dans l'herbe, je hurlais.
Je hurlais ce désespoir qui me tenaillait les entrailles, je laissais les larmes qui ne demandaient qu'à couler. Mon désespoir était si immense, et tout ce que je faisais intérieurement, c'était ça : me rabaisser. Chose que je ne faisais jamais.
De tous les membres de Phoenix se tenant à mes côtés, j'étais la seule pathétique à me retrouver au sol. Ils étaient tous debout, faisant face à cette maison en flammes.
Je voulais m'excuser, je voulais qu'il m'entende, qu'il sache à quel point cette histoire resterait gravée en moi. Que j'étais désolée. Désolée de l'avoir tué.
Qu'est-ce que tu as fait...
Peu de temps avant, Alec et moi étions en voiture. Il me racontait à quel point le surf était tout pour lui. Qu'il avait enfin réussi cette fameuse figure sur la planche, celle qu'il rêvait de savoir-faire.
Puis, il m'a affirmé qu'il me ferait un bracelet brésilien gratuitement si je venais surfer avec lui.
Nous avons ri. Jusqu'à ce que des balles percutent notre voiture.
Nos ennemis nous poursuivaient sans relâche. C'était un gang qui provenait du Texas. Un gang qui avait perdu la moitié de ses membres, à cause de moi. À cause de la Rhéa mercenaire de cette époque.
Au bout d'un moment, alors que nous avions crus les avoir semés, nous furent entourés. Arrêtés en plein milieu d'une intersection, les voitures ennemies nous cernaient de toutes parts, leurs guns pointés sur nous.
Et notre voiture était loin d'être blindée.
Le chef était sorti d'une des voitures. Un regard perçant, une aura d'aigle imposant. Il avait un âge assez avancé, mais sa carrure était impressionnante. Mais ce n'était pas ça, qu'il fallait relever. Il tenait une roquette dans une main, prête à être utilisée.
Alec et moi avions échangé un regard. Un regard d'adieu.
Je me souviens de sa coupe casquette avec ses cheveux blonds, de ses yeux marrons-verts. Je me souviens de sa manie à garder une dizaine de bracelets à ses poignets, ceux qu'il fabriquait lui-même.
Je me souviens de sa manie à toujours porter des débardeurs, à toujours avoir chaud et à refuser de mettre des manteaux. Je me souviens du regard qu'il portait sur Barbara.
Je me souviens de leurs disputes de vieux. D'Alec qui s'amusait à énerver Barbara jusqu'à son point de rupture. Mais aussi du jour où il avait ramené une piscine gonflable dans notre base, et nous avait distribué des lunettes de soleil. Il se plaignait qu'on n'ait pas de piscine.
C'était là une partie des souvenirs qui m'avaient traversé l'esprit lorsque nos regards s'étaient croisés. Ses yeux avaient fini par se plisser légèrement. Il m'avait souri, avant de déposer un baiser sur mon front d'un geste fraternel.
En un clic, il m'avait enfermée dans la voiture. Il avait récupéré les clés sans que je ne l'aie remarqué, comme lui avait appris Joseph.
J'avais hurlé son prénom, l'inquiétude me serrant le cœur.
Il s'était approché du chef ennemi, me tournant désormais le dos. Toutes les armes s'étaient pointées sur lui, sauf la roquette, dirigée vers moi.
Je n'avais rien pu entendre. Rien pu faire.
Mais après quelques mots échangés entre l'ennemi et Alec, le chef avait baissé sa roquette, et hoché durement la tête. Lorsque j'eus compris, j'avais donné un violent coup de pied dans la vitre, plusieurs fois.
Pile au moment où elle s'était brisée, que les morceaux avaient écorché ma chair, il y a eu un tir.
Un seul.
Et Alec était tombé raide mort au milieu de la route. Seul sur le goudron froid.
Le gang ennemi, après m'avoir jeté un dernier regard, ont démarré. Ils sont partis aussi vîtes qu'ils étaient arrivés, laissant le corps d'Alec gisant sur le béton froid.
Je me tenais la tête, me tirant les cheveux. Le souvenir de l'accident d'il y a à peine trente minutes avait l'effet d'un coup de poing en plein dans l'estomac.
Je devais toujours avoir des morceaux de verre, car je saignais toujours de la cheville, mais ce n'était pas ma préoccupation première.
