42・Rhéa Et Rhéane
Rhéa Kei.
— Sors de mes cuisses ou tu vas être obligée de me porter jusqu'à ma chambre tellement je les sens plus, ironisa sa voix grave mais tranchante.
Réveillée en sursaut, je sentis une fine goutte de sueur dévaler ma tempe. Mes yeux se posèrent sur lui. Sa tête était penchée au-dessus de moi, ses cheveux noirs tombant sur son front. Son habituel air hautain semblait encore plus sombre que d'habitude. Inhumain.
Mais quelque chose dans ses pupilles semblait vaciller. Comme s'il suffisait d'un geste pour briser sa carapace.
En me relevant, je me souvins de mon rêve, ou plutôt de mon cauchemar. Je ne l'avais pas vu, mais j'avais senti sa présence familière. Il avait tout vu. Désormais, il savait à quel point il me terrifiait et hantait mes nuits. Et je détestais ça.
Il opta pour une position plus confortable sans s'abstenir de grimacer en bougeant ses cuisses, ce qui m'aurait fait lever les yeux au ciel en temps normal. Mais j'étais trop désorientée pour ça. Comment je m'étais retrouvée sur lui ?
Ah oui, c'est vrai. Je m'étais évanouie comme une cruche après l'avoir provoqué. Niveau timing, ce n'était pas trop ça.
Mes joues devinrent soudain chaudes. Espérant qu'il ne le verrait pas, je ramenai mes genoux contre ma poitrine et enfouis ma tête dans mes bras.
Bordel, bordel. Quel enfoiré.
En plus qu'il se soit immiscé dans mon rêve, je m'étais évanouie dans ses bras avant de me retrouver sur ses genoux.
A partir de quel moment nous étions devenus aussi tactiles ?
Je sentis son regard scrutateur sur moi mais tenta de ne pas en prendre compte. Je réussis à calmer mon pouls après quelques instants, bien que les images d'un Eos en train de m'étrangler restaient accrochés à mon esprit comme la peste.
Je le voyais, en face de moi. Ses yeux emplis de colère et de dégoût. Je ressentais encore sa prise autour de mon cou. Une force dévastatrice qui n'avait aucune hésitation à serrer toujours plus fort. Ses yeux plantés dans les miens, inhumains, dont le seul but était de me tuer. De m'ôter la vie.
En clair, je me sentais faible, démunie, fatiguée et...tout ce que je détestais.
Sérieux, je...
Une petite tape sur mon bras me fit relever la tête. Il esquissa un sourire moqueur en voyant mon visage, surement dans un piteux état. Mes mèches étaient décoiffées et me barraient le visage, et a cet instant je me demandai comment j'en était arrivée là.
Ici, sur ce canapé, un soir, à ses cotés. A l'heure actuelle, j'aurais surement été en mission avec Phoenix je ne sais ou, mais surement pas ici. Dans un lieu où la Rhéa forte et intrépide semblait à des kilomètres à la ronde.
je baissa les yeux vers sa main. Il me tendait une cigarette. Je m'en emparai sans un mot tandis qu'il en coinça une entre ses lèvres charnues.
L'instant d'après, je me penchai en avant alors qu'il allumait ma cigarette avec son briquet. Seul le bruit de la flamme pouvait se faire entendre. Et rien d'autre n'éclairait la pièce, si ce n'était que les lampadaires à travers la baie vitrée.
Aucun de nous deux ne voulait parler. Moi qui m'attendais à des railleries de sa part sur tout ce qui venait de se passer, il n'en fit rien.
Le silence était tellement apaisant que je me sentis bercée comme dans un berceau. Je commençais à me décrisper peu à peu grâce à la nicotine qui se frayait un passage dans ma gorge. Ma dépendance à cette merveille à chaque fois que je commençais à paniquer, était la seule faiblesse que je m'autorisais à montrer aux autres.
Finalement, voulant surmonter ma faiblesse actuelle, ce fut moi qui brisai le silence.
— Comment tu me perçois ?
