L'imprévu



- Je sors dans moins d'une minute, Monsieur ! S'écrit Jacob peinant à nouer correctement ses lacets.

Il était dans les vestiaires de l'équipe sollicitant un urgent -voire très urgent- coup de main pour arranger les bras ballants de ses baskets. Mais de la part de qui ? D'Alex ? Probablement pas. Les amis se serrent les coudes. Mais pas les ennemis d'après sa modeste connaissance. Il raya cette suggestion de sa liste, pas trop longue à son gout, avant de s'adosser au mur. Jacob bloqua le bâtonner bicolore, partiellement consumée entre ses lèvres, embrasa le bout survivant de sa dernière pause cigarette, laissa échapper une fumée dansante de ses lippes, puis leva ses yeux, marqués par des cernes violettes, inspectant l'état du plafond, confus. Cette pièce est dans un piteux état. Tout l'établissement est une ordure. Les alarmes d'incendie ne marchent pas. Les portes grincent. Tout se détériore. Même le siège se fritte sous la pression de ses doigts. Il a de la peine pour lui-même. Il se sentit aussi fragile que ce bout de bois avec lequel il est soutenu. Il souleva son t-shirt pour effleurer délicatement sa plaie qu'il avait recouverte tôt ce matin d'un bandage blanc réalisé à la va-vite. Quelques solitaires gouttes de sang tachaient le tissu. La blessure n'est pas encore guérie. Il devra appliquer du désinfectant dessus de peur qu'elle ne s'endommage, et resserrer d'avantage le bandage. Il n'avait avalé qu'une seule pastille aujourd'hui ayant remarqué que ça lui coupait viscéralement l'appétit. C'était comme si ses médocs ne s'occupaient pas juste d'adoucir sa souffrance, mais mettaient à off ses besoins vitaux, aussi. Toute cette histoire lui donnait la nausée. En cours de SVT, il s'était imaginé en train de s'ouvrir le ventre avec le cutteur à sa droite dans le but, tout autant raisonnable qu'insensé, de faire disparaître cette folie de ses entrailles. Mais il a pris peur. Peur de s'offrir en spectacle, de sembler tel un monstre aux yeux de ses camarades, de se donner la mort gratuitement. Il ne voulait pas tendre son âme au diable, pas avant d'accomplir la mission qu'il s'était toujours fixée. Quelqu'un devrait bien faire payer à son géniteur tout le mal qu'il leur a fait endurer ses dernières années. Le son des portes qui claquent revenait lui coloniser les pensées. Les cris de douleur, provenant des lèvres meurtries de sa mère écrasée par les coups du Méchant, lui mutiler les neurones. Sa tromperie répétitive lui arracher foie en l'âme-sœur. Il agita la tête comme s'il voulait se débarrasser tant bien que mal de ses souvenirs médiocres, essayant ainsi de penser à autre chose. Un truc moins morne, plus gai. Il révisa les derniers événements, ceux de la pause déjeuné. La petite mascarade qu'il cocote pour se fournir de quoi masquer son mal-être lui sembla bel et bien une idée de génie. Jacob libéra une énième bouffée mortelle tout en souriant malicieusement : il ne se rappelle pas de la dernière fois qu'il avait sorti une idée pareille. Il avait l'air rayonnant : le bon côté de la situation ne le déplaisait pas pour autant. Le capitaine estima qu'il aura éventuellement de quoi s'occuper l'esprit les prochaines semaines parce qu'il était certain que cette toute nouvelle amourette, entre Sara et lui, affolerait l'ailier gauche, suffisamment pour le mettre dans tous ses états. Et qu'il faudrait s'attendre à n'importe quoi de sa part : piquer l'objet sexuel de quelqu'un n'est pas juste une pourrie blague d'avril.

Jacob avait la ferme conviction qu'il n'aurait qu'à faire chavirer le cœur de Sara, qu'à lui montrer la partie dorée de son histoire imaginaire, qu'à lui dévoiler dans quoi il excellait. Et elle deviendra assoiffée de sa présence, lui exhaussant tous ses plaisirs, voire même lui fournir -sans même qu'il ne le lui demande- des calmants à la pelle grâce à la pharmacie de son père, pour ne pas le voir souffrir. Néanmoins, il n'a pas du tout droit à l'erreur, c'est sa vie qui est en jeu maintenant. Plutôt, il aura planifié une partie de jambe en l'air exquise -ou juste un dîner romantique sous les étoiles- plutôt il l'a rendra encore plus folle de lui. Ça marche à tous les coups ! Et puis Sara n'a jamais été une exception. Il l'a toujours considéré comme une distraction pour la meute. Comme n'importe quelle autre suceuse de popularité !

