36・Pièce Secrète

⚠️TW : cannibalisme.

Rhéa Kei.

Pourquoi diable ce crétin, cet imbécile d'Eos ne m'avait pas mise au courant ?

Lorsque nous étions tous les trois sur scène, je n'avais pas vraiment prêté attention à leur discussion entre males alpha. L'idée de prendre les jambes à mon cou pendant que ces deux-là se livraient bataille m'avait frôlé l'esprit. Néanmoins, je ne voulais pas mettre des bâtons dans les roues à Dan et Chris, et qui sait ce que ce sadique leur ferait, si jamais ils n'arrivaient pas à me retenir ?

Bon, je devais l'admettre, ce n'étais pas seulement pour ça que j'étais restée. C'était ma foutue curiosité à l'égard d'Eos. Et malheureusement, celle-ci avait guidé mes pas vers eux.

Et au fur et à mesure que je m'étais approchée, j'avais pu deviner sans grande peine au bout de quelques phrases ce dont il s'agissait.

"Et tout seras en ma faveur lorsque je serais en couple avec la cheffe de la famille."

Moi. Celle qu'ils avaient choisi comme successeur. Celle sur qui ils avaient jeté leur dévolu, sans même penser à sa liberté. Ni à son enfance ruinée.

Cette chose qu'ils avaient brisé en moi avait fait celle que j'étais aujourd'hui. Et malgré les pansements de Phoenix, le sang continuait de couler. Il tacherait encore et sans cesse ces robes blanches.

Alors Eos savait. Il m'avait prévenu, mais pourquoi ne l'avait-il pas fait avec des mots clairs et précis ? Pourquoi tourner autour du pot ?

Remarque, maintenant que j'y pensais, il était doué pour ça, ne jamais tout révéler. Il estimait surement que c'était la meilleure chose à faire, ou que ça n'en valait pas la peine. Mais si cet idiot m'avait dit dès le début que ce connard de Zayn faisait partie de la secte et projetait de m'y ramener de force, ça aurait tout changé.

Le pire était qu'il disait m'aimer. Mais ses paroles restaient démesurées. Je préférais échapper aux envies meurtrières d'Eos que retourner là-bas après avoir passé deux ans à les fuir.

Sous le choc, je m'étais grillé un paquet entier à l'extérieur de la maison, juste devant la baie vitrée de ma chambre. Chris s'était risqué à presser Eos pour partir de Red Mist. Léo était le seul à m'avoir déjà vue dans cet état, et Chris ne pouvait pas rester sans rien faire.

Désormais, après avoir enchainé une quinzaine de cigarettes et toujours sans parler, je laissais Dan s'occuper de moi. Si Chris était de nature à agir et à bouger, Dan priorisait le réconfort et les attentions à mon égard. Et je commençais à m'en vouloir, parce que même s'il me parlait depuis tout à l'heure, au risque de se faire engueuler par son patron, aucun son n'arrivait à sortir de ma bouche. Les mots restaient coincés, et je finis par abandonner. Mais pas lui.

Je poussai mes cheveux sur le côté pour lui libérer mon dos, de sorte à ce qu'il puisse me défaire ce corset qui semblait s'être resserré au cours de la soirée. Chris était resté avec Lian je ne sais où dans cette villa.

— Un jour, alors que nous jardinions ensemble avec ma mère, une coccinelle s'est posée sur mon doigt, me raconte-t-il intimement tout en trifouillant mon corset. Elle m'a dit que je devais faire un vœu avant qu'elle ne s'envole, alors j'ai fermé les yeux. Et tu sais ce que j'ai demandé ?

Je ne réponds pas, mais il continue d'une voix calme et apaisante.

— J'ai demandé à ce qu'on soit toujours heureux, ma famille et moi. Mais ce souhait, c'est toi qui l'as réalisé.

Je me retourne et l'interromps dans ses mouvements. Il rabaisse les bras le long de son smoking et m'observe avec affection. Je ne dirais pas que c'est de la pitié. Mais c'est sa nature, il veut et désire le bonheur de tous. Et à ce moment-là, je me sens en sécurité. Pas physiquement, non. Mais parce que je sais qu'il veille sur mon état moral avec bienveillance.

— Je n'ai plus besoin de coccinelles, parce que je t'ai toi, et que tu m'aides chaque jour. Sans toi je vivrais encore dans mon ancien taudis qui sentais les épices et la cigarette.

