Cela va sans dire que...



Après une vingtaine de minutes de marche qualifiée d'intense, Jacob, exténué, s'arrêta devant une station de service paumée, dénudée de toutes les exigences de confort, à l'intention de reprendre ses esprits, de peser le pour et le contre de cette situation peu anodine en sirotant une boisson réconfortante et de se réchauffer un minimum dans ce trou étouffé sous la neige. Cependant, cette dernière volonté fut éclaboussée pitoyablement par l'état compatissant du lieu. Les fenêtres de cet air de repos étaient passablement brisées offrant à la brise froide l'occasion de câliner sans ménagement le corps endommagé du jeune homme. Les canapés en faux cuir bronzé vomissaient cotons et ressorts. Les papiers peints décollés avaient connu des jours meilleurs. L'ensemble lui a été présenté sous forme de bouquet empoisonné. Chacun de ses souffles furent accompagnés d'une laide buée déformée. Chacun de ses mouvements percutèrent ses pensées démembrées. Ses empreintes gelées tentèrent de récupérer dignement leurs âmes en caressant le mug fumant, source de chaleur qui ne tarda de les décevoir. Sa voix cassée heurtait les molécules soudées avant d'atteindre la faible ouïe du serveur, un vieil homme qui se tenait immobile derrière sa barbe légèrement tâchée de peinture.

Un cliché vague dressé hautainement sur le comptoir fut l'unique élément qui aimanta son attention, une photographie où professionnalisme et fragilité se mêlaient. Le portrait d'une jeune fille à la beauté doucereuse, à la grâce renversante et à l'élégance poignante. Elle tenait un beignet au niveau de ses lippes rosées. Son regard perçait joliment le dispositif. Le contour était flou. Et la ressemblance entre elle et Mia le laissa bouche bée. Les pensées chamboulées de Jacob dérivèrent spontanément vers la doctoresse. Il revit l'air hébété de Mia, enroulée dans son peignoir douillet, lui déléguant le secret interdit. Sa manie de garder le silence et d'enfoncer ses ongles dans sa peau pour se ressaisir mentalement trottaient dans sa cervelle. Compte fait, ils auraient bien pu être de très bons amis si la situation n'était pas aussi compliquée. Et comme son histoire n'a jamais été aussi différente des autres, il y avait ce « mais », abominé, qui pointait le bout de son nez, nous éloignant d'un dénouement paisible. La vie n'est guère un étang calme. Elle est une série de vagues antithétiques, pendues au milieu d'une mer furieuse à l'extrémité tranchante, curviligne et vénéneuse non-calculé au commencement du déluge... Et Jacob n'en échappa pas.

Le mec à l'ovaire se pencha légèrement, un frisson hostile parcourut électriquement ses veines rentrantes. La fraîcheur, qui enlaçait mortellement ce café, ne le laissa guère indifférent. Elle lui broyait cruellement les os, à en perdre l'usage. Il but la gorgée refroidie, omise au fond de la tasse opaque où le slogan de l'entreprise était épinglé, puis tapota frénétiquement sur la poche de son jean à la prospection de son puits de réconfort. Nonobstant, ses mégots avaient rendu l'essence suite à la fine pluie croisée, perdant de leur rigidité. Il jeta un coup d'œil aventureux à ses basquets mouillés. L'humidité lui grignotait dangereusement les orteils. Le trajet, parcouru avant de se réfugier entre les bras plus au moins accueillants de ce lieu étouffé de cadres vides et poussiéreux, lui avait détruit ses chaussures favorites. Il les ôta, puis se lança à la recherche accentuée d'une nouvelle paire de chaussettes dans son éternel Adidas.

Un client fut attiré par les grelottements sonores de Jacob, grimaça, allouant une vue d'ensemble sur ses dents jaunies par le tabac, et reprit ensuite la lecture de son journal à deux sous, l'air détaché. L'encre noire de mauvaise qualité laissait trace sur sa peau rêche. Son parfum était un mélange de nicotine et de café froid. Sa carrure calquait sur celle d'un ancien sous-officier. Son dos courbé par la vie ne collait pas au dossier.