Il détourna le regard du jardin pour le poser sur moi, penchant légèrement la tête sur le côté.
L'ironie du sort voudrait que dans ces moments silencieux, l'atmosphère influe sur mon envie de le décrypter. D'être plus intime. Plus proche.
— Mhh, fit-il en expirant un nuage de fumée sur le côté. C'est une vraie question ?
Une de ses jambes était repliée vers lui, sur laquelle son bras était posé nonchalamment.
Un faible sourire en coin se dessina lentement sur ses lèvres. Mais il semblait plus faible que d'ordinaire, puisque son sourire disparu rapidement. Comme s'il n'avait pas la force de le tenir plus longtemps.
— Parce que t'en connais des fausses ?
— C'est vague, fit-il d'une voix ferme. La plus grande casse-couille que le monde n'ait jamais connu ?
— Essaie encore.
— Et qu'est-ce que tu veux entendre, Rhéa ?
Sa question me fit frissonner et je priai pour qu'il ne l'ait pas remarqué. Mais je refusais de détourner les yeux. Alors, je pris tout mon temps pour répondre, inhalant lentement la nicotine.
Tout ce que je voulais, c'était savoir s'il était capable de m'étrangler. S'il me voyait réellement comme une cible. Quelque part au fond de moi, je refusais cette idée.
— Ça t'amuses, tout ça ?
— Pourquoi tu ne t'es pas défendue ?
Il détourna le regard après avoir lâché sa question furtivement, comme s'il se retenait de la poser. Et j'aurais préféré qu'il le fasse.
— Je n'avais pas le droit de me défendre.
C'était comme si lâcher cette phrase me coûtait toute mon âme. Je venais d'avouer qu'il existait des situations où je pensais mériter un châtiment. Et ça ne me ressemblait pas du tout.
Seulement, son air affaibli, tel un doberman qui tentait de garder la tête haute, m'avait fait craquer. Parce que ma curiosité avait pris le dessus. Je voulais savoir où cette conversation nous mènerait, et comment il réagirait.
Quelque part, je voulais qu'il arrête d'avoir autant le contrôle sur lui-même, et qu'il m'avoue ses sentiments les plus enfouis.
S'il m'avait posé cette question, c'est que ça avait l'air de le travailler et de le percuter plus que ce que je ne pensais. Cependant, il n'avait rien fait pour arrêter son alter ego, pendant que la vie s'échappait de mon corps en un souffle résigné.
— Ne dis pas ça.
Son ton me surprend. Sa courte réponse sonne à la fois comme un ordre avec une pointe de... De quoi ? De culpabilité ?
Nos regards se croisent une nouvelle fois. Il soupire alors, jouant avec la cigarette entre ses doigts. Un sourire espiègle refait surface, comme pour masquer toutes les émotions qu'il peut se trouver derrière ce mur.
— Je le méritais. Tu ne crois pas ?
Ses yeux semblaient me scruter comme jamais. Comme s'il tentait de savoir si mes paroles étaient véridiques ou non. Il sembla mesurer mes mots avec intensité, avant de répliquer :
— Peut-être bien.
Aïe. Mes ongles s'enfoncent alors dans ma paume instantanément. Qu'est ce que j'espérais ? Qu'il me pardonne comme par magie ?
Il pleut. Les gouttes se cognent contre la baie vitrée, ce qui attire notre attention. Le bruissement du canapé me fait lever les yeux sur Eos, il s'est relevé avec un rictus de douleur.
Je suis le mouvement, observant le petit pansement qu'il a utilisé sur l'arête de son nez. Mon cœur me crie que ça lui donne quelque chose d'enfantin et de mignon.
Évidemment que ce n'est pas mignon c'est un pansement, Rhéa. Mais remarque... Non, ce taré est... Taré.
— Dis... Ton piercing, tu devrais le désinfecter, fit-je prudemment alors qu'il regardait la pluie au dehors.
Ledit piercing au niveau de son arcane droit, était plus rouge qu'argenté.