Plutôt, il aura le cœur de Sara dans le creux de la main, plutôt il se fera une joie de le lui écraser.

Le lycéen sentit une paire d'yeux le reluquer s'attardant sur ses avant-bras, avant d'atterrir sur ses chaussures. Une édition limitée des Nike. Jacob écrasa le mégot sur le bord du siège mordu par l'humidité, respira un coup, puis s'abaissa pour essayer encore une fois de nouer ses maudits lacets. Au début, il avait supposé que c'était Elle. « Que ses pensées l'avaient appelé. » Mais non, son pouvoir de télépathie ne fut pas si efficace en fin de compte. Ce fut Marc ! Avec son air d'élève studieux : sa cravate à couleur unie et relativement tape à l'œil mettant en suspens son teint blafard, sa chemise impeccablement bien repassée et glissée dans son pantalon coupé droit : son cul avait une forme d'enfer dedans, ses lunettes rondes épousaient à merveille la forme de son visage. On ne peut jamais le louper dans le couloir. Marc s'agenouilla rapidement, puis lui noua les lacets : ils ne se détacheront pas de sitôt. Quand le meilleur ami du roux se leva, Jacob remarqua que ce dernier ne semblait pas vraiment à l'aise : son regard vide fixait un point suspendu dans le vide.

- Je te fais de l'effet ? Communiqua Jacob pour détendre l'atmosphère.

- Non, tu sais très bien que tu n'es pas mon genre. Répondit-t-il du tic au tac.

Marc marqua un point et une pause. Il ne s'était jamais imaginé se retrouver dans cette pièce bourrée d'hormones masculines, et ça le déstabilisa jusqu'au plus profond de son âme. Lui qui n'a plus couché depuis deux mois. Soixante longs et interminables jours.

- Je pensais juste qu'il te faudra des médocs plus forts. Tu sais que je peux t'en fournir ? Je parlerai à Guillaume, et... Se rattrapa-t-il, cherchant à fouir les yeux transperçant de Jacob.

- Ne te mêle pas à ça. Exigea le capitaine, en lui coupant la parole d'un ton dur. Tu m'entends ?

Jacob ne voulait pas que Marc traîne dans des coins obscurs pour lui, qu'il côtoie des personnes indomptables pour des cachets illégaux, qu'il s'embarque dans des pétrins dont il n'est pas du tout prêt à assumer les sombres conséquences. Il a désormais un plan, en tête. Diabolique, certes, mais moins risqué. Et qui, au moins, n'affectera pas nécessairement ses amis.

- Tu devras en parler ! Ça deviendra un cas critique, et ils ne pourront plus rien pour toi. Livra Marc d'un ton plus bas, enjambant la moitié de la pièce. Je ne sais pas à quoi tout ceci va nous conduire.

- Ils ? Questionna Jacob, un voile surplombant ses réflexions.

- Les toubibs. Développa le meilleur ami du roux comme si c'était une évidence. J'aurai dû lui enlever le couteau de ses mains. Merde. Révéla-t-il, ses yeux brillants d'une peine intérieure lui bouffant le subconscient. Je ne suis pas digne de ton amitié.

- Ce n'est qu'un bout de chair de plus, mec. Confessa Jacob, contemplant la cendre de son mégot, ne comprenant pas vraiment pourquoi tout ce bordel lui tient tant à cœur.

Marc avait été le seul à avoir protesté. Et Jacob lui en sera à jamais reconnaissant. Il a au moins tenté de le sauver de leurs griffes vénéneuses, même s'il n'avait pas réussi à arriver au bout de son but, ne remportant pas la partie, haut la main.

- Oui, une chair qui saigne une fois par mois. Fais gaffe. Boucla-t-il la conversation, en disparaissant vers l'autre côté de la salle.