Le fameux faux pyjama de Jacob ne fut non plus pas de grandes aides, il avait l'air ciré sur sa peau aussi blafarde que la lune. Il dénicha une jaquette en toile délaissée par quelqu'un sur le siège adjacent, effectua un troc subjectif avec le serveur : un pull polo contre un autre en grosse maille et enfila ses espadrilles d'entrainements. Un ensemble hétérogène, une chaleur étonnamment apaisante.

***

Une deuxième commande accomplie, il chercha activement son cellulaire dans la poche de son sac de sport, traîna longtemps dans son répertoire numérique laissant les numéros défiler sous ses calots extrêmement fatigués avant de se décider finalement de demander l'aide de la personne qui demeurait hélas la seule apte de venir à sa rescousse. Marc. Après trois sonneries, il riposta. Et après dix minutes, sa caisse était déjà garée devant le piteux café. Jacob régla la chétive addition, vola le cliché sans la moindre once de nostalgie et courut vers la Peugeot, la posture courbée. Marc baillait. Ils frôlaient les deux heures du matin et leur prochain cours débutera dans moins de quatre heures. L'intellectuel prenait énormément sur lui pour éviter de lui crier en pleine figure qu'il vint de lui pourrir l'existence, l'arrachant de ses rares heures de sommeil.

Le quartier Sud-Est était pacifique. Les villas parfaitement alignées avaient à leur disposition des jardins convenablement entretenus criant large dépense. Une d'entre ses mythiques habitations faisait exception, volant l'étiquette de « richesse » à cette rue. Caractérisée par sa petitesse, la maison de Jacob était garée entre deux gigantesques logis. Les décorations de Noël traînaient toujours au sein de l'enclos, donnant à la maisonnette l'air d'appartenir à un bon film de décembre. Une lumière tamisée provenant de la chambre de sa génitrice éclairait un bout de la neige mélangée grossièrement avec de la terre fraîche. Jacob invita Marc à passer la nuit chez lui. Ce n'est guère la politesse du capitaine qui poussa le meilleur ami du roux à accepter son offre bienveillante, mais plutôt son alléchante silhouette musclée braquée sous du linge trop grand pour lui. Marc n'aurait jamais laissé filer une occasion pareille pour se rapprocher d'avantage de Jacob, d'essayer de l'amadouer au point de le pousser à changer d'orientation sexuelle, au diable le sommeil.

Dès que la vieille 306 fut casée promptement entre deux RANGE ROVER, ils s'emboitèrent le pas jusqu'à la modeste porte d'entrée. Un réverbère éclairait faiblement la serrure. Marc, avec son attitude de chevalier charmant, porta habilement le sac de sport de son pote, pendant que celui-ci s'occupait de fourrer la clé dans le trou correspondant : une tâche assez difficile au cas où nos yeux ne réussissaient plus à s'ouvrir d'épuisement. Une fois que la porte céda aux barbaries de son officiel occupant, des gémissements gênants giflèrent les deux lycéens. Marc rougit jusqu'aux oreilles. Il n'arrive pas à masquer son gêne pendant des situations pareilles. Jacob, lui, repéra automatiquement les habits éparpillés un peu partout dans le salon : une séductrice robe noire, des chaussures rouges à talon aiguille ainsi qu'une chemise déboutonnée à motif cactus jetée grossièrement sur le canapé : le même meuble sur lequel il avale son petit déjeuner le matin avant de se pointer à l'arrêt de bus. Jacob avança sur la pointe des pieds, sous le regard confus de Marc qui ne savait plus où se placer tellement il se sentait intrus. La colère du mec à l'ovaire s'intensifiait à mesure qu'il s'approchait de la chambre principale. Les termes grossiers qui gagnaient ses sens lui donnaient haut le cœur. La brutalité avec laquelle ils s'ébranlaient le poussait à effectuer marche arrière. Mais le besoin de vérifier que les sons provenaient uniquement d'un film érotique l'encourageait à continuer l'enchaînement de ses pas chancelants. Cependant, l'horrible scène dont il fut témoin lui déroba un cri de surprise. Les deux têtes rougies par l'effort s'échangèrent un bref regard. Sa mère s'enroula dans la couverture alourdie de sueur, en parallèle son amant chercha à l'aveuglette son sous-vêtement pour cacher sa nudité. Synchronisés, nota-t-il.