Les flammes crépitaient. Elles dévoraient la maison entière, nous éclairant d'un halo orangé. La température avait considérablement augmenté, mais nous restions plantés là.
Ivy avait les mains collées contre sa bouche, comme si elle tentait de créer un rempart, qu'elle refusait de laisser ses émotions la briser encore plus.
Jake refusait de regarder la scène. Il avait fermé les yeux, sa tête étant tournée sur le côté. Joseph avait baissé les yeux, les poings serrés et les larmes atterrissant dans l'herbe.
Liam peinait à respirer. Il se passait la main dans les cheveux de façon incessante, gesticulant, tentant de reprendre un rythme de respiration normal. Connor et Ivy se serraient tous deux dans les bras désormais, Connor appuyant son menton sur le haut de la tête d'Ivy, la serrant davantage contre lui.
Et Barbara...
La dernière fois que j'avais croisé son regard, tout mon être en avait été marqué au fer rouge. Je me souviendrais toujours de ce regard meurtri, de ses cheveux rouges collant si bien avec les flammes désastreuses en face de nous.
De ses joues humides qui retenaient quelques-unes de ses mèches. Il lui fallait un responsable. Et c'était moi.
En un pas, et en un mouvement brutal, elle m'avait relevée de force. Sa poigne tremblante d'émotions contenues serrait mon col, m'attirant à elle. Je la connaissais, et je savais très bien que les prochains mots qui sortiraient de sa bouche allaient me trancher la gorge a vif.
Je m'attendais à ce que sa voix me hurle dessus, se déchargeant de désespoir et de colère. Mais ce fut bien pire. Son regard vitreux ne semblait pas vraiment me regarder et pourtant j'avais l'air d'être à sa merci. Elle ne cria pas. Au contraire, sa voix était calme, mais d'un calme glacial.
— Je croyais que tu étais invincible. Visiblement, notre cheffe est à chier.
Simple, trash, direct et sans filtre.
Jake finit par réagir. Il devait avoir compris que je n'allais rien faire pour me défendre.
— Lâche-la Barbara. Je ne le répéterais pas.
— Tu veux que je la lâche comme elle a lâché Alec ? J'en ai ras le cul qu'on doive payer pour ses ennemis du passé !
Je n'arrivais plus à respirer.
Elle planta ses yeux provocateurs dans ceux de Jake, mais Joseph le devança.
— C'est comme ça que tu veux lui dire aurevoir ? Gueuler devant la maison ? Fais preuve de respect.
— Tu est mal placé pour parler de respect, voleur ! cracha Barbara.
Le visage de Joseph se ferma. C'était Barbara qui nous avait ramené Joseph au sein de Phoenix.
Ces deux-là avaient toujours eu une relation assez particulière. Joseph venait d'être terriblement vexé, sachant que c'était Barbara qui l'avait rencontré le premier. C'était comme si elle piétinait d'une traite toute la confiance qu'il lui accordait.
Après tout, je savais que Joseph n'avait pas eu une enfance facile, dans la pauvreté. Si bien qu'aujourd'hui, il adorait parler de tout et de rien. Et c'est souvent avec Barbara qu'il le faisait.
Soudain, Liam posa une main sur le poignet de notre sniper, qui tenait toujours mon col. Il ne prononça pas un mot, mais je vis ses phalanges blanchir, signe qu'il resserrai son emprise. Barbara recula alors la mâchoire serrée, et repoussa violemment Ivy, qui ne désirait que la prendre dans ses bras.
Ivy tomba au sol, jetant un regard meurtri et désemparé à Barbara. Connor l'aida à se relever sans un mot. Tout ça le dépassait, et comme avec ses parents, il n'osait rien dire dans les moments critiques. Il préférait s'enfermer dans sa bulle et observer les choses se passer.
Liam posa une main sur le haut de ma tête, comme il avait l'habitude de faire lorsque j'étais stressée. Cette forme d'amour fraternel me faisait fondre à chaque fois, et me montrait que je n'étais jamais seule.
J'étais admirative de Liam. Il avait réussi à reprendre le contrôle de ses émotions, parce que la situation l'exigeait. J'admirais sa maturité propre à lui, qu'il avait acquis en s'occupant si longtemps de sa mère.
