37・Appel À L'aide
Eos Hunt.
Et moi qui croyait qu'en ayant Rhéa sous mon toit soulagerait mes insomnies. Quelle erreur. Ce qu'elle pouvait me taper sur les nerfs.
Toutes les trente minutes, je ne pouvais m'empêcher d'aller chercher un verre d'eau dans la cuisine, braquant mon regard sur sa porte de chambre comme si quelqu'un allait entrer pour la tuer dans son sommeil. Maudite famille. Maudite Rhéane.
J'avais grandi avec cette idée d'être toujours prêt à la protéger elle, face à toutes les situations, à tous les moments, que je ne contrôlais plus mon corps. Ils avaient formé une machine.
Mon verre d'eau à la main, éclairé par le halo doux de la lune, je fixai les étoiles à travers la baie vitrée de la cuisine. Il était sûr qu'elle était sur le point de me dire quelque chose, tout à l'heure. Mais quoi ? Ce devait sans doute être en lien avec notre conversation, juste avant.
Evidemment, que dans tous les cas elle allait continuer à lui lécher les biceps. C'était comme ça qu'elle gérait, maintenant. Et bordel qu'est-ce que je n'aimais pas ça. Ça m'amusait quand c'était dirigé vers moi, certes. Mais Zayn ?
Mais qu'est-ce que je foutais ?
Nan. En réalité, je le savais très bien.
Je laissai échapper un rire étouffé.
J'agissais selon mes envies, sans en avoir rien à foutre des conséquences. Elle l'avait surement deviné, mais j'aurais été un monstre si je ne m'étais pas interposé entre Zayn et elle. Je ne me rabaisserais pas à son niveau.
Comment avait-elle pu... ?
Oh et puis merde. Rien à foutre. Ce qui était fait était fait. Et elle allait en payer les conséquences. Le seul problème était qu'elle se sentait dans son élément, même en étant chez moi. Qui pourrait avoir une telle confiance en soi ? Peut-être imaginait-elle qu'en s'étant améliorée toutes ces années, elle me surpasserait. Mais contrairement à elle, j'étais né pour ça, pour me battre pour elle.
Faut vraiment que j'arrête avec ces verres d'eau.
Pile au moment où je pris la résolution de ne plus jouer au vampire, un bruit attira mon attention. Avec une rapidité qui manqua de me soutirer un torticolis, je me retournai vers la porte de Rhéa et sans réfléchir, fonça sur l'ombre d'un homme musclé qui s'apprêtait à ouvrir la porte.
Attrapant violemment son poignet avant qu'il ne pose ne serait-ce qu'un seul doigt sur la poignée, je plissai les yeux sous l'obscurité, et il en fit de même.
— Christopher, quelle surprise. Tu veux que je te raconte une histoire pour dormir ?
— Patron.
Christopher était beaucoup plus rebelle que Dan, qui n'osait que très peu croiser mon regard. En revanche, c'était la deuxième fois que celui-ci me toisait d'un regard déterminé. Comme si c'était lui, le patron. Je penchai légèrement la tête sur le côté tandis qu'il fixait ma main sur son poignet d'un regard sec. Alors je resserrai ma prise, et il reporta son regard sur mon visage, sans faire le moindre mouvement.
— Souris, la vie est belle. Et ça te rendrait peut-être plus...joli, le provoquai-je le sourire aux lèvres.
Ses yeux bleus restèrent avec une expression à la fois impassible, mais avec un fond défiant qui ne me plaisait pas.
— Lâche-moi.
Je soufflai du nez. Il ne prenait même pas la peine de me vouvoyer. C'en était désolant. Très. Pour lui. Mon sourire s'étira de plus en plus alors que je le relâchais, et il parut enfin se méfier.
— Qu'est-ce que tu comptais faire dans cette chambre ?
Il paraissait si hautain sans rien faire, si robuste et sans peur qu'une idée me traversa l'esprit. Oh que oui.
— Voir comment elle allait.
— A quatre heures du matin ? T'es très matinal dis-moi. Moi aussi, comme tu peux le voir. Viens avec moi, je m'ennuie.
