38・Source pure

Rhéa Kei.

Et voilà. C'était la deuxième fois que mes yeux s'ouvraient sur ce plafond noir. Et moi qui avait refusé de passer plus d'un jour en sa compagnie...

Mais je ne pouvais plus fuir. Et il le savait. Parce que dans tous les cas, il me retrouverait. Parce que dans tous les cas, ce ne serait que ma dignité que je laisserais derrière moi, le passé me collerait toujours, et ce, malgré le fait que je refusais de vivre dans le passé.

Je soupire. Notre discussion d'hier, avec mon télépathe, m'avait retourné l'esprit.

Et vous savez quoi ? Je vais faire exactement ce qu'il m'as dit. Rester moi-même et regarder ce qu'il se passait.

Parce que même si j'étais du genre à contrôler les choses dans lesquelles je m'embarquai, Eos avait toujours traversé les mailles du filet.

Il était tôt. sept heures précises. La lumière vive du jour m'avait réveillée à travers la baie vitrée de la chambre, éclairant la pièce d'une douceur matinale. Je n'avais pas eu la force de fermer ni les volets, ni mes pensées hier soir.

J'avais certes fait l'erreur de laisser Eos à son sort et d'être partie sans lui, mais je ne contrôlais tout simplement pas le traumatisme qui s'était emparé de moi, alors que je n'avais que quinze ans à cette époque.

Au fil des ans, j'avais appris à me pardonner, à refuser de m'apitoyer sur mon sort et à aller de l'avant. Parce que je valais mieux que ça. M'apitoyer ne m'aménerait jamais à rien. je vivais pour moi.

Et même si il avait été difficile pour moi d'en arriver là, j'avais une place en ce monde, un but, ma propre route.

Je pousse doucement la porte, me dirigeant vers le salon le cœur battant.

Personne en vue. Je me tournai vers la baie vitrée le long du mur du séjour, et appuyai sur le bouton qui relevait automatiquement les volets dans un bruit de ferraille.

En me retournant, mes yeux se posèrent sur lui.

Il était allongé sur le canapé noir, un bras pendant le long du canapé, l'autre sur son front. Ma contemplation de ses dessins fut instantanée. Il n'avait aucun tatouage lorsque nous étions enfants. Eux ne voulaient pas, à cause des préjugés et des "clients".

Un serpent était enroulé autour d'un de ses poignets, tandis qu'une chaine faisait le tour de l'autre. Je voyais des écritures un peu partout, sans pouvoir en discerner les mots de là ou je me tenais. Ses tatouages étaient surtout d'un style minimaliste. Des petits, sur l'entièreté de ses bras.

Les yeux fermés, il paraissait inoffensif.

Que nenni.

Malgré moi, mes yeux descendirent le long de son torse. Il n'en avait toujours rien à faire, de sa pudeur. Je ne comptait pas les nombreuses fois ou il s'était fait engueuler pour s'être trimbalé en caleçon dans le manoir. A cette époque, il était déjà musclé, à cause de tous les sports qu'il était forcé de pratiquer. Mais il restait maigre.

Maintenant, tout était si bien délimité que les feuilles de lierres dessinées sur son pec droit et sa cote gauche suivaient les lignes bien tracées...Oh. Son caleçon dépassait de son jogging gris.

Lorsque ses yeux bleus translucides s'ouvrirent sur moi d'un air moqueur, je dus rassembler toute mon assurance pour remonter lentement jusqu'à son visage sans sursauter.

De son coté, il garda la même position en descendant ses pupilles le long de mon corps : je ne portais qu'une simple chemise noire trouvée dans l'armoire.

— Tu ne t'es pas dit qu'elle était trop grande pour toi ?

— Ca ne me dérange pas.

Il se leva face à moi, me surplombant de sa hauteur.

Bordel. Il a vraiment grandi, alors. Mais des marques attiraient mon regard. Comme... des striures, sur ses deux poignets. Rougis.

— J'espérais que tu la mettes.

Je planta mes yeux dans les siens, ne sachant comment réagir. Il se mutilait ?