Je souris, et il me le rendit. C'était d'une chaleur enveloppante, sincère, et qui ne voulait que mon bien-être.

— Seigneur, je peux prier pour toi tous les soirs s'il le faut. Mais tu n'as pas besoin de coccinelles non plus, je suis là aussi. Et ton ami Christopher aussi. C'est un gentil bonhomme, je l'aime bien.

Jamais je n'aurai imaginé Dan et Chris se rencontrer un jour. Certes, ils avaient tous deux une certaine carrure. Mais c'était comme assembler un viking avec le marchand de sable. Et cette idée me fit sourire de plus belle. Il était bien mieux qu'ils se serrent les coudes au lieu de se détester dans cette situation. Même si les valeurs bien arrêtées de Chris pouvaient causer parfois problème rapidement dans ses relations sociales, Dan était celui qui passait l'épreuve haut la main.

— Tourne-toi ma belle, m'intima Dan.

Je m'exécutai. Son petit discours et ses paroles réconfortantes depuis que nous sommes rentrés m'ont calmée avec une vitesse folle. Il venait de me faire un massage spirituel.

Alors qu'il se remettait à défaire les fins rubans noirs du corset, je pris enfin la parole.

— Merci de continuer à me faire confiance, même en étant entrainé dans une histoire dont tu ne connais même pas le début.

— C'est normal. Ça ne me coute rien de te faire confiance contrairement aux factures, fit-il d'une voix désespérée et blagueuse.

Je ris face au changement de ton qu'il vient de prendre. Mais alors qu'il s'arrête soudain de parler pendant quelques minutes pour la première fois depuis que nous sommes arrivés, je m'inquiète et décide de relancer.

— Tu as bientôt fini ?

— C'est beau, mais long à défaire.

Ce n'est plus la voix de Dan.

Je tente de me retourner brusquement, mais ses mains me forçaient à rester dos à lui. Foutu Eos.

— Laisse moi faire.

— Rends-moi Dan.

Il ne répond pas. Ses gestes sont doux et délicats. C'est surement de cette manière qu'il a cousu la robe. Mais ce silence ne me plait pas. Pas lorsque nous sommes en tête à tête tout en sachant ce qu'il s'est passé à Red Mist, et ce qu'il se passe entre nous. Alors je ne peux m'empêcher de me mordre la lèvre inférieure, priant pour qu'une fée accélère le temps.

— T'as enfin compris ? Finit-il par lâcher.

Et je comprends qu'il fait allusion aux objectifs de Zayn.

— J'ai compris.

— Tu l'aimes ? Enchaine-t-il comme s'il attendait de poser cette question depuis le début.

Pourquoi voudrait-il savoir ça ? Avait-il vraiment peur que je parte avec Zayn ? Dans cet endroit maudit ?

— Tu te fiches de moi ? Ne pus-je m'empêcher de sortir, ahurie.

Il ne dit rien. J'imagine alors qu'il a sa réponse et qu'il va se contenter de ça. Ce moment est assez étrange, mais familier. Parce que je le connais. Malheureusement pour lui.

S'il peut être un véritable blagueur sarcastique, les moments où il est aussi calme que de l'eau de roche et fais des phrases courtes font aussi partis de lui. Ce sont généralement dans ces moments précis qu'il se perd dans ses pensées.

Et c'est dangereux pour lui, parce que le silence est parfois plus parlant que les phrases en elle-même.

Par curiosité, je ne peux m'empêcher de sortir la première phrase qui me vient à l'esprit, malgré le fait que ses mouvements dans mon dos attirent toute mon attention.

— J'ai des standards très élevés.

Je l'entends souffler du nez et devine son sourire en coin avant qu'il ne finisse par lancer d'une voix mielleuse comme je lui reconnais bien :

— Tu ne me fais pas peur, boucles noires.

— C'est pour éviter les mauvaises expériences, continuai-je de le provoquer.

A cet instant, je le remercie de ne pas être face à moi, parce que je ne peux pas m'empêcher de sourire.

— Ne juge pas avant d'avoir gouté.

Cette fois, je ne trouve rien à redire. Il m'a clouée le bec avec brio. Parce que ce qu'il vient de me dire est lourd de sous-entendus, et il le sait. Pourtant, je ne suis pas sure qu'il veuille vraiment me dire ces choses-là.

— J'ai fini.