Il me dévisagea, les mains dans les poches de son pyjama.
— Tu travailles pour moi la nuit et le jour, tout le temps, en fait. Ça veut dire que si je te demande de venir jouer, tu viens jouer avec moi. Ok ?
— Je te suis, finit-il par dire comme un adulte cédant au caprice de son gosse.
Parfait. Bon choix.
— Si un jour tu comptes rendre des visites nocturnes à ma coloc', préviens-moi. Deux garçons à son chevet, si ce n'est pas le paradis ça.
Il ne répondit rien, se contentant de me suivre à travers la maison pour finalement atterrir dehors, sur la pelouse. Il n'était vêtu que d'un pyjama simple, un ensemble décontracté de survêtement. Tandis que je préférais me trimballer en jogging gris, torse nu, laissant les tatouages qui me recouvraient le corps à l'air libre.
Nous nous positionnâmes à une distance d'environ cent mètres, pieds nus dans la pelouse. Il gardait toujours les mains dans les poches, et waouh ce qu'il pouvait ressembler à un ancien viking. C'était frappant, surtout avec son buzz cut et sa mâchoire carrée. Si j'avais eu peur de quelque chose, ce serait de lui.
Dommage !
— Alors, mon beau. Jouons. Tu m'as l'air d'être plus que joueur. Mais je vais te faire comprendre un truc. Tu perdras, parce que tu ne peux pas aider Rhéa. Tu sais pourquoi ?
Il ne répond toujours pas, alors je grommelle avant de changer de ton, enlevant mon sourire de mon visage d'une traite :
— Je t'ai posé une question.
Il effectue un petit sursaut de recul et dégage ses mains des poches, refermant ses poings. Un sursaut minime, mais je l'ai vu. Ça y est. Il a enfin peur.
— Non, je ne sais pas, patron. Je ne suis pas aussi intelligent que toi, faut croire.
Je me mords l'intérieur de la joue, mais ce n'est pas assez. J'explose de rire. Seule la lune nous éclaire, l'herbe est un peu humide, et le silence nocturne nous enveloppe. Enfin, jusqu'à ce qu'il me fasse rire, ce moineau. Mon rire semble le déstabiliser, mais il se reprends vite, comme s'il était déjà habitué.
Je vais briser ton ego, mon petit.
— Il y a déjà quelqu'un pour la protéger. Mais si tu es aussi têtu, viens. Montre-moi ta force.
— Très bien, si c'est ce que tu veux, fit-il avec un petit rire.
— Maintenant. Viens, je t'attends.
Je croise les bras d'un air narquois. Il n'hésite pas une seconde. Je savais que ça lui démangeait. Il était d'une nature beaucoup plus violente et agressive que Dan.
Il me lança avec son élan un jab quasiment parfait qui fit siffler l'air, face à lequel je me contente d'effectuer une esquive sur le côté. Manque de chance, c'était une feinte.
Je me prends son uppercut venant d'en bas avec une telle violence que je chancelle et décroise les bras. Il ne me laisse pas le temps de reprendre mes esprits. Rhéa ne le sait sans doute pas, mais ce gars a appris a se battre dans une prison. Et tout est permis dans ce genre d'endroits.
Je m'immobilise et souris alors qu'il croise mon regard avant de me porter un véritable jab, cette fois. Je passe ma main furtivement sur mes lèvres pour essuyer le sang de ma lèvre inférieur à présent fendue.
Mon sourire l'a à nouveau déstabilisé, et j'en profite, toujours souriant. Il n'a pas pour autant baissé sa garde, les pieds bien ancrés dans le sol et les bras contractés devant son visage.
Je vérifie mes appuis et contracte mon corps. Je sens toutes les fibres de mes muscles se resserrer et me concentre bien plus encore, sentant la chaleur m'envahir. Je lève ma jambe gauche et pivote sur ma jambe droite afin de lui porter un coup de pied sur le coté, en plein dans ses avant-bras. Il doit me prendre un débile, pour avoir visé en plein dans sa garde. Mais je sais ce que je fais. Ce qu'il faut, c'est briser son bouclier.