— Je me demandais d'où venait l'odeur, le provoquai-je sans rien paraitre.

Il passa une main dans sa nuque et se craqua le cou pour se réveiller avant de me dépasser nonchalamment vers le bar. Quelque chose de scintillant attira mon attention sur la table basse. Un collier en forme d'épée. En sang.

— Tu m'écoutes coloc' ?

Je me tourne vers lui. Mes sentiments chamboulés.

Mon cerveau et mon cœur n'arrivaient pas à se mettre d'accord, et ça commençait à m'énerver. D'un pas rapide, je me retrouvai de l'autre coté du bar, face à lui, et attrapa violemment son poignet.

Sans prêter attention à la tasse vide qu'il tenait dans la main, je retourna son bras. Tout le tour. Ca faisait tout le tour. Et certaines étaient plus récentes que d'autres.

Pendant un instant, son regard rieur disparu, se contentant d'observer ma réaction. Il était bien là le problème : comment réagir ?

Il finit par souffler du nez en retirant sèchement son poignet.

— C'est pour me rappeler à quel point l'envie de t'arracher les yeux est toujours présente.

Je savais pertinemment qu'Eos avait toutes les raisons de m'en vouloir. Et que ce que je pensais semblait égoïste. Seulement, il subissait son choix de ne pas pardonner, je le voyais bien avec ses scarifications.

Et le pire, c'est que ça fonctionnait comme il le voudrait : ça m'impactait.

Tout ce sur quoi j'avais travaillé, le fait de m'accepter et d'avancer, il le réduisait à néant en me ramenant en arrière, pourfendant mon bouclier durement bâti par la culpabilité et le remord.

Il se mit à siffler un air joyeux, mais rangea la tasse qu'il avait prise, pour boire directement à la bouteille de son whisky d'une traite.

— Tu était insupportable avant aussi, mais pas comme ça, fit-il en s'essayant la bouche du revers de la main.

— Développe ?

Je croisai les bras alors qu'il me tournait le dos pour ranger la bouteille dans le frigo.

— Tu était plus sage. Pas un bouddha, non non non. Mais plus intelligente. Parce que tu savais que te mêler des affaires des clients n'était pas professionnel. C'était dangereux. Comme moi.

— Ce temps est révolu. Depuis...

— C'est trop tard, me coupa-t-il fermement en se retournant.

Un couteau en plain cœur. Il venait de me faire comprendre que c'était trop tard pour que je me préoccupes de lui.

— T'aimes te faire du mal ?

Ma voix parait plus faible que je ne l'aurait voulu, et pourtant, je n'ai pas pu faire mieux.

— J'aime ça. Faire le mal partout.

Il insista sur le "mal" en m'offrant une tête réjouie, retroussant le nez. Quel lunatique erratique. Mais même s'il cachait ça par de l'humour flippant, il l'avait dit. "J'aime ça."

— Ne me touches plus comme tu viens de le faire, reprit-il d'un ton à l'opposé. Beurk, termina-t-il avant de faire mine de frissonner.

Je savait très bien à quoi il jouait. Comme avant, il n'était pas à l'aise avec ses émotions. Et si avant il se contentait de se taire, maintenant il se cachait derrière de l'humour.

Mon portable sonna dans mon soutif, et Eos m'intima de répondre devant lui, en haut-parleur. Je décrocha en posant mon téléphone sur la table. Qui donc m'appelait à sept heures du matin ?

— Oui ?

— Rhéane Kei. Je ne vous ai jamais vue arriver à mon bureau.

Oh. La CPE. Je secouai la tête en souriant, les yeux d'Eos fixés sur moi. Ma vie de lycéenne me faisait rire, parfois, quand elle contrastait autant avec ma face cachée.

— Je n'ai pas besoin d'y aller.

— Ne jouez pas avec le feu, Mme Kei.

— En effet, c'est plutôt l'eau des toilettes.

Eos fronça les sourcils à mes mots, mais garda le silence.

— Et vous en êtes fière ?

Je pris une grande inspiration pour ne pas m'énerver.

