21・Transe Meurtrière
Comme à mon habitude, prenant appui sur les murs, je sautais aisément de toit en toit avec une agilité féline. Le soleil s'étant couché, la lune avait pris place, accueillant le monde nocturne que j'aimais tant. De par son calme irréprochable, de son agréable fraîcheur, c'était comme si je me sentais dans mon élément. Comme si mon énergie était décuplée la nuit, ce qui expliquait sûrement mes insomnies.
Je croisais minette, la reconnaissant facilement. Elle me dit bonjour en venant se prélasser contre mes jambes, avant de continuer tranquillement sa balade nocturne sur les toits d'une démarche lente et douce.
Je décidais de descendre dans la rue, étant non loin de chez moi. Purée, je ne me lasserai jamais de cette sensation d'avoir un chez soi stable, que j'aimais et qui me convenait. C'était chez moi. Lorsque j'y rentrais, c'était presque comme si j'avais oublié ma vie quelques instants, que je profitais simplement de mes draps, de ma TV, de mes livres et de mes plantes.
C'était l'endroit où je vivais une vie banale, comme tout le monde. À s'occuper de mon appart', à faire la vaisselle, à arroser les plantes. Mais en tant que cheffe, il ne fallait pas que je sois égoïste trop longtemps.
Il me fallait réfléchir quasiment tout le temps, autant pour moi que pour les autres. Un plan, une stratégie, les entreprises, les ennemis, les dangers potentiels, les médias, la police, et m'occuper des autres membres comme je le pouvais.
Il m'était impossible de les laisser gérer complètement seuls leurs traumatismes et tout ce qui s'ensuivait. Je savais comment ils me voyaient.
Ils posaient un regard tellement empli d'admiration, d'affection sur moi, que je ne pouvais pas ne pas être à la hauteur. Et même si je ne devrais pas, parfois je culpabilise de les avoir emportés avec moi. De les avoir entraînés dans cette vie qu'est devenue la mienne en premier. Une vie dangereuse, parfois illégale, violente et meurtrière.
Peut-être qu'aujourd'hui, ils auraient une vie bien plus calme et régulière ? Avec, qui sait, des enfants ?
Remarque, tous m'ont déjà dit que Phoenix leur avait changé la vie, et en bien... Peut-être est-ce parce qu'ils n'ont pas pu faire l'expérience d'une vie normale ?
Plongée dans mes pensées comme à mon habitude, je finis par cligner plusieurs fois des yeux en mettant fin à mes réflexions. Une voix masculine s'approchait dangereusement de moi, voix à laquelle je n'avais pas prêté attention la première fois.
– Hé, qu'est-ce-que tu fais là toute seule, beauté ?
Eurk. Si je pouvais je lui aurais déjà vomi dessus. Et pas un joli arc-en-ciel. Est-ce qu'il sait seulement à quel point il me fait pitié ?
Je m'arrêtais, le détaillant de la tête aux pieds d'un air hautain que je n'ai pas su retenir. Il était vêtu d'un survêtement gris et de grosses baskets qui l'agrandissait.
Sûrement pour lui donner plus de dignité.
– Les filles de nos jours sont toutes des putes malpolies, fit-il en crachant, voyant que je ne répondais pas.
C'est de trop. Un homme aussi dégueulasse ne peut pas exister.
Sa façon de parler m'horripilait. Tout comme sa façon de se tenir et d'agiter ses mains comme un alcoolique qui attends que sa femme lui donne sa bière. En fait, rien qu'en le voyant on devinait quel genre de personne il était.
Ça me répugne.
– Bah alors ? On fait du caca nerveux parce qu'une jolie fille ne lui répond pas ? Va te toucher dans tes chiottes, crachais-je à mon tour.
C'était ces hommes-là qui me faisaient perdre le contrôle de mes émotions aussi rapidement qu'un éclair qui frappe le sol.
J'ignorais ce qu'il continuait de vociférer, marchant vers chez moi d'un pas assuré, non plus rapide. Ce n'était pas ce cancre qui allait m'obliger à avancer plus vite.
Le feu n'était pas à mes trousses, il était à l'intérieur de moi. Je bouillonnais déjà. Peut-être que mon inconnu télépathe avait raison au final. Je m'énervais vite.
Mais soudain, je fus projetée au sol. Mon visage râpa violemment le béton humide de la nuit tandis que j'essayais de me rattraper comme je le pouvais de mes mains, elles aussi râpées à leur tour.
Je tentais de me redresser, mais en vain. La panique s'empara subitement de moi, comme pour me rappeler que je n'étais pas invincible, en fin de compte.
