13・Jake Olsson

⤑Jake

– Je suis désolée mon grand, tu vas de nouveau changer de famille d'accueil, s'enquit Madame Rolz d'une voix triste.

Elle ferma la porte derrière elle, nous enfermant tous les deux pour une dixième fois dans ce maudit bureau, avant de s'installer en face de moi, sur son fauteuil à roulettes.

Je revenais à la case départ, encore, et me retrouvai enfermé avec elle dans cette pièce devenue ma hantise.
Elle était synonyme du retour en arrière, elle réduisait à néant mon espoir d'avoir un jour la vie que je désirais, normale.
C'était comme si j'étais enfermé dans une boucle temporelle incessante.

Je ne demandais pas la lune, si ?

Mais à force, je ne désirais plus rien. Mon désir personnel n'était qu'au second plan, puisque je n'étais qu'un objet dont personne ne voulait.

J'avais simplement accepté ma situation, n'ayant pas la force, la motivation et ne trouvant pas la raison d'essayer d'échapper à ce destin.

Pourquoi me casser la tête pour fuir ?

– Pourquoi ne pas simplement accepter le fait qu'il n'y a pas d'issues pour moi ?

– Ce n'est pas ça Jake, la famille Sullivan a beaucoup de dettes et ils nous l'ont caché, dévia-t-elle le sujet comme si de rien n'était.

Cette dame, je la voyais plus souvent que mes nombreuses familles. Elle se montrait toujours souriante, avec son carré brun et ses grosses joues rosées de blush, donnant presque l'impression qu'elle avait utilisé la poudre entière.

Mais ce n'était pas un sourire réconfortant.

C'était un sourire empli de pitié, et la chose qui me donnait le plus de mal à garder mon self-contrôle.

– Ça leur coûte cher aussi, tu sais les outils et les pièces que tu leur demande, continua-t-elle par un reproche qui me tendit un peu plus.

– Oui ça j'avais cru comprendre, fis-je sèchement en croisant les bras.

C'était du haut de mes 13 ans, dans une famille d'accueil dont j'avais oublié le nom, que j'avais vu passer une pub à la télé. C'était une publicité pour enfants qui mettait en avant une voiture mécanique télécommandée à monter soi-même, grâce à des pièces en métal détachées.

Intrigué, et attiré par ce jeu que je désirais tout de suite, je n'avais néanmoins pas osé leur demander. Je m'étais alors mis à trouver des pièces qui trainaient par-ci par-là, à retirer en cachette les piles d'une lampe pour m'en servir, à démonter d'anciens téléphones que j'avais dégoté.

J'avais fini par avoir le syndrome du "toujours plus".

Il m'en fallait encore.

Je voulais créer, monter, démonter, exploser de joie lorsque mon prototype marchait, trouver des variantes et me risquer à des créations plus dangereuses.

Bricoler.

C'était la seule chose qui me prenait mes journées et mes nuits.
La seule chose qui me rendait heureux, et me rendait l'espoir d'un jour, faire quelque chose de plus grand, de plus important et grandiose que de voltiger de famille en famille.

Je me sentais enfin utile.
Je servais à quelque chose.
Je servais à créer, par mes propres moyens et ma propre volonté.

Mais voilà que j'avais mis le feu à la maison. Que j'avais fait exploser bon nombre de créations en période d'essai, et d'autres incalculables tests foireux mais nécessaires.

Oui, je les avais mis en danger.

Mais au bout de la quatrième famille, je ne cherchais plus de figure parentale, de réconfort ou d'attention.
Je voulais simplement qu'on me laisse tranquille si c'était pour m'abandonner après.

Je n'avais plus d'attente envers qui que ce soit, et ne montrait ma joie qu'en face de mes machines.

Ce qui m'avait valu des coups, des cris, des pleurs, et un retour à la case départ.
En ce qui concernait ma dernière famille, elle s'était faite un malin plaisir à tout casser, sans exception.

Tous mes travaux piétinés. Et j'étais d'une humeur massacrante.

– Tu sais quoi ? fis-je en me levant, ne pouvant plus rester en place malgré mon expression et mon ton impassible, je m'en fiche.

– Jake...

– De toute façon, ce n'est pas moi qui décide. Je ne suis pas sot tu sais, et je n'ai plus treize ans, je vais bientôt en avoir seize. Alors ne te tracasse pas à me trouver de famille je n'en ai plus besoin.

– Et qu'est-ce que tu comptes faire ? Demanda-t-elle avec une voix adoucie.

– Me laisser porter par le courant.

La seule famille qui avait accepté que je continue mes créations avait tenté de voler mes droits, en voulant les revendre après avoir enfin compris que je n'étais pas totalement inutile.