— Je vous aime bien, vous savez. Pas en temps que CPE, mais en tant que personne. Alors redevenez Lauren O'Neill quelques instants. ( Elle parut surprise que je sache son prénom, celui qu'elle refusait que les élèves connaissent.) Sabrina n'est pas une fille intelligente. Et je ne suis pas une fille sage. C'est aussi simple que ça.

Mme O'Neill soupira à l'autre bout du fil, désormais sur les nerfs. Eos peinait à s'empêcher de rire.

— Rhéane, tu...

— Plus de Mme Kei ? Ai-je tué quelqu'un ? Fis-je d'un air innocent. Qu'on mette les choses au clair. Elle m'a cherchée, elle m'as trouvée. Il me semble que vous avez eu la version de Léo ? Ne vous triturez pas l'esprit trop longtemps. Prenez soin de vous.

A ces mots, je raccrochai. Hors de question que Sabrina me hante. Si je lui ai fait manger la cuvette, c'est pour être en paix. Et si elle en redemande autant, je me ferais une joie de devenir son génie de la lampe.

Un deuxième appel survint aussitôt. J'avais mis mon téléphone en mode avion tout la journée d'hier par peur qu'Eos me le prenne si je m'en servais. Mais a priori, il souhaitait juste être au courant de tout.

Mon visage s'éclaircit lorsque je décrochai, et Eos changea de position.

— Léo !

— Je crois que c'est la première fois que t'es aussi contente de m'entendre.

A vrai dire, sans doute. Ca me faisait du bien d'entendre quelqu'un qui ne me faisait jamais souffrir.

— J'ai fait ce que tu m'as dit, pour Zayn.

Eos arqua un sourcil, s'avançant sur la table en y appuyant ses deux avant-bras. Je croisai son regard furtivement, me concentrant sur Léo malgré les entailles de ses poignets dont je n'arrivais plus à me défaire.

— Je t'écoute.

— Déjà, il a beaucoup gagné en popularité au lycée. Et certaines rumeurs disent qu'il a du se passer un truc entre vous, vu que tu ne viens plus au lycée.

Eos leva les yeux au ciel en riant.

— Rhéa... Fit Léo d'un ton de mise en garde.

— Désolée, c'est la télé, mentis-je du tac au tac, continue.

Mêler Léo et Eos ? Jamais.

— J'ai continué à jouer au meilleur pote avec lui. Et t'avais raison, le mec qu'il a au téléphone sans arrêt, c'est pas Dixon, mais un genre de Darrel. Ça fout les jetons, il l'appelle "père" alors que je sais que ce n'est pas lui son père.

Silence. J'avais frissonné malgré moi. Le regard d'Eos était perdu dans le vide. Bien que c'était prévisible, l'entendre de vive voix me coupai le souffle.

Père. Darrel.

— Et... Déglutis-je. Tu as déjà vu son père ?

— Mh, nan, jamais. Il refuse que j'aille chez lui. J'était vexé. Il a justifié ça avec le fait d'avoir un petit frère...attardé. Bon il a pas dit ça comme ça mais t'as compris.

— Zayn a un frère ?

— Il faut croire, même si je ne l'ai jamais vu non plus. Peut-être qu'on l'a croisé à Red Mist sans le savoir ? Ah ouais, parce que je l'ai suivi là-bas. Dixon est sous sa botte, maintenant. J'sais pas pourquoi, mais apparemment il va te rendre visite bientôt.

— Qui ? S'enquit Eos sans pouvoir se retenir.

— Rhé...

— Qui, Léo ? Le coupai-je.

— Dixon. T'es ou là ?

Eos raccrocha.

— Collez là, fit-il en regardant derrière moi.

Je me retourna, nez à nez avec Dan, Lian et Chris. Mais soudain, l'horreur s'empara de moi. Je pris le visage impassible de Chris en coupe brusquement, comme si le monde venait de s'écrouler à mes pieds.

— Hé, qu'est ce que c'est, ça ? Fit-je d'une voix tremblante.

Chris fuyait mon regard. Alors je questionnait Dan des yeux, mais il imita son collègue. Ce qui ne fit que renforcer ma colère.

