12・Danger Incontrôlable

Attends, quoi ?

Mais il ne m'avait pas laissé le temps de réfléchir et d'échapper à son emprise. C'était donc ce plan foireux qu'il avait élaboré impulsivement en venant me rejoindre sous la pluie ?

Sa grande main rugueuse ne quittait pas mon poignet, me traînant derrière lui avec une hâte qui trahissait son excitation palpable.

J'étais sur scène.

Pour la première fois de ma vie je me retrouvai sur scène.

J'avais toujours refusé de participer à des chorales organisées par l'école. Il était hors de question que je reste debout pendant une ou deux heures sans rien faire que de m'égosiller la voix, mélangée banalement avec d'autres camarades inconnus.

Cette fois, c'était moi, et lui.

Au centre de projecteurs violets qui nous départageaient du reste du bar plongé dans le rouge sang, les quelques néons jaunes, les hauts tabourets noirs et rouges ainsi que les doux fauteuils rouges également.

Je pouvais apercevoir des cerisiers roses qui trônaient fièrement un peu partout dans les coins, sur le plafond, et qui pendaient gracieusement. On pouvait retrouver ici aussi les murs de pierre gris, éclairés par des bandes led.

Mais ce que je remarquais le plus n'était pas tout ce décor choisi avec soin qui offrait une expérience incroyable.

Je les voyais, eux. Je croisai mon regard avec les quelques spectateurs, assis, s'occupant à siroter leurs cocktails, et attendaient.
Ils attendaient le début du spectacle. Ils attendaient quelque chose qui les divertissait.

Ils attendaient après nous.

Oh, bordel. Je le hais.

Derrière nous se trouvaient des musiciens, un pianiste, un batteur et ce qui ressemblait à une platine de dj.
Ils me souriaient, me détaillant de la tête aux pieds, le pianiste me faisant un clin d'œil.

– Rhéa.

Zayn me tendait un micro, ayant lui-même un micro fixe pour lui laisser ses mains libres de jouer de la guitare.

– Tu pourras m'engueuler, mais seulement après.

Je n'avais plus le choix. Il était impossible pour moi de m'enfuir sous les quelques regards fixés sur nous et laisser cet imbécile en plan.

Je n'avais jamais considéré le chant comme une capacité et une qualité. Chez moi, je chantais, comme tout le monde, pour moi-même. Phoenix ne m'avait jamais entendue, Zayn était le seul, en venant me retrouver sous la pluie torrentielle.

Il commençait vraiment à devenir une plaie.

Je ne sais même pas me servir d'un micro. Et puis je suis censée faire quoi moi ? Rester debout simplement et chanter ?

Zayn s'avança sur le devant de la scène, gardant son éternel sourire de celui qui savait tout faire, même en improvisant.

Je ne le quittais pas des yeux, n'osant pas encore croiser le regard des spectateurs.

Même avec une chemise, je pouvais voir à quel point son dos et ses bras étaient robustes, surtout lorsqu'il portait le micro près de ses lèvres.

- Mesdames et messieurs, vous me connaissez déjà, moi, votre fameux Zayn, revient aujourd'hui encore pour vous chanter Manipulate. Mais cette fois-ci, continua-t-il en se retournant de trois quarts vers moi en hochant la tête comme encouragement, je vous ai amené une déesse.

Dès lors qu'il avait pris la parole, le brouhaha alias le mélange de voix et de discussions désordonnées qui remplissait la pièce s'était tu, pour laisser place à la voix de Zayn.

Aux indices que j'avais relevés, il avait l'habitude de venir ici, et tous le respectaient. C'était admirable. Cela lui rajoutait quelque chose en plus.

Comme... Un charme. Oui, c'est cela. Zayn avait un certain charme... Intrigant.

Non, je n'étais pas intéressé par les hommes, mais je n'étais pas insensible au bien être qu'il m'apportait.

