11・Red Mist
La pluie me clouait au sol, en me berçant de sa sonorité que j'aimais tant.
C'était un surprenant mélange de violence et d'apaisement.
Les nombreuses gouttelettes m'avaient déjà mouillée de la tête aux pieds, leur faisant mienne.
Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas laissée choir simplement sur le goudron, sous la vague de pluie que le ciel nous offrait de son nuage gris. Ce n'était certes pas très intelligent pour ma plaie, mais cette sensation d'être dans une autre dimension, le visage offert au déluge humide et à l'obscurité était ce qu'il me fallait.
Les yeux fermés, je fis néanmoins de mon mieux pour me concentrer sur les clapotis qui m'encerclaient, évitant de m'imaginer le mec cagoulé s'approcher de moi en douce.
Je me mis à sourire en imaginant quelqu'un me voir ainsi, m'imaginant soit morte, soit tarée. Et pour renforcer ce côté taré et le fait que je sois en transe, comme si je n'appartenais plus à ce monde, je me mis à chantonner.
Un bruit de pas parmi l'eau. Mon cœur rata un battement. J'ouvris les yeux d'un coup, résistant aux gouttes qui me harcelaient la vue, pour voir une silhouette s'approcher doucement de moi.
Mes muscles et mon instinct me firent bouger d'eux même, et en deux temps trois mouvements, je mis cette silhouette d'homme à terre, me retrouvant au-dessus de lui. Il ne s'était pas débattu, et... Il s'esclaffa.
– Je ne m'attaquerai pas à toi, c'est promis.
Nos corps se touchaient, et la pluie nous enveloppait, le mouillant lui aussi à son tour en une rapidité surprenante. Ma main était posée sur sa gorge chaude, exerçant une légère pression, pendant que j'étais en califourchon sur lui, et mes cheveux trempés s'égouttaient sur lui.
J'observais son visage rieur que j'avais déjà vu de très près hier, et poussai un soupir de soulagement malgré moi, avant de me laisser tomber sur le dos, à ses côtés.
– Qu'est-ce que tu veux Zayn, fis-je en fermant les yeux de nouveau après avoir vu qu'il avait caché les siens dans le creux de son coude.
C'était la deuxième fois que je me retrouvais dans une position assez dérangeante, et empli de proximité et de tension après le coup chez lui. Ce gars avait le don de me mettre dans des situations indésirables.
– Je fais comme toi, ça ne se voit pas ? Moi aussi j'aime la pluie. Par contre, ta blessure moins, affirma-t-il d'un ton soudainement très sérieux.
– Pour un mec qui m'a fait boire un somnifère sans mon accord je trouve que j'ai déjà assez vu ta face et je peux me passer de tes reproches.
J'avais l'habitude des taquineries des garçons du gang, mais bizarrement ce n'était pas pareil avec Zayn. Il m'était pourtant impossible de mettre un doigt sur ce qui différait.
– Si ça peut te consoler, je me suis moi aussi retrouvé comme un con à m'endormir dans ma salle de bain, avoua-t-il, la position que j'avais m'a donné de sales fourmis dans les bras.
– Et tu as eu le temps de mettre un t-shirt, de me ramener chez moi, de rentrer, et tout ça avant de t'endormir ?
– Ça t'intrigue ?
– Je veux juste savoir.
– Ça ne change rien au fait que je t'intrigue.
À ces mots je tournai ma tête sur le côté, croisant son regard qui me fixait déjà.
Encore.
Mais refusant de lui montrer qu'il me déstabilisait malgré sa lourdeur, je maintins le regard, ce qu'il fit aussi. Et nous restâmes ainsi quelques secondes, qui me semblaient être une éternité.
Une éternité partagée dans un moment figé. Comme l'immortalité partagée de deux êtres.
Ce fut lui qui brisa, enfin, ce jeu de regard juvénile. Il sortit de la poche de son sweat noir son téléphone afin de vérifier l'heure.
Et contre toute attente, mais qui ne me surprenait plus à force de ses paroles et actions farfelues, il me sortit :
– J'ai un marché à te proposer.
– Quel genre de marché ?
– Celui qui est interdit de refus.
– C'est ce que j'appelle un dictat, pas un marché.
Mon commentaire lui soutira un rire étouffé.
– T'as raison, allez lève-toi, m'intima-t-il, exécutant ses paroles lui-même, me surplombant de sa silhouette.
Il était entièrement trempé de la tête aux pieds, et me regardait de haut, étant à contrejour des lampadaires, ce qui était, à vrai dire, très hypnotisant.
La pluie ne s'était apparemment pas décidée à cesser.