— Bordel, Eos ! M'écriai-je les mains tremblantes.

Une balafre partait du front de Chris et descendait jusque sa joue. Elle était récente, très récente vu comment elle était aussi...rouge et effrayante. Je n'imaginait même pas la douleur.

Non, non, non.

— Oui, c'est moi.

Un frisson de rage me parcouru, et je sauta par dessus le bar, encerclant le cou d'Eos de mes jambes pour l'étrangler. Il s'agrippa a mes cuisses et me posa violemment sur le bar dans un bruit sourd. Le souffle haletant, il me regardait.

En souriant.

— Enfoiré.

— Ce que tu ressens, c'est ce que je ressens pour toi à chaque fois que je me taille les veines, gamine.

Je frissonnai.

Dan me releva sans effort, retenant mes bras dans mon dos comme si j'étais une folle venant d'un hôpital psychiatrique.

Eos se craqua le cou avant de croiser les bras, s'appuyant contre le frigo.

— Sourire augmente l'espérance de vie.

— Je t'emmerde.

A ces mots, je me dirigea en hâte vers la porte d'entrée, mes gardes du corps sur les talons et les yeux d'Eos dans le dos. Et même sans me retourner, je savais qu'il souriait. Seul Lian était resté avec son patron.

Ma rage était telle que je tremblais de tout mon corps. J'avais été bien naïve pour croire qu'il ne les toucherait pas.

Je regardais mon téléphone, sans me préoccuper le moins du monde de ma tenue fine et légère, zieutant les messages du groupe de Phoenix. Avant d'appeler un taxi.

Il venait de me le rappeler : "J'ai changé."

Je me souviens, avant. Il n'avait pas beaucoup d'empathie pour les autres. Il disait "C'est pas mon problème, et le tien non plus."

Contrairement à moi, il était le dernier à se mêler des affaires des autres. A part quand ça pouvait l'amuser, qu'il en tirait bénéfice.

En revanche, quand il était question de moi, il ne me lâchait pas. On s'était engueulé à ce sujet. Je lui avait reproché de n'avoir aucune passion, aucun temps pour lui. Peut être était ce pour ça qu'il avait appris à coudre.

Dans la voiture, je saignais. Mes ongles s'enfonçaient continuellement dans ma paume tandis que la route défilai par la fenêtre. Dan le voyait, mais n'osait rien faire.

D'ailleurs, ils n'avaient pas ouvert la bouche une seule fois depuis le début du trajet. Assise entre les deux, je balança :

— Raconte moi, Chris.

Il hésita un moment, échangea un regard avec un Dan compatissant, avant de me montrer son col de smoking. Un micro.

Je n'hésita pas un instant pour m'en emparer et le détruire de mes mains, jetant les morceaux par la fenêtre. J'en fis de même avec celui de Dan, qui tressaillit. De peur, surement.

— Il n'y a rien à dire. J'ai fait une erreur, soupira Christopher.

Dan se risqua à poser tranquillement sa main sur la mienne pour m'empêcher de me faire saigner davantage. Mais ma colère était aveuglante et je ne me rendis pas compte de son geste.

Il était allé trop loin. Et pourtant, j'aurais du m'en douter.

Même si j'étais énervée, je préférais ressentir ça plutôt que de la peur. Parce qu'elle était là, la vérité : il me terrifiait. Et ça me rappelait cette nuit, lorsqu'il était apparu pour la première fois dans la ruelle sombre. Je refusais d'être terrifiée par lui, par celui que j'avais connu.

Et pourtant, je redoutais chacune de ses actions imprévisibles, lorsque je me retrouvai face à lui.

Il était devenu insensible au mal qu'il faisait, et une aura dérangeante émanait de lui dans ces moments-là. Etait-il vraiment le Eos d'avant ?

Il était effrayant...Et brisé. Toutes mes émotions s'entrechoquaient, comme a chaque fois qu'on avait le malheur de rester trop longtemps à coté l'un de l'autre. La peur, l'angoisse, l'inquiétude, la rage.

— Je ne referais pas la même erreur...Murmurai je a l'intention de Chris en fermant les yeux.

