41・Lame tranchante

Eos Hunt.

—  Mais quelle merveilleuse idée ! Parfait pour que tu t'évanouisses et qu'il te tranche la tête pendant que tu tomberas, autant sauter du haut d'une falaise, ce sera plus romantique m'exclamai-je.

Je lançai le sweat de Zayn entre les mains de Chris, lui ordonnant d'aller le jeter. Il obéit sans broncher. Sa nouvelle cicatrice lui allait bien n'empêche...

—  Mon katana. Tu l'as, pas vrai ? m'ignore-t-elle en faisant face à Lian.

Celui-ci semblait en totale décomposition. Je devinai sur ses lèvres un : "Arrêtes de l'énerver." Auquel je répondis par un sourire insolent. Moi, ça m'arrangeait, au final. La succession des événements empêcherait Lian de m'engueuler en découvrant d'où provenait mes blessures.

Il détestait Zayn encore plus que notre coloc' adorée.

—  Très bien. Chris, commande pizza pour tout le monde. Dan, ramène-moi la trousse de secours, et Lian son katana, commandai-je.

Lian hésita un moment alors que ses deux collègues avaient déjà tourné les talons. Je savais ce qu'il se passait dans sa tête, malgré son visage taillé par l'impassibilité. Il la détestait, il voulait se venger de l'humiliation qu'elle lui avait faite subir, le premier jour. Seulement, quelque chose avait changé : une partie de lui ne pouvait se retenir d'éprouver une peur terrifiante à son égard.

On pourrait presque croire qu'elle était le diable incarné, ce qui faisait que Lian me percevait comme un inconscient immature et loin de la finesse - c'était ses mots.

Eh bien, ce combat allait être pour moi une opportunité d'observer la toute-puissante, et de prouver à Lian que je n'avais aucune attache envers elle par la même occasion, qu'il pouvait la blesser. C'était d'ailleurs l'inverse de ce que Zayn voulait. Parfait.

—  Entaillez-vous, blessez-vous, saignez et appréciez la beauté du moment, pas vrai Lian ? Mais ne mourrez pas. Ce n'est pas que ça m'embêterait, mais un peu... beaucoup.

Je devais avouer que ça m'amusait. Elle voulait à tout prix me montrer de quoi elle était capable, et me faire face indirectement. Je devais avouer qu'elle n'avait rien avec la Rhéa que j'avais connu. Celle qui fuyait le regard quand on lui parlait, qui n'osait dire ce qu'elle pensait et se forçait à finir son assiette même quand c'était le plat qu'elle détestait.

Mon bras droit finit par tourner les talons. J'attrapa Rhéa fermement par le poignet et l'a força à s'assoir sur le canapé en ignorant son regard noir. Dan revint et me tendit la trousse de secours sans s'astreindre d'analyser mes blessures. Je pris place à coté de Rhéane lentement et douloureusement tandis qu'elle m'observait en silence. Elle ouvra la bouche, sur le point de dire quelque chose, mais se ravisa.

Elle cligna plusieurs fois des yeux, les gardant fermés quelques secondes. Elle ne devait vraiment pas se sentir bien.

Des flashbacks défilèrent dans ma mémoire, se succédant rapidement. Je me revoyais, en train de la soigner alors qu'elle n'arrêtait pas de pleurer.

FLASHBACK

Son visage était rouge et larmoyant, inondé de larmes. Pleurait-elle autant à cause de sa blessure ? Ou était-ce seulement mental ?

Je n'arrivais pas à comprendre. J'étais blessé tous les jours, et pourtant ça ne semblait pas m'atteindre autant qu'elle. Qu'est ce qui n'allait pas chez moi ?

Accroupit à ses pieds, devant la chaise, j'examinai son genou éraflé. Une grimace compatissante étira mes lèvres. Mon regard se reporta sur elle et mon cœur se serra. J'aurais dû être là.

