Mirages
Description : Sope - Soft - Musique - Mystère
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Les clichés commencent à s'accumuler sur la pellicule. Bientôt, Hoseok n'aura plus de place pour capturer ces instants de beauté, quelque peu volés au milieu du feuillage. Cet après-midi, la nature offre ses plus belles couleurs et ses plus beaux charmes au jeune photographe amateur. D'un simple clic, il emprisonne pour toujours les secrets de cet écrin verdoyant qui l'entoure. La forêt, aujourd'hui, est particulièrement fascinante. Seul au milieu des branchages, il explore, se balade, s'extasie devant tant d'harmonie végétale. Les arbres semblent être posés sagement de part et d'autre du chemin. La mousse forme un coussin moelleux où l'on rêve de s'y poser et s'assoupir. Quelques fleurs sauvages poussent ça et là, dont les pétales sont délicats, à la couleur éclatante. Elles s'épanouissent à l'aide des quelques rayons de soleil qui percent les branches et créent des halos dorés sur le tapis mousseux.
Le photographe ne peut pas le nier, quelque chose de magique se dégage de ce lieu. Seul, parmi la flore, il est l'unique spectateur de la représentation de la nature. Privilégié, il peut capturer ce que nul autre ne peut observer aujourd'hui, car la sylve est changeante. Si en ce jour, elle est clémente, accueillante, magique, demain elle peut devenir inhospitalière, sauvage et cachée. Il faut savoir apprécier ce qui est donné, le chérir, et dans son cas, le saisir d'un claquement de doigt.
Hoseok progresse depuis plusieurs heures maintenant et l'atmosphère de la soirée s'installe tranquillement. Le soleil poursuit sa course dans la voûte bleutée et la couleur orange teinte graduellement les nuages cotonneux qui passent paisiblement. L'air se rafraîchit, mais pas encore suffisamment pour l'inciter à rentrer, il resserre juste les pans de sa veste en jean sur son torse. À vrai dire, il n'a pas envie de faire demi-tour. La lumière mordorée de l'astre déclinant ajoute un petit détail à ce tableau déjà si particulier, et sûrement à ses clichés.
Soudain, une petite brise passe doucement sur son visage et vient caresser sa peau. Il frissonne et remonte son col. Quelques feuilles et pétales s'échouent à ses pieds, tourbillonnent et s'élèvent devant lui. Ce ballet végétal est tout ce qu'il y a de plus poétique. Clic ! Le moment est capturé à jamais, immortalisé pour demeurer sur la pellicule déjà bien occupée.
Si au début de la balade, il n'entendait que les bruissements des feuilles dans les arbres, les oiseaux qui passaient au-dessus de sa tête et ses pas sur le chemin, ses oreilles perçoivent à présent quelque chose de différent. Quelque chose en plus qu'il n'y avait pas avant.
Mêlé au souffle du vent, un son discret, à peine perceptible, tel un murmure, se faufile parmi les branches. Guidé par son instinct, le photographe laisse les notes l'emporter, il avance et progresse toujours plus loin dans les tréfonds des bois. Bientôt, il quitte le sentier. Il ne sait même pas s'il sera capable de revenir sur ses pas, peu importe. À ce moment précis, il est emporté, subjugué, presque hypnotisé par la tonalité de cet instrument qu'il n'arrive pas encore à identifier. La musique douce le charme et il se demande qui peut bien venir jouer ainsi dans ce lieu si reculé.
Les troncs se resserrent, et il est parfois obligé de se baisser pour continuer de progresser toujours plus près de cette mélodie. La tonalité est maintenant plus forte, plus distincte. Il hésite dès lors. A-t-il vraiment le droit de s'approcher ? A-t-il le droit de déranger ce musicien qui, semble-t-il, est venu ici pour trouver le calme et la solitude ? Hoseok a presque peur qu'à tout instant cela ne s'arrête, que le charme se rompt et que la musique ne s'éteigne. Il ne veut pas briser l'enchantement et pourtant, la curiosité est plus forte que tout. Il sait qu'il est proche, il perçoit même l'instrument s'estomper quelques secondes pour reprendre sur une mélopée différente de la précédente. Plus paisible, plus lente, même plus triste.
Il tourne une dernière fois et s'arrête soudainement. Ses yeux captent enfin ce que ses oreilles percevaient auparavant. Là devant lui, entre les arbres, assis à même la mousse, se trouve un jeune homme.
Celui-ci lui tourne presque le dos, mais Hoseok peut déjà distinguer sa chevelure noire corbeau, ses mèches brillant dans la lumière du soleil. La peau blanche porcelaine de sa nuque tranche avec le vert foncé de son pull. Le photographe voit un bout de l'instrument dépassé, il reconnaît un manche, des cordes... C'est un instrument traditionnel. Le bois est sombre, presque aussi noir que ses cheveux, il miroite grâce à la couche vernis. La musique est toujours autant gracieuse, les sons graves accentuent la teinte mélancolique de la mélodie. L'inconnu bouge sous le rythme indolent de l'instrument, son bras droit ondule, sa tête tangue. Comme les feuilles plus tôt, tout son corps semble en représentation, c'est un ballet lent et gracieux.
Hoseok s'approche alors doucement, faisant le tour afin de ne pas effrayer le musicien en arrivant dans son dos, tel un voleur. En le contournant, il distingue un profil, un visage serein, des yeux fermés, un léger sourire au coin des lèvres. L'homme ne l'a pas entendu et poursuit sa litanie, le rythme s'accélère, comme s'il arrivait à la fin du morceau. Quelques notes plus aiguës se frayent un chemin parmi les graves et les médiums, tel des cris. Si Hoseok devait décrire ce qu'il ressent en écoutant cela, il pourrait représenter la musique comme un personnage triste, mélancolique, seul et désoeuvré. Le poids de la fatalité sur les épaules, la perte d'un être cher, la nostalgie des souvenirs qui disparaissent. La partition arrive à son apogée, le personnage fictif éclate alors en sanglots dans des sons virevoltants, il crie sa peine au monde entier. Hoseok est tellement bouleversé, qu'une larme glisse le long de sa joue. Il ne vient pas la capturer et celle-ci s'écrase parmi la verdure à ses pieds.
Le jeune homme assis en tailleur s'arrête presque trop brutalement, son archer se suspend dans l