Comme si le fait de rester avec lui ne me dérangerait pas, pour la simple et bonne raison qu'une personne imprévisible comme lui pouvait amener des situations improbables qui menaient possiblement au danger.

Et le danger m'attirait irrévocablement.

Moi qui désirais tout contrôler, je ne comprenais pas.

Pourquoi Zayn, ce détail qui ramenait des situations incontrôlables, ne m'effrayait pas, mais à l'inverse, m'attirait ?

C'est comme si brusquement, à cause d'une seule personne, j'en revins presque à me demander qui j'étais, et quelles étaient mes véritables envies.

Contrôler ce que je pouvais, éviter à Phoenix tout danger, faire marcher le plus facilement possible les affaires, éviter les meurtres, les organisations criminelles par des stratégies contrôlées, des ordres et un esprit analytique.

Mais d'un côté, jouer de la vie et du destin avec des personnes comme Zayn, prendre le cours du fleuve comme il venait, écouter la petite voix dans ma tête, prendre du recul et juste, s'amuser.

C'était deux façons de s'amuser. Mais pourtant bien différentes.

Il était celui qui réfutait le temps et l'espace.

Celui qui les modulais comme bon lui semble. Celui qui arrivait à faire de son environnement une force pour lui-même, au lieu d'une force qui lui drainait l'énergie.

Il était maître du temps.

Mais nous n'étions simplement pas du même monde. Et cette réalité m'avait presque échappée.

Néanmoins, cet instant précis au milieu de la nuit était figé. J'étais une nouvelle fois ancrée dans le temps, coincée avec lui, ou nos réalités se confrontaient pour ne former qu'un moment partagé, ici, sur scène.

Je ne pouvais plus, et ne voulait plus y échapper.

Les premières ondes sonores du piano s'élevèrent dans l'espace, et nos regards se liaient entre eux, les feuilles vertes, et le tronc brun. Un arbre commun.

Il commença à chanter, avec une tonalité incroyablement parfaite. Jouant de sa guitare électrique sans avoir besoin de regarder les cordes.

Roll with me, feel with me
Healing me is your fee to me
I don't wanna know I don't wanna play
Feeling this way, I dont really know how to keep self control.

Je fis enfin face au public, laissant émaner la confiance en moi et celle que j'avais déjà, inconsciemment, placée en Zayn.

I can't hang up, I don't want this to end
Manipulate

La prochaine note signifiait la liaison de nos deux voix, en symphonie. Nous nous approchâmes.

Les yeux dans les yeux.

La voix dans la voix.

– Poison was your given not like I had any choice in
Knowing what I've hidden making you feel like you tripping
Feeling like im tripping now that I know what youve hidden
Saying im your poison now that I know what you're missing.

Nos voix s'entremêlaient, mais plus que cela, il était la tonalité masculine qui me complétait, et j'étais sa sonorité féminine.
La musique retentissait dans la salle, accrochant les regards.

Nos cosmos étaient à leur paroxysme.

La musique continuait, et je me surpris à gérer, non, plutôt à me délecter de ce moment imprévu que j'aimais.

Que j'adorais.

Le public adorait tout autant, sifflant, et criant lorsque Zayn me fit tourner sur moi-même en me prenant la main.

Il n'y avait que nous.

Ma voix était peut-être plus utile que ce que je pensais. Nous chantions avec précision, sans oublier de respirer comme il fallait, au bon moment, pour ne pas s'essouffler bien que nous soyons corps et âmes à cet instant.

Les dernières notes de la chanson me firent presque mal au cœur, n'ayant pas envie que l'on me retire de ce moment inouï. Zayn lâchait sa nuque en arrière, fermant les yeux face au plafond avec un sourire, la guitare dans une main, éclairé des halos des projecteurs.

Un torrent de sifflements et applaudissements retentirent pendant ce qui me semblait être une décennie. Zayn et moi firent la révérence plusieurs fois, main dans la main.