Ses grosses mains dégueulasses empoignaient les miennes pour les maintenir en bas de mon dos. Ses mains étaient sûrement sales, et avaient traîné je ne sais où. Mon cœur tambourinait si fort dans ma poitrine que je me demandais si j'allais faire un AVC, il avait réalisé avant moi ce qui était en train de se passer.
Même si j'usais de ma force, ma position était plus que désavantageuse. Bientôt, je sentis son engin contre mes fesses, durci.
Des frissons glacés remontèrent le long de mon échine.
Bordel de monstre en chaleur.
Il était hors de question qu'il m'a ainsi. Alors, avec toute ma colère bouillonnant dans mes veines, faisant vibrer ma tempe, je réussis dans un effort surhumain à écarter mes mains afin de lui faire une torsion du poignet.
Il grogna de douleur, mais je n'en avais pas fini.
Je tirais mes bras d'un coup sec, lui faisant lâcher prise, et me redressais sur les genoux, puis les pieds. J'avais une boule dans la gorge.
Il était à genoux, et lorsqu'il tenta de se relever, je lui mis un violent coup de pied au niveau du buste, ce qui le fit tomber en arrière. Cette fois-ci, ce fut moi qui se retrouva au-dessus de lui. De mon habituelle lanière qui entourait ma cuisse, je sortis une dague.
Et sans hésiter une seule seconde, je l'entaillais.
Je le lacérais de toutes parts, sur les bras, les mains, le visage. Partout.
Ma vue était aveuglée par la rage et la peur, ma respiration saccadée et incontrôlable, et mes tremblements irréguliers accompagnaient mon cœur devenu fou. Ses cris incessants ne m'atteignaient pas.
Hurle, crie, pleure. Sois misérable. Soit à la hauteur de ce que tu es. Personne ne te sauvera.
Je ne me contrôlais plus, continuant de faire couler son sang sur le béton sans m'en soucier davantage. Mes yeux étaient verrouillés sur lui, mais en vérité ne percevaient que le vide. Je n'étais plus présente.
Son sang giclait sur mon visage, mais je ne le sentais pas. Tout ce que je sentais, c'était ses mains sur moi.
Son emprise, ces chaînes.
– Non... Arrête...
Seuls ses cris et le son de ma lame vibrant dans l'air résonnait dans la nuit noire.
Ce fut seulement lorsque ma vue s'embua de larmes que je me rendis compte.
Je pleurais. J'étais en train de lacérer un homme, j'étais dans la rue. Qu'est-ce que j'avais fait ? Qu'est-ce que je voulais faire ?
Avec effroi, la boule grandissant dans ma gorge, je me reculai lentement en tremblotant, et écarquillais les yeux.
Je me laissais tomber sur le goudron devant mon œuvre ensanglantée.
Ses yeux étaient ouverts, marquant la peur et le choc. Il gisait littéralement au milieu de son propre sang, une flaque sombre qui s'agrandissait petit à petit sur le bitume.
Je ne savais pas depuis combien de temps je l'entaillais, ni depuis combien de temps j'étais là, à le fixer sans bouger ni cligner des yeux.
– Merde...
De choc, je pris ma tête entre mes mains, n'arrivant plus à respirer. Mon corps était brûlant. Pas de colère, mais de réalisation.
Il était... mort. J'avais été tueuse à gage, seulement, jamais je ne m'étais habituée à la mort. Pathétique, n'est-ce pas ? Que je me sois lancée dans ce métier, sachant pertinemment que je n'osais pas approcher la mort de trop près. Pourtant, je pensais pouvoir passer au-dessus.
Mais il faut croire que la mort était ma plus grande peur, et que rien ne pourrait changer ce fait. Quand je tue, il me faut souvent du temps pour moi par la suite, parce que les mauvais souvenirs surgissent sans se faire prier. Mon passé était définitivement lié à moi par une corde qui ne s'abimait même pas au fil du temps.
Je pensais pouvoir au moins l'oublier. Peut être seulement pour un court instant ? Mais c'était impossible, quand on a tué une centaine de personnes sans le savoir.
Mais cet homme... Je venais de l'assassiner de sang-froid, inhumainement. J'avais lâché prise. Je m'étais simplement défoulée, j'avais laissé s'échapper toutes les émotions qui s'entrechoquaient en moi en ce moment.
Je suis un monstre.
Après une bonne trentaine de minutes, je déglutis plusieurs fois, et finis par me lever.
J'avais toujours été comme ça. A régler les choses par la force quand cela échappait à mon contrôle. Seulement, si mes émotions s'en mêlaient, je devenais... Un monstre sanguinaire.
Je ne pouvais pas prendre le risque que quelqu'un me voit.
