18・ Âmes
Nous roulions à une vitesse folle. Joseph était en extase, le vent qui parvenait des fenêtres ouvertes nous fouettait le visage, accentuant cette idée d'euphorie et de liberté.
Pendant que Phoenix débattait entre les chips au vinaigre ou au barbecue, je voulus tenter, à mon tour, de m'immiscer dans l'esprit de mon télépathe anonyme. C'était toujours lui qui arrivait à me surprendre en apparaissant sans crier gare dans mon esprit, s'invitant dès que je devenais trop faible pour maintenir le bouclier qui lui évitait de recevoir mes pensées.
C'était bien beau que l'on ne sache pas l'identité l'un de l'autre, mais il pouvait sérieusement représenter une menace s'il ne se contentait plus simplement de m'emmerder mentalement. Si par malheur il arrivait à dégotter des informations sur moi ou mes proches, je ne me le pardonnerais pas.
Je fermai les yeux, me concentrant sur sa voix intérieure en me la remémorant. Et ce fut comme une pluie d'étoiles, je voyais les yeux fermés, une pluie de points blancs, je me sentais divaguer, ma tête était secouée de légères secousses, comme un voyage quantique. Comme dans un train à sensation ou l'on ne pouvait rien contrôler et on était paralysé par les protections et la gravité.
Et soudain...
Je me vis, moi, à travers le regard d'un autre.
Je me vis en sueur, en proie à l'effort, en train de combattre à mains nues contre l'homme à travers lequel je me voyais.
Je l'entendais me dire "Tu n'es pas concentrée aujourd'hui, tu veux que je te tue ?"
Et je repris de plus belle, dépassant mes limites comme je le pouvais, pendant que lui riait, à la vue de mon acharnement et de ma détermination à ne pas me laisser faire.
Mais je n'étais effectivement pas concentrée, occupée à penser à autre chose, qui me fit verser une larme, une seule, que je m'empressai d'essuyer.
Nous avions l'air d'être sur des tatamis, dans une salle dédiée particulièrement à l'entraînement.
??? : Je te l'interdis, survint sa voix dans ma tête fermement.
Je fus prise d'un coup de légers frissons au niveau de la tête, et mes yeux se rouvrirent violemment, comme si on m'y avait forcé.
Mon souffle s'était accéléré sans que je m'en aperçoive, à priori, lorsque j'usais de la télépathie aussi loin, mon corps ne m'appartenait plus.
??? : Ne fouille plus jamais mon esprit.
Il était contrarié. Très contrarié. Il ne m'avait jamais parlé comme ça. En même temps qui aimerait qu'on fouille dans son esprit ?
Je tentai de reprendre ma respiration, ce qui m'était très difficile. Lorsque je stressais ou que ma respiration était saccadée, je ne pouvais plus m'arrêter. Je sentais les battements de mon cœur vibrer dans chaque parcelle de mon corps, cognant dans mes veines, je sentais mon corps se réchauffer et se tendre.
Et mon erreur lorsque cela arrivait, était de penser au fait que j'étais anxieuse, ce qui m'empêchait de m'arrêter.
Pour le meilleur et pour le pire, je savais ce qu'il me fallait.
– Cigarette, sortis-je dans un souffle.
En quelques mouvements aussi rapides que l'éclair, on me tendit une cigarette, que j'emprisonnai entre mes lèvres, avant que Jake l'allume pour moi.
Il était facile de concevoir à quel point ils me connaissaient sur le bout des doigts. Quand ce mot franchissait mes lèvres, ils savaient qu'il y avait anguille sous roche, et c'était rare car je ne fumais jamais.
Sauf quand les choses échappaient à mon contrôle à tel point que je perdais prise.
Et vu que Barbara, Joseph et Liam fumaient, ils faisaient tout leur possible pour ne jamais manquer d'une boîte.
Je me sentis revivre à l'instant même où la fumée se fraya un passage dans ma gorge, m'apaisant presque en un instant.
J'étais tellement concentrée sur le fait de me ressaisir que je ne réfléchissais plus.
– Cheffe ?
– C'est bon, leur donnai-je comme unique réponse.
Je sentais leurs regards inquiets me parcourir, se demandant comment, en étant assise dans une voiture, je pourrais avoir une crise d'angoisse.
Bordel, bandes de paparazzi.