— Regarde moi.

Je m'exécutai, fixant ses pupilles bleues d'un air meurtri. Je me sentais faible, d'un coup.

— Je te l'ai jamais dit, soupira-t-il. Mais je suis déjà allé en prison.

J'entrouvris la bouche.

— J'ai eu de la chance, de ne pas avoir eu de cicatrice jusqu'ici. Et, c'est de ma faute. Ok ? Je voulais t'aider. Mais ce mec est dangereux. J'sais pas ce qui y'a entre vous, et je suis pas ton père. Mais je te laisserais pas seule avec un gars comme lui. Je suis ton garde du corps, c'est trop tard maintenant.

Une larme coula de mon œil droit malgré tous mes efforts pour la retenir. Le regard dur de Chris s'attendrit, ce que je n'avais jamais vu auparavant.

Il essuya ma larme de son pouce maladroitement, empêchant celle-ci de déferler le long de ma joue.

— Je suis fatigué, de toute cette violence, fit Dan.

Je me tourna vers lui, fixant sa main sur la mienne.

— C'est pour ça que je me sens obligé de te protéger à nouveau.

Je secouai la tête.

— Arretez-vous, ordonnai-je au chauffeur.

Le chauffeur du taxi se gara sur le trottoir, tandis que je fis mine de sortir. Dan sortit le premier pour me permettre de descendre, tandis que Chris suivit le mouvement.

Mais à l'instant ou je m'apprêtai à sortir, je claquai la portière en m'écriant :

— Verrouillez les portes, maintenant !

Chris s'acharna instantanément sur la poignée, me demandant à quoi je jouais. Dan se contentait d'observer la scène, un air peiné sur le visage.

J'abaissais la vitre, le cœur au bord des lèvres en voyant Chris s'acharner.

— Partez, maintenant, avant qu'il ne vous retrouve, dit-je avant de faire signe au chauffeur de démarrer.

Un crissement de pneus prit le dessus sur les cris de Chris. C'était bien la première fois que je l'entendais s'énerver. Et si un homme ne hantait pas déjà mes cauchemars, il m'aurait fait tout aussi peur.

Je venais de leur donner une occasion de s'en aller. Je ne pouvais pas les laisser braver Eos à ma place. Faire face au danger sans même être concernés.

Je pouvais, et je devais m'en sortir seule. Comme toujours.

Je priai de tout cœur pour qu'ils réussissent à s'échapper, et qu'ils m'obéissent moi plutôt que lui. Pour qu'ils s'éloignent le plus possible de moi et mes conneries.

L'envie de m'excuser auprès d'Eos s'envola dans les airs. Pas après ce qu'il venait de faire. Pas en sachant qu'il n'allait surement pas accepter mes excuses et m'envoyer bouler. Pas en voyant le monstre qu'il était devenu.

Une phrase de mon télépathe apparu dans mes pensées sans crier gare :

"Même les monstres rêvent d'amour."

Je secouai la tête. Ce n'est que rêverie.

Arrivée à destination, leurs éclats de voix heureuses firent battre mon cœur. Si eux allaient bien, tout allait bien. Je montai la falaise verdurée, fraiche et vive, et les rejoignit, me préparant à feindre la joie.

Ils étaient tous présents, à pique niquer sur une nappe quadrillée rouge, assis en cercle, le sourire aux lèvres. Alors je me refuse de tout gâcher, et de leur faire peur. Cette fois, c'est du sérieux. Cette fois, je m'attaquai à quelque chose d'incontrôlable, autant lui que mes sentiments, et la situation.

Je souris lorsqu'Ivy est la première à m'apercevoir. Elle me saute dans les bras alors que les autres s'exclament derrière.

— Asseyez-vous bandes d'imbéciles, lançai-je en riant.

Tous mes problèmes se dissipèrent d'un coup. Il n'y avait que moi, et eux, dans notre endroit favori, sans personne autour.

— Qu'est ce que tu fous en chemise ? s'enquit Liam alors que je m'assis à coté de lui en tailleur.

— Fais pas attention.

— Est-ce que ça va ? demanda Ivy la première.