Ma pire inquiétude était là : pourrait-je vraiment être toujours auprès d'elle ?

Elle avait sauté de joie lorsqu'ils avaient accepté qu'elle apprenne à faire du vélo. Du haut de ses quinze ans, elle n'en avait jamais touché un seul. La négociation avait été difficile, mais j'avais réussi. Et voilà que leur avertissement résonnait dans mes oreilles.

" Je te préviens, si elle se blesse, c'est toi qui prendras."

Parce que c'était moi, son bouclier. Parce que c'était moi, son deuxième corps. Parce que c'était moi qui prenais les coups pour elle. Parce qu'à cause des clients, ils refusaient qu'elle présente une quelconque marque de maltraitance.

Mais c'était normal. J'étais là pour ça. Et je continuerai à recevoir pour nous deux.

Ils avaient raison. J'étais plus vieux de trois ans, je me devais de la protéger. Ça avait toujours été ça, mon rôle. Bordel, j'aurais dû être présent, mais elle avait fait sa tête de mule à enfreindre mes avertissements et à vouloir essayer seule.

Parce qu'elle était comme ça, elle voulait réussir seule. Tout le temps.

—  Je vais désinfecter, ça va piquer un peu.

Ses pleurs la firent légèrement trembler, et la voir dans cet état me hérissait les poils.

—  Tu sais quoi ? Je connais un animal qui fait caca par là où il mange.

Ses pleurs s'atténuèrent quelques instants. Elle me regarda comme si j'étais un extraterrestre, sans un mot.

—  La méduse.

Je me sentis soudain ridicule. A quoi je jouais ? Je gardai la tête baissée, désinfectant délicatement son genou.

Mais, c'est dégueu !

Je relevai la tête. Elle souriait malgré son visage humide.

Mon cœur se réchauffa instantanément et je baissai de nouveau la tête, cachant mon sourire grandissant. Non pas que je pensais être trop fort mais...J'étais trop fort. Son visage s'était illuminé.

—  Aussi dégeu que ta manie de laisser trainer tes chaussettes partout, répliquai-je en lui mettant un pansement.

—  Oh, je rêve ! tu peux parler monsieur je...

—  Chut ! Ose et tu devras te trouver un autre docteur gratuit.

—  C'est vrai que ça ne va pas être de la tarte mais je pense que c'est faisa...

Je me redressai, mon regard lançant des éclairs qui la firent rire de plus belle. Mission réussie.

Perdu dans mes pensées, je ne m'étais pas rendu compte que j'avais ouvert la trousse et attrapé la pommade entre mes mains. La faible présence fourbe de Rhéa dans ma tête me sortit de ma nostalgie, et je dressai mon bouclier. Elle avait surement voulu savoir du pourquoi je divaguais.

Me rendant compte que mes lèvres formaient un sourire plus que sincère, je les pinçais pour reprendre le contrôle.

Elle me regardait d'un sourire sournois. Quelle vipère fouineuse.

—  Quoi, tu veux ma photo ?

—  Quelle horreur, s'empressa-t-elle de répliquer.

—  Je devrais la mettre dans les toilettes...

—  Arrêtes tes conneries. Et je peux le faire moi-même. Donne-moi ça.

Elle se pencha légèrement en avant pour tenter de me retirer la trousse des mains. Je l'écartais vivement en claquant la langue contre mon palais, secouant mon index de droite à gauche comme pour réprimander une enfant.

—  Ne bouges pas.

—  C'est non.

Elle se pencha de nouveau avec plus d'entrain cette fois-ci, mais je reculai en arrière tandis que son buste était penché au-dessus de moi.

—  Alors comme ça tu préfères être au-dessus...

Elle leva les yeux au ciel en reprenant sa position initiale, et je me retins de rire en me remettant droit.

—  Quand je serais sur toi ce sera pour t'arracher les yeux.

—  Non, pas mes beaux yeux bleus... Je sais que tu les adores.