Sur ce point là, Ivy et Liam se rejoignaient beaucoup. Liam aimait prendre soin des autres comme un père, et Ivy aimait rendre les gens heureux.
J'aurais voulu faire quelque chose, n'importe quoi, pour que tout cela cesse. Que cette douleur insoutenable qui ligotait mon cœur s'évapore, et que Barbara me pardonne. Que cette situation invraisemblable, ou tous les membres de Phoenix étaient au plus bas, n'aie jamais existé.
Mais j'étais incapable de bouger et d'émettre le moindre son. Je revoyais sans cesse son visage, son sourire, sa voix...
De façon inattendue, je crus l'entendre de nouveau. Sa voix. Celle d'Alec. Mes yeux se reportèrent sur la maison brûlante, bien que seules les flammes s'exprimassent. Mais je n'avais pas rêvé, non, je l'avais bien entendu. Cette voix faible, ce son inaudible.
Je me mis à courir en direction de la maison, ignorant les cris qui me demandaient de revenir. Mes jambes étaient si faibles que je manquai plusieurs fois de tomber. Je ne savais pas ce que je faisais, mais s'il y avait un miracle pour qu'Alec soit toujours en vie, je n'allais pas le laisser tout seul ici.
Nous avions choisi une maison en bois et en pierre, abandonnée et perdue au milieu de nulle part. Alec rêvait d'une maison atypique, loin du modèle d'aujourd'hui. "Tout triste et blanc comme un cul", qu'il disait. Il aurait voulu une maison au bord de la plage, en bois. Il aimait les choses naturelles et les paysages, comme Jo. Ils s'étaient promis de partager cette maison ensemble, et de nous inviter.
Les flammes s'échappaient des vieilles fenêtres, comme si la maison crachait du feu. Le bois crépitait et noircissait.
Je montai sur le perron grinçant, toussotant à cause de la fumée qui agressait mes poumons. Je m'abaissais pour entrer, avançant rapidement, mon stress faisant bouillir mon corps.
La chaleur m'accablait. Je toussais, suait et mes larmes séchaient. Je peinais à respirer, mais il fallait que j'en sois certaine, il fallait que je vérifie.
Les anciens meubles étaient renversés, des bouts de bois étaient éparpillés au sol. La couleur vive des flammes me tenait à distances des endroits les plus enflammés.
Soudain, un gros morceau de bois tomba du mur, et je roulai sur le côté pour l'esquiver. Je hurlai de douleur. Un clou s'était planté dans mon bras.
Je serai les dents et le retirai d'un coup sec, toussant violement. Mes poumons étaient en feu.
Mes yeux se posèrent sur un tas d'objets. C'était tout ce qu'on lui avait laissé. Son vinyle préféré de Bob Marley. Sa trousse de fils brésiliens. Son caleçon "Allô ? ici beau-gosse", qui nous avait fait bien rire. Sa planche de surf.
Je retins un sanglot lorsque je le vis, quelques mètres plus loin. Il s'était déplacé, il avait changé d'endroit. Il était...
Je m'approchai à quatre pattes, le corps tremblant face à cette scène horrifique. Un gros morceau de bois provenant du plafond était tombé sur lui, sur la partie gauche de son corps et de son visage. Et son œil droit, ouvert, fixait le plafond, absent.
Ma tête me tournait, j'avais envie de vomir, de me faire du mal. Et puis, un son guttural sortit d'entre ses lèvres.
Le cœur prêt à exploser, je me rapprochai de lui, lui caressant ses cheveux blonds d'une main tremblante. Désormais plus proche, je peux deviner des mots. Ses derniers mots.
— Léo...Merci...Rhé...
Le sang cognait contre ma tempe, je manquais d'air, mes poumons me faisaient mal, si mal. La fumée brouillait les alentours et le feu gagnait du terrain.
— Alec, je suis là, tout va bien aller, tu verras. Je prendrais soin de Léo... Il ne sera jamais lié à Phoenix. Je te fais la promesse de le tenir loin de tout ça...Je te le promets, tu m'entends ...Alec...Tu m'entends ? Réponds...moi...
J'explosai. Littéralement. Je hurlai, suffoquant, me tenant la tête entre les mains. Je finis par me rouler en boule à côté de lui, fixant son visage des yeux. La fumée m'étouffait. La situation m'étouffait.