Certes, il était plus petit que moi, mais plus robuste et plus musclé. Cependant, il ne devait pas être si souple, pour pratiquer la boxe face à moi et le taekwondo. A vrai dire, je pratiquais plusieurs sports de combats en même temps. On me l'avait forcé, pour elle. C'était la seule chose dont je pouvais lui en être reconnaissant, et encore.
Christopher a reculé face au coup de l'impact et serre la mâchoire.
— Je ne suis pas rassasié, le provoquai-je.
— Moi non plus.
A ces mots, il s'élance de nouveau et glisse au sol. Il arrache de l'herbe au passage et me le lance à la figure alors qu'il me lance un coup dans l'intérieur du genou pour me faire chavirer. Ma jambe se plie, et je me rattrape d'une main au sol. Transversant tout le poids de mon corps sur cette seule main, je fais basculer mon corps dans les airs, et me retrouve à nouveau sur mes deux pieds, droit et rieur.
Mon adversaire se relève, essoufflé. Le cardio est son point faible et sa vitesse diminue, je le vois bien.
— Rends-toi. Non ! Attends. Je n'ai rien dit. Je vais te forcer à te rendre, fit-je en glissant ma langue sur mes lèvres.
C'est la première fois que je m'élance vers lui à mon tour, et ma rapidité ne dépasse peut-être pas la sienne, mais il y a là une différence frappante : je suis meilleur, c'est tout.
Mes appuis sont plus précis, propres et calmes. Lui, a force d'avoir fait affaire à des détenus, se bat avec une agressivité qui l'empêche de perdre la moindre seconde, et ainsi, préférer la rapidité aux détails.
Je lance mon genou droit vers sa poitrine, le pliant dans un angle parfait et un élan mortel. Il arrive à ramener ses bras de nouveau en face, en forme de croix. Mais cette fois-ci, mon deuxième impact s'ajoute au premier, et il ne peut ignorer la douleur. Il baisse les bras alors que je me décale à côté de lui et susurre à son oreille.
— Bang.
La seconde d'après, mon employé se retrouve face contre terre, la joue et le ventre dans l'herbe froide et la terre. Mon pied appuyant sur son crane sans aucune pitié.
— Elle est bonne, mère-nature ? Demandai-je avec un sourire fier qu'il ne peut malheureusement pas admirer.
Il se contente de grogner en se débattant, mais je le surplombe tellement qu'il n'a aucune chance de se relever. Je retire le collier que j'avais dans ma poche de jogging, et approche le pendentif de son visage. C'est un pendentif en forme d'épée, que j'ai taillé exprès pour ce genre d'événement.
— Les cicatrices font craquer les filles. Vois-ça comme une preuve de bienveillance.
Mon sourire s'élargi, comme si ses cris de douleur m'alimentaient. La lame de la minuscule épée est en train de lui laisser une grande ligne depuis son front jusque sa joue, passant de très près par le coin de son œil. Le sang forme une ligne et goutte le long de sa mâchoire.
— J'aurais pu faire bien pire, mon ami. La prochaine fois, rappelle-toi que tu n'es capable de rien. Et vouvoie-moi.
Je parle lentement, histoire que chaque mot rentre dans son esprit comme une comptine qu'il n'oubliera jamais. Après quelques instants à écouter son souffle haletant et son silence de défaite, je retire mon pied de son crâne et prends une voix enjouée en me dirigeant vers la maison.
— Rentre vite, il fait froid !
La puissance. C'est surement ce que doit ressentir Rhéa quand elle revêt son enveloppe de serpent et se faufile jusqu'à nos cœurs. Ce doit être ça, notre drogue à tous les deux.
Malgré l'énorme raclée que je lui ai mise, le sommeil ne vient pas. Je ne fais que me tourner, encore et encore dans mon lit, mais c'est peine perdue. Je pensais qu'en me défoulant un peu, le marchand de sable viendrait me trouver. Mais il faut croire que je suis sur sa liste noire.