Je n'avais jamais été aussi tactile avec quiconque. Même pas avec mes parents dans mes souvenirs. Ivy était la seule que j'acceptais à la limite. C'est pourquoi, quand le public se tut enfin pour écouter ce que Zayn avait à dire, je fus la première à enlever ma main.

– Est ce que vous voulez que votre déesse préférée revienne ? S'écria-t-il en levant un bras en l'air.

Le public était dévergondé.
Je ne m'attendais pas à une telle réaction de leur part, alors je leur rendis leurs acclamations par de nouvelles révérences, le rose aux joues, qui mélangeaient la gêne et la joie.

Ils acclamaient mon prénom. Ce fut Zayn qui ne cacha pas sa surprise, ne m'ayant même pas encore présentée au public, ce qui me soutira un sourire satisfait.

Les personnes qui m'admiraient étaient tout bonnement de grands fans.

Je ne passe jamais inaperçue.

"Oh putain je ne savais pas qu'elle chantait aussi bien. "

"Rhéaaa écrase moi !"

"Elle est tellement belle"

"Mec tu sais que si tu l'énerves tu peux finir à l'hôpital ?"

"C'est elle, c'est vraiment elle, vérifie que le bar est niquel pour elle."

Dans son bisness, Phoenix possédait une chaîne de bar nommée "Move", aussi bien dans ce pays qu'à l'étranger. Et j'en étais la fondatrice, c'était mon premier gros projet, que moi seule gérait.

Bon, projet ouvert avec de l'argent illégal mais ce n'est qu'un détail.

D'ailleurs, entre nous, j'avais seulement quelques bribes du pourquoi j'avais choisi ce nom, "Move". Il me semblait que c'était une personne qui me répétait "Bouge" souvent. Et cette personne me disait ça dans les moments où j'étais démotivée, comme un boost.

Qui c'était ?

De ce fait, j'étais connue et respectée des clients fidèles aux bars, pour la simple et bonne raison que Move était un bar fréquentable pour toute classe sociale sans distinction, avec des prix largement abordables, à l'écoute de leurs clients. Sans oublier les comedy show, les chanteurs, les magiciens et le dj imbattable.

En clair, Move faisait partit des bars les plus reconnus du pays. Tous les membres de Phoenix étaient vus comme des rois.

By order of Phoenix.

En revenant dans les loges, je ne savais pas quoi dire. Je ne voulais pas avouer ce qu'il venait de se passer. Moi têtue ?

À peine.

– Tu t'en es bien sortie, fit Zayn en brisant le silence en refermant la porte derrière lui, je ne t'aurais pas amenée ici si je n'étais pas sûr que tu y arriverais.

– Il faut avouer que tu t'en es bien sortit aussi, répondis-je en résistant à l'envie de fuir son regard.

Il s'approcha dangereusement de moi et posa sa guitare contre le mur.

– Tu voudras recommencer ?

– Oui, lâchais-je sans hésiter.

– Ça tombe bien, je commençais à m'ennuyer tout seul.

C'était comme si le moment que nous passions ensemble faisait disparaître ce vide inexpliqué en moi. Un vide que j'avais depuis ma perte de mémoire. Et le fait que sa présence me faisait oublier l'oubli était encore plus inexplicable.

– La prochaine fois, préviens-moi à l'avance avant de me kidnapper et de garder la bouche fermée, lança-je sans pouvoir me retenir de lui faire un reproche.

– Tu es un peu dramatique non ? Fit-il en baissant légèrement la tête ainsi que ses sourcils avec un sourire.

Pourquoi on lui avait fait don des yeux verts ? Je voyais bien qu'il savait l'effet que faisait ses yeux. Et il savait, par un regard que je ne saurais décrire, comment les mettre en valeur. Il ne s'arrêtait donc jamais de sourire ?

Je vis du coin de l'œil mon téléphone vibrer, que j'avais posé sur une coiffeuse en me changeant et décrochai.