Qu'avais-je fait... ?
Il y eu un grognement de douleur. Lorsque je reconnus la voix de Jake dans mon dos, comprenant que ce n'était pas Alec qui était vivant, mais bien mort, je me recroquevillai.
Jake tenta de me soulever. Son bras droit était brulé, il venait de me sauver la vie, en contrant un bout de bois enflammé qui avait manqué de me tomber dessus.
Mais je m'en fichais. Tout ce que je savais, c'était que j'étais la pire des ordures. C'était ma faute s'il était mort. C'était ma faute si j'avais été mercenaire. J'aurais dû casser la vitre de cette voiture plus tôt. J'aurais dû le retenir. J'aurais dû mourir à sa place !
Je venais...Je venais de le voir mourir sous mes yeux. J'étais la dernière à qui il s'était adressé. Et nous l'avions brûlé vif...C'était nous qui lui avions porté le coup fatal.
Alec voulait mourir incinéré. Mais pas de cette façon. Brutale et horrible.
— LAISSE-MOI, hurlait-je difficilement, repoussant son bras.
— TE FICHES PAS DE MOI, rétorqua Jake à son tour en toussotant. TU VEUX MOURIR ? C'EST CA QUE TU VEUX ?
Il toussa, tentant de me soulever de force dans ses bras, bien que je bataillasse pour rester au sol. Je voulais rester avec lui. Je voulais rester avec Alec, m'endormir paisiblement à ses côtés, et le rassurer. Je voulais revoir son regard pétillant de joie et...
— ALORS SORS QUE JE TE TUE MOI-MEME POUR M'AVOIR EMBARQUÉ DANS CETTE HISTOIRE. ASSUME TON CHOIX DE M'AVOIR CHOISI ET DE M'AVOIR SAUVÉ RHÉANE.
Je m'immobilisai. Il en profita pour me décoller difficilement du sol, me soulevant dans ses bras grâce à ses dernières forces. Je pus enfin voir son visage. Il soupirait.
La sueur collait ses cheveux blonds et ondulés à son front. Son visage suait à cause de la chaleur, et il grimaçait de douleur à cause de son bras endoloris et calciné. Ses yeux bleus s'arrêtèrent un instant sur le corps sans vie d'Alec. Il ferma les yeux pendant quelques secondes avant de murmurer :
— Adieu, mon frère.
Jake n'aimait pas montrer ses sentiments. Jamais il n'avait appelé quelqu'un par "mon frère". Il les appelait toujours par leurs prénoms.
Mes larmes s'intensifièrent d'elles-mêmes. Je n'avais plus assez de force pour quoi que ce soit d'autre, si bien que je me mis à fixer Jake, les larmes ruisselant le long de mes joues, le regard vide.
Lorsqu'il croisa mon regard, mon cœur se resserra. A la vue de mon visage meurtri, ses sourcils s'étaient légèrement froncés, dévoilant la peine que je lui faisais. Il me resserra contre son torse avant de se détourner d'Alec.
J'entendais son cœur battre aussi vite que le mien. Nous étions affolés aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. Cette tragédie allait nous marquer à jamais. Et son bras allait garder les cicatrices de cette brulure qui m'avait sauvée la vie.
Il enjambait les bouts de bois, et nous toussions violemment. Les flammes s'étaient intensifies. Entourés de leurs danses meurtrières, nous avions l'impression d'être en enfer.
Jake avançait avec précaution. Je me sentais tellement faible que ma tête balançait, et que les sons me donnaient mal au crane.
Je perçus la voix inquiète d'Ivy, prête à entrer à son tour. Si elle était la plus réservée d'entre nous, elle était aussi la plus courageuse quand il était question de ses amis.
Je n'eus le temps que d'entendre Jake lui hurler de ne pas entrer, avant de sombrer dans un noir complet suite à un violent choc.
Le retour à la réalité, ici, dans mon lit d'hôpital, est si violent que je fus parcourue de spasmes.
Tout ce temps, mon amnésie m'avait protégée du souvenir de la maison de feu. Tout ce temps j'avais oublié l'existence d'Alec. Tout ce temps, Phoenix avait pris sur eux, et traversé cette épreuve seuls, car ils refusaient de m'infliger ça une seconde fois.
