« Ne m'attends pas pour dîner, je risque de tarder. Enfin, je pars réviser avec un pote, Alex, je ne sais pas si tu te rappelles de lui, maman. C'est l'ailier gauche de l'équipe adverse. Aucune tension ne surplomb, ne t'inquiète pas sur ce côté-là. On s'entend assez bien.» Conversa-t-il en verrouillant rapidement le cadenas de son casier, le cellulaire coincé avec son épaule. « C'est un garçon bien. Il prépare de délicieuses pizzas. Je me demande des fois comment il fait pour conserver sa silhouette. On croirait entendre ma tante Liza, là !» Confessa-t-il en soulevant son vieux sac de sport Adidas, un sourire radieux accroché aux lèvres. « J'éviterai la bière et au cas où il organise une virée entre mecs de dernière minute, je resterai sobre, je ne fumerai pas, et je ne dépasserai sûrement pas le couvre-feu. Et puis, je vois mal comment on arriverait à sortir avec notre prochain examen de chimie à préparer.» Enonça-t-il, en saluant de loin son coach qui s'apprête à quitter les vestiaires. « Qu'est-ce qui m'a poussé à choisir cette filière déjà ? Au début, c'était pour la science. Là ça vire vers mon autodestruction. Je ne vais non plus pas commencer un débat ennuyeux sur mon orientation estudiantine, tu dois certainement suffoquer avec tous les dossiers juridiques à réviser et ma petite personne ne fait que te distraire. Je sais. Je suis un bon à rien. » Ajouta-t-il, d'un ton plus bas, en enjambant la sortie du lycée Oxford qu'il fréquente depuis deux ans déjà, après le divorce de ses parents biologiques. « Voilà, prend soin de toi, mère. Sors un peu ton nez du boulot et profite de ta vie. Tu penches vers les cinquantaines, certes, il n'y a pas d'âge pour s'amuser. La routine ça tue tout comme la nicotine. Et puis, ne te fais pas du souci pour moi. Je serai sage. ». Ainsi, boucla-t-il cet appel vocal, avec une intonation qui se voulait convaincante. Enfin, il a essayé !

Jacob héla un taxi, dicta au chauffeur l'adresse qu'Alex lui avait passée sur une boîte à cigarette toute déformée, puis éteignit son cellulaire -un réflexe acquis dernièrement-. La soirée sera endiablée. Il n'avait pas de doute là-dessus. Avec la meute, très rarement le contraire se présente. Il se blottit contre le dossier du véhicule et ferma l'œil le temps d'atteindre le lieu du rendez-vous. Au diable les partiels. Au diable les notes et les appréciations. Son père lui payera une université prestigieuse. Là, maintenant, il estime devoir embrasser toutes les pratiques folles d'une jeunesse ratée. Le reste s'improvisera.

La meute avait fixé de se rencontrer dans la demeure secondaire des parents d'Alex, au sous-sol, où la chambre de cet adolescent est follement bien équipée. Une table de billard. Une salle de bain, Jacuzzi inclus. Une pièce uniquement disposée pour ses petites recherches scientifiques. Tout est bien réel et drôlement sophistiqué.

Jacob, fraichement arrivé, fut accueilli les bras grands ouverts par la clique, déjà regroupée autour d'une partie de jeux vidéo qui s'annonce tordante. Sarah semble à deux doigts de remporter le round haut la main. Malgré cette fusion dont ils font preuve, leurs regards se fuient, tentent d'échapper à la moindre confrontation visuelle, n'arrivant à voiler la flamme de peur qu'il ait cueilli après cette nuit parsemé de mauvais souvenirs. Un épisode qui ne peut être pris à la légère. Ils avaient été à deux doigts de crever. Leur dernière aventure fut intense. Au mauvais sens du terme.

Ils avaient fait un pacte, un an plus tôt. Chaque mois, un jeu. Et chaque jeu diffère du précédent. Le degré de la difficulté augmente et la dangerosité avec. Ils étaient souvent surpris par les choix cinglants de l'ailier gauche, Alex. Il choisit, plane, met en place tout ce dont ils auraient peut-être besoin, avant de fixer le lieu et la date. Personne n'a la moindre idée de celle d'aujourd'hui. Mais, ils avaient foi en l'imagination de cet Alex. Une imagination qu'ils espéraient être moins farfelue comparé à celle de l'ultime fois.