Après quelques minutes, Madame Rolz déclara, ne voyant pas d'autre solution :

– Je vais voir si c'est possible de te prodiguer un appart.

Je hochai simplement la tête avant de retourner dans les couloirs de l'orphelinat, et m'empressai de sortir prendre l'air dans ces rues qui m'étaient si familières.

C'est alors que je percutai quelqu'un, et retint son bras par réflexe pour l'empêcher de tomber, juste avant qu'elle ne me tire derrière une poubelle en un geste rapide et précis, me forçant à m'accroupir dernière elle.

C'était une fille qui semblait avoir à peu près mon âge. Ses traits étaient tirés par l'effort que lui avait demandé sa course, qui semblait être une course poursuite au vu des deux hommes qui passaient devant nous sans s'arrêter de cavaler.

Elle prit son téléphone et réussi à se voir dans le reflet de l'écran noir malgré les nombreuses fissures, sous mon regard interdit, avant de se remettre du rouge à lèvres, comme si être accroupie derrière une poubelle ne l'empêchait pas de prendre soin d'elle.

– Pas très fut fut ceux-là, fit-elle, fière de les avoir semés.

Ses cheveux noirs étaient rassemblés en une queue de cheval qui laissait sa frange rideau sur le devant. On pouvait remarquer des mèches blanches sur le dessous.

Sa robe de soie rouge ne la laissait pas passer inaperçue, elle lui moulait tout le corps et laissait entrevoir le sang qui coulait des petites plaies sur ses bras et ses jambes ainsi que des bleus.

Je reculais soudain en arrière et tombai lorsque je vis une lanière autour de sa cuisse : elle était emplie de couteaux aiguisés avec soin, les lames réfléchissant le soleil.

Que faisait une fille de mon âge bien habillée dans la rue, en talons, en course poursuite et avec des couteaux autour de sa cuisse ?

Il m'était apparu comme une évidence qu'elle traînait dans des affaires dangereuses, et je n'eus qu'un réflexe, celui de me relever en hâte et de courir retourner dans l'orphelinat, loin du danger et de cette mystérieuse fille à l'allure atypique.
Loin de moi était l'idée de m'attirer dans des situations autres que mes routines liées à l'orphelinat et à la famille.

A croire que ma vie ne tenait qu'à cela, alors que la vie était bien plus vaste et insensée.

Ce que je ne savais pas à ce moment précis, était que cette fille allait justement me permettre de le découvrir moi-même.

Son regard noir de jais croisa le mien un quart de seconde avant que je ne sois arrêté dans mon élan lorsqu'elle attrapa le col de mon t-shirt, me stoppant net sous les quelques regards indiscrets.
Elle y répondit par des sourires qui se montraient très flippants, les fixant sans broncher jusqu'à ce qu'ils détournent le regard.

– Ne t'inquiète pas, commença-t-elle avec une voix adoucie en relâchant mon col quand elle fut sûre que je n'allais pas m'enfuir, je ne te ferais rien.

Elle m'observa un moment, scrutant mes yeux, et repris en constatant mon expression impassible que j'avais retrouvé ainsi que mon manque de réponse :

– Je ne t'ai pas traumatisé j'espère, réponds-moi.

– Je veux rentrer, me contenta-je de lâcher.

– Tu es sûr que ça va ? Insista-t-elle en fronçant légèrement les sourcils.

Elle regarda ses plaies qui ne cessaient pas de saigner, et qui, selon sa grimace, picotait toujours.

Après une grande réflexion, je lui saisissais le poignet afin de l'amener dans un coin tranquille à l'abri des regards, lui demandant de ne pas bouger.

Je revins quelques minutes après avoir emprunté la trousse de secours de l'orphelinat, ayant cédé à mes pensées les plus altruistes bien qu'une autre partie de moi se demandait ce que je faisais.

Alors que je me mis à sortir le désinfectant et à l'approcher de sa peau, elle s'en empara.

– Je vais le faire... Merci, fit-elle, moins sûre d'elle que tout à l'heure.

Visiblement, elle ne s'attendait pas à ce dénouement de situation. Et moi non plus.

Je la regardais panser ses blessures, gêné, et ne sachant quoi faire. Et je n'allais sûrement pas poser de questions.
Je ne voulais rien savoir.

Elle avait l'air d'être bourrée de secrets.

Et bien qu'elle fût en robe, je pus voir à quel point son corps était musclé. Je ne connaissais aucune fille de notre âge ayant une musculature aussi impressionnante. Aucune qui n'était comme elle.

Comment en était-elle arrivée là ?