Leurs regards se firent insistants.

— Ne vous préoccupez pas de moi, je vous assure qu'il n'y a rien de grave.

Mis a part un mec perché qui ne sait pas ce qu'il veut.

Ce sont des amours. Parce qu'ensuite, malgré toute l'inquiétude que je puisse lire dans leurs regards, ils redeviennent eux-mêmes.

Des attardés.

— Mais, Barbara, c'est quand ta compet de piano ? Faut qu'on vienne te voir, fit Connor d'un ton enjoué.

Mon regard se porte sur elle. Elle hoche la tête avec un sourire alors qu'elle lit ma question silencieuse. Tout va bien avec ses parents.

— Vous avez intérêt à tous venir sinon je fais la gueule. C'est dans quatre jours.

— Tu seras là, Rhéa ? Me demande Jake en attachant ses cheveux ondulés à cause du vent.

— J'essaierai.

— Hé, vous êtes fiers de moi ? Fit Connor en se mettant debout. J'ai fait du surf avec Jake, et je suis pas tombé comme les nazes d'à coté.

Il releva la manche de son t-shirt et embrassa son biceps.

On applaudi en sifflant comme si c'était une célébrité, et Joseph nous distribua des bières.

— On est pas bien là, fit-il.

— La richesse Jo, la richesse, lui répondit Barbara le sourire aux lèvres.

Ils se sourirent d'un regard profond. Ce devait être une référence entre eux.

— Ca fait longtemps qu'on à pas fait de la moto tous ensemble, fit Jo.

— Faut dire qu'on est tous pris à des moments différents. D'ailleurs cheffe, Move se porte comme un charme. Tu t'en doutes, mais grâce à ma cuisine de maitre, on a encore plus de clients, fit Liam une main sur le cœur.

— Je t'aurais pas embauché sinon, haussai-je les sourcils.

— Sans moi tu travaillerais même pas la bas, redescends, renchérit Barbara.

Liam, de par ses talents de cuisinier, s'occupait le jour de gérer notre chaine de restaurant. Et la nuit, il cuisinait pour le bar "Move", tandis que Barbara s'occupait de tout le reste concernant le bar. Je la trouvais parfaite pour ce rôle, étant donné qu'elle n'avait pas froid aux yeux.

De leur coté, Jake était en charge de notre entreprise de whisky, Connor de notre marque de lunettes, et Ivy aidait tout le monde. Elle était super utile, à nous aider chacun notre tour.

— Je vous avais demandé de vous renseigner sur Eos. Vous avez quelque chose ?

— On a pas trouvé grand chose, marmonna un Jake contrarié. Mais apparemment, c'est un espion reconnu pour faire cavalier seul depuis peu, et célèbre pour être comparé au joker fou.

— On sait le nombre de missions à son actif ? m'enquit-je.

— Non, aucune autre info mis à part que ce taré se fiche de tuer. Un genre de mix entre espion et mercenaire, continue Jo. Mais apparemment, il adore inventer des règles.

Comme moi à mes débuts.

— Comment il les tue ? Est-ce qu'il à quelque chose de particulier ?

— Il s'amuse à les effrayer juste avant, pour attendre le dernier moment, fit Ivy.

Ca, j'avais compris. Un silence m'entoura alors que je réfléchissais. Le fait qu'il soit un espion et surtout mercenaire, ne m'étonnait pas. Pourquoi se serait-il privé de tout ce qu'on lui avait forcé d'apprendre ? En revanche, contrairement à moi, il avait l'air de s'en ficher un peu plus de la mort.

— Est-ce qu'il tue encore, aujourd'hui ?

— On a rien d'autre, cheffe, me répondit Liam.

Un frisson de malaise s'empara de moi, mais je réussi à le cacher. Ma période de mercenaire s'expliquait par le fait que tout mon être était enragé. Je tuais par la colère, par l'envie de faire taire ces voix. Leurs voix.

Mais lui, lui y prenait gout. Il aimait tuer et regarder ses proies ramper de peur à ses pieds.

— D'ailleurs, cette soirée, folle ? Ou ennuyante à mourir ? Me questionna mon amie aux cheveux rouges en mimant ses questions par des grimaces.