Jacob, secoué par cet échange charnel, se retira du perron, les larmes menaçant de se frayer un chemin sur ses joues. Blasé, il se dirigea vers sa chambre, colonisée récemment par Marc. Il était allongé sur le lit défait, les yeux clos dissimulant son embarras. Le lycéen se sentit fortement piégé par ses derniers événements. Il n'avait pas calculé l'investissement de sa mère dans une nouvelle relation. Pas maintenant. Pas pendant que sa vie à lui s'écroulait brutalement. Il vida son Adidas, le bourra de nouvelles pièces propres, empocha quelques billets de vingt puis surprit la main anxieuse de sa mère se poser sur son épaule. Il se raidit suite à ce contact. C'est égoïste de sa part d'imaginer sa mère passer le restant de ses jours toute seule. Elle mérite bel et bien un époux qui lui fait pas éprouver combien elle est spéciale. L'invité disposa poliment prétextant un urgent besoin de vider sa vessie, permettant à une urgente conversation mère-fils de prendre place. Le mec à l'ovaire serra sa jaquette sur son corps, s'éloigna de l'emprise de sa génitrice et s'assit sur le siège à proximité du matelas.

- On est ensemble depuis quelques temps. Je...Je suis heureuse. Commença-t-elle cherchant à capter le regard fuyant de son fils.

- C'est juste que je n'aie pas vu ce truc venir. Je n'étais pas prêt à avoir droit à autant de démonstration, non plus. Justifia-t-il son agissement d'un léger hochement de tête comme s'il estimait nécessaire de valider son propre point de vue.

- Ça fait deux ans qu'on vit seuls tous les deux. Ça fait longtemps que je souhaite me sentir aimer par quelqu'un. Ajouta-t-elle, tentant de le convaincre du mieux qu'elle pouvait.

- Je t'aime moi. Se contenta-t-il de murmurer.

Elle le dévisagea un moment, à cours de mots. Sa révélation lui tint tellement à cœur qu'elle essaya de l'insérer dans le plus sûr des endroits : son âme.

- Je n'ai jamais douté de ton amour, Jacob. Tu m'as entendu ? Jamais. Rétorqua-t-elle une poignée de secondes plus tard. C'est juste cette envie de vouloir reconstruire ma vie avec quelqu'un, de me sentir apprécier de nouveau, de vieillir ensemble, de me réveiller un corps chaud à mes côtés. Cette envie de connaître le vrai sens de l'amour. Et de ne pas en souffrir à nouveau. Tu me comprends ? Je n'avais pas cédé hâtivement à ses avances. Mon cœur avait un peu trop souffert, j'avais cru être vaccinée contre l'amour. Or il a su le conquérir, à l'aimer fissurer, tel qu'il est. A avancer à mon rythme et à ne jamais protester. A m'offrir son attention, son cœur et son temps. Je me sens moi-même en sa compagnie. Je ne sais pas comment t'expliquer ce dévalement de sentiments qui me tombent dessus. C'est comme si j'étais redevenue l'adolescente d'autrefois. Il a demandé ma main, aujourd'hui, au restaurant. Je voulais qu'on en parle avant, toi et moi. Mais si tu n'acceptes pas ce nouveau départ, je peux... Tu sais, je peux refuser. Pour nous.

- Ne fais pas ça ! S'exclama Jacob, en la fixant des yeux. Je suis content d'apprendre que tu profites enfin de ta vie comme je te l'avais toujours demandé. C'est juste que j'aie eu ma dose d'événements inattendus pour le moment.

- Tu peux tout me raconter, tu sais ? Lui demanda-t-elle, en rabattant le bord de son peignoir en satin. Il n'y aura plus de secrets entre nous, ok ?

- OK. Répondit-il ainsi pour lui faire plaisir, gardant son lot de non-dits sous silence.

- Il s'appelle Thomas, c'est un écrivain et...