La sensation d'être dans mon lit sans pouvoir dormir réellement m'est si insupportable que je décide de retourner dans le salon m'assoir sur mon canapé noir en cuir.
Hé. Toujours en vie ?
??? : Toujours, répondit sa voix douce et fatiguée dans ma tête.
Je souris. Elle n'aurait pas répondu, si elle n'en avait pas envie. Sa voix fatiguée est encore plus belle. C'était peut-être une mauvaise idée de me tourner vers elle, parce qu'elle venait de balayer d'une traite mon faible coté somnolent. Désormais, j'étais tout à elle.
Tu n'arrives pas à laisser le sommeil te conquérir ? Peut-être que moi...
??? : Non, non. Ne recommence pas tes conneries.
Elle ne me demande pas ce que je ne veux ni pourquoi je la contacte. C'est bon signe, elle a surement elle aussi besoin de discuter.
??? : Dis...Te moques pas de moi et réponds honnêtement.
Je suis tout ouïe gamine.
Elle ne relève plus les surnoms que je lui donne, peut-être y avait-elle pris gout, au final.
Ma tête se fait étrangement silencieuse pendant quelques instants, elle hésite. Elle parait encore être dans ce genre de moments émotionnels. Je me demande quel a été son déclencheur.
??? : Quel est le souvenir le plus heureux de ta vie ?
Quand j'ai eu mon premier fanclub, fis-je sans hésiter.
Pour la première fois, elle se contente de garder le silence au lieu de soupirer et me reprendre sur ma connerie. Ce qui a pour effet de m'inquiéter immédiatement.
Quoi, cette question, ce n'est pas pour mieux me connaitre ?
??? : Je vais t'étrangler.
Bah voilà, je la reconnaissais mieux là. Cependant, elle venait de me poser une colle. Je fis attention à contrôler mon esprit afin qu'elle ne puisse pas avoir accès aux souvenirs qui défilaient devant mes yeux. Et le pire, dans tout ça, c'était que ces souvenirs ne contenaient qu'elle. Rhéane Kei. Encore et toujours.
Je l'avais peut-être menacée de la hanter, mais c'était peut-être l'inverse au final. Quelle plaie cette fille. Mais ce qui me titillait le plus était que je n'avais vraiment aucun, absolument aucun joyeux souvenir sans elle. Mis à part les moments qu'on avait partagé ensemble, le reste était fade, comme dénué de sens.
Mes premiers souvenirs à propos de mon ancienne famille avaient depuis longtemps perdu de leur valeur, et les plus récents étaient atroces. Après avoir réussi à m'échapper, la suite n'était pas meilleure : j'étais perdu, au bord du gouffre, tailladé de toutes parts. Encore pire que maintenant. Et ma seule envie de vivre était de la retrouver elle. Pour ce qu'elle avait fait de moi.
Je pensais passer un bon moment nocturne sous les étoiles, en tête à tête avec ma télépathe, mais tu fais ressurgir de mauvais souvenirs, grognai-je en me passant la main sur la nuque.
Je m'allongeai de tout mon long sur le canapé, fermant les yeux pour ne me concentrer que sur sa voix, et laisse poser mon avant-bras droit sur mon front.
Je n'en ai pas.
??? : Aucun ?
Elle insistait vraiment. Peut-être qu'elle en avait besoin. Alors je finis par lâcher :
J'en avais, mais ils n'ont plus de valeur à mes yeux.
??? : C'est impossible qu'il ne t'en reste que des mauvais. Tu te paies ma tronche encore ?
Pas cette fois.
??? : Je t'oblige à en trouver un.
D'accord, attends. C'est juste parce que c'est toi. Mhhh.
Un souvenir banal suffirait sans doute. Alors je me creuse les méninges tant bien que mal, faisant des zigzags pour éviter toutes les Rhéa sur mon chemin.
Quand...raagh...Quand j'ai appris à coudre. J'étais content de moi. C'était... C'était la première fois que j'arrivais à faire quelque chose par moi-même. Sans que quelqu'un m'y force.