– Oui ?

– Hey, c'est Jo, s'enquit Joseph, on est passés aux infos, pour l'explosion de la pharmacie, bien joué vous ne vous êtes pas fait chopés, commença-t-il alors que je m'éloignai de Zayn, ils ont retrouvé des résidus de drogue sur le sol, et ont fait l'hypothèse que nous avions pris pour cible un nouveau trafiquant de drogue. Eheh, on est trop connus.

– Aucun jambon retrouvé ? M'enquis-je afin d'éviter que Zayn comprenne, tout en sortant à l'extérieur du bar en lui faisant signe que je revenais.

– La police a récupéré les mecs qui étaient dans la BM, et ces mecs savent où est notre base.

– J'aurais dû...

– Les tuer ? Ce n'est pas ta faute. C'est moi qui ai décidé de leur déclarer la guerre. Alors non, je ne vais pas regretter une décision que j'ai prise, écoute-moi, l'interrompit-je en voyant qu'il avait prévu le fait que je culpabilise, je vais m'infiltrer en tant que policière, avec l'aide de Jake, c'est le plus fort d'entre nous pour conclure des marchés. On trouvera le moyen et d'avoir le nom de leur chef, c'est plus rapide que si on lui courre après. Mais faut pas traîner. Et s'ils leur ont déjà avoué ou notre base se trouvait, il suffit de trafiquer leurs données pour donner une mauvaise adresse.

– Tu fais quoi s'ils se doutent que l'adresse a changé ou qu'ils l'ont notée autre part ?

– C'est là qu'on aura besoin de Barbara, forte comme elle est, elle pourra facilement prendre le rôle de la nouvelle policière maladroite qui s'est trompée d'adresse, et pourra menacer de son côté celui qui s'est chargé d'interroger les mecs, avec la vie de sa famille, la routine. Toi, en professionnel que tu es, tu te chargeras de voler l'enregistrement de l'interrogatoire.

J'avais réfléchi avec une vitesse hallucinante, montrant à quel point l'infiltration était-ce que je gérais le mieux, ce que j'avais pratiqué le plus et qui m'avait sauvé la vie. Se cacher, se camoufler, se fondre dans la masse pour mieux agir, surprendre et arriver à ses fins.

Un serpent.

– D'accord je vais leur dire, t'as de la chance que je sois cool et que je ne balance pas aux autres que tu es debout à plus de 5h du mat' alors que t'es blessée, tu me dois une BM, me taquina-t-il avec ironie.

– Faut vraiment que tu fasses ton deuil, t'envoleras une encore meilleure, l'encourageai-je, toi, t'as de la chance que les mecs ne savent pas que c'est toi qui as volé leur voiture, auquel cas ils auraient pu porter plainte.

– J'en ai reçu des centaines des plaintes de vol dans ma vie, cheffe, ce n'est pas ça qui va m'arrêter, fit-il, narcissique et fier de lui.

– Dis, je sais que t'es le plus proche de Barbara, garde un œil sur elle et sur ses bleus. Si elle en a de nouveaux, préviens-moi.

– Oui, j'avais remarqué aussi, elle m'a dit que c'était Liam à l'entraînement. P'tain, tu penses que c'est plus grave ?

– Évidemment, même si elle cache ses émotions comme elle respire, et que Liam est un grand bagarreur, il y a anguille sous roche, je préfère me méfier. N'en parle pas à Liam, je ne sais pas comment il réagirait. Ni aux autres.

– Ça roule, n'oublie pas de dormir sinon tu ressembleras à une chaussette, fit-il avant de raccrocher.

En déclarant la guerre, j'avais réussi à apprivoiser l'imprévisible, alias la capture des mecs de l'autre gang. J'étais bien décidée à les laisser derrière les barreaux.

J'en connaissais une quin'allait pas aller en cours aujourd'hui non plus.


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