Un peu de tout. Un peu de rien.
Costume fade. Chemise blanche nettement froissée. Cravate étranglement serrée. Des rollers aux pieds.
Ainsi, le serveur, l'allure faussement décontractée et nullement fière, flâna jusqu'à parvenir à la hauteur de Jacob qui était sagement assis, l'esprit ailleurs, un mégot éteint et demi-consumé aux doigts dont les ongles étaient récemment rongés. Ses lèvres avaient vieillis d'une décennie suite à la tornade de bouleversements qui le heurtèrent dernièrement. Ses cheveux noirs joliment ébouriffés témoignent le peu d'attention qu'il leur porte désormais. Son sourire crispé en dit long sur sa souffrance.
Son corps s'affaiblissait. Son abdomen lui fait de plus en plus mal. Son ventre s'arrondissait. Il prenait du poids. Il ne mange pas vraiment pour en gagner. Sa nourriture se limite à ce que les autres le poussent à avaler. Des hauts le cœur devinrent de plus en plus fréquents, insistants. Il ne parlait jamais de sa douleur omniprésente. Ses rides au coin des yeux s'en chargent. Dès que l'effet des calmants rompît, c'était son combat à lui seul contre l'inconnu. Sa main gauche serra dangereusement la bande frêle de son Adidas, de peur qu'elle s'échappe elle aussi, le laissant seul faire face à ses démons. Ses doigts fins suffoquaient vue la pression qu'il leur impose. Une partie de lui sembla s'être enterrée à jamais, rejoignant le ciel. L'infime part de son innocence. Celle qu'il avait toujours voulu garder comme souvenir, souvenir d'une enfance mal finie.
La morphine pesait péniblement sur son subconscient autant troué que sa chair l'était avant. Il sentait la culpabilité le ronger sanguinairement. Elle était là, en train de l'extraire violement de la faible volonté qui réside en lui, celle de persévérer à ignorer les appels du mal. Même son unique souffle le quittait, lui arrachant l'espoir d'achever la partie dignement. Comment Guillaume fait-il pour se promener dix kilos de cocaïne dans son sac de cours ? L'esprit vide. De quelle manière planait-il les exports et les imports des tonnes de substances illicites ? Sans pression. Sans cette sensation, d'enfreindre la loi, bloquée dans les entrailles. Sans cette foutue impression de commettre tous les délits de ce cosmos? Il admira son sang-froid et il aurait tué pour ne serait-ce que le posséder durant quelques temps, de le manier aussi facilement qu'on manie une épée en plastique. Dans son cas, son seul outil de défense se résume à un bout de feuille : un certificat médical de trois jours. Cependant, une fois utilisé, il se révoltera contre lui, le rendant encore plus vulnérable qu'il ne l'était plutôt. C'était équivalant à une allée simple aux îles de rêve, avec un retour alambiqué et mortel aux enfers.
Mia doit se secouer. Réaliser l'ampleur des dégâts. Avouer l'inexistence d'issues. Accepter une fois pour toute sa décadence. Sinon, il procédera autrement. Il la poussera à se retirer du jeu. Contre son gré. En utilisant les règles, qui l'ont toujours étouffé lui, contre elle. En faisant usage de ses méninges non seulement lors de ses stupides jeux malsains qui l'ont fait crouler, ou encore sur terrain qui l'a vu gagner, mais plus concrètement dans le monde réel qui l'a éteint.
Jacob enfoncerait Mia dans la gadoue si elle refuse de se retirer, de coopérer à sa délibération morale. Il installera un scénario réaliste, jouera à la perfection le rôle de la victime, improvisera si la situation prend une tournure imprévisible et gardera les yeux de biches le long de son discours joliment cocoté. Et il est sûr que ça fonctionnera, l'éliminant ainsi du territoire vénéneux, renversant les statues de pouvoir. Un tour chez le bureau du principal et la boucle sera définitivement attaché. « Pour son bien », répéta-il inlassablement. « On assure toujours ses arrières, c'est une règle d'or et il ne faut jamais l'omettre», ajouta-t-il, en aspirant de l'air à en éclater les poumons.