Je savais au fond de moi à quel point il était beau. Mais je refusais de l'admettre.
Qu'est-ce que ça pouvait bien faire ?
Il m'emmerdait.
D'ailleurs, pourquoi m'avait-il rejointe, et que faisait-il près de chez moi en pleine nuit ?
Quel détraqué.
– Je suis bien là, lui répondis-je, en regrettant de ne pas m'être attendue au fait que son arrivée allait mettre des bâtons dans les roues à ma solitude désirée.
– Tu seras bien là où je vais t'emmener. Ça fait 20 minutes que je suis sous la pluie avec toi, soit, tu es ici depuis plus de 20 minutes. Alors si tu ne veux pas que je te change ton bandage comme à une gamine qui est tombée, tu vas venir avec moi. Et seulement après je te dirais comment j'ai fait pour le somnifère.
– Tu fais des pieds et des mains pour que je vienne avec toi, c'est qui le gamin entre nous deux qui demande à ce qu'on vienne jouer avec lui ?
À ces mots, il se baissa, et je me sentis voler, décollée du sol. Il me souleva comme si je me confondais avec l'espace. Il me portait comme une princesse, ses grandes mains soutenant mes cuisses et mon dos.
Je ne l'avais pas vu venir.
– Un gamin ne pourrait pas te porter comme je le fais, me confia-t-il en chuchotant à mon oreille.
– Je ne rigole pas avec toi, repose-moi, lançai-je en essayant de garder mon sang froid, voyant qu'il commençait à se mettre à marcher, et ayant eu du mal à faire sortir les mots de ma bouche tant j'étais surprise par son culot.
– Hé, arrête de faire des caprices. Tu vas voir on va déchirer.
– On ? Déchirer ? De quoi tu parles ?
Lorsque nous arrivâmes devant ce qui me semblait être un bar, je ne comprenais toujours pas où cet imbécile d'homme voulait en venir. Il me déposa enfin, et m'intima de le suivre à l'intérieur, par la porte de derrière.
Ma curiosité étant piquée à vif malgré moi, je le suivais sans vraiment savoir ce que je faisais.
– C'est quoi ce bar ? Je ne suis jamais venue.
– Bienvenue dans les loges du bar Red Mist. Je trouve le reste du bar encore plus épatant, me confia-t-il en me tenant la porte en métal, tout sourire, comme si le simple fait de venir ici le rendait plus qu'heureux.
Lorsque j'entrai, une musique de fond me parvint, collant parfaitement avec la pièce que je m'apprêtais à observer.
La salle était plongée dans le rouge, donnant une ambiance qui me séduisait en un instant, les chaises, les principales lumières et la plupart des meubles étaient rouges et noirs.
C'était l'atmosphère de la nuit, le monde de la nuit en personne.
Et le rouge était la seule couleur que je pouvais porter et aimer en dehors du noir.
Je marchais sur un sol noir stratifié, et les murs étaient fait de pierre noire, ajoutant un certain côté naturel à la pièce.
Quelques lumières tamisées, discrètes, apportaient une notion plus intime à la pièce de la taille de ma chambre.
Il y avait là des instruments de musique regroupés à un endroit, et leurs accessoires, comme des médiators posés sur une commode marron. Certains instruments étaient accrochés fièrement au mur, de toutes les couleurs imaginables.
Une penderie montrait des outfits chics et des costumes, calés dans un coin de la pièce. Les trois autres angles étaient pris par trois coiffeuses illuminées, qui avaient l'air d'avoir été utilisées récemment.
– Qu'est-ce qu'on fait là ? Demandai-je, pas le moins du monde paniquée, à ma plus grande surprise.
Je devais m'être trop prise la tête pour aujourd'hui. Enfin, hier vu qu'il était bien minuit passée.
Il s'empara alors d'une guitare accrochée au mur, avec des contours noirs estompés qui enveloppaient sa teinte écarlate, et se mit à l'accorder en s'asseyant devant une coiffeuse.
Il avait appelé quelqu'un sur son téléphone en même temps, qui attendait la réponse du destinataire en vibrant sur le meuble.
– Tu vas voir.
Je poussai un soupir en faisant les cent pas dans la pièce, m'attardant sur chaque objet qui attisait ma curiosité, étant donné que je ne faisais que du piano. La curiosité qui me rongeait m'empêchait de lui tenir tête comme les autres fois.
Le téléphone s'arrêta de vibrer, et une voix rauque s'éleva. Je pouvais sentir la cigarette d'ici émaner de ses vêtements.
– Zayn, qu'est-ce qu'il y a ?
– T'es au bar ?