– OK, je vais chez Barbara avec elle, déposez-nous avant de retourner à la base. Et occupez-vous du nouveau modèle de lunettes.
Je devais enchaîner, j'avais encore beaucoup à faire. Barbara comptait sur moi, et je lui avais bien fait comprendre que j'étais là pour elle, comme je l'avais toujours été. Le repos se présenterait à un moment où un autre.
Phoenix puisait sa richesse dans de nombreuses affaires. La vente d'armes, un bar, une chaîne de restaurants ainsi qu'une merveilleuse bouteille d'alcool fabriquée par nos soins. Ces affaires cartonnaient, et tout cela était grâce à notre travail acharné, bien que nous avions embauché bon nombre de personnes pour gérer tout ce que l'on n'aimait pas.
J'expirai un nuage de fumée, amère de ma semi-défaite.
J'avais réussi à entrer dans son esprit, à cet inconnu, qui n'était décidément pas déterminé à me ficher la paix et me hantait, me déconcentrant à plusieurs reprises. Je m'étais en quelque sorte vengée, mais il m'avait expulsée comme on enlève les rats de sa cuisine.
Je l'avoue, ma curiosité avait pris le dessus, et ce n'était pas inutile.
Il me connaissait.
À présent j'en étais certaine, moi qui lui avais demandé de ne pas s'avouer nos identités, il savait sûrement déjà qui j'étais.
À moins qu'il n'ait pas associés Rhéa et Rhéa la télépathe, mais j'en doutais fort.
De plus, ce souvenir que j'avais dégoté me déstabilisait au plus haut point.
On se battait l'un contre l'autre ?
Je n'en avais absolument aucun souvenir. Mais j'avais pu remarquer à quel point je souffrais. Je devais sûrement être tiraillée par quelque chose, mais par quoi ?
Il était rare que je pleure, parce que j'avais tout vidé dans mon enfance, j'avais tout laissé derrière moi. Les seuls moments où je pouvais craquer, je m'autorisais à ne verser qu'une larme.
Une larme, pas deux.
Parce que je m'interdisais de redevenir cette Rhéa. Cette enfant innocente et manipulée, et qu'on a brisé. Cette Rhéa qui ne faisait que pleurer, sans arrêt, tellement que ses yeux grattaient et piquaient.
Je m'interdisais de réduire à néant mon évolution. Pour moi, et pour Phoenix.
Phoenix n'avait pas besoin de ça.
Oh que non.
Ils n'avaient pas besoin que je les renvoie à leur passé, eux qui avaient déjà tant subi. Ce dont ils avaient vraiment besoin, c'était d'un lieu et de proches qui les ferait se sentir heureux, épanouis et vivants.
Et non une atmosphère baignant dans les larmes et les blessures ouvertes qui coulaient à flots.
Enfoiré, tu m'as mise de mauvais poil. Réponds.
??? : Ce n'est pas moi qui...
Tu vas me faire le plaisir d'éteindre ta voix qui hante mon esprit quelques secondes et me répondre. Tu me connais ?
??? : Il se pourrait bien...
Ne joue pas à ça avec moi, ce n'est pas le moment.
??? : Si tu me poses cette question, c'est que tu t'es vue dans mes souvenirs. Donc la femme à qui je parle par esprit est une connaissance... Intéressant.
Le monde est petit à ce que je vois...
??? : Ça dépend de quel monde tu parles. Eh bien, je dois avouer que tu m'intrigues encore plus.
Donc il n'avait pas l'air d'avoir ni mon visage, ni mon nom en tête. On se connaissait, et à priori, on s'était battus.
Il me connaissait mais ne savait pas que c'était moi la télépathe, et je le connaissais sans pour autant savoir qui il était.
Mieux vaut pour toi de ne pas me connaître.
??? : Pourquoi donc gamine ?
J'ai déjà tué.
??? : Oh, le grand méchant loup. Désolé, mais ça ne m'étonne pas, et ne me feras pas fuir non plus. Moi aussi, j'ai tué, et je ne suis pas sûr de m'arrêter un jour.
Tu es un suceur de sang ?
??? : Je dirais un suceur de peur.
Dans ce cas, on a peut-être plus de points communs que je ne le pensais.
??? : Quand on se verra un jour, si tu veux un autographe n'hésite pas, je suis open.