Alors je repris ma dague, et me dirigea vers chez moi en reprenant mes esprits petit à petit.
Ce qui était fait était fait. Il n'avait qu'à pas m'enmerder.
??? : Tu n'es pas un monstre.
Mon angoisse avait été telle que je n'avais pas pu maintenir le bouclier, et je n'en avais plus la force. Alors je le laissais parler. Je n'avais pensé à rien, lors de mon massacre. Soit, il ne se doutait pas ce qu'il venait de se passer.
??? : Si tu es un monstre, qu'est-ce que je suis, moi ? J'ai tué des centaines de personnes sans le savoir.
Moi aussi.
Je fus surprise par sa confidence. Nous nous ressemblions autant ?
??? : Dans ce cas, soyons des monstres ensemble.
Un monstre n'est pas à valoriser.
??? : Il n'est pas à dévaloriser non plus. Même les monstres rêvent d'amour. Exemple simple, la créature de Frankenstein.
Je fus surprise. Peut-être faisait-il des blagues à longueur de temps, mais sa mentalité avait l'air profonde et sage.
Je ne le connaissais vraiment en rien.
Je me rendis compte que ce n'était pas la première fois qu'il m'aidait, ce qui me raidit.
Il allait me voir faible. Me considérer comme une pauvre fille qui chouinait
à la moindre occasion. Il ne fallait pas qu'il prenne l'habitude.
Je n'ai pas besoin de toi. Je vais bien.
??? : Ce n'est pas ta voix ferme qui va me convaincre.
Je n'en ai rien à foutre.
??? : Tu es insupportable quand tu t'y mets.
Son ton était froid et blazé, comme si je faisais une crise d'adolescence. Il ne m'avait pas donné l'un de ces surnoms à la noix, preuve qu'il était énervé et plus que sérieux.
En rentrant, je m'empressais de fumer une cigarette, puis deux, puis trois, allongée de tout mon long sur le canapé.
Fermer ma porte d'entrée était revenu à fuir la bêtise que je venais de commettre. Comme un enfant ayant cassé un vase. J'avais dû nettoyer minutieusement le sang nettoyé sur la poignée, et inspectée le sol si jamais des traces de sang menaient jusqu'à chez moi. Ainsi, je doutais fortement que la police retrouve le meurtrier... Moi.
??? : Si je le voulais, je pourrais fouiller ton esprit pour décortiquer ton passé, ainsi que ce que tu as fait ce soir. Et même voir qui tu es.
C'est parce que tu es énervé que tu me menaces ? Je commence à te connaître.
??? : Qu'est-ce que tu as fait pour que ça te mette dans cet état ? Évite-t-il m'a remarque.
Je ricanai.
Oh, rien de bien méchant, j'ai tué.
Le dire, dans ma tête, et l'avouer me suffit à me refaire trembler. Je continue d'enchaîner les cigarettes, chose que je n'avais pas fait depuis longtemps, n'ayant toujours pas lavé le sang de mon visage.
L'appel de la cigarette se faisait trop entendre, c'était comme si j'en était addicte, alors que c'était l'opposé.
Bref je vais bien, repris-je en voyant qu'il ne répondait plus, ce n'est pas la première fois après tout. J'ai toujours été comme ça.
??? : Tu sais, hésita-t-il un moment, quelque chose me pousse à vouloir te connaître. Quelque chose me dit que tu es plus intéressante que je ne peux le penser. Et que même si tu es un monstre, nous sommes les mêmes.
Je n'aurais jamais pensé qu'il serait du genre à se confier. Et sans doute que son ton hésitant montre qu'il n'est pas à l'aise, qu'il le fait seulement car c'est par la pensée. Je ne sais pas quoi répondre.
C'est vrai quoi, depuis le début je ne lui avais pas accordé plus d'attention que cela, et le voilà qui m'avoue vouloir me connaître ? C'était insensé. Si l'on se connaissait réellement, dans la vraie vie, le partage de mes pensées m'énerverait davantage.
Mais je l'avoue, depuis que je sais qu'il tue aussi, et que je vois à quel point il est ouvert d'esprit, j'ai presque l'impression que qu'importe ce que je lui dis, il me comprendra. Comme un ami imaginaire qu'on a lorsqu'on est petit, seulement, c'est réel...
Tu existes vraiment, hein ?
Je l'avoue également, jamais je n'aurais pu penser qu'un homme aussi insupportable que lui, qui partage mes pensées, qui apparaît sans crier gare et qui joue au papa poule avec ses blagues puisse s'avérer d'une aide pour moi. Il était une certaine forme d'aide extérieure, et même si je refusais de l'avouer, il me faisait me sentir moins seule.