Je me retourne tout en retirant mon corset, plongeant mes yeux dans les siens. L'eau rencontrant la terre.

Son sourire s'est évanoui sur ses lèvres, et le mien également. A présent, nous nous dévisageons comme sur la scène, tout à l'heure. Il finit par ouvrir légèrement la bouche, mais se ravisse d'un visage impassible. Je hausse les sourcils, l'air confiante.

— Ne sois pas timide. J'écoute.

Il souffle du nez une nouvelle fois, et ce qu'il dit me retourne l'estomac autant que mon cœur.

— T'es pas croyable.

C'est une phrase qu'il me sortait souvent, avant. Une phrase qu'il lâchait quand je fessais quelque chose qui le surprenais, ou quand je n'en faisais qu'à ma tête, ce qui lui soutirais toujours un sourire. Et je lui répondais toujours par...

— La vie n'est pas un long fleuve tranquille, fis-je en chuchotant.

...Histoire de lui faire comprendre que je ferais ce que je voulais de ma vie.

Il semble scruter mes pupilles comme pour y dénicher mes pensées les plus profondes, mais elles sont bien au fond, verrouillées à double tour. Notre échange est en train de nous impacter tous les deux, et je ne sais pas comment réagir. Par chance, il y met un terme le premier.

— Ridicule.

Je lui lance un regard interrogateur, les sourcils froncés. Mais il l'ignore royalement et me tourne le dos. Je n'aurais pas dit mieux.

— Eos.

Seulement, je veux des réponses à mes questions.

Il s'arrête à quelques pas de la porte et semble hésiter. Alors j'enchaine.

— Tu aurais dû me dire ce qu'il comptait faire.

Je le vois porter une main à sa nuque avant qu'il ne se retourne à nouveau face à moi, s'appuyant contre la porte de manière nonchalante. Il comptait ressortir vainqueur de cette discussion, avait-il d'autres tours dans son sac pour me faire croire qu'il avait pris la bonne décision ?

— Rhéane.

Je me rends compte que je me mords toujours la lèvre, et arrête brusquement en attendant qu'il continue.

— Je sais ce que tu comptes faire. Tu agis tellement...Ce que j'ai appris, en t'observant vivre ta nouvelle vie, c'est que tu t'es développé une manière de penser qui t'aide à survivre. Et je sais que tu comptes être l'amie de ton ennemi, comme toujours. Et je sais à quel point, putain, que tu es têtue. Tu vas continuer à essayer de te rapprocher de Zayn, pour me faire croire, et pour te faire croire que ton passé ne t'effraye plus.

Je me pétrifie. Je n'avais pas encore réfléchi à la manière dont j'allai me comporter avec Zayn, mais il allait sans dire qu'il avait prévu avant même que je n'y réfléchisse moi-même, mes propres actions.

— Et alors ? Fis-je sur la défensive.

L'atmosphère nostalgique et bizarre de tout à l'heure n'était plus. Il me terrifiait, et m'énervait sans que je ne puisse rien contrôler. En revanche, lui me parlait d'un air aussi détaché que possible.

— Et alors ? Que je te l'aie dit ou pas, qu'est-ce que ça aurait ch-

— Il veut me ramener là-bas ! Finis-je par m'écrier. Tu aurais dû me le dire ! J'aurais de l'être au courant.

Zayn aurait pu s'en prendre à Phoenix, lorsqu'il nous avait rejoint. Il avait eu tellement d'occasions de s'en prendre à moi, et il n'avait pourtant rien fait. Et ça me dégoutait. Il me parlait dans l'unique intérêt de la secte, en espérant se rapprocher de moi intimement pour ça. Et même si j'étais devenue très méfiante envers lui, je ne peux pas m'empêcher d'être déçue, vu comment il était le seul à prendre soin de moi, à me permettre de m'échapper.

Mais en vérité, il m'offrait une porte de sortie pour mieux m'amener vers une autre porte.

— Je ne l'aurais pas vu de la même manière. Oui, j'aurais continué à l'approcher, mais avec du dégout en moi. Et ça change tout. Et tu sais quoi ? C'est ce que je vais faire, maintenant.

Il ne réagit pas, comme s'il s'y attendait. Et j'imagine que c'est le cas. Je suis donc aussi prévisible, pour lui ?

— Tu m'as emmené ici pour me garder avec toi plutôt que tu ne me voies avec Zayn. Tu crois que ce n'est pas facile à deviner ?