— C'est pas mon piercing qui me fait mal.
Son regard s'assombrit avant de croiser de nouveau le mien.
— C'est toi.
Elle est là. Sa rancœur. Sa colère et sa peine. Et elle me gifle de plein fouet. Telle une tornade que l'on aurait vu venir de loin. Et je me sens prise dans ce tourbillon orageux.
Un éclair. Une vive douleur, belle seulement de loin.
Contre toute attente, je lâche un faible rire.
— Grandis.
Je ne sais pas ce qui m'as pris. Je ne voulais pas dire ça, et pourtant, c'est sorti. Il m'avait tellement poussé à cran, au bord du précipice, que je ressentais le besoin de le blesser. De le faire réagir et de le faire craquer. Mon rêve y était sûrement pour quelque chose aussi.
La peur et la culpabilité me forçait à me montrer plus forte que lui. Parce que tout mon être rejetait ces sentiments. Des sentiments que j'avais réussi a contrôler, et qui revenaient à la charge à cause de lui.
Je n'étais plus habituée ni à culpabiliser, ni à être aussi effrayée. Jusqu'ici, en tant que cheffe de gang, je contrôlais absolument tout. Et c'était les autres qui me craignaient. Et en voulant rester ici, avec lui, je m'étais dit que je pourrais y faire face.
Mais ça semblait plus compliqué que prévu.
Pendant un instant, il semble réellement impacté. Son regard s'écarquille, comme si j'étais la personne la plus monstrueuse du monde. Puis, il lâche un rire à son tour. Interminable. Et flippant.
Lorsqu'il se passe une main dans les cheveux, c'est là que je me rends compte que lui aussi, il a transpiré. Cette nuit nous avait eus tous les deux.
— Tu te souviens, de ce que je t'ai dit, madame la télépathe ?
Il m'observe quelques instants avec dédain tandis que je soutiens son regard, les bras croisés.
— Que la personne dont j'avais le plus besoin, m'avait appris que je n'avais besoin de personne. Soit, si j'ai besoin de conseils, je préférais appeler le 36 30.
Je ne savais pas pourquoi. Mais mon cauchemar avait l'air de nous avoir durement impactés, ce soir. Aussi bien moi, que lui. Nos émotions semblaient sur le point de rompre cette barrière insensible que nous nous étions forgés, ne demandant qu'une chose : sortir.
Coup sur coup. Blessure sur blessure. Je me sentais tailladée de toute part, mes plaies se rouvrant.
Égoïste. Étais-je égoïste ? Avais-je toujours été égoïste ?
S'il était tout pour moi à cette période de ma vie, il ne m'avait jamais traversé l'esprit que c'était son cas à lui aussi.
Comme une huître refermée, impossible à ouvrir. Comment j'aurais pu deviner qu'une perle à mon égard y était enfermée ?
— Tu...
En un pas, il est devant moi. Son doigt sur mes lèvres m'empêche d'exploser en mille couleurs. Je repris mes esprits.
Je refusais d'être plus faible que lui, de perdre le contrôle. C'était un véritable combat qui faisait rage en moi. Une lutte contre moi et contre lui. Un véritable champ de mine.
— Ne gaspille pas ta salive, lâcha-t-il en rabaissant son bras.
Sans crier gare, sa main se retrouva enroulée autour de mon cou. Elle était si grande qu'elle en faisait quasiment le tour. Il n'y allait pas de main morte, parce que l'air me manqua rapidement.
Je sentis les veines de mon cou ressortir et mes pieds décoller du sol. Ma main se posait sur son poignet dans un geste désespéré, finit par devenir si faible que j'abandonna.
Même le regarder dans les yeux me devint difficile. Ses yeux. Inhumains, vides, et d'une couleur translucide.
M'avait-il toujours regardée comme ça ? D'une tristesse amoureuse ?
Ma réaction à son "C'est toi." avait l'air de l'avoir mis en colère. Mais ce n'était pas une colère enragée, avec les sourcils froncés et le haussement de voix. Sa colère a lui, était une colère démesurée, imprévisible, qui cherchait à se divertir. À s'amuser avec sa proie.
A parler par le corps, comme il savait si bien le faire.
Lâche-moi, Eos !
Il ignora ma tentative de connexion télépathique, et se contenta de sourire.
— Tu vois, commence-t-il lentement avant que sa voix ne devienne un murmure sadique. Ce dont tu as rêvé, je peux le reproduire.
Doucement, face à mon air apeuré, ses lèvres formèrent un sourire, avant d'éclater de rire, par-dessus les gouttes de pluie devenues plus violentes, martelant le sol.
— Disciple de Mayasatruc ou pas, j'aurais toujours plus de force que toi. Pauvre biche ! Si fragile, en réalité, qu'elle est obligée de jouer les courageuses.
Il pencha la tête sur le côté, remettant sa cigarette entre ses lèvres. Une larme commençait à dévaler le long de ma joue. J'étais probablement en état de choc. Je n'étais pas en état, là, maintenant.
— Chérie, si tu essaies encore une fois d'hausser le ton avec moi, ça va mal, très mal se passer. Ça va sans doute faire, "aïe" ou bien... "ouille", ou encore...
Il passa un doigt le long de sa gorge, imitant une guillotine.
Lorsqu'il me relâcha enfin, je m'écroulai au sol. Ma toux ne semblait pas vouloir s'arrêter, tandis que l'air rentrait difficilement. Ma main tâtait ma gorge comme si on m'avait jeté une malédiction m'empêchant de respirer.
Il posa une main sur ma tête, comme lorsque nous étions enfants. Seulement, en relevant les yeux vers lui, son visage se fit rieur, et son air, hautain.
— Évite d'inonder mon salon avec ta fragilité, se moque-t-il.
Et, comme si de rien n'était, il se rassoit sur le canapé, me regardant galérer à même le sol dans un rictus amusé.
Je te déteste.
Lui : Moi je m'aime.
— C'est bon ? T'as eu ce que tu voulais ? Grognai-je en essuyant la seule larme que j'avais laissée couler. Mon passé ne m'a jamais paru aussi proche, aussi collé à ma peau.
Il me dévisagea, mais son visage restait aussi impassible qu'une pierre.
— Allez, dépêche-toi.
Je ne compris le sens de ses paroles que lorsqu'il ouvrit la boîte de pizza sur la table basse. Il se foutait royalement de ce que je venais de lui avouer. Et je me sentais comme une cruche.
Je venais finalement de lui révéler que tout ça me touchait réellement. Qu'il avait réussi à me faire culpabiliser pour ce que je lui avais fait. Il avait fait remonter à la surface cette partie de moi que je détestais : mon empathie illimitée.
Comment pouvait-il se montrer têtu au point de prendre soin de moi, juste après m'avoir brisée ?
— Après avoir failli me tuer tu vas me forcer à manger ?
— Si tu ne manges pas, je te ferais l'avion jusqu'à ce que la fourchette transperce ta gorge.
Son ton amusé et ses paroles glaciales ne faisaient pas bon ménage, et je frissonnai malgré moi. Oui, il avait toujours mal parlé, quand on était enfants. Et je tenais ça de lui, d'ailleurs. Un langage grossier, glauque et des insultes.
Mais ses paroles n'avaient jamais été aussi dénuées de toute sensibilité. Surtout envers moi.
Il me suivit du regard alors que je me redressai, maîtrisant mon calme mis à rude épreuve. Alors que mes mains s'approchaient du carton de pizza, il me stop net :
— Assied-toi. Tu manges devant moi, pas dans ta chambre.
A cet instant, j'ai vraiment l'impression d'être une adolescente qui se fait réprimander.
— Sérieusement ?
— Très sérieusement.
— Eos, sache que t'es tellement un enfoiré que tout mon corps a envie de se jeter sur toi.
— Oh je sais, tout le monde veut se jeter à mon cou, s'esclaffe-t-il en tapotant le canapé à côté de lui.
Bordel, qu'elle insolence, si seulement je pouvais lui arracher les yeux.
— Je m'assois si tu me dis ce que tu as fait de Dan et Chris.
Il roule des yeux d'un air blazé.
— Partis se renseigner sur Joe. Ils travaillent pour moi, pas pour toi.
Je le transperce du regard en y mettant tous les éclairs que je puisse trouver, ce qui le fit rire de plus belle. Il suivit chacun de mes mouvements tandis que je contournai la table et m'assis à ses côtés.
Il m'avait définitivement octroyé toute faim.
Il croisa les bras en me voyant fixer la pizza.
— T'es amoureuse ?
Je levai les yeux au ciel avant de m'emparer d'une part préalablement coupée, et de la porter à mes lèvres. Lorsque la première bouchée descendit dans ma gorge, j'eus la forte impression que celle-ci était encore prise en étau entre ses doigts.
— Ça te dérangerait de regarder ailleurs pendant que je mange ? Raillai-je.
Il se contenta de souffler du nez, avant d'allumer la télé. Il mit en route la série "You".
— T'aimes ça, toi ?
— Un problème ? Réplique-t-il sans me regarder. J'adore ce mec.
Il posa son coude contre l'accoudoir avant de se tenir la tête, son corps penchant du côté opposé au mien.
Il regardait vraiment la série qui parlait d'un mec obsédé par les femmes, jusqu'à finir par les séquestrer et les tuer...
Soit.
Quelques temps après, alors que j'en était à ma quatrième part - et bordel que ça faisait du bien - Eos ne fit plus le moindre mouvement.
Curieuse, je me penchais en avant pour avoir une vue sur son visage.
Désormais, son bras était entièrement tendu sur l'accoudoir, sa main pendait a l'extrémité, et sa tête y était posée.
Depuis le début, je tentai de ne pas y faire attention. Mais maintenant, mes yeux avaient tout le loisir d'analyser son haut, alias, son t-shirt à compression noir.
Il était plus qu'évident, dans cette tenue, qu'il avait pris de la masse. Un seul mouvement et il pouvait littéralement me briser les os.
Enfin, s'il arrivait à m'attraper.
Je m'emparai du plaid que j'avais mis sur mes genoux, pour le déplacer sur lui, couvrant son corps jusqu'à ses épaules.
Lorsque ses yeux s'ouvrirent presque aussitôt, je fis un rebond sur place, le cœur au bord des lèvres. Coupée dans mon analyse et l'attention que je lui portais, mes yeux fuyaient son regard amusé bien qu'endormi.
Et là, tout de suite, le mélange d'un Eos souriant et d'un Eos somnolent avait mon cœur. C'était ce côté-là de lui, que je connaissais. Pas le Eos sadique et violent.
En fait, notre relation avait toujours été comme ça. Comme une relation entre frères et sœurs : la magie fait qu'ils s'engueulent souvent, et pourtant, ils se parlent normalement quelques secondes après.
Sans être habitué, ça pouvait paraître bizarre ou même illogique. Mais ça se passait toujours ainsi.
Même s'il m'avait prise par surprise, qu'il m'avait terrorisée et étranglée, je n'allais certainement pas faire une fixette dessus. Qu'importe ce qu'il pouvait penser, je n'étais plus aussi fragile qu'avant.
— C'est mignon, marmonna Eos en refermant les yeux.
— Tais toi, tu t'es trompé de personne.
— Ah, j'ai rêvé ?
— Oui. Rhéa ne fait rien de mignon. Elle est charmante et sexy.
— Alors pourquoi me couvrir ? Grommela-t-il.
— Tu me faisais pitié.
— A d'autres. Tu veux que j'écrive un dix-huit sur ta main ? Comme je ne sais pas manier le katana comme toi... M'imite-t-il en se foutant de ma gueule.
Sa voix se fit de plus en plus basse, jusqu'à s'éteindre doucement.
Rapidement, une merveilleuse idée me traversa l'esprit. Et alors que je m'emparai d'un marqueur indélébile, je lui peinturais le visage sadiquement, ayant du mal à retenir mon rire.
Ça, c'est pour tout à l'heure, bouffon
Après avoir contemplé mon chef d'œuvre pour être certaine que rien ne manquait, je me rassis sur le canapé. Mon comportement puéril et impulsif me ramenait des années en arrière, lorsque mon seul problème était de réussir à faire des ricochets comme Eos les faisait si bien.
Pendant quelques instants, j'observa encore son corps recouvert par le plaid gris en moumoute, se soulever au rythme de sa respiration. Et très vite, je m'endormis à mon tour, d'un sommeil plongé dans des souvenirs enfantins et joyeux.
Et aussi bizarre cela puisse-t-il paraitre, juste avant que le sommeil ne m'emporte dans les tréfonds du silence, je le ressens. Il reste de faibles trainées de sa présence au sein de mon esprit, mais ma fatigue m'empêche toute suspicion.
Je grommelle. Qui est celui qui osait faire un boucan pareil ? Si ma conscience semblait encore loin de la réalité, pataugeant dans le monde cosy des songes, mes oreilles, elles, entendaient très bien.
J'entrouvris un œil, puis l'autre. En me souvenant que je n'étais pas chez moi, mais bien chez celui qui voulait me tuer et qui était presque arrivé à ses fins hier soir, je me redressai vivement, frôlant la syncope. Mes réveils allaient finir par être la source de ma mort prochaine, car, ma tête me tournait après m'être levée aussi vivement.
Mes sourcils se froncèrent à la vue d'un Dan et d'un Chris tout sourires. Ils se tenaient au milieu du salon, devant... quoi ?
— Bon anniversaire, grommelle une voix rauque près de moi.
Eos se réveilla en se passant une main sur le visage. Et c'était maintenant que je m'en rendais compte.
Mon habitude d'enfance à dormir à ses côtés, et son habitude à lui de dormir dans des endroits improbables avait rattrapé mon présent. J'avais carrément dormi sur lui, sur ce canapé. La chaleur du plaid contre ma joue se rappelait à moi comme une évidence.
Et alors que je sentis mes maudites joues se colorer d'une chaleur étouffante, je restai plantée là.
Derrière mes deux amis se trouvait une barre de pole dance. Dorée, en plein milieu du salon. Je compris d'une traite d'où venait tout ce raffut. Ils venaient de l'installer.
Lian arriva à son tour, et alors que son regard se posait sur le visage d'Eos, je vis bien qu'il ne sut comment réagir. Il échangea un regard avec mes deux amis qui peinaient à se retenir de rire, et finit par lancer d'un ton professionnel :
— Eos, ton visage.
— Quoi ? Il est beau, je sais.
— Pas aujourd'hui, patron, se risque Chris un sourire en coin.
Eos se leva en se dirigeant vers la salle de bain. Lorsqu'il revint, je suis déjà en train de tester la qualité de la barre. Et lorsque mes yeux croisèrent ses iris assombris, je décidai de me hâter à monter tout en haut, jusqu'à atteindre le plafond.
Apparemment, l'eau n'avait pas suffi à retirer ses moustaches de chat et son museau. Et surement pas "Rhéa ♡ " sur son front.
— Descends, rugit sa voix.
Je le regardai de haut tandis qu'il était là, en dessous de moi, les mains dans ses poches de jogging et la tête levée vers moi.
— Tu ne peux pas m'attraper, fis-je, amusée.
— Tu veux que minette en paie les conséquences ?
A ces mots, j'aperçois une forme noire se mouvoir vers nous. Minette, minette était vraiment ici.
— Je l'ai aussi ramenée pour ton anniversaire. Maintenant descends.
— Non, le provoquai-je comme une enfant.
La petite voix dans ma tête se demandait jusqu'où iraient ses limites, si je testait sa patience. Seulement, j'en aurais presque oublié qu'Eos était justement celui qui avait le plus de patience sur cette planète, et celui qui s'énervait le moins.
— Maintenant, fit-il tandis qu'un sourire espiègle s'esquissait dangereusement sur ses lèvres.
— J'aime bien te regarder de haut.
— Tu vois, faut pas se fier aux apparences, et prendre en compte ce qu'il y a à l'intérieur...commence-t-il en posant une main sur sa poitrine théâtralement, ...des muscles.
Et l'instant d'après, par la seule force de ses muscles, il entreprend de grimper à son tour, d'une manière calculée mais plus brutale que moi.
La barre qui venait d'être installée en tremblait même. Amusée qu'il s'aventure ainsi sur mon territoire, je le regardais faire. Mais il glissa à maintes reprises, restant au milieu de la barre. Il n'avait pas la technique suffisante pour s'accrocher méthodiquement.
La pôle dance était un sport très technique et qui nécessitait de la pratique.
Gardant mon rire pour moi, je me renversai soudain en arrière, ce qui, je le vis, inquiéta toute la salle.
Cependant, mes jambes me retenaient fermement à la barre, et je me retrouvai tête en bas, suspendue. La scène de son effraction chez moi ce jour-là se reproduisait, et nos visages se retrouvèrent dangereusement proches.
— J'apprendrais. Tout comme j'ai appris à coudre, lance-t-il.
Mon regard rieur s'attarde sur les traits au marqueur de son visage.
— Les chats devraient savoir grimper, pourtant.
— Les serpents devraient se contenter de ramper à terre, réplique-t-il en croisant les bras.
Je m'amusai à faire plusieurs figures sur la barre. Je me sentis légère et gracieuse. Dans mon élément.
Quand je décidai de descendre, je me lâchai, me laissant tomber violement le long de la barre avec une vitesse fulgurante vers le sol. Le son du frottement de ma peau contre la matière froide m'accompagna jusqu'au sol.
Mais alors que ma tête manquait de heurter le sol de plein fouet, je m'arrêtai, et pose les pieds au sol comme si de rien était.
Tous, Lian y comprit, ce qui m'étonnait, avaient accourus autour de la barre, prêts à me réceptionner.
— Je suis vexée, fis-je en les regardant tour à tour d'un sourire fourbe.
Eos avait détourné le regard vers l'extérieur, sa main sur sa bouche comme s'il venait de voir quelque chose qui le déstabilisait. Quelque chose qui...et merde. Il avait surement vu ma culotte, d'en bas.
Mais sa réaction me paraissait tellement mignonne et loin du taré sanguinaire qu'il m'avait montré hier, que je ne lui en voulais pas.
Ignorant les autres, je me rapprochai de lui en sautillant tel une enfant, avant de lui pincer les joues, lui faisant baisser sa main.
— Tu l'as vue, hein ?
Il ne daigne toujours pas croiser mon regard.
— Non. Qui a dit ça ?
— Arrêtes de rougir autant, ça me met mal à l'aise.
Au fond de moi, même si je ne laissais rien paraitre, je tentais simplement de le taquiner pour éviter qu'il ne remarque que moi aussi, je rougissais.
D'accord, nous étions tous les deux du genre pudique depuis que nous étions enfants. Mais la donne n'était plus là même. Désormais, nous avions plus de formes, d'envies.
De désir.
Il avait peut-être brisé quelque chose en moi, hier soir. Mais ce n'était pas la Rhéa d'aujourd'hui. C'était la petite Rhéa qu'il avait réussi à atteindre.
— C'est pas toi, c'est la chaleur. Bouge.
Il se refermait comme une huitre, et ça m'amusait d'autant plus. Il attrapa mes mains avec les siennes et les retira de ses joues. Mais j'étais déjà de nouveau sur lui, occupée à lui faire une clé de bras autour du cou.
— Meurs, lâchai-je.
— Tu sais que t'as pas tellement grandi, en fait ?
— Assumes que tu rougis pour moi et j'assume le fait que je n'ai pas grandi.
En fait, je commençais à l'accepter. A accepter que cette partie enfantine de moi existait encore, au fond. Qu'avec lui, je me fichais des conséquences, comme il me l'avait montré. Comme si la Rhéa cheffe de gang pouvait enfin s'autoriser à n'être que Rhéane.
Soudain, d'un instant à l'autre, je me retrouvais de nouveau en face de lui, ses mains sur ma taille. Et alors que ses lèvres se rapprochèrent de mon oreille, je me sentis défaillir comme la Rhéane enfant et faible. Terriblement faible.
— La vérité ? C'est que tu me fais tellement d'effet que je ne contrôle plus rien. Flippant, non ? susurre-t-il.
Je levai les yeux au ciel pour cacher toutes ces émotions qui menacent de faire surface. Il devait avoir un sérieux déséquilibre mental pour passer de "je vais te tuer", à "je suis à tes pieds".
Remarque, moi aussi.
Un raclement de gorge. Lian nous regardait, désabusé. Entre ses mains se tenait un gâteau qui semblait être au citron.
— Allez, Lian t'as préparé un gâteau. Il sait tout faire celui-là.
Un pincement au cœur m'empêchait de sourire. J'aurais voulu le fêter avec Phoenix. Toute cette situation me parait si bizarre, et pourtant si normale à cause de la simple présence d'Eos que c'en était accablant.
Les habitudes peuvent parfois être de véritables cages.
Alors que je m'assois sur le canapé, Dan me gratifia d'une succession de compliments et de paroles aussi douces les autres que les autres. Chris, de nature plus terre à terre, me taquinait en s'amusant à me rappeler les conneries que j'avais pu faire cette année.
Ils m'entouraient alors que les bougies vacillaient faiblement à cause de nos mouvements. Ils m'incitèrent à les souffler, et selon Dan, non sans oublier le fameux vœu.
Eos n'oubliait jamais mon anniversaire. Et encore une fois, il me le prouvait. Si moi je l'avais oublié, lui était allé jusque acheter une barre de pole dance et l'aménager ici, et avait ramené minette.
Celle-ci s'était couchée sur mes genoux et ronronnait à chaque caresse sur sa petite tête.
En un sens, elle me faisait un peu penser à lui. Solitaire, sombre, mais quand on le connaissait et qu'il acceptait de nous offrir ses sentiments et son vrai visage, il était d'une douceur extrême, très tactile.
D'ailleurs, il commençait à l'être de plus en plus avec moi, même s'il ne l'avait peut-être pas encore remarqué. Et ça signifiait que lui aussi, il se faisait rattraper par ses habitudes envers moi.
Mes yeux demeurèrent fixes sur le gâteau. Tous les ans, je faisais le même vœu. A chaque fois.
"Même si je ne le vois pas. Même si je ne l'entends pas. Faites qu'Eos aille bien."
De ce fait, à chaque anniversaire qui approchait, un mal-être s'emparait de moi. Parce que je savais d'avance quel vœu je ferais, et que je savais d'avance que mes pensées me rattraperaient. Que je me demanderais ce qu'il fessait. S'il mangeait bien. S'il était toujours vivant.
En relevant ma tête, je me noyais dans cette couleur bleu clair. Glaciale, mais pourtant bien chaude. Vivante.
Il est là, maintenant.
Cette année, pour une fois. Faites que personne ne parte à nouveau.
Les bougies s'éteignent d'une traite sous mon souffle, emportant mon vœu avec elles.
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Heyy j'espère que vous allez bien !
Je sais pas trop quoi penser de ce chapitre alors dites moi vos ressentis !
En fait je pense que c'est assez bizzare comme ambiance, mais c'est ce que je voulais essayer de retranscrire. On a affaire à deux maîtres de la bipolarité là.
Prenez soin de vous ! Et merci d'être toujours là ! N'oubliez pas que j'ai un compte insta et tiktok dédié à Move, et les playlist sur Spotify !
Kiss. 💋
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