Elle grogna en détournant les yeux. Oh ?

—  C'est moi qui gère, toi, regarde.

J'entrepris d'ouvrir la pommade le sourire espiègle. Ses yeux se posèrent de nouveau sur moi.

—  J'aime pas ce que tu fais, grinça-t-elle en assemblant ses mains sur ses cuisses.

—  Ce que je fais ?

—  Ta tête, là.

—  Et quelle tête j'ai ?

—  Elle parait trop fourbe, j'aime pas ça.

—  C'est parce que je suis...

Heureux.

Je me raclai la gorge sous son regard inquisiteur. Sans lui demander son avis, je pris sa jambe tendue et la posa sur mon genou en maintenant le contact visuel. Surprise, elle pencha légèrement en arrière et prit appui maladroitement sur mon avant-bras.

—  Ne bouges pas ou je vais devoir t'attacher, menaçai-je.

Je relevai légèrement la chemise sur le haut de sa cuisse, me facilitant l'accès à la partie de sa chair superficiellement consumée.

—  Oh... Je ne savais pas que c'était ton genre.

Sa main remonta légèrement sur mon avant-bras. Mais quelle bipolaire. Elle passait de "ne me touches pas ou je te trucide", à "Tombe sous mon charme envoutant". C'était vraiment quand elle le voulait, au final.

—  Tu te sens vraiment pousser des ailes.

Mon doigt appuya sur sa brulure, lui soutirant un cri de douleur. Elle s'apprêta à partir dans tous ses états lorsque je posai mon index sur sa bouche, l'empêchant d'émettre le moindre son.

—  Tais-toi, tu me soules. Au fait, continuai-je en appliquant la pommade en cercles sur sa cuisse. Tu devrais te tenir tranquille, y'a un taré qui veut te tuer, un autre qui veut t'embarquer. Et...

Ma phrase resta suspendue quelques instants tandis que ma concentration prit le dessus. Le contact de mes doigts sur sa blessure la faisait légèrement gigoter de douleur.

—  ... Joe n'en a pas fini avec toi.

—  C'est à dire ?

—  C'est à dire que même si tu sors accompagnée des trois mecs en pierre, je ne suis pas sûr que ça suffira.

Je relevai la tête, rangeant la pommade.

—  En clair, tu refuses que je sorte à nouveau. Je t'ai énervé en rejoignant Phoenix, Hunt ?

Un faible rire m'échappa. Oui, non, peut-être. Mais quand Dixon est partit te chercher je...

—  Non, c'était prévisible, en fait soupirai-je pour appuyer mes propos. Hé, je sais que je suis confortable mais j'ai fini, tu peux enlever ta jambe.

Pendant un court instant, ses joues semblent avoir rougis. Mais je n'ai pas le temps de m'y attarder. Elle retire sa jambe, faisant remonter la chemise encore plus, avant de se lever. En dentelle. Elle était en dentelle noire.

Quand je croise de nouveau son regard en me levant à mon tour. Je sais qu'elle sait. Elle l'a fait exprès, un sourire aguicheur aux lèvres.

Saleté.

Je lance la trousse entre les mains de Dan. Mais celui-ci me surprend en me la renvoyant.

—  Vous avez aussi besoin de vous soigner, patron.

Ah oui, c'est vrai.

—  C'est pas si grave, je le ferais plus...

Quelque chose frôla mon oreille dans un sifflement sourd. Lorsque je me retournai, un couteau était planté dans le mur.

Encore un peu et je me serais fait karma par la faute de Chris.

Je me retourna pour croiser le regard sérieux de Lian.

—  Ouh là, je ressens de la colère et de la violence, et peut-être un chouia de peu...

—  Soigne-toi, m'ordonna-t-il d'une voix ferme.

Je surpris Rhéa en train de rire, et elle se stoppa net quand elle vit que ce n'était pas mon cas, contenant son sourire dans un rictus bizarre.