Tout son corps se tends, mais il ne fait pas le moindre mouvement ni la moindre expression. Mais je veux le voir craquer. Il va craquer. Alors je continue.

— Tues-moi.

S'il me tuait, ce serait plus facile pour lui et Zayn.

Je sors un pistolet de la table de chevet. C'est celui qu'il a utilisé la première fois qu'il m'a tirée dessus, sans l'ombre d'un regret dans le regard, me laissant pourrir par la suite dans la ruelle. Il l'avait surement laissé dans ma chambre exprès, pour me le rappeler. Et ça aussi, ça m'énervait. Parce qu'il savait que je ne pourrais jamais le tuer.

Je m'avance vers lui l'arme en main, avant de le forcer à la prendre à son tour. Je colle alors la pointe du fusil au niveau de mon cœur, pendant que mes deux mains sont sur les siennes. Et le défie du regard.

Soudain, son sourire en coin réapparait, et il semble se moquer de moi. Je le scrute avant de sentir un mouvement entre nous.

Il a pressé la gâchette.

— Tu ne veux pas mourir, gamine. Pas alors que tu as eu la vie que tu voulais, n'est-ce-pas ?

J'avais vidé les balles dès que j'avais trouvé l'arme dans le tiroir. Simple précaution étant donné que je n'utilisais jamais d'arme à feu. Il le savait sans doute aussi.

Il se dégage de mon emprise et jette l'arme à terre sans cesser de sourire.

— Ce qui est fait est fait, dommage, je n'ai aucun regret, dit-il d'une voix arrogante.

Evidemment, il avait su qu'il n'y avait pas de balles. Parce que contrairement à moi, c'était son arme favorite, il était plus doué que moi là-dessus. Mais de tout ce qu'il me montrait, il n'allait pas me tuer de sitôt, surtout après ce qu'il avait dit à Zayn. J'allais rester encore là longtemps, et s'il pensait pouvoir me garder ici sans me dévoiler ce qu'il ressentait, c'était peine perdue.

Il s'enfermait de lui-même avec moi.

— Je ne vois pas ta vengeance arriver bien vite. Tu as changé d'avis ?

— Tu as toujours été impatiente, ne gâche pas tout. Apprends déjà à t'estimer heureuse de pouvoir voir mon visage tous les jours.

Et alors qu'il franchit la porte, me laissant seule, je sais que j'ai gagné. J'ai réussi à le faire passer sous pleins d'émotions différentes. Et j'ai compris ce qu'il cachait.

Nous avons grandi ensemble, avons traversé la même chose. Et sa part d'humanité est bien présente : il refuse de me laisser une nouvelle fois entre leurs mains, malgré ce que je lui ai fait.

Il venait de gagner aussi.

Il avait réussi à encore me faire culpabiliser. C'était une des raisons pour lesquelles je pouvais lui faire confiance les yeux fermés, avant. Parce que n'importe quelle décision qu'il prenait sans m'en donner tous les détails, c'est qu'il l'avait prise en fonction de moi.

Certaines choses ne changeraient jamais.

Il avait été lui-même mon garde du corps, il avait dû s'entraîner si dur, tous les jours, pour être capable de me protéger dans toutes les situations inimaginables. Peut-être cela s'était-il ancré en lui ?

Il faut que je lui parle. Il faut qu'il sache que si j'avais eu le choix, je serais partie de cet endroit maudit avec lui, mais on ne m'avait pas laissé le temps. Ni eux, ni mon cœur affolé.

Flashback.

Depuis l'autre jour où je les ai entendus parler dans cette pièce qui m'était interdite, je n'ose plus m'y approcher. Depuis cette nuit. Seulement, cette fois-ci, depuis ma chambre juste en face, j'ai entendu mon prénom.

Sur la pointe des pieds, je me suis hissée hors du lit, essayant de ne pas réveiller Eos.

Depuis quelques temps, il n'avait pas eu besoin que je lui demande. Il était venu dormir avec moi chaque nuit, depuis qu'il m'entendait moi et mes cauchemars. Et je lui en étais reconnaissante.

Ma chambre faisait partie du deuxième étage du vieux manoir. Les escaliers, le parquet et les portes grinçaient atrocement. Mais l'habitude m'avait permis de poser les pieds là où il fallait pour me faire discrète.