Mon sourire apparu sur mon visage. Merci d'avoir changé de sujet. Quelle puissance et quelle extase j'avais ressentie lors de cette soirée. Me sentir comme la reine du monde. Que rien ni personne ne pouvait rien faire contre moi.

Connor me tapa amicalement l'épaule, impatient d'en connaitre les détails.

— ...Vous auriez vu comment il s'est énervé ! riai-je. On aurait dit un Angry Birds le petit Joe.

— C'est comme ça que tu t'es brulée, alors, fit Ivy le visage inquiet.

Je suivis son regard, fixant ma cuisse nue des yeux. Avec tout ce qui s'était enchainé, je n'avais pas pris la peine d'y faire attention. Il faut dire que j'étais habituée à être blessée. La douleur vivait sans arrêt, avec moi. Si Phoenix avait des ailes, elles étaient enflammées.

La brulure n'était pas si grave qu'on pourrait le penser. Je sentais ma peau tendue et irritée, mais les cercles rougis étaient moins grands que ma paume. Il est vrai que j'aurais du traiter le problème en temps voulu avec de l'eau froide, mais comment, au milieu d'une bande de trafiquants ?

— Je vais finir par croire que t'aimes la douleur, cheffe, me taquina Liam d'un air pervers.

Jake défit ses bras croisés afin de donner une tape amicale à notre chef cuisto. Mais il n'eut pas le temps de réagir face à Liam qui le plaqua au sol. Ils se bâtèrent pendant que nous continuâmes de parler comme si de rien n'était.

— En tout cas, t'étais très badass, très grr, fit Connor en me faisant rire.

— Je valide aussi, s'enquit Jo. D'ailleurs Ivy, j'te balance ou pas ?

Ivy écarquilla des yeux, paniquée.

— Ose et je te fais manger mes plantes.

Son changement de comportement nous firent rire. Elle était comme ça, Ivy. On pourrait se dire que ce n'était qu'une jolie rousse en harmonie avec les plantes et les livres et aussi gentille qu'un agneau. Mais elle en avait marre de se laisser faire et de ne pas être qui elle voulait.

— Tu oses être insolente devant ta supérieure ?

— Des gamins, provoqua Barbara à son tour.

— Alors toi, fit Jo en se levant vers Arielle.

Celle-ci leva légèrement la tête, soutenant son regard d'un air narquois. Mais Ivy s'interposa. Elle ne fit pas long feu, puisque Joseph la jeta sur son dos comme un sac de patates.
Elle se débattit en s'esclaffant, criant qu'elle avait trop mal au ventre à force de rire. Son sourire était contagieux.

Lorsque mon regard se posa sur Barbara, la seule avec moi qui ne se battait pas encore, je vis le regard qu'elle porta sur Jo et Ivy.

Je pouvais mettre ma main à couper qu'ils s'étaient rapprochés pendant que je m'étais absentée, et Barbara considérait Ivy comme une petite soeur à protéger à tout prix.

— Hé, chuchotai-je en cachant ma bouche de ma main vers son oreille. Elle a fait quoi comme connerie, Ivy ?

Elle rentra dans mon jeu en chuchotant à son tour, pas le moins du monde culpabilisée de la balancer :

— Elle à acheté dix nouvelles plantes pour la base. Et pas des petites. Elle était contrariée parce qu'on la surprise à essayer de te retrouver. Résultat, notre base est devenue une jungle.

Mon sourire s'élargit. Je me doutais qu'elle ne pourrait s'en empêcher. Une nymphe. Voilà à quoi me faisait penser Ivy. Une nymphe qui ne pouvait ignorer personne. Mais mon ton se fit plus sérieux lorsque j'ajouta :

— Ne laisse aucun de vous tenter de me retrouver si je ne viens pas de moi-même.

Elle me dévisagea, son sourire s'étant estompé. Elle venait de le ressentir. Que cette fois, ça pouvait être plus grave, plus dangereux.

— Tu vas te faire tuer ? Fit-elle catégoriquement sans chercher à tourner autour du pot.