C'était ce choc que j'avais reçu, dans la maison de feu, qui avait provoqué mon amnésie.
— Rhéa.
Oh, c'est vrai que je n'étais pas seule.
Eos était toujours assis sur le tabouret. Il ne devait rien comprendre à ce qu'il se passait, et pourtant, il restait à mes côtés. Il s'empara de mes mains dans les siennes dans un geste désespéré.
— Je...Il...tentai-je de parler.
— Je suis là, tu es en sécurité. Tu viens tout juste de te réveiller, ne me fais pas ça.
Je lus de la sincérité dans ses iris. Une peur profonde. Celle de me perdre de nouveau.
Alors que je l'observais prendre son paquet de cigarette, le souffle court, une nouvelle vague de souvenir se révéla à moi, ne me laissant aucun répit. Je fixai Eos d'un regard nouveau.
Notre lien n'existait pas seulement depuis ma rentrée en terminale. Ce lien avait toujours fait partis de nous. Plus jeune, quand nous étions au manoir, j'avais l'habitude de parler par télépathie avec un inconnu. Exactement comme au début de l'année.
Eos me coinça une cigarette entre les lèvres, avant de s'en prendre une aussi. Il les alluma avant de faire un doigt d'honneur en vif en direction de la porte.
— Hop là les médecins, on est des fumeurs ou on ne l'est pas. Ça va ?
il expira un nuage de fumée, et j'en fis de même. Malgré tous ces souvenirs qui étaient venus se rappeler à moi, il me fit sourire. Et bon dieu ce que cette chaleur me faisait du bien, dans une situation critique comme celle-ci.
Depuis toujours, nous étions liés. Depuis toujours nous avions cette capacité anormale de connecter nos esprits entre eux. Je portais un réel œil nouveau sur Eos.
Jamais je n'aurais pu imaginer l'aimer encore plus qu'auparavant. Mais désormais, je savais ce que je voulais. Et ce que je veux, je l'obtiens.
— Pourquoi tu souris comme ça ? Tu me fais peur tu sais, y'a deux secondes j'ai cru que t'étais possédée.
— Arrêtes tes conneries, soufflai-je en souriant. J'ai retrouvé la mémoire.
— Quoi ? fit-il sérieusement. C'est possible ?
— Je n'en sais rien. Mais...ça me rend heureuse.
Oui. Parce que maintenant, je me sens de nouveau complétement moi. Je me souviens de tout. Je me sens complète, et ce, malgré le souvenir d'un traumatisme. Je préfère tout savoir que d'être dans le flou. Ça me rassure.
— Tu t'es rappelé tes vies antérieures ? Dis-moi si t'as été une des réincarnations du diable, ça expliquerait bien des choses...
Il esquissa un sourire taquin, et se mit à rire lorsque je lui envoyai une tape dans l'épaule.
— Je n'ai rien dit, le diable tape plus fort que ça. Fillette, va.
— Je ne suis pas du genre à frapper les filles.
— Tu trouves que j'ai ce potentiel ? Alors, emmènes moi faire vos trucs de filles là.
— Chuut.
Je posai mon doigt sur ses lèvres pile au moment où il sortit sa cigarette de sa bouche.
— Tu savais, toi, que la télépathie avait commencé dès l'époque du manoir ?
Je retirai mon doigt. Il avait repris un regard sérieux. Il finit par secouer la tête.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— Je me suis souvenue qu'on se parlait au manoir. Par télépathie. Je ne voulais pas te dévoiler mon identité parce que ça m'amusait.
Et puis j'avais l'impression d'être encore plus proche de toi. Toi qui enfermais tes pensées et tes émotions à double tour.
— Attends, fis Eos en se redressant sur le tabouret. Alors c'était toi, mon amie imaginaire ?
— Ta quoi ?
— Je me souviens vaguement qu'au manoir, je parlais avec une amie imaginaire. J'ai toujours cru que ce n'était qu'un truc de gosse, mon imagination d'enfant. Parce que ça s'est arrêté du jour au lendemain...le jour où...
— Le jour où je suis partie. Oui.
Je pris une nouvelle bouffée de nicotine sous son regard perdu.
— Parce que j'avais pris la décision ce jour-là de mettre fin à la télépathie.