Lian lui tendit son katana, et je vis ses yeux s'émerveiller quand elle l'eut entre les mains. Le sourire qui apparut sur son visage avait quelque chose de dérangeant. Et au vu d'un Lian qui reculait en la fixant des yeux, ce n'était pas qu'une impression. Le diable avait retrouvé son arme de prédilection.

En catimini, je me soignai vivement, ne voulant pas rater le début de leur affrontement tandis que Rhéa sortit la première.

Bordel ça fait mal. Attends de voir, Zayn de merde. Yeux verts de merde. Vie de...

J'étouffai un gémissement de douleur en désinfectant les plaies de mon visage. Tout mon corps semblait cassé. Il n'avait frappé que le visage pourtant. Mais mon corps s'était tellement contracté de rage qu'il s'était cassé tout seul, l'imbécile.

Avant que Dan et Chris ne suivent nos deux combattants dehors, je les interpellai. Leur carrure imposante revint sur leurs pas, me faisant face les bras croisés et le regard méfiant mais obéissant.

—  J'ai une mission à vous confier. Je ne pense pas que Joe est en état de faire quoi que ce soit lui-même. Rhéa lui a créé une commotion cérébrale. J'aimerais, un, que l'un de vous s'occupe de lui. Que je sache où il est, ce qu'il fait de ses journées. S'il est à l'hôpital ou ailleurs.

Dan hocha la tête. Il prenait cette partie de la mission.

—  Il veut que je lui refile Rhéa. Après tout, elle était sa mission de base.

Chris changea de position et Dan pencha la tête.

—  Mais je ne le ferais pas. Ses sous-fifres les plus loyaux vont sûrement tenter de la retrouver pour venger leur chef de ce qu'elle lui a infligé.

Et moi par la même occase. Ce n'est pas comme si je les avais trahis et en avait fait qu'a ma tête...Nann.

Il m'était même arrivé qu'une fois, on m'avait assigné la mission de tuer quelqu'un qui avait une soirée ce jour-là. Résultat, j'avais passé la nuit à danser avec des femmes différentes toutes les minutes, et à boire du whisky sans compter les verres. Quand Joe avait cherché à me joindre pour savoir où j'en était, je m'étais contenté de tirer sur ma cible qui dansait plus loin, tout en continuant de danser avec un verre rempli à la main.

Ils n'étaient vraiment pas fun, parce que j'ai dû finir la soirée seul, après que le coup de feu les aie fait crier. Même ma cible n'avait pas fait autant de bruit.

—  Je pense que Phoenix peut se gérer, ils sont redoutables ensemble. Mais je veux quand même être au courant s'ils se font attaquer. Mais surtout, surtout. J'ai besoin que vous deux...

Je pointais mes deux index sur le milieu de leur torse.

—  ...vous réussissiez à ramener les ennemis de Joe de notre côté. Je parle des trois mecs qui se sont opposés à Arthur ce soir-là. Je n'ai que leurs noms alors vous allez vous démerder, mais si ils sont pas rapidement de notre côté, ils risquent de s'en prendre à Phoenix et Rhéa y compris en formant une alliance avec Joe.

— Parce que je le connais, ce Joe, il aime les alliances, et de toute façon il a perdu beaucoup d'hommes, il a besoin d'aide. Ce sera difficile vu que Rhéa a déjà mis dans la merde tous les gangs de ce soir-là, dont eux, mais en comparaison, ils détestent Joe et ses larbins. Je ne sais pas moi, proposez-leur de les aider à renverser Joe, mais qu'ils ne touchent pas à Phoenix en contrepartie.

Je n'allais absolument pas demander de l'aide à Phoenix. Rhéa me tuerait pour les avoir embarqués dans cette histoire, bien que je devine qu'ils étaient à peu près au courant de la situation.