Non, je m'en fiche.

– Jake ? C'est bien ça ?

Surpris, je fronçais les sourcils, la détaillant des yeux, perplexe.
Décidément, elle n'allait pas me laisser tranquille.

– Je t'ai déjà vu... Enfin je connais..., commença-t-elle en jetant un coup d'œil à l'orphelinat, un père à toi.

– Je n'ai pas de père, si tu as fini avec les pansements je vais y aller.

Mais soudain, je vis son regard changer, une lueur qui me fit peur.

– Jake, m'appela-t-elle comme si on se connaissait depuis des lustres, tu ne voudrais pas quitter l'orphelinat ?

Je restais d'autant plus interdit, incapable de traiter sa question dans mon cerveau. C'était une inconnue qui m'appelait par mon prénom, et trimballait des couteaux sur sa cuisse.
Il était impensable pour moi de rester ici une seconde de plus.

– Je dois y aller, au revoir, répondis-je en reprenant de force la trousse de secours.

– J'ai déjà vu quelques-uns de tes prototypes.

Je m'arrêtais dans mon élan, lui refaisant face avec inquiétude et méfiance. Elle me tendait un de mes prototypes que jamais je n'aurais pensé revoir un jour.
Je le prit et l'examinai, constatant qu'il était dans le meilleur état possible, avant de relever la tête, décidé cette fois-ci à vite en finir.

– Qu'est-ce que tu veux au juste ?

– C'est à toi que je le demande. Qu'est-ce que tu veux, Jake ? Qu'est-ce que tu veux vraiment ? Écoute, si tu viens avec moi, je t'aiderai à avoir tout le matériel que tu veux, j'ai de l'argent.

– Tu veux m'acheter donc ?

– Non, ce que je veux c'est...

Elle marqua une pause, réfléchit avant de cligner des yeux et de reprendre.

– Je suis sûre et certaine que si tu décides de venir avec moi, tu pourras en créer autant que tu voudras. Tu seras mon associé, j'aurais besoin de toi et de ton talent.

– C'est ridicule je ne te connais pas, et je ne vois pas en quoi je te serais utile, laisse-moi tranquille, finis-je par lâcher fermement.

Sur ces mots, je lui tournai le dos et entrai en hâte dans l'orphelinat.

Personne n'avait jamais besoin de moi.

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Plus tard, pendant le repas, je m'assis seul comme à mon habitude, dans un angle. Je préférais que personne ne me parle. Et surtout pas du fait que j'étais encore revenu entre ces quatre murs.
Malheureusement, je ne pus échapper aux habituels gars que je ne supportais pas.

Si je n'étais pas aussi indifférent car je n'estimais pas qu'ils représentaient la moindre miette dans ma vie, je les clouerais au mur sans réticence.

– Alors Jakou, on est finalement revenu après la quarante-sixième fois ?

– Tu as encore mis le feu chez eux ? Faut que t'arrêtes la cuisine.

J'avais pris soin de ne pas montrer ma passion à qui que ce soit, préférant vivre caché des regards, dans mon monde plutôt que le leur.

C'est alors que j'en vis un qui s'empara du pichet d'eau, s'apprêtant à le verser sur ma tête sans aucune rancune, et avec les rires de ses potes qui le soutenaient.

Je fermai instinctivement les yeux, n'ayant pas la force de me défendre face à des abrutis pareils, je préférais garder ma force pour cette nuit lorsque je m'adonnerais à mes inventions.

Je ne sentis rien. Aucune goutte, aucun jet d'eau ne vint ruisseler sur mon visage jusqu'à s'égoutter au sol.

– Ouste.

Je rouvris les yeux, et découvris de façon déconcertante la fille de tout à l'heure, revêtue d'une tenue banale, le pichet dans une main, un sourire satisfait aux lèvres.
Elle avait renversé la totalité du pichet sur le gars, qui avait une mine dépitée et perdue à la fois, étant entièrement trempé à ma place.

– Je dois me répéter ? Repris sa voix amusée.

Tous les regards étaient rivés sur nous, moi qui voulais rester discret, il faut croire que cette fille aimait se faire remarquer contrairement à moi. Ce qui ne m'arrangeait pas le moins du monde.

La bande d'abrutis venus m'embêter repartirent sans un mot, sauf un qui tenta de pousser cette mystérieuse fille dans le but de la faire chuter.

Malheureusement pour lui, elle ne bougea pas d'un pouce, et se contenta de le fixer en souriant jusqu'à ce qu'il s'en aille en grognant, amer de son humiliation qui avaient réduit à néant ses restes d'ego.