Dis-moi qui tu es, fit-je en ricanant.
??? : Tu connais le dicton, suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis. J'ai l'impression que tu perds vite ton marché de vue gamine, tu deviens aveuglée par ton attirance envers moi ?
Cours toujours, tu es arrogant, bavard et sarcastique. Pourquoi tu continues à me parler au juste ?
??? : T'en a d'autres des comme ça ? Simplement parce que tu es la seule avec qui je peux communiquer par la pensée. Et toi aussi. Je te l'ai déjà dit, on est liés.
T'as raison. Je suis allée trop loin, restons anonymes.
À ces mots, je visualisai un espace blanc et vide, ce qui me permit de rompre la connexion.
Il me connaissait.
Peut-être qu'il faisait simplement partie d'un oubli dont je pouvais me souvenir en voyant son visage, mais pas forcément de mon amnésie.
Il avait dit qu'il tuait. Nous étions alors tous les deux des meurtriers. Cela voulait dire que sa surprise face à mes envies de meurtres n'était que de l'ironie. Il s'était bien foutu de moi.
Sa manière d'être arrogant et bavard me tapait sur les nerfs, surtout lorsque je n'étais pas d'humeur. Mais une partie de moi ne pouvait pas s'empêcher de l'aimer en contrepartie.
Il m'avait soutenue lorsque j'étais blessée, et, même si je refusais de l'admettre, cette télépathie nous liait, nous plongeant tous les deux dans quelque chose d'inconnu et que nous ne maîtrisions pas.
Notre esprit était pour moi, beaucoup plus intime que notre corps.
C'était notre âme, notre façon d'être, de réfléchir, notre vie.
Et même s'il bloquait ses pensées vis-à-vis de moi, car je n'entendais jamais ses pensées à lui, il ne pouvait pas être sur ses gardes chaque seconde.
Alors, je pouvais de temps en temps savoir ce qu'il faisait, comme se brosser les dents, ou encore fumer.
Il y avait des failles seulement lorsqu'il oubliait ce bouclier qu'il avait paré à son esprit, ce qui était très rare, chose que j'admirais.
Mais qui était en même temps inégal, puisque de toute évidence, je maîtrisais moins que lui cette connexion Bluetooth.
Cela voulait dire que vu qu'il faisait partie de mon amnésie, je ne pourrais rien apprendre de plus sur lui.
On ne se connaissait pas, mais nos âmes étaient liées.
Moi qui espérais être une Winx de la faune et la flore.
Me voilà télépathe, et avec qu'un seul mec que je dois me coltiner.
Oh, et puis merde. Je ne le connais pas, et alors ? Si c'est ainsi, c'est que savoir qui il est n'est peut-être pas si important que ça, pour moi et ma santé mentale
Il y a le mec qui veut me tuer aussi...il avait parlé d'une guerre avec Zayn. Ils se connaissaient ? Comment Zayn savait-il que l'homme en noir serait au bar à cette heure précise ? Une guerre dont j'étais la cause.
La musique augmenta soudainement de volume, et je croisai le regard de Liam à mes côtés, qui s'empressait de distribuer des lunettes de couleurs vives qui s'allumaient, en forme d'étoiles ou bien de cœurs. Nous avions toujours pleins de babioles avec nous, au cas où.
Gasolina de Daddy Yankee, faisait vibrer la voiture comme jamais. Mais la musique n'était pas la seule à faire cet effet. Nous étions soudain tous en train de chanter comme des dégénérés, en bougeant dans tous les sens.
Ma dégaine avec ma cigarette à la main et mes lunettes vert fluo était à en tomber à la renverse.
– ICI C'EST LA POLICE DE CHICAGO, s'écria Joseph par-dessus la musique tout en klaxonnant.
Ils avaient fait ça pour moi. Pour m'extirper de mes pensées solitaires et désastreuses.
Je ne le dirais jamais assez, mais ils étaient tout pour moi. Et notre lien était indestructible, malgré les quelques hauts et bas.
Phoenix était lié de traumatismes, de douleurs, de tristesse, de rire, de combats acharnés, de confiance envers les autres. Nous mettions tous notre vie entre les mains des autres.
La musique enchaînait sur la Macarena, puis Suavemente, ou entre Vamos à la playa.
Pauvre voiture. Désolée.