Je ne suis pas habitué à me confier. Alors j'hésite, je cherche mes mots et bafouille quelques fois. Loin du roi Eos, n'est-ce pas ?
??? : On te forçait souvent à faire quelque chose que tu ne voulais pas ?
Tous les jours.
??? : A toi, le grand télépathe arrogant et faisant frémir n'importe qui ? Fit-elle sarcastiquement.
Je soufflai du nez.
Ouais, faut croire. Et toi, alors ?
??? : Il y avait un garçon, avant. Tous les jours, on se voyait et on passait notre temps ensemble. Mais... Il est parti. Et ce n'est que maintenant que je réalise vraiment la chance que j'avais.
Comment ça, partit ?
??? : Il a choisi d'autres personnes plutôt que moi.
J'espère qu'il avait une bonne raison. Il était si important que ça, pour toi ?
??? : Oui. Il était le seul que j'avais. Il a fini par devenir ma bouée de secours pendant quelques instants, avant qu'elle ne se crève. Je n'ai fait que me répéter d'aller de l'avant, de ne jamais regarder en arrière. Après tout, il avait choisi de ne plus faire partie de ma vie. Alors pourquoi je me serais épuisée à l'y forcer ?
Je ne connais pas toute l'histoire. Mais ce qui est certain, c'est qu'en dépendant des autres, tu finis par te perdre toi-même. Et je parle en connaissance de cause, pouffai-je d'un rire triste et résigné.
Je ne saurais pas dire si notre capacité de télépathie entre nous était une bonne ou une mauvaise chose. Mais ce que je savais, là tout de suite, c'est qu'il était plus facile de se confier comme ça qu'en face à face. Je me sentais plus léger. Comme si je pouvais tout lui raconter d'une traite, sans me soucier de qui elle était.
Lui se rendra compte tôt ou tard que tu lui manques, si ce n'est pas déjà le cas. Et s'il ne regrette pas son choix, qu'est-ce que ça peut faire ? A quoi ça sert de se compliquer la vie lorsqu'elle l'est déjà assez ? Il a peut-être été un réconfort dans ton passé, mais aujourd'hui s'il n'est pas encore à tes côtés, c'est qu'il ne faut pas l'attendre. Enfin, j'suis télépathe moi, pas psychologue.
Cette fois, le silence dure plus longtemps, et je me retiens de lui demander si elle est toujours vivante.
??? : Mais tu ne crois pas qu'en étant aussi... Détendu et sans prise de tête, tu risques de faire les mauvais choix ?
Je réfléchis quelques instants. Notre conversation est à la fois triste et bienveillante, comme si nous étions solidaires et désespérés vis-à-vis de la vie et du monde. Et bizarrement, j'aime parler de ce qui nous entoure.
Qu'est-ce que ça fera, si j'en fais des mauvais ? Dans tous les cas, un choix apporte forcément des conséquences. Qui te dit qu'en faisant un mauvais choix nous seront forcément malheureux ? Peut-être que considérer un choix comme un mauvais ou un bon ne dépends que de notre perception des choses. Je ne t'avais pas dit de faire du yoga toi ? Enfin. Ecoute et retiens le conseil de ton grand maitre télépathe. A chaque fois que tu te demandes si tu dois le faire ou non, dis-toi : Et alors ?
Par exemple, la personne dont j'avais le plus besoin m'as appris que je n'avais besoin de personne. Et alors ? Je m'en suis sorti. Largement. Elle aussi, d'ailleurs. Et alors ? est-ce que...
Soudain, je m'interromps. J'ai beau dire ce que je veux et jouer au beau parleur, je n'étais certainement pas en position de parler. Parce qu'en réalité, Rhéane Kei me contrôlait entièrement. C'était un cas spécial vu ce qu'on avait traversé, certes. Mais alors pourquoi j'avais ressenti ce besoin de la retrouver au lieu de simplement continuer ma vie ? Elle m'avait abandonné, alors pourquoi moi je n'en étais pas capable ?