Ce n'était pas possible d'être aussi forte ? Surtout à son âge ?

Je me levai sous les regards de la salle entière, lui prenant le poignet afin de la traîner une nouvelle fois à l'abri des regards, dans le couloir aux murs blancs.

– Sérieux, qu'est-ce que tu fais ici ?

– Quoi, tu ne le savais pas ? Je suis nouvelle ici, répondit-elle amusée, avant de reprendre son sérieux en une fraction de seconde.

– Lâche moi tu veux ?

– Jake, j'ai déjà pris ma décision, je veux que tu viennes avec moi. Tu penses que tu seras en danger, mais je te promets que non, tu ne viendras pas sur le terrain avec moi si c'est ce qui te fait peur.

J'inspirai et expirait bruyamment sous ses yeux déterminés et croisa les bras. Elle ne semblait pas être du genre à renoncer.
Je me sentis pris au piège.

– Il faut que tu m'expliques, que je comprenne l'envers du décor, parce que là je ne comprends rien.

– Oh pardon, je m'appelle Rhéa et je suis tueuse à gage.

Pensant que c'était une blague de mauvais goût, je soupirai une nouvelle fois avant de croiser son regard obscur plus que sérieux.

– Tu te fiches de moi ?

– Non. Je pourrais te payer un logement. En plus des outils que tu veux.

Je pris un moment pour digérer ses paroles. Je savais qu'elle n'était pas normale et que nous étions opposés, mais pas à ce point-là. Les tueurs à gages je n'en avais entendu parler seulement dans les histoires, et qu'une fois où deux dans les journaux.

Les tueurs à gage étaient des personnes très discrètes, en rencontrer un relevait de l'impensable, mais en rencontrer un qui avouait en être un était un rêve, ou un cauchemar.

– Mais enfin, je suis un stupide orphelin sans avenir, pourquoi vouloir me rapatrier dans un monde comme le tien ?

– Pour justement te donner une chance. Une chance de sortir de ta routine ennuyante, une chance d'arriver à faire de grandes choses plus tard, parce que oui, j'ai des projets, je ne pense pas être tueuse à gage toute ma vie. Une chance de ne plus attendre qu'on te donne aux mains d'une famille que tu ne connais pas. Pour te donner une chance, une occasion, une porte de sortie.
Tu as un don et je veux t'aider à le développer. Sincèrement.

J'avais toujours pensé avoir déjà vu ce que l'avenir me réservait. Une vie banale, aller à l'école, avoir le permis, aller au travail. Tout ça après avoir trouvé ou non une famille.
Je n'avais jamais réfléchi à une quelconque porte de sortie, ou un autre chemin.
Pour moi, c'était à ça que la vie se résumait.

Une vie déjà tracée, ennuyante, à laquelle on ne pouvait pas échapper et je m'y étais déjà résigné.

Voilà pourquoi changer ma façon de penser en acceptant de changer de monde brusquement m'était difficile.

J'avais déjà eu du mal à accepter le dénouement de ma vie, j'avais besoin de temps pour changer ma façon de penser.

– Jake, reprit-elle en voyant que je ne répondais pas, il faut que tu envisages des possibilités, toujours, que tu trouves une solution pour être heureux. Est ce que tu es heureux ?

– Non, lâchais-je sans hésitation.

- La vie te soumet à elle, tu vas vraiment la laisser faire ? fit-elle en élevant la voix, c'est ridicule réveille-toi, bouge, à quoi ça sert de vivre si c'est pour te laisser faire ? Tu veux qu'on te verse des pichets sur la tête toute ta vie ? Je ne pense pas.
Si tu es là, sur cette terre, tu dois avoir le courage d'être heureux.

Ses paroles étaient les paroles les plus sincères et les plus directes, elle pointait du doigt ma feignantise, mon penchant qui était de choisir la facilité. Ses paroles se répercutaient dans mes pensées, me donnant une nouvelle vision de la vie qui m'était alors inconnue.

Je me sentis encore plus stupide que d'habitude.

– Tu as bien dit que j'aurais tout le matériel que je souhaite ?

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Salut !

C'était un chapitre plus long que prévu oups.

Mais j'ai vraiment pris du plaisir à l'écrire (bon pas autant que les chap Rhéa x Zayn eh eh) j'espère qu'il vous plaît autant qu'à moi.

On découvre ici le passé de Jake et comment il est arrivé à faire partit de Phoenix.
J'aime beaucoup la nature posée et impassible de Jake, et surtout, on voit ici ce qui l'a amené à devenir plus réfléchit et sérieux comme on le connaît actuellement.

Merci à ceux qui continuent cette aventure :))

Cœur sur vous-

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