Pendant qu'il lâcha son fidèle sac de sport, pour s'intéresser un minimum aux laitues dégueulasses en face de lui, ce con de serveur effectua une figure d'acrobatie toute rouillée. Etait-il réellement dans un Cibber-café comme le lui avait indiqué son GPS, ou dans un cirque médiocre aux capacités théâtrales encore plus banales? Pas le temps d'installer un débat intérieur, les monologues ne servent plus à grande chose parce que l'événement qui succéda s'en occupa largement. Le pingouin, à part le fait de se trémousser sensuellement sous son nez, exposa un pied sur la table au même temps qu'un plat en argent où l'addition trônait en maîtresse. Sa tête complètement ailleurs ne lui avait pas laissé le temps de se rendre compte qu'il ne s'était pas rendu à un simple café... Et le chiffre affiché dessus renforça ses doutes. « 47 dollars pour une foutue salade ? » Pensa-t-il, dégouté. Il avait du mal à avaler sa salive convenablement. C'était à peu près tout ce qu'il avait sur lui. C'était avec quoi il comptait « survivre » avant de retourner chez lui, dès que ses idées eurent triomphé un semblant de clarté. Il écarquilla les callots, toujours incapable de croire ce qu'il était en train de lui arriver, puis tenta de les frotter discrètement pour éviter d'attiser l'attention du serveur. Celui-ci gardait toujours la même position, mais cette fois, il secouait le buste.
« Pourvu qu'il daignera s'arrêter», supplia-t-il mentalement, afin de sortir définitivement de ce café qui hantera ses cauchemars pendant une période assez conséquente.
Mais non. Il continue, levant les bras et les faisant bouger bizarrement. La fameuse police « New York Times», imprimée en taille 26, valorisait le fâcheux nombre, imprimant d'avantage sur sa conscience l'énorme erreur qu'il a commis en s'installent dans une des tables ce restaurant.
- Une maigre ration de laitue pour un prix pareil ? Demanda-t-il, déstabilisé par l'argent qui s'envolera d'un coup, désespéré par ce monde immature et par sa malchance démesurée.
- Vous payez l'ambiance aussi, Monsieur. Rétorqua-t-il, pressé par les additions qu'il était censé récolter, tout en offrant les mêmes figures.
- Mais de quelle foutue ambiance vous êtes en train de parler, mec ? Cria-t-il hors de lui, il chercha dans son Adidas les billets qu'il avait heureusement empochés et ajouta. Tu sais quoi, vos catins les tomates vous les baisez au lieu de vous frétiller, putain que vous êtes !
Jacob, le buste bombé, sortit laissant 47 dollars sur la maudite table ronde. Un homme frustré aussi. « Il s'attendait à quoi ? A ce que je lui tienne la jambe pendant dans son prochain numéro?»
***
Sarah était en position fœtal sur son matelas, son BlackBerry dernier cri, à la main. Elle guettait l'arrivée du moindre signe de Jacob.
La moindre notification l'alarmait de l'arrivée d'un nouveau texto. La moindre vibration signalait un appel. Mais ils ne provenaient jamais du destinataire tant attendu. A chaque fois qu'elle commence à perdre patience, les souvenirs de ses clins d'œil furtifs la gonfle d'espoir. Elle avait laissé tomber Alex. Elle avait écrasé son égo. Pour lui. Et elle attendit une récompense du ciel, un signe quelconque qui témoignera qu'elle n'était pas en train de se perdre dans des illusions douces et pailletées.
Ils souffraient à deux. Ils peuvent aussi surmonter les problèmes du monde entier ensemble.
Sa chambre était close. Les fenêtres, aussi. Son croc-top laissait une vue d'ensemble sur sa plaie. Psychiquement, elle était en train de se rétablir. Son corps, lui, ne suivait pas le courant.
Cette cicatrice devint à ses yeux une force. La disparition de ce lien qui l'unissait avec sa mère la renforçait. Cette créature ingrate qui les laissa tomber, son père et elle, pour un blond aux yeux bleus, alors qu'elle était âgée de quatre ans et demi. Elle avait, à cette époque-là, horriblement besoin d'elle : de sa présence, de sentir son parfum envahir ses narines, de lui raconter ses journées banales. Un peu plus jeune, elle souhaitait qu'elle l'aide à se préparer pour son premier vrai rendez-vous, qu'elle lui chuchote de faire attention, de se protéger des mauvais gars, de se préserver pour la bonne personne, celle qui la mérite réellement. Or, sa génitrice, le seul truc qui la préoccupait, c'était sa chatte, sa satisfaction, son comble charnel.
Ce vide au fond d'elle se réduisit à néant. Elle se sentit revivre à sa manière. Un grain, heureuse. Une poignée, libre. Ce qu'elle avait toujours craint n'arrivera. La transmission de ce gène cessera. Son arrière-grand-mère se prostituait pour arriver à se payer un loyer. Sa grand-mère trompait son époux continuellement. Et sa mère quitta son mari pour un modéliste. Elle veut rompre la chaînette. Et ne pas introduire cet aspect à ses enfants. Un mal pour un bien. Personne ne vivra encore une fois le calvaire dont elle fut victime. Elle se nommera désormais SARA, sans H, parce que renaître implique beaucoup d'investissement spirituel. Et elle en est apte.