Le troisième étage nous était interdit, à Eos et moi. Maman nous disait qu'il était sale et poussiéreux parce qu'ils ne s'en servaient pas. Mais pourquoi y allaient-ils si souvent ?

Le pire était qu'avant cette nuit, il y avait une semaine, je ne m'en étais pas rendue compte.

Avec précaution, je m'extirpai de ma chambre, me dirigeant vers celle d'en face où ma mère venait d'entrer.
Collant mon oreille à la porte, je ne me faisais pas de soucis. Cela faisait une semaine que je les surveillais, et ils restaient dans cette pièce toujours de vingt heures à vingt-deux heures.

Il était vingt et une heure. Eos avait dû arrêter mon réveil de vingt heures, croyant que je m'étais trompée.

Rhéane... Bizzare...

Je collais le plus possible mon oreille pour percevoir les phrases entières, et retenu mon souffle. Je connaissais la plupart de ces voix. Celles qui déjeunaient avec moi le matin, qui me disaient bonne nuit tous les soirs.

Tu ne trouves pas ? Ça fait une semaine qu'elle parle de moins en moins. Même Eos ne sait pas ce qu'elle a.

— Peut-être qu'elle n'a pas le moral ?

 Ou alors...

Un silence pesant.

Se pourrait-il qu'elle sache ?

Merde, si c'est le cas, je vous l'avais dit. Je savais qu'on aurait dû tout lui montrer quand elle était petite. Elle aurait trouvé ça normal, aujourd'hui.

Pas de conclusions hâtives. Elle s'est peut-être disputée avec Eos ?

On ne dirait pas pourtant. Il est venu me voir hier pour quasiment me supplier de lui offrir de nouvelles chaussures. Apparemment, elle n'osait pas me demander elle-même. Il a précisé des noires, et m'as tenu tête alors qu'il savait très bien que les blanches sont la couleur de la famille.

Pourquoi voulait-il des noires ?

 Aucune idée.

Un nouveau silence.

 Tu es sûre de la vouloir comme successeur ? Ces derniers jours, elle semble réticente à l'idée d'effectuer ses missions habituelles.

C'est une battante, comme moi, elle s'en sortira. Et elle peut compter sur Eos. Passe-moi le mollet, on va voir si tu t'es amélioré en cuisson.

Cette dernière phrase me fait instantanément porter ma main à ma bouche. Je peine à tenir debout.

 C'est qui cette fois ?

 Un père de famille à qui Eos a indiqué le chemin pour ensuite l'inviter à dîner chez nous. Il n'a peut-être pas les atouts physiques de Rhéa, mais il doué quand même.

Mon souffle s'accélère alors que sa phrase tourne en boucle dans ma tête.

Un père de famille. Un père. Qui allait sans doute retrouver ses enfants chez lui.

Et qui est maintenant... Dans... Dans des assiettes.

L'air me manque. J'aurais dû m'y attendre, je le savais pourtant. Mais les entendre en parler comme si c'était normal, et de la bouche de ma mère ?

Alors que j'aperçois Eos me demander en chuchotant ce que je fous du coin de l'œil, je cours vers les toilettes les plus proches, au bout du couloir.

Alors que je pousse la porte, je tombe au milieu des toilettes à quatre pattes, et me hisse tant bien que mal jusqu'à la cuvette la plus proche pour y déverser tout mon dégoût.

Ce que je viens d'entendre, personne ne voudrait l'entendre. Et personne ne voudrait habiter chez des cannibales. Des putains de cannibales.

 MERDE, m'écriai-je dans les toilettes.

Tout me paraît irréel, pourtant tout est vrai. Putain ! Je ne m'en rendais pas compte. Depuis tout ce temps, tous ces instants passés à vivre ici, j'avais grandi au cœur d'une secte.

Moi qui croyais être juste dans une famille nombreuse et me sentir chanceuse pour ça, la réalité était tout autre. Tout s'écroulait.
Et depuis une semaine, je ne voyais plus ma mère comme tel, mais comme une étrangère.

Les larmes ont coulé, mon corps est pris de violents spasmes et je n'arrive plus à bouger, mis à part les ridicules coups enragés et désespérés que je donne au sol.
Je suis si pitoyable à cet instant, et je finis même par rigoler toute seule.

Je ne sais même pas ce que c'est exactement, parce que mon rire se mélange à mes larmes. Et je ne m'arrête pas. Parce que je préfère pleurer sans m'arrêter que de penser à tout ça. Je préfère que mes yeux s'irritent que de revoir le sourire de ma mère.