Je secouai la tête négativement, vérifiant qu'ils ne nous écoutaient pas. Joseph s'amusait à trainer Ivy dans l'herbe, la tenant par les chevilles, tandis que Liam et Jake reprenaient leur respiration assez loin pour ne pas discerner nos murmures.
Connor avait décidé d'aller fumer près d'eux, se moquant d'eux en faisant mine de leur sauter dessus.

— C'est moi qui décides quand je mourrai.

Elle me fit les gros yeux spontanément, me montrant à quel point ce qui se passait ne lui plaisait pas du tout. Je lui coupai la parole rapidement de peur qu'elle hausse le ton.

— Barbara. Je te fais confiance, fais moi confiance aussi.

Elle serra la mâchoire, et je crus que cette fois, elle ne jouerais pas la comédie. Mais elle reprit son sourire à l'instant ou le reste du groupe revint vers nous.

Je me leva, faisant face à leurs sourires rayonnants, leur bonne humeur et leurs yeux rieurs.

— Vous savez pourquoi j'ai choisi Phoenix, comme nom ?

Ils se lancèrent des regards interrogateurs, avant que Jaky prenne la parole, essoufflé. Il se passa une main sur ses cheveux, les décollant de son front.

— Un Phoenix renait de ses cendres.

Je ne dis rien de plus, les regardant tour à tour dans un sourire bienveillant et fier. Parce que c'est ce que j'étais. Fière d'eux. De ce qu'ils avaient traversé. Et fière qu'ils aient accepté de me rejoindre.

Bon, OK, j'avais un peu forcé. Mais qu'est ce que j'avais dit ? Si je le veut, je l'obtiens.

— Ah, c'est le moment émotion, fit Barbara en se levant, ce qui fit rire Jo.

Ivy s'appuyait contre Jo, tentant de reprendre son souffle, un sourire rayonnant et ému aux lèvres. Jo ébouriffait ses cheveux roux, éclatants au soleil. à coté, Connor s'enfilait plusieurs bières en même temps sous les encouragements de Liam, qui l'incitait à tout boire au risque de ne pas être un vrai homme.

Celui-ci donna un coup de coude à Connor en comprenant que je venais de parler, mais qu'ils n'avaient pas écouté.

Les bières que tenait Connor se renversèrent sur son t-shirt blanc, le rendant transparent.

— Merde, j'étais déterminé là, rouspéta ce dernier.

— Je doute de ma sexualité, Concon, répliqua Joseph.

Ils échangèrent un regard avant de faire mine de s'embrasser, pendant que nos "Ouuuuh" s'élevèrent. Mais Jo s'interrompa en voyant le majeur levé de Barbara avant de lui rendre à son tour.

— Désolé mon pote, une prochaine fois, fit Jo d'un air maussade.

Mais soudain, des bruits de pas dans l'herbe derrière moi arrêtèrent net mon rire.

Je me retourna et me retrouva nez à nez avec Dixon, l'ancien patron de Red Mist.

Ses cheveux ondulés bruns étaient en bataille, et sa barbe ainsi que sa moustache avaient poussé depuis la dernière fois.

Au vu de mon corps tendu et du silence pesant, les garçons n'hésitèrent pas. Liam, Connor, Jake et Jospeh se placèrent devant moi, sur la défensive. Je ne pouvais voir que leurs dos.
Barbara et Ivy se placèrent à mes cotés.

La tension et la méfiance que je venais de ressentir avait été comme transmise à tout le monde en quelques secondes.

Il avait raison, Léo. Dixon était là.

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Heyyyy ! J'espère que vous allez bien !

Au début, j'étais pas très fière de ce chapitre, mais en continuant de l'écrire et en faisant quelques modifs, finalement il me plaît bien !

Que pensez vous de la relation de Rhéa et Eos ?
Et est ce que comme moi l'ambiance de Phoenix sur la pente vous as plu ?

Je vous avoue j'ai pas dosé le chapitre fait 5000 mots oupsi. Mais j'avais des choses à écrire et j'étais sûre vers où j'allais.

Kiss. 💋












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