- Hé, on n'a pas de temps à perdre. Il est déjà dix-neuf heures. Regroupez-vous, pour qu'on commence. Lança Alex en tapant des mains, se prenant pour un professeur de primaire.

Il se tourna ensuite vers le réfrigérateur, en cueillit une bouteille de champagne puis la balança vers Jacob.

- Tu commenceras. Lança Alex, en pointant du doigt Jacob.

Ils étaient cinq en tout. Quatre garçons et une fille. Assis sur la moquette tout en formant un léger cercle, ils se jetèrent des regards interrogateurs zappant totalement l'idée de leur hôte. La jeune femme se révolta. Depuis avoir été hospitalisée pendant quelques semaines, il lui est formellement interdit de toucher à l'alcool. Ne serait-ce que pour décompenser ! Nulle goutte ne devra pénétrer son organiseur à défaut de frôler encore la mort et la probabilité d'y échapper cette fois est quasi-inexistante. Les autres haussèrent les épaules, peu réjouis de cette proposition loin d'être alléchante.

- Vous tirez des conclusions assez rapidement, dis donc. Je n'aime pas cet état d'esprit trop impulsif, un poil naïf. On jouera au jeu de la bouteille. Or, il y aura des conditions. Celui qui refuse d'exécuter ce qu'on lui demande de faire, bah, il boira tout ça. Défendit-il son idée, en pointant le bout de son doigts vers sa réverse d'alcool. Alors, si tu ne veux pas te perdre dans les vapes. Ajouta- t-il à l'intention de Sarah. Ne refuse rien, beauté.

- Ça commence à me plaire tout ça. Ria le roux, légèrement pris par les filets de la drogue qu'il a sniffé avant de se pointer, ici.

Alex piqua la bouteille d'eau de Sarah, but le contenu puis permit à toutes ses actions qu'il peut imposer de jaillir dans son esprit.

- On débutera toujours par moi ? Demanda Jacob, un sourire fier sur les lippes.

- Non. Rétorqua Alex. Ça c'était avant qu'on explique le jeu. C'est le roux qui prendra la relève maintenant. Tu n'es pas trop fâché, Jacob ?

- Pourquoi, je le serais. Les premiers sont souvent les plus malchanceux. Répondit Jacob, en bombant le torse.

- Si tu le dis. Mais je ne te donnerai pas raison. Commenta le roux avant d'éclater de rire.

Le roux croisait les doigts pour que la bouteille s'arrête au niveau de la jeune femme. Il voulait essayer le Jacuzzi en sa compagnie. Or, la chance n'était pas de son côté. Le bouchant se bloqua sur son meilleur ami.

- Ça commence bien dis-donc. Lança Sara, guidée par un fou rire en remarquant les sourcils froncés du roux. Tu viens de rater une partie de jambe en l'air, à ce qu'il paraît. Je suis sauvée de ta lourdeur. Ouf.

- C'était un peu mon idée principale. Confessa le roux pris au dépourvu par le destin trop cruel, selon lui.

- Tu peux toujours essayer avec ton ami de cœur. Interpréta Jacob.

- Ça peut se faire. Mais je ne m'étais jamais imaginé avec lui dans un Jacuzzi !

C'était la réplique qui emmena toute la meute dans un rire fou, hystérique, dérapant. Après quelques minutes de renforcement d'abdos, Alex invita poil de carotte à jeter sa malédiction. Tout le monde se concentra. C'était ça le jeu, en fin de compte. Exécuter ou embrasser la décadence. Le roux, avec un air qui se voulait sérieux, exposa son idée farfelue :

- Lèche-moi les pieds.

Le jeu avait continué ainsi. Quelques tours après, la bouteille tourna et se stationna face à Sarah.

- Ce n'est pas juste ça. Estima le roux, mécontent.

- Calme-toi. Déjà que tes pieds sont comme neuf grâce à moi, alors ne demande pas trop non plus. Articula son meilleur ami, après s'être brossé les dents une bonne centaine de fois.