Le mec à l'ovaire resta choir quelques secondes sur le siège, avant de quitter les vestiaires. Cette conversation lui mit la puce à l'oreille. Il a moralement besoin de parler de tout ça, et physiquement de capsules rentables.

Sur l'estrade, il remarqua Sara, sa perruque vissée au sommet de son crâne. Elle agitait naïvement sa main en sa direction, un sourire coquin effleurant ses lèvres, illuminant son visage en forme de cœur. Il n'avait pas planifié sa présence. Marc était à sa droite.

- C'était alors ça ? Il est venu avec elle, remarquant que je n'ai encore pointé mon joli cul dans la salle bien éclairée, il est venu me chercher. Rectifier ce qui clochait. Pensa le capitaine, en souriant de retour.

Jacob captura que c'était lui qui ne méritait pas son amitié, en fin de compte.

*

L'heure passa en un clin d'œil. Les deux équipes étaient encore sur le terrain grillant les calories récoltées au cours de la semaine. Ils se jetaient la balle sans répit. La sueur perlait en masse sur leurs fronts. Le match fut intense. Les joueurs vifs d'esprit : ils combattaient férocement pour définir quelle équipe sera nominée pour présenter le lycée, lors de la prochaine confrontation avec « Mermaid ». Leur nom ne calquait pas avec leur potentiel.

Jacob rattrapa le ballon d'une main habile et se rua vers l'autre partie du terrain effectuant des passes rapides et synchronisées, avec son groupe. Il était à deux doigts de marquer le but final arrachant la victoire à son équipe. Or Alex apparut de nulle part et avec une force douteuse, percuta le capitaine de l'équipe adverse de plein fouet, visant son ventre meurtri ce qui entrouvrit, au passage, la plaie encore fraîche. L'entraineur leva la carte rouge. Le ballon fut repris par le groupe opposé. Sauf que Jacob ne se releva pas. La douleur eut raison sur lui. On arrêta le match pour inspecter l'état physique du capitaine. Plusieurs spectateurs se regroupèrent à proximité du terrain, quittant leurs sièges. On leur ordonna d'évacuer le périmètre pour emmener le blessé d'urgence à l'infirmerie. Le match fut ainsi reporté d'une semaine.

- Ce n'est pas bon du tout. Lança Jacob d'une voix blanche, en prenant conscience de la déclaration du directeur.

Il ne pensait pas à la blessure, au sang qui s'échappait de lui abondamment, à comment il va expliquer tout ça. Toutes ses réflexions étaient heurtées par le nouveau chamboulement qui anéantira les joueurs de son équipe. Jacob avait un programme à suivre et cette confortation reportée sera le coup fatal, escroquant de son emprise énormément de temps et réduisant à néant leur chance de gagner la coupe de l'état, cette année. Il lui manque neuf jours (une semaine et deux jours indispensables pour le repos de l'équipe), ce qui fait un lot d'exercices manqués, des activités essentielles pour leur réussite : une poignée importante de failles à combler lors de la durée restante. Une période qui sera trop chargée d'après lui. Leur fouettant stress et fatigue en plein visages.

- Oh mon Dieu, ça saigne grave! Commenta le remplaçant qui faisait les yeux ronds en épaulant Jacob. Je ne crois pas que c'est juste un simple coup de coude. Enfin, je ne veux pas t'offenser parce que je sais que vous êtes potes et tout. Mais Alex t'a soit empoigné avec un couteau. Soit tu étais déjà blessé et il a entrouvert la plaie. Dans les deux cas, il l'a fait exprès. Analysa le remplaçant, concentré à trouver une solution à ce problème.

- Notre lycée ne doit pas perdre face à « Mermaid ». Répondit Jacob, se foutant royalement des dires du sportif à ses côtés, la douleur lui bouleversant littéralement le cours des pensées.

- Tu diras quoi au médecin ? Lui demanda son compagnon, compatissant.

- Aucune perte. Notre dossier ne doit contenir que des réussites. Je ne veux pas que ça affecte l'image de l'avenir prometteur que la moitié de mes joueurs visent et...

- Est-ce que tu m'as entendu ? Qu'est que tu lui diras ?

- Mais qui ? S'énerva le capitaine étant interrompu, au milieu de son discours minable, dont les mots sonnaient telle une plainte.

- Le médecin. Expliqua-t-il un brin amusé.