Nouveau départ. Nouvelle vie. Pourvu que Jacob lui tienne la main à jamais...
***
C'était précisément la douzième expérience qu'il rata cette semaine. Ses mains n'étaient nullement synchronisées avec ses pensées. Il avait besoin de nouveaux matériaux. Ceux qu'il possède semblent ne pas correspondre à ses prospections, à la validation de ses objectifs. Il ne comprend pas la raison derrière ses échecs répétitifs. Il s'intéressa une énième fois à ses calculs développés, reformula les équations, réintégra de nouvelles données, et obtint le même résultat.
Il sortit de son laboratoire, clora la porte en verre coulissant, retira ses gants, ses lunettes de protection, et s'adossa au mur. Son corps était assoiffé d'énergie. Il mesura le pourcentage de glucose dans son sang, le comprit très bas, s'obligea à intégrer un liquide adéquat dans sa veine saillante, puis rabattit le tissu sur son bras. Ses nuits blanches consacrées à approfondir ses recherches et trouver la source du problème l'avaient achevé. Au début, la réalisation du mélange avait l'air d'un jeu d'enfant, d'une partie de plaisir. Peut-être que sa manière de procéder manqua d'habilité. Ou que tout simplement, il devait se vider l'esprit de tous les tourments qui l'occupent.
Cette pièce lui rappelle ô combien il était dupe d'agir tel un robot insensible face aux ordres insensés de Sara. La vue de l'autre moitié de l'ovaire, enfermé dans le réfrigérateur en face de lui, le déstabilisa. Est-ce vraiment lui qui a effectué ses horreurs ? De ses propres mains ? Il essaya de fermer les yeux, de se détacher des images de la soirée qui ne cessèrent de le hanter. Il détacha son tablier, puis chercha à tâtons son lit immense, mais tout autant hostile. Elle lui manque. Leurs nuits ensembles lui manquent. Tout chez elle lui manque. Or, elle avait choisi Jacob, l'anti-héros. Et elle le lui a fait savoir de la plus moche des manières.
Certes, Alex peut devenir Jacob. Il peut toujours devenir le leader de la seconde équipe de hand-ball du lycée. Lui voler au loyal son titre. Jacob a été exclu de l'équipe à cause de son incapacité physique de représenter le lycée lors du championnat régional de cette année, et ceci fut approuvé par le docteur Mia.
Il avait accepté. Alex avait accepté de remplacer Jacob, de devenir le capitaine, l'anti-héros. Pour plaire à Sara. Pour rentrer dans ses normes. Pour rendre tout ce qu'il lui appartient. Alex pivota, chercha son mobile et décida d'appeler sa future petite amie. Mais elle ne répondit pas. «Elle doit certainement dormir à cette heure-ci », songea-t-il.
Alex remémora les paroles du directeur : « La victoire revint naturellement à la seconde équipe, celle que vous venez de quitter Monsieur Clark. Ça vous va ? »
Pourquoi Mia se soucie tant de ce con de Jacob ? Il l'avait vu monter dans sa Jeep, or, c'est tout ce qu'il sait. Jusqu'à maintenant. Elle a l'air beaucoup trop intelligente pour perdre son temps avec lui. Beaucoup trop bonne pour avoir un penchant pour un incompétent. Mais, il s'en fout à vrai dire.
- Sara sera-t-elle mienne, désormais ? Demanda Alex à Siri.
- Certainement. Répondit-elle.
- Vraiment ?
- Vraiment.
***
Jacob retourna à l'appartement de Marc vers une heure du matin, littéralement dans les vapes. Il avait rencontré des gars qui contre quelques grammes de Morphine lui offrirent deux grands verres de bière. Il s'était même permis un troisième avec les trois dollars qui lui restaient dans la poche. La soirée était folle. Joints, bière et morphine, Jacob ne s'était jamais douté qu'il passera une belle soirée après l'histoire des quarante-sept dollars. Il ne se rappelait pas vraiment mais il avait même peloté une ou deux catins dans le disco.
Marc le redressa, lui passa un verre d'eau pour qu'il s'hydrate la gorge et l'invita à dormir dans son lit. Et avant même que le corps de Jacob n'atterrit sur le matelas, l'ex capitaine attira Marc vers lui et l'embrassa sauvagement. Il lui ôta son t-shirt, puis chercha à faire subir le même sort à son caleçon. Ils baisèrent toute la nuit, se consumèrent physiquement...
Jacob chercha à savoir s'il était toujours capable de faire l'amour. Marc tenta de montrer à Jacob son amour.
Deux raisons opposées, deux sexes retrouvés, une nuit enflammée...
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