Alex grogna en remarquant que la fille qui lui tape à l'œil est entre les mains du mec modelé physiquement pour séduire n'importe quelle créature. Il pria mentalement pour que Jacob ne s'apprête pas à exécuter la faveur du roux. Leur image ensemble dans son Jacuzzi lui donne la nausée, alors il se calma, freina son imagination fertile et croisa les doigts.

- Balance pour voir, Jacob. Sollicita la jeune femme.

- Ne me cherche pas, Sara. Pria le capitaine.

- Je n'ai pas peur de toi, je sais que tu ne me feras pas de mal.

- Tu te trompes, peut-être. Résuma-t-il en trouvant la seule chose qui ne la détruira pas, mais qui contribuera pour. Alex rase-lui, le crâne. Ajouta-t-il, ses yeux perçant ceux de l'hôte.

La partie n'avait pas l'air de terminer de sitôt. Chacun cherchait à se venger. Ce simple jeu de bouteille devint à l'espace de trois actions, une guerre dans tous les sens du terme. Alex voulut rectifier la balance à maintes reprises. Cependant, Jacob était souvent plus futé, pour ne pas dire toujours. Le capitaine méritait amplement son lourd poste dans son équipe. Il fit preuve de créativité. Ses tours étaient mieux élaborés et beaucoup plus originaux, comparés à ceux de ses compagnons. Ses choix bien ficelés, cassants. Il semblait être un dragon libre : ses soufflets embrasés, ses attentions camouflets jusqu'à le moment voulu. Tant que la bouteille tournait, la colère de Sarah s'intensifiait. Et enfin, fruit d'une patience qui lui était inconnue, elle était en mesure d'écraser cette personne qui la dénuda de sa beauté. Cet être qui lui enleva, sans invitation, sa belle chevelure dorée qui lui tombait, une heure avant, sur le dos. Elle le regarda dans le blanc des yeux. Elle avait imaginé ce moment dès que son petit ami lui ôta ses cheveux. Elle était enfin prête à lui refaire la peau. A sa propre manière.

- Mon cher Jacob. Enonça Sara.

- Tu as dû attendre ce moment depuis quelques temps. Commenta Jacob, déjà préparé à cette discussion mentalement.

- Tu ne sais pas à quel point. Avoua la jeune femme, en passant une main tremblante sur sa tête chauve.

- Je t'avais dit de te méfier de moi. Mais tu n'as pas voulu entendre raison. Se justifia-t-il en tendant ses membres engourdis.

- Peut-être. Tu as déjà rédigé une liste de tes prédictions ? Interrogea-t-elle.

- Non, pas vraiment. Pourquoi ? Mentit-il.

- Parce que celle-là risque de te surprendre. Expliqua-t-elle

- Balance pour voir, Sara. Reprit-il ses propres mots.

Toute l'assemblée faisait des yeux ronds à l'intention de l'attaque froide entre les deux adolescents pris par leurs intentions fugitives.

- On te greffera mon ovaire. Ça ne te fera pas trop mal, mon Alex veillera à adoucir l'opération du mieux qu'il pourra.

- Ce n'est pas très médical, tout ça ! Déduit-il en asseyant de se montrer infaillible devant cette situation illuminée.

- T'as peur ?

Pour tout dire, Jacob sentait ses murailles se démolir une à une. Il n'avait pas calculé ce coup bas. Mais il avait déjà cocoté une réponse au cas où, tout dérape.

- Je boirai la réserve d'Alex. Répondit-il calmement.

- On devra voter d'abord. Intervint l'hôte, en faisant un clin d'œil à sa petite amie.

A part le meilleur ami du roux, personne n'était contre cette opération.

- Je crois que tes plans ont tombé à l'eau. Analysa Sara.

Jacob regarda ses amis, sourit puis demanda à la jeune femme qui, pour une fois, avait les cartes sous la main, contrôlait le jeu. Ce jeu malsain.

Jacob s'installa sur le lit pour qu'on lui inflige les premières douleurs de cette action follement choisie. Alex le mit sous anesthésie, et avant que ses effets n'opèrent, il demanda au capitaine de l'équipe adverse :

- Un dernier vœu ?

- Bière. Articula Jacob mollement, sentant tout son corps s'enrouler avec du coton.

- Je pense que c'est un peu trop tard, mec.