— Et tu as oublié ta propre capacité à communiquer par la pensée à cause de ton amnésie...
Nous baignâmes bientôt dans le silence. Tout cela signifiait beaucoup pour nous.
— Hé...C'est pour ça que tu souriais ?
— Quoi ? Non, non ! tu crois que t'es le centre de la terre ou quoi ?
— Evidemment que je le suis.
Je roulai des yeux.
— Je crois que Zayn a fait une amnésie traumatique, m'annonça-t-il de but en blanc.
Je l'interrogeai du regard. Il se leva, jetant sa cigarette à la poubelle, commençant à faire les cents pas. Depuis quand avait-il choppé ma manie ?
— Ce serait logique, très logique. Toutes ces fois ou nous avons fait des sous-entendus par rapport au cannibalisme, a l'horreur du manoir, il n'a pas compris. Il a grandi dans la secte en même temps que nous. Tu ne te souviens pas non plus de ce petit gars qui m'admirait à chaque fois que j'allais m'entrainer avec Darrel ?
Si. Maintenant qu'il le disait et que tous mes souvenirs semblaient être réapparus, je me souvenais. Personne ne faisait attention à Zayn, à cette époque-là. Si Eos n'avait rien dit, je n'aurais jamais compris que ce garçon anorexique qui admirait Eos de loin s'appelait Zayn.
Il était le plus faiblard d'entre nous, si bien qu'il était rejeté de quasiment tout le monde.
— J'avais entendu Mélia et Darrel se disputer à son sujet, une fois, m'informa Eos. Mélia se demandait s'il ne fallait pas le ramener à l'orphelinat, qu'il était trop faible pour rester ici. Mais Darrel avait affirmé être capable de changer le bronze en or.
— Alors après ton départ, Zayn à bel et bien été entrainé par Darrel.
Eos hocha la tête, continuant de faire les cents pas.
— Je ne vois pas d'autre explication que l'amnésie traumatique. En grandissant, il avait forcément dû comprendre quelque chose. A moins que...
Eos s'arrêta net. Il écarquilla les yeux, se passant la main sur la nuque.
Comment faisait-il pour être aussi...Bref.
— Le grenier.
— Le grenier ? répétai-je, frissonnante.
Le grenier était bien la seule pièce qui nous avait été interdite d'accès. Et la raison, nous l'avions devinée nous-même avec le temps : cette maudite pièce devait renfermer des parties humaines.
— Je l'ai vu entrer avec Mélia dans le grenier une fois...Mais oui, c'est ça ! Mélia souhaitait à tout prix que tous les enfants soient de vrais soldats. Elle voulait des pions solides. Alors quelques temps après ton départ, elle a décidé de tester une nouvelle approche. Elle s'est surement dit que peut-être, en habituant assez tôt ses enfants face au cannibalisme, ils trouveraient ça normal, et ne s'enfuiraient pas comme tu l'as fait.
— Mais ça n'a pas marché, et Zayn a fait une amnésie traumatique, ce qui explique le fait qu'il ne se souvienne pas du côté obscur des Wood.
Silence.
— Je t'arrêtes tout de suite, m'avertis Eos. N'éprouve pas d'empathie pour lui, c'est une perte de temps. Chacun...
— Chacun ses problèmes, je sais. Mais... Il a perdu ses deux frères par ma faute, Eos. Et ce manoir nous relie tous, rien n'est de sa faute.
Je déglutit en fixant mes ongles s'enfoncer dans ma paume. Ses deux frères, morts sous mes yeux. Je n'avais pas tenu la promesse que j'avais faite à Alec, et ça allait me hanter toute ma vie.
— Il as voulu te ramener là-bas. Il n'avait qu'a être plus clairvoyant. Je te l'ai dit non ? Je suis égoïste. Mais je suis un connard pour les autres quand il est question de toi.
Oui. Et ça avait toujours été le cas. Il se fichait éperdument du regard des autres sur lui, tant que moi, j'étais en sécurité. C'était comme ça qu'il fonctionnait en tant que garde du corps.
— Ils m'ont formé pour être ton protecteur. Alors je jouerais le jeu jusqu'au bout, crois-moi.
— Mais Zayn...
— J'ai quelque chose à te proposer, me coupa-t-il.