La réponse, juste sous mes yeux, me blessa tel un couteau en pleine poitrine.
Je dépendais d'elle, et je l'avais toujours été. Mais pas elle.
??? : Tu dors ?
Non. T'as choisi la mauvaise personne pour t'aider, je ne peux rien pour toi.
??? : Mais tu...
Écoute, ne fais pas comme moi. Va de l'avant.
??? : C'est bien ça le problème, quoi que je fasse, il me retrouvera. Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne pourrais jamais. Je ne suis pas la sainte dans cette histoire, tu sais. S'il y avait un héros, ce serait lui, pas moi.
Je ne sais pas pourquoi, mais je commence à m'en vouloir réellement. Je commençais à beaucoup l'aimer, ma télépathe. Mais elle semblait à coup sûr encore tenir à ce mec. Qu'avait-il fait pour la faire autant souffrir ?
Donne-moi le nom de ce gueux, qu'on en finisse. C'est facile d'entrer chez quelqu'un par effraction, tu sais ?
??? : Jamais de la vie. Contente-toi de ce que je te donne comme informations. J'arriverais bien à gérer ça toute seule tôt ou tard. De toute façon, je n'ai pas le choix, il m'y oblige.
Et c'est une mauvaise chose ?
??? : Je...
Elle soupire longuement.
??? : On est peut-être simplement tous les deux perdus...Vu ce qu'on a traversé lui et moi, c'est compréhensif. Je pense que si je remontais le temps, j'agirais exactement de la même façon. Mais je ne veux pas me trouver d'excuses non plus. Bordel ce que c'est compliqué !
Oulah, par pitié, sers-toi une tasse de thé. Ça détend. Parce que là, toutes tes pensées sont en train d'agresser ton psy. Je suis vexé.
??? : Imbécile.
Je souris.
Tu sais ce que je ferais à ta place ?
??? : Accouche.
Je laisserais les choses se faire. Ce que tu me racontes me donne le tournis. Et je suis encore moins en position de t'aider. Alors reste toi-même et regarde ce qui se passe. S'il te retrouve à chaque fois, comme tu dis, c'est qu'il doit attendre quelque chose de ta part. ça n'as pas l'air d'être ton cas.
??? : Non... Pas vraiment. C'est pour ça que j'essaie de comprendre ce qu'il est venu chercher. Mais il est tellement... Insaisissable. Enfin. T'es peut-être un imbécile et un télépathe en carton, tu m'as été utile cette fois.
C'est un milliard la séance.
??? : Mon cul c'est du poulet.
Je lâche un rire sincère. Nous restons bien à parler encore une heure, avant que l'un de nous deux s'endorme sur le débat entre l'amitié et la famille. Et curieusement, nous sommes du même avis. Seulement, mon sommeil se transforme vite en cauchemar.
FLASHBACK -
Je n'ai jamais vu Rhéa trembler autant. Si bien que je me demande si elle n'est pas en train de faire une crise d'épilepsie. Je l'ai sortie des toilettes, parce que c'était évident : quelque chose n'allait pas. Depuis cette semaine, elle est bien plus distante, souvent perdue dans ses pensées.
Et ça lui as pris d'un coup. Je ne savais pas quoi faire, alors j'ai continué d'être moi-même, de faire de l'humour sans arrêt pour lui changer les idées. Mais si j'y arrivais, elle replongeait aussitôt. Comme si elle se rappelais de quelque chose à chaque fois qu'elle s'autorisait à rire.
— Rhéa, hé. C'est moi. C'est Eos.
La voir aussi faible, aussi fragile brise quelque chose en moi. Jusqu'ici, j'avais toujours fait en sorte que ça n'arrive jamais. J'ai échoué. Mais où ?
Je resserre mon étreinte autour d'elle, l'enveloppant de mes bras. Nous étions collés à la porte de la chambre, que j'avais refermée en hâte pour éviter les regards de maman. Le plus bizarre, dans tout ça, c'est qu'elle ne cherche pas à venir réconforter sa fille.
— Rhéa. Bouge.