Je suis engloutie dans un gouffre si sombre que je ne suis pas sûre d'en ressortir, cette fois. J'ai passé toute la semaine à me contenir pour ne pas craquer devant Eos, que cette fois-ci, mon corps et mon âme me paraît vide.

Mes larmes forment des cercles humides sur mon jean, et je me retrouve à les fixer. Mon corps me parait engourdi, endoloris, ce qui me force à me souvenir qu'il m'appartient même si je n'en ai plus l'impression.

Tout ce que j'entends, ce sont mes pleurs atroces, intensifiés par les phrases horribles qui courent dans ma tête.

Jusqu'à ce que le visage d'Eos qui me tend des gants de soie noirs apparaisse dans mon esprit. C'est comme si l'air m'était une nouvelle fois coupé.

Eos. Il ne fallait pas qu'il me voie pleurer. Je ne savais pas vraiment pourquoi, alors qu'il était la seule personne sur qui je pouvais compter. Je savais seulement que c'était la seule chose dont j'étais sûre. Parce que je ne pouvais maîtriser rien d'autre.

Si nous étions deux dans mon état, qui sait ce qu'ils feraient à Eos, sachant qu'il n'est pas un successeur comme moi ?

Après avoir découvert l'enjeu de ce manoir, comment prendre de bonnes décisions sans avoir peur de quoi que ce soit ?

Je me gifle violemment, essuie rapidement mes larmes et me lève. Je me recoiffe rapidement devant le miroir et m'asperge d'eau. Je tremble de nouveau de dégoût et de peur avant de me reprendre.

Au moment où j'ouvre la porte des toilettes, je tombe nez à nez face à Eos. Avec maman derrière lui.

Nouveau frisson de la tête aux pieds.

 Rhéa, qu'est-ce que tu fais ? Tu ne te sens pas bien ? Me demande ma mère sans la moindre trace de sincérité.

Elle est inquiète à propos de son secret. Pas de moi.

Eos se contente de me fixer, les sourcils froncés. Il n'est pas bête.

 J'avais soif.

Je dois me racler la gorge pour que mes mots ne paraissent pas faibles, et souris.

 Désolée de vous avoir réveillés.

L'idée de les bousculer pour rejoindre ma chambre me frôle l'esprit, mais je me ravisse, gardant le contrôle de moi-même.

Eos finit par me prendre la main et me tire hors des toilettes, avant de se diriger vers la chambre. Il ne sait pas ce qu'il se passe, et pourtant il ignore royalement maman. Parce que même si je joue la comédie, lui voit tout.

Celle-ci ne dit rien pendant quelques instants, mais quand je me retourne, elle chuchote, et je peux lire sur ses lèvres.

— Prépare-toi.

Nouveau frisson.

Dès qu'Eos referme la porte derrière moi, les spasmes reviennent violemment. Et même lorsqu'il me prend dans ses bras, la seule différence est que mes tremblements le font bouger à son tour.

 Rhéa, Rhéa. Hé. Je t'en supplie, s'il te plaît...

Il resserre son étreinte, me caresse la joue.

Il est paniqué. Il ne sait pas quoi faire, mais moi si.
Cette nuit, quand il dormira, je partirai, mon cerveau est en mode survie, et a déjà pris sa décision.

Lorsque mes pas me guident d'eux même vers le salon où Eos est occupé à boire un verre de whisky, nos regards se croisent quelques instants. Mais mes pensées me rattrapent rapidement et je me ravisse, faisant demi-tour.

Mes explications ne suffiraient pas. Rien ne suffirait face à ce que je lui ai fait. Et qui sait ce qu'ils lui ont fait quand je suis partie ?

Je sors une nouvelle cigarette, et m'en sers pour brûler mes larmes silencieuses.
Il doit bien être trois heures du matin, mais dans ma tête, il est vingt et une heure.

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Je vous l'accorde, ce chapitre est plus long que d'habitude, mais je voulais vraiment que vous cerniez l'ambiance du fameux manoir ou ont grandi nos deux protagonistes.

J'espère que les TW ne vont ont pas trop choqués et que vous êtes toujours là. Ce qui est sûr, c'est qu'ils n'ont pas eu un passé normal.
Prenez soin de vous !

Kiss. 💋

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top