—  Et faut faire ça en priorité. Parce que si Joe décide de leur offrir Rhéa sur un plateau d'argent pour former une alliance avant nous, on est foutus, foutus ! Il s'agit de Finn, Marlon et Ander.

Je leur tapotai l'épaule avant de m'écarter, leur laissant le passage vers la porte d'entrée.

—  Ah, au fait (Et je regrettai à l'instant ou je commençai ma phrase) ta famille va bien, Dan. Et ta boutique est gérée par quelqu'un que je paie, Chris. Je lui fais confiance.

Un sourire chaleureux apparu sur le visage de Dan. Il était reconnaissant. Toutefois, celui de Chris sembla se refermer. Même s'il n'aimait pas que quelqu'un d'autre gère le tabac à sa place, il allait devoir faire avec. Et lui avouer que je m'étais démené pour forcer un de ses amis de prison pour s'en charger me coutait mes deux reins.

J'étais persuadé que malgré l'aversion profonde qu'ils pouvaient me dévouer, leur monter que je remplissais ma part du contrat pouvait les rendre plus...dociles.

—  Maintenant, allez, zou !

Ils échangèrent un regard.

— Votre princesse ne mourra pas ce soir, fis-je en roulant des yeux. Allez galoper, vous avez pleinnnns de choses à faire. N'oubliez pas vos oreillettes ou je vous coupe les oreilles et vous ressemblerez à des poissons.

Ils se décidèrent enfin à bouger et refermèrent la porte derrière eux après s'être équipés sans perdre de temps. Voilà au moins ça de fait, même si ce n'était pas ça qui allait m'aider à me détendre.

Maintenant, j'avais juste à espérer qu'ils feraient du bon boulot. Si Dan avait déjà été garde du corps, il devait exceller pour retrouver la trace des gens. En revanche, je ne pourrais pas en dire autant de Chris, qui n'était qu'un simple vendeur. Quoique son passé de détenu lui servirait peut-être à quelque chose.

Pour une fois, je n'avais pas eu besoin de les menacer. On faisait des progrès, à priori. A dire vrai, ils savaient très bien que s'ils faisaient leur boulot, il n'arriverait rien à ce qui leur tenait à cœur. Et puis, ils n'osaient même plus m'adresser la parole !

Alors, à nous deux, Rhéa. Montre-moi ce que tu es devenue.

En mettant le pied dehors, un frisson incontrôlé me parcourut l'échine. L'ambiance n'avait rien de comparable avec tous les autres affrontements qu'il m'avait été donné de voir. En vue de leurs regards concentrés et de leur souffle court, j'avais loupé le début.

L'atmosphère était pesante, sérieuse et sans aucun bruit. Tout se faisait dans leurs regards. Ils étaient en train d'analyser l'autre et sans doute de réfléchir à vive allure. Si Lian avait montré quelques indices concernant ses craintes, son visage était désormais figé comme le marbre.

Rhéa quant à elle, arborait un faible sourire espiègle et excité. Elle montrait à son adversaire qu'elle était loin d'avoir peur et cherchait peut-être même à le déstabiliser. Les éclairs dessinés sur sa lame réfléchissaient la lumière du soleil, ce qui me fit plisser les yeux. Ils avaient la même posture de combat, et en les voyant tous les deux ainsi, je me sentais largement mis de côté. Ce qui se passait maintenant n'était autre qu'un véritable combat de maitres en la matière, et de la culture asiatique qui les entourait.

Une idée me traversa l'esprit, et je réussi à briser son bouclier télépathique dans l'optique de la déranger durant son combat. Elle ne pouvait pas être forte, même avec moi dans sa tête.

Ça fait quoi, si tu m'imagines à poil ?

Elle : Je vomis.

Arrête de mentir. Tu baves, plutôt.

Elle : Eos, c'est pas le moment.

Justement.