Elle réagit, enfin, et tourne la tête pour me regarder. Mais ses tremblements ne cessent pas.
— Respire, cale-toi sur ma respiration, regarde-moi. Et bouge.
Bouge. C'était le mot que je lui disais souvent, lorsqu'elle avait peur ou qu'elle était stressée. Parce que même si elle ne le montrait jamais, elle se prenait tellement la tête que ça la dévorait. Et lorsque je lui ordonnais "bouge", elle savait. Elle savait que c'était inutile, que tout irait bien et qu'elle devait arrêter, prendre les choses en main et agir au lieu de penser.
Je garde mes bras autour d'elle et garde le contact visuel pendant qu'elle respire de plus en plus lentement, faisant cesser ses tremblements. L'atmosphère par la suite est indescriptible. Elle se dégage de mon étreinte en murmurant un faible remerciement, et refuse de croiser mon regard jusqu'à ce qu'elle m'informe aller dormir.
Je ne veux pas la brusquer. Alors je me contente d'éteinte la lumière et de me coucher auprès d'elle. Mais elle n'arrive pas à dormir, et moi non plus. Si j'étais tactile et pas aussi maladroit, je lui aurais déjà pris la main, ou quelque chose du genre. Mais je me contente de remettre correctement la couverture sur elle, et glisse une de ses mèches derrière son oreille.
Elle prend alors la parole d'une voix faible mais toujours aussi douce, et me demande dans un murmure :
— Tu as déjà pensé à partir d'ici ?
— Tu veux partir ?
Elle hésite. Elle me tourne le dos, et je sais qu'elle ne se retournera pas pour me regarder en face. Pas ce soir. Mais qu'est-ce qu'il lui prend, tout à coup ?
— Rhéane...On a tout ce qu'il nous faut, ici. Tu ne peux pas imaginer la chance qu'on a d'avoir cette famille, un toit et de la nourriture. Même si c'est délavé et ancien. Ou est-ce que tu irais ? Pourquoi penser à partir maintenant ? tu es encore jeune, contente-toi de profiter et de t'amuser. Un jour, tu seras aussi vieille qu'une chaussette je te signale. Mémé Rhéa.
Elle se retourne finalement bien que je ne puisse pas la voir dans le noir, et me pince la joue.
— Ne me traite pas de vieille, nigaud.
Je souris.
— Expression de vieille. Tu ferais mieux de dormir, si les petits ne dorment pas assez, ils ne pourront pas assez pousser ! Enfin toi, j'ai plus trop d'espoir...
A ces mots, elle rugit avant de me sauter dessus, me donnant des coups de pieds autant qu'elle le pouvait.
— Non mais je rêve.
Nous nous battons une dizaine de minutes, renversant les draps et les coussins. Elle s'est remise à rire. C'est un bon point. Puis, gagnés par la fatigue, je somnole alors qu'elle me parle encore.
— Tu ne veux pas savoir ce qu'il y a au troisième étage ?
— Mhhh... Nann.
Sa voix me parait de plus en plus lointaine, et mon cerveau oscille entre le désir de dormir et la concentration qu'il me faut afin de percevoir les murmures de Rhéa.
— Si je pars, tu partirais avec moi ?
— Mhh...Avec...avec toi ? Tu sais bien qu'ils ont besoin de notre aide...
Elle ne répond pas, cette fois, et j'ai l'impression d'être somnambule alors que je rajoute, la voix pâteuse.
— Apprends...à aimer ce que tu as.
Alors que les ténèbres ont enfin gagné la bataille et m'emportent vers un sommeil profond, je ne suis pas sûr de ce que j'entends, mais n'arrive qu'à discerner un mot au milieu.
— ...désolée...
C'était la dernière fois que nous nous sommes battus comme des gamins
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Hey ! Comment vous allez ?
Que pensez vous de la nouvelle couverture de Move ? Je trouve qu'elle est plus en lien avec l'histoire que celle d'avant et qu' elle fait pro, on dirait que je suis éditée carrément ahah.
Comme d'habitude, n'hésitez pas à me faire part de vos impressions !
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