Je pouvais assurer le fait que si je ne me l'interdisais pas, je serais capable de verser toutes mes larmes pour eux, rien qu'en me rendant compte de la chance que j'avais de les avoir.
Mais la peur, était toujours présente. Toujours. Parce qu'en vérité, je baignais dedans.
La peur que l'on m'arrache tout ce que j'avais. La peur de tout perdre, et de ne rien pouvoir récupérer. La peur que le bonheur m'abandonne à la frayeur, comme autrefois.
Stop.
Je repris mes esprits, dégageant avec force ces mains noires qui m'attrapaient, avant de continuer à m'amuser.
Les femmes sont trop parfaites pour se prendre la tête.
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Je croisai le regard de Barbara. Nous étions en face de chez elle, peu de temps après que ses parents soient rentrés du travail.
À cet instant précis, je compris soudainement le côté protecteur de Jake.
– Je vais y aller en première si tu me le permets.
Elle me regarda quelques secondes, avant de hocher la tête.
Actuellement, les émotions devaient s'entrechoquer en elle.
Je n'avais pas eu la chance d'avoir des parents aimants moi non plus, mais mon cas était différent, bien que les malheurs se valent tous.
Mais ce que je refusais, était le fait qu'elle ait des parents de cette envergure.
Des ordures.
Des parents présents, mais inutiles.
Je bouillonnais, et en arrivais à me demander si j'allais pouvoir me contenir jusqu'au bout, au début il le fallait bien, je devais analyser.
Je m'avançais sur le pas de la porte et frappai, après que Barbara se soit assise hors du champ de vision de celui qui m'ouvrirait la porte.
Pour le meilleur ou pour le pire.
Ce fut un homme âgé d'une cinquantaine d'années qui ouvrit la porte. Son regard énervé d'être dérangé croisa le mien, et je devinais qu'il était occupé à se prélasser dans son fauteuil favori, en face du foot.
Ses rides tiraient son visage vers le bas, il avait la même tête ronde que Barbara, et ses cheveux poivre et sel semblaient coiffés seulement parce qu'ils étaient courts.
– La police, vous voulez quoi ?
Premier test.
– C'est à propos de votre fille.
– Je n'ai pas de fille, au revoir.
Cette réponse me fit serrer hargneusement les dents, et je plaçai mon pied de sorte à bloquer la porte qui allait se refermer sur mon nez.
Heureusement que quand les gens me connaissent, je me fais mieux respecter que les poulets.
– Laissez-moi vous saluer.
Après avoir l'avoir forcé à avoir rouvert la porte, ce qui le surpris qu'une femme ait plus de force que lui, je n'entrai en ne manquant pas de le bousculer. Il haussa tout de suite la voix comme si c'était inné chez lui.
– VOUS VOUS CROYEZ CHEZ VOUS ? NON MAIS...
Je posai mon doigt sur sa bouche, le sourire aux lèvres, l'ironie était qu'il semblait plus énervé que moi alors que c'était le contraire. J'aurais déjà explosé si ce n'était pas un problème ambigu à résoudre.
Je ne pouvais pas enlever ses parents à Barbara, je pouvais lire en elle maintenant qu'elle s'était confiée à moi sur ce sujet. Mais je ne pouvais pas laisser cette situation continuer.
– Vous avez encore de la voix ? Même alors que vous criez sur Barbara sans arrêt ?
– VOUS...
Satisfaite de le couper encore une fois par mon doigt posé sur ses lèvres, j'étais fière de lui montrer qui décidait ici.
Rip son ego.
– Et si je vous tranchais la gorge ? Dis-je, lentement et distinctement en me délectant de son hésitation à me prendre au sérieux ou non.
– Il se passe quoi dans cette foutue baraque ?
Tadam. L'entrée de la mère. Le vocabulaire de Barbara provenait sûrement d'elle.
Elle avait sûrement gardé une couleur de cheveux brune grâce à des teintures, auquel cas ses cheveux blancs se montreraient sous leur meilleur jour. Ses joues étaient creusées, et ses yeux marrons montraient sa fatigue.
– Bien, maintenant que les deux humains que je cherchai sont réunis, je ne vais pas perdre de temps. Asseyez-vous, mettez-vous à l'aise, les intimai-je en prenant une bière dans leur frigo histoire de me calmer.
C'est parti.
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