Il s'empara de ma cigarette usée pour la jeter, avant de se rassoir sur le tabouret.
— Mettons-y un terme. Réduisons-les en cendres, une bonne fois pour toutes.
Jamais il n'avait été aussi sérieux en dehors de ma protection. Je baissais les yeux sur ses marques de mutilations.
Nous étions encore tous les deux marqués par eux. Par la famille Wood et l'atmosphère dans laquelle nous avions grandis. Mais le plus étrange dans cette histoire, c'était que je n'avais pas peur.
Parce que pour la première fois depuis des années, je me sentais prête. J'avais évolué, mentalement et physiquement. Liam m'avait appris le karaté. Henry m'avait appris la discrétion. Maître Masayuki avait fait de Rhéane Wood, Rhéa Kei. Tellement de gens m'avaient fait évolué.
Et j'avais retrouvé Eos Hunt.
La simple façon déterminée dont il prononçait ses mots suffisait à me convaincre. De tous, il était le seul à pouvoir comprendre l'horreur dans laquelle nous avions grandis. Et de tous, il était celui qui me connaissais sur le bout des doigts.
Alors savoir qu'il serait à mes côtés me suffisait.
Et puis, je me vengerais également pour Zayn.
— Oui...Autant finir ça vite.
Je m'apprêtai à sortir du lit, mais Eos m'en empêcha.
— Tu as toujours été trop impatiente. On partira seulement après le verdict des médecins. Ne leur parle pas du fait que tu aies retrouvé la mémoire, sinon ils te feront passer davantage de tests. Et comme ça, ça me laisse le temps d'aller chercher ton katana chéri.
— Attends, fais attention à toi, Joe et les Wood...
Un sourire malicieux étira ses lèvres. Il se leva en se dirigeant vers la porte.
— Je ne savais pas que tu tenais à moi à ce point. Joe est sûrement mort, et le reste de son gang avec. Marlon s'en est occupé. Et pour les Wood...ne sous-estime pas mes capacités d'espion.
Je jouai avec mes mains, hésitante. Puis je me lança :
— Eos. Est-ce qu'un jour...Tu me diras ce qu'il s'est passé, quand je suis partie ?
Il observa mon visage quelques instants, pesant le pour et le contre. Puis, ce qu'il finit par déclarer me brisa le cœur :
— Chacun ses problèmes. Je dois encore te le répéter ?
Je commençais à le connaître. Même s'il lui arrivait d'agir par plaisir et non par raison, tout ce qui me concernait était réfléchit. Il savait très bien à quel point j'étais empathique. Alors soit il refusait que je culpabilise encore pour de l'histoire ancienne, soit il voulait que j'assume mes actes jusqu'au bout.
Mais dans tous les cas, sa décision me laissait un gout amer.
Lorsqu'il ouvrit la porte, il tomba nez-à-nez avec Barbara, qui disait aux autres qu'elle voulait me parler en tête-à-tête.
Connor passa sa tête rapidement à l'intérieur de la pièce, tout sourire.
— Je le savais.
Je lui souris. Cette foi qu'ils me portaient me rappelait tous les jours la chance que j'avais de les avoir.
Ivy avait les larmes aux yeux. Jake poussa un soupir de soulagement en jetant un regard noir à Eos, jaloux du fait qu'il était celui qui m'avait vue me réveiller.
Joseph m'acclamait comme si je sortais d'un ring, si bien que Liam du lui donner une tape sur l'arrière du crâne, lui rappelant que nous étions dans un hôpital. Les deux finirent par se chamailler.
Eos entrepris de les sermonner un à un, les menaçant de leur arracher la tête s'ils laissaient les Wood entrer ici. Puis, Barbara entra dans la pièce, fermant la porte derrière elle sans me lâcher du regard.
Elle n'avait l'air pas contente du tout.
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Hello !
J'espère comme d'habitude que vous allez bien. C'est un chapitre pleins de révélations, alors j'espère qu'il ne fait pas bâclé ! :(
Que pensez-vous de Rhéa dans ce chapitre ? Croyez-vous que ses réactions étaient normales ? Avez-vous de la peine pour elle ?
Et Barbara et Zayn, aïe, personne n'est laissé de côté en matière de souffrance.
N'hésitez pas à me donner vos avis !
Kiss. 💋
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