- Qu'est-ce que vous avez tous à me parler d'eux. Je ne sais pas. Voilà, tu as ta réponse maintenant ? Fiche-moi la paix. Cria-t-il évacuant le mal qu'il éprouvait.

- Je devrais t'accompagner jusqu'à elle.

- Non. Je sais marcher.

- L'entraîneur va me tuer, s'il le sache. Argumenta le remplaçant, en lançant des regards véloces au terrain dont il voit toujours un bout.

- Fais en sorte qu'il ne le sache pas alors.

Le mec à l'ovaire s'appuya sur le mur traçant visuellement son chemin. Il lui restait deux couloirs à arpenter. Ses doigts s'écrasèrent sur son pull percevant un liquide les humidifier. Son t-shirt était trempé de sueur, de douleur et de sang. Il s'encouragea à avancer de quelques enjambées. Il ne lui restait pas grand-chose. Jacob apercevait la salle appartenant au toubib. Ses pas ravivaient ses sensations pas très agréables. Chaque mouvement faisait de sa vie un enfer. Il tenait à la fuir comme la peste. Une flaque de larmes risquait d'inonder le lycée tellement il avait du mal à tout supporter. Et pour une fois, son faux pouvoir de télépathie fonctionna. La doctoresse courut et vint à son secours. Elle l'accouda et lui ordonna de s'allonger sur le lit au fond de la pièce pour examiner de plus près sa plaie. Le capitaine riposta qu'elle n'avait pas à en faire toute une histoire et qu'il pouvait la soigner tout seul. Et avant qu'il n'accède à la sortie, elle lui pointa le lit avec son doigt, élégamment manucuré.

- Tu risques de bousiller tes ongles. Dit-il.

- Les gants, ça te parle ?

Il sourit faiblement avant de s'allonger. Elle se renforça d'ustensiles stérilisés avant de se pointer à proximité de lui.

- Raconte-moi comment ça s'est passé. Répliqua-t-elle en cherchant du coton dans le tiroir à sa droite.

Il se tue. Nul son n'arriva à franchir les barrières de ses lèvres. Elle s'approcha du jeune homme, lui souleva le tissu et ce qu'elle vit ne la laissa guère indifférente.

- Merde ! cria-t-elle sur le coup de la surprise.

Le docteur marmonna quelques phrases à moitié incompréhensible. Jacob avait un mauvais pressentiment. Quoique la douleur le boucle sur le lit, il décida de prendre ses jambes à son cou avant qu'elle ne lance son verdict, à l'extrémité tranchante.

- Je vous ai dit que ce n'était rien. Auriez-vous l'amabilité de me laisser partir maintenant ? L'interrogea-t-il, en rabattant le tissu sur sa chair gravement ensanglantée.

- N'essaie même pas d'échapper gamin ! Souffla-t-elle entre les dents ; elle soupira avant de continuer d'un ton ferme. Tu ne franchiras pas cette porte avant que je ne soigne tout ça, répliqua-t-elle en pointant du doigt la blessure. Et tu me devras une explication qui tient la route pour ne pas réclamer ce cas délicat à la direction. Imposa-t-elle en déchirant le t-shirt à l'aide d'un ciseau.

- Tu veux combien ? lui demanda-t-il pendant qu'elle essuyait expertement le sang.

Ses mains chancelèrent. Alors, elle s'arrêta net. La vue de la blessure lui avait réprimé tout geste. Le docteur répliqua, sérieusement atteinte par l'horrible plaie sous ses yeux :

- Je n'ai pas besoin de l'argent de tes parents, gamin ! S'énerva-t-elle, en jetant le tissu rouge dans la poubelle.

- C'était mon préféré. Révéla-t-il, mécontent.

La douleur ne l'a pas épargné. Le sang a arrêté de couler, certes, les picotements au niveau de sa plaie n'ont fait que débuter. Il ferma les yeux et tenta de masquer, du mieux qu'il pouvait, son mal de respirer. Espérant ne pas compliquer la situation plus qu'elle ne l'est déjà.

- Mais je veux savoir un truc. Sollicita la doctoresse en examinant de plus près les lèvres de sa plaie.

- Si ça m'évitera la peine capitale, oui...

- Pourquoi il y a deux différentes sutures ? Questionna le médecin, les sourcils froncés.

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