– Ouais pourquoi ? j'suis en train d'aider Oli, enfin je voulais qu'il m'apprenne à faire ses fameux cocktails là tu sais ? Oh merde, j'ai fait tomber le citron, ragea-t-il avant de rire.
– Je vais jouer, je suis dans les loges je serais bientôt prêt.
– C'est juste parce que c'est toi que je te laisse venir à l'improviste. T'as de la chance que les gens ici t'apprécient.
– Évidement qu'ils m'apprécient Papy, fit-il sarcastiquement avant de raccrocher.
– Alors, tu m'as emmenée ici, dans le but de me forcer à te regarder jouer ?
Il émit un petit rire, se leva après avoir posé sa guitare, toujours sans me donner plus d'informations, et tira une robe noire de la penderie après une courte réflexion.
– Tiens, cadeau de la maison, mets-la maintenant, ça fait longtemps que personne n'y a touché, dit-il avant de me la jeter entre les mains. Et moi je vais mettre une chemise et un jean noir pour que tu sois assortie à moi.
Je n'arrivais pas à déchiffrer son expression. Il mijotait quelque chose et refusait de me dire quoi, tout en ayant les yeux pétillants de bonne humeur et de malice. Comme les autres fois au final.
– Il n'y a pas d'autres loges. Donc soit on se change dos à dos, soit tu préfères qu'on s'habille mutuellement peut-être ? Dit-il d'un air narquois.
– Tout ça parce que je dois me plier à ta volonté, attendre de savoir ce que le sort me réserve et mettre une robe pour simplement te voir jouer ?
– Je n'oublie pas mon marché, je te dirais mon secret pour le somnifère, dit-il avec un clin d'œil.
Pour m'inciter à me tourner et à me faire réagir, voyant mon air perplexe, il enleva son haut en me fixant du regard, dévoilant pour la deuxième fois son torse sous mes yeux.
Je releva légèrement la tête avec un sourire qui apparut sans crier gare, avant de me retourner et de me déshabiller à mon tour.
– Je te préviens si tu me mattes je te tue, le menaçait-je d'une voix neutre.
– Tu serais déjà morte si je t'avais menacée de la même chose, me contra-t-il par-dessus le frottement du jean qu'il enfilait.
– Tu me materas seulement quand je l'aurais décidé, répondis-je en déviant légèrement la conversation volontairement.
– Ça veut dire qu'il y a une chance pour que tu me l'autorise un jour ?
Je ne répondis rien, me rendant compte à quel point ce n'était qu'hier que nous nous étions parlés pour la première fois.
Et surtout, qu'il avait réussi à me prendre dans son filet, aussi bien en arrivant à me donner un somnifère, qu'en sachant où j'habitais, et en m'entraînant dans ses conversations et moments imprévisibles.
Remarque, peut-être voulait-il passer du temps avec moi parce qu'en vérité, c'était lui qui était pris au piège.
Je me regarda dans le long miroir accroché à la porte par laquelle nous étions entrés.
C'était une robe sirène très moulante en haut, épousant le creux de mes côtes, et s'évasant légèrement jusqu'au sol, avec un col bardot à traîne.
Cela faisait depuis une mission d'infiltration parmi des gens haut placés que je n'avais pas eu l'occasion de porter de robe. Et celle-ci me fit sourire face au rendu qui me mettait parfaitement en valeur.
Me voilà encore sous un autre jour.
J'avais pris soin d'enfiler la robe en douceur afin de ne pas prendre le risque de déclencher une douleur provenant de ma blessure.
Je me retournai.
Il avait délibérément laissé sa chemise noire légèrement ouverte, donnant un style décontracté à son outfit habillé.
Soudain, il se mit à genoux devant moi, me montrant qu'il comptait me mettre les escarpins noirs qu'il tenait, alors je le laissai faire.
Il tint délicatement mon pied dans sa main avant d'enfiler une première chaussure.
Et comme s'il avait entendu mes pensées il sortit :
– On a encore un peu les cheveux mouillés, mais ce n'est pas grave, ils vont aimer, est ce que tu connais les paroles de la chanson "Manipulate" de Mxze et Clarei ? s'empressait-il de me couper la parole en voyant que je fronçais les sourcils, sur le point de poser une nouvelle question.
– Oui mais...
– C'est parfait.
Il s'approcha de moi, me détaillant de la tête aux pieds sans retenue, dévoilant sa fossette en souriant. Puis, il me prit par le poignet et commença à marcher en me traînant derrière lui vers une porte opposée à celle de tout à l'heure.
– Rhéa, nous allons monter sur scène, ensemble.
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