C'était justement parce que ce n'était pas le moment, que c'était l'instant idéal pour l'emmerder et la déconcentrer. Enfin, jusqu'à ce qu'elle remette son bouclier en place sans me jeter un regard.

Rhéane prit une décision qui me surpris. Elle posa non pas un, mais deux genoux au sol, dans la pelouse. Lian la suivit du regard sans rien laisser paraitre, les traits durs et concentrés. Elle crocheta néanmoins ses pieds dans le sol, ce qui lui permit par la suite d'avoir une meilleure liberté de mouvement.

C'est alors que Lian s'approcha, méfiant. Il se déplaçait de cette manière bien propre à lui-même, un pied devant, les genoux fléchis et les jambes écartées, son katana dans les mains qui lui, devait peser une tonne. Il semblait littéralement glisser sur le sol. De son coté, Rhéa l'attendit bien sagement, fixant le sol. Quelle insolence.

Lian abattit sa lame, tandis que Rhéa s'apprêtai à le contrer. Sauf que celui-ci recula, en même temps d'attaquer, ce qui envoya le coup de Rhéa dans le vide. Et alors qu'il s'apprêtai à abattre son deuxième coup, il recula une nouvelle fois.

Je ne compris pas tout de suite, mais lorsque je réalisai, mon subconscient était le seul à vouloir l'admettre. La lame de Rhéa avait scindé la lumière. Etant trop rapide pour que mes yeux puissent discerner quoi que ce soit, je compris en voyant le regard de Lian s'abaisser sur son ventre qu'elle l'avait frôlé avant qu'il ne puisse rabaisser ses bras.

Et je n'avais strictement rien vu. Comme si Rhéa était restée dans cette même position sans lever le petit doigt, seuls ses cheveux trahissaient son mouvement précèdent, des mèches lui tombaient dans les yeux.

Au nouveau coup qui s'apprêtai a scinder Rhéa en deux, celle-ci se contenta d'un mouvement fluide et rapide, de dresser sa lame parfaitement droite devant elle, contrant la lame de Lian qui vint toucher la sienne en diagonale. Elle souffla du nez.

L'instant d'après, elle rabaissa sa lame en avant, accompagnant celle de Lian vers le sol, avant d'effectuer une rotation qui lui permit de violemment de soulever la lame de son adversaire vers le haut. Et tout ça, sans qu'il ne puisse rien faire. Comme si elle s'amusait à le diriger.

Ayant pris sa décision, Lian tourna autour de Rhéa pendant quelques secondes avant d'enchainer par une succession d'attaques toutes aussi rapides les unes que les autres. Rhéa, toujours à genoux, maniait la lame comme un cinquième membre.

Le bruit des lames s'intensifia, s'entrechoquant a chaque secondes dans un bruit sourd et violent. Tout ce que je pouvais voir, c'était des formes non distinctes et floues qui se paraient à chaque fois dans l'air, allant jusqu'à scinder l'oxygène et lui soutirer des sifflements.

La vitesse était tout simplement surprenante. Rhéa n'avait pas bougé d'un poil, mais ne souriait plus. Le visage de Lian avait rapidement commencé à perler de sueur, bien avant son adversaire.

Et celle-ci n'avait pas daigné ni attaquer, ni affronter Lian debout.

Et lorsqu'elle se leva pour la première fois, personne ne la vis venir. En un éclair, son corps se trouvait à côté de celui de Lian, le katana entre ses jambes, en dessous de ses parties génitales. Ses lèvres frôlèrent l'oreille de Lian, lui murmurant quelque chose qui colora les joues de ce dernier.

Je croisai les bras en penchant la tête sur le côté. Elle n'allait jamais s'arrêter.

Leurs lames se baissèrent en même temps, et lorsqu'elle se retourna, nos regards accrochèrent.

Oui, Rhéa, j'ai vu.