Mais il ne fallait pas que je finisse par m'accrocher à lui. Hors de question.
??? : Ça, c'est une bonne question gamine. Je suis le fantôme de ta folie qui sait, bouuuuuh.
Je levais les yeux au ciel, et sentis enfin mon visage se détendre. Au final, je m'étais habituée à sa présence très facilement et rapidement.
Et moi je suis ta version féminine ?
??? : Avec de la rage et de l'anxiété en plus, mais oui, me taquina-t-il.
Si je pouvais je t'en aurais déjà mis une.
??? : Ça me donne envie de me mesurer à toi. Tu as quoi, comme expérience ?
Je fais de l'aïkido. Un ami m'apprend le karaté, un autre la boxe, je sais manier les armes... Je suis multitâche.
??? : Pratique, comme femme.
Et toi, qu'as-tu en réserve ?
??? : Je pratique le renforcement de matelas. Le sport de lit si tu préfères.
Je regrette de t'avoir posé la question.
Son rire charmeur s'éleva dans ma tête.
Malgré moi, je me rendis bien compte qu'avec une rapidité surprenante, il m'avait changé les idées. Mais j'avais tout de même besoin de temps pour moi, alors malgré son inquiétude qu'il cachait avec de l'humour, je coupai la connexion.
Je pris alors une grande bouffée d'air, et malgré l'heure tardive, je m'en allais me revêtir d'une de mes tenues de pole dance. Qu'importe, ce n'était pas comme si j'allais m'endormir de suite. Je redoutais le moment où je devrais m'allonger dans mon lit, et attendre que le sommeil l'emporte sur mes démons qui n'étaient pas près de me lâcher.
Ma tenue ressemblait fortement à un maillot de bain. C'était un justaucorps noir, avec un dos nu de ficelles croisées. Les jarretelles rajoutaient un côté audacieux que j'appréciais.
Encore, je refusais de me laver le visage. Ça pouvait sembler psychopathe, ou idiot. Mais ça me permettait de ne pas oublier ce que j'avais fait ce soir. D'avoir la trace de ma faute gravée sur moi.
Je laissai la fenêtre ouverte, amoureuse du vent frais nocturne, tellement que je ne la fermais jamais. Ma barre en acier trônait fièrement au milieu du salon, l'emplacement était parfait, car la luminosité le jour était sans égale. Mais je préférais pratiquer la nuit. Le mood était différent, calme, sensuel, intime, figé dans le temps.
Je me mis de la magnésie pour éviter de glisser et m'échauffais pour ne pas me blesser.
Puis je passai aux choses sérieuses. J'avais commencé la pole dance en tombant sur un club, pendant que je me baladais. Ma curiosité piquée, j'avais voulu voir ce que c'était. C'était un sport qui m'avait aidée à développer davantage mes muscles et ma stabilité. Que du bénéfice. Et puis, il faut se l'avouer, la pole dance, c'était beau et majestueux.
Lorsque je pratiquais, je me sentais dans un autre monde. Je me sentais gracieuse, aussi légère qu'une plume, souple. Ça me changeait les idées de par la concentration que cela me demandais, et j'en avais besoin, au lieu d'entamer un nouveau paquet de cigarettes.
Seulement, lorsque je fis la figure cross knee release, la tête en bas, mes yeux s'agrandirent.
Ses yeux bleus translucides me transpercèrent, se verrouillant dans les miens. Son regard était toujours aussi profond et dangereux, à la fois intriguant et prédateur. Notamment de par son piercing qui répondait toujours présent, ainsi que ses sourcils noirs et parfaits.
Il avait son éternelle capuche noire, ainsi qu'un tour de cou qui ne m'offrait toujours que ses pupilles curieusement et malheureusement attrayantes.
Un regard à double tranchant. Et un regard que je ne m'attendais pas à voir, maintenant.
Mon tueur tenait son visage à quelques centimètres du mien, se délectant de ce qu'il voyait. Il est là, chez moi.
Et il me sourit.
Oh, bordel.
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J'aime bien ce chapitre, parce qu'on voit vraiment la manière de penser de Rhéa. Son désir ardant de braver ses peurs, et d'en aucun cas se montrer faible. C'est vraiment une femme fatale que je voulais retranscrire dans ce récit. Et je trouve qu'on voit bien ses défauts aussi dans ce chapitre.
Je ne voulais pas faire non plus un personnage trop parfait. Mais je l'aime ma Rhéa :)
En tout cas, ce mystérieux télépathe semble vraiment se prendre d'affection pour elle... On le comprend, en même temps.
C'est moi qui vous le dis, le chap 23 va vous plaire 🤭
Kiss. 💋
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