- Maman, es-ce que tu m'as entendu ? A l'instant, je suis saturé. Je ne peux pas encaisser un nouveau fait. Je pars dormir chez Marc pour quelque temps. Ne te fais pas de soucis pour moi. Je dois réfléchir un peu à tout ça.

- Je comprends.

- Bonne nuit maman, je t'aime. Chuchota-t-il avant de lui embrasser le front.

- Bonne nuit mon bébé.

***

L'appartement où résident les parents de Marc se situe dans une zone assez écartée du reste de la citée. Ils arrivèrent à destination un quart d'heure plus tard. Zéro embouteillage. Zéro conducteur taré. Zéro policier. La route était tellement fluide, qu'ils ont roulé à 200 kilomètres à l'heure. Tout le long de la route, ils ont veillé à éviter d'aborder le sujet ambigu. Et se contentèrent de braquer leur regard sur la route. Il faisait aussi trop tard pour une nouvelle escale dans le but de se geler la gueule et d'oublier les récents événements ; alors ils se contentèrent de se fier à la magie du lit canapé dans la chambre de Marc, la fatigue ayant raison sur eux.

Le meilleur ami du roux se tira de la chambre vers sept heures du matin. Il avait examen en physique chimie. Jacob, lui, fulmina une fois que le réveil de Marc sonna et retourna ensuite dormir. Il avait resté choir chez son ami, se réveilla vers midi et profita de son free time. Entre bouffes et télévision à volonté, sa journée n'avait rien de palpitant. Sa batterie l'avait lâché. Les calmants avaient disparu de son sac. Le réfrigérateur ne contenait plus de bières. Et la porte d'entrée était fermée à clé. A un moment donné, il se sentit comme un lion dans une cage ferrée. Superbe comparaison... Vers dix-sept heures et demie, le lycéen fit son entrée, un colis à la main.

- C'est pour toi ! S'exclama Marc en jetant l'envoi sur le canapé. J'ai dû tirer des tas de ficelles pour te couvrir aujourd'hui. Ajouta-t-il en ôtant ses baskets. Et puis, pourquoi le docteur t'envoie un truc pareil ?

- Pas la moindre des idées. Elle avait soigné ma plaie. Point. Je ne vois pas de quoi tu parles. Pourquoi, tu soupçonnes quelque chose, cher monsieur Colombos ? L'interrogea-t-il détournant la question à son avantage.

- Comme quoi ? Mia est super gentille, cependant, je ne l'avais jamais vu autant s'intéresser à un élève au point de lui envoyer un colis. Peut-être que tu lui plais.

- Qu'est-ce que tu racontes, idiot ?

- Je me disais bien que j'exagérais. Lança Marc en souriant. Je go préparer le gouter, si jamais tu as laissé quelque chose de comestible dans le réfrigérateur. Te connaissant, il faut en douter.

- Je ne suis pas un aspirateur, non plus.

- Si tu le dis. Plaisanta Marc, en sortant des œufs.

- Je sors un peu.

- Comme tu veux. Reviens vite, j'ai faim moi.

Jacob remit la fameuse jaquette en toile, glissa le colis dans son Adidas et quitta l'appartement. Mia se mettra en danger si jamais elle continue à picoter dans cette zone. Au moins, elle n'avait pas expédiait ceci avec un autre élève. Soit elle a retenu tout son speech, soit le hasard a fait son job comme il fallait. Dans les deux cas, Mia est censée calculer ses pas la prochaine fois, avait pensé le mec à l'ovaire. Elle doit quitter l'établissement. Pour son bien. Si un jour, l'histoire du truc se sache. Elle sera mal jugée par la cour. Et elle ne mérite pas de continuer sa vie dans une prison. Elle n'a rien fait de mal. Et puis, elle mérite vivre ordinairement. Il avança vers un restaurant, s'assit dans une table à retrait, commanda une salade et ouvrit le colis, une fois que le serveur ait disparu de son champ de vision.

Il contenait trois choses.

Certificat médical. Bonnet. Et de la morphine.

Mia se jette dans la gueule du loup, littéralement.


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