Elle poussa soudainement Lian a terre sans me quitter une seule fois des yeux, et sa lame vint frôler le nez de ce dernier avec une précision effrayante. La pointe touchait littéralement le bout de son nez. Son adversaire à terre ne fit pas le moindre mouvement, les yeux écarquillés. Si elle avait voulu, il aurait pu être mort en une fraction de secondes, le temps qu'elle prenne sa décision.

Alors, jouant le jeu, je marchais lentement vers elle en la regardant baisser une nouvelle fois sa lame. Les bras grands ouverts, je m'offrais à elle, la provoquant directement.

Mais alors que je tournai la tête vers la porte d'entrée ou le livreur de pizza venait de sonner, elle tomba lourdement dans mes bras. Mon regard, paniqué, passa de son corps inconscient à Lian.

—  Je ne l'ai pas blessée. Je ne l'ai même pas touchée une seule fois, se justifia-t-il, essoufflé.

Je savais qu'elle n'était pas en état. Quelle tête de mule. Elle manquait de s'évanouir depuis tout à l'heure, surement à cause de la fatigue et du fait qu'elle n'avait pas mangé depuis plus d'un jour. Pourtant, quand elle se mettait en colère, rien ne pouvait l'arrêter. Et surement pas face à une occasion de m'en boucher un coin.

Et elle avait réussi.

Rhéane Kei m'avait cloué sur place.

La petite fille qui s'était blessée à vélo, celle qui pleurait à la moindre occasion, que ce soit par empathie ou par souffrance, venait de gagner un admirateur secret. C'était comme voir son enfant grandir. Et là, tout de suite, j'étais fier d'elle.

Et tout aussi triste.

Si elle avait du devenir comme ça aujourd'hui, prendre cette voie et s'entrainer pendant deux ans, c'était à cause d'eux. Et ce n'était pas ça, son rôle. Son rôle, c'était de grandir comme toutes les filles de son âge, ce que j'avais toujours tenté de lui permettre à la sueur de mon front. Pourtant, elle y avait été forcée.

Surement pour réussir à leur faire face, à leur échapper et a pouvoir se défendre seule.

—  C'est fini. Tu as réussi, Rhéane, soufflai-je contre sa tempe tandis que mes bras l'entouraient.

Lian se releva en s'appuyant sur ses genoux, et se dirigea vers le livreur de pizza tandis que je ramenai Rhéa à l'intérieur, la déposant avec précaution sur le canapé. Même si elle était allongée, le sofa était suffisamment grand pour que je m'assois aussi. M'installant à mon tour, je soulevai délicatement sa tête pour la poser sur mes genoux.

Ma tête au-dessus de la sienne, je l'observais, elle. Ses yeux fermés, paisibles, sa poitrine qui se levait au rythme de sa respiration rapide dû à l'effort. Ses lèvres rosées et pulpeuses, et son petit nez. Je dégageai une mèche de son visage doucement, comme si j'allai la bruler au moindre contact.

Après tant d'années, mes yeux pouvaient de nouveau se poser sur elle. Le mélange d'émotions qui faisaient rage en moi me déstabilisèrent, et je renversai ma tête en arrière, retenu par l'accoudoir du canapé.

Elle n'aurait pas dû partir sans moi. Elle n'aurait pas dû me laisser avec un simple "désolée...". Elle n'aurait jamais dû apprendre la vérité aussi tôt, seule, et avant moi. Si j'avais su...si j'avais su je serais partit avec elle. J'aurais tout fait pour qu'elle aille à l'école, qu'elle se fasse des amis, qu'elle aille en boite, ou qu'elle invite ses amis chez nous. Je serais allé la récupérer avec son gouter.

En faisant des recherches, j'avais appris qu'elle n'avait pas été au collège, pas même après avoir fui. Elle avait décidé de se lancer à partir de la seconde, là où elle avait rencontré Hannah Cassandra et Léo. Et pour être prise, elle avait tout fait pour apprendre seule afin d'être admise. Comment je le savais ? J'avais simplement rendu une visite très aimable à la directrice.

Apparemment, même si elle séchait trois fois par semaine en moyenne, elle avait toujours les meilleures notes de la classe quand elle revenait. Le seul problème étant qu'elle se faisait facilement remarquer dès qu'elle entreprenait quelque chose, et qu'elle avait refusé de voir la psy du lycée quand celle-ci avait deviné que Rhéa était plus mature que les autres. Sans parler de sa réputation de "Serpent".

Je ramenais ma tête en avant en sentant du mouvement sur mes cuisses. Les sourcils froncés et la tête désormais de trois quarts, son pouls avait accéléré de plus belle. Son corps fit des soubresauts que je tentai d'éviter en posant mes mains sur ses épaules. Elle faisait un cauchemar.

Soudain, une idée me vint, et je décidai de plonger.

Son bouclier s'était évaporé à cause du cauchemar qu'elle était en train de faire, l'empêchant d'être maitre d'elle-même, elle se faisait surement engloutir par la partie la plus noire de son subconscient.

Ce n'était pas comme avant. Elle ne pensait pas réellement. Elle rêvait.

Je ne percevais aucune pensée et me demanda si ce que je comptais faire était vraiment faisable. Je finis par fermer les yeux en inspirant, me plongeant dans le noir. Je savais où aller pour communiquer par la pensée, en revanche, aller dans ses rêves...

Je franchi la porte de la communication télépathique, me retrouvant dans un endroit avec un silence pesant. Brusquement, je me sentis aspiré. Mon corps semblait sur le point de me lâcher, engourdi, et ma tête semblait flotter, comme si mon cou n'avait plus aucune force pour la retenir.

Et là, je me vis.

Debout dans une ruelle sombre, un masque et une capuche cachant la moitié de mon visage. En face se tenait Rhéa, démunie, pétrifiée et tremblante. Son cou était serré entre les mains de mon deuxième moi. Elle suffoquait, ses yeux s'écarquillaient. Elle se rendait compte qu'elle était sur le point de mourir.

Derrière, un tas de cadavre jonchaient la ruelle, dans une mare de sang. C'est moi qui ai fait ça ?

C'est alors que mon deuxième moi chuchota :

—  Je vais te hanter...

Rhéa ne se débattait pas, ne levait pas les bras. Mais pourquoi ne se défendait-elle pas ? Elle semblait paniquée, mais refusait de s'en sortir, comme si elle attendait la mort malgré elle. Qu'elle se forçait.

Est-ce que je devrais réagir ?

Je pouvais la protéger de Zayn, de la secte, et de Joe. Mais de moi ?

Je regardai la scène, tiraillé, sans bouger d'un poil. Seulement, les yeux de Rhéa commencèrent à se révulser, et...

Je me jetai vers eux, et couru si vite que je manquai de tomber. Je percutai mon sosie de plein fouet. Mais c'était trop tard.

Elle était allongée au sol, morte.

Mes yeux s'ecarquillerent, et soudain, plus rien n'avait d'importance. Rien sauf elle.

Mes genoux cederent sous mon poids, si bien que je me retrouva en face de son corps inerte, mon jean s'erraflant sur le béton. Sa poitrine ne se soulevait plus, et je n'entendais plus son souffle.

—  Non...

Les mains tremblantes, je pris sa tête le plus doucement possible entre mes mains. Je n'osais pas la toucher davantage. C'était moi, son meurtrier.

—  Rhéa...

Son teint semblait si pale à cet instant, que mon cœur semblait entouré de chaînes piquantes, dont les piques menaçaient de me transpercer de toutes parts.

—  S'il te plaît. S'il te plaît. Pas encore.

J'entendis ma propre voix se briser, s'evaporant dans la nuit noire comme un murmure.

—  Arrêtes de partir...

Brusquement, tout disparu. Elle s'était réveillée, m'ejectant de son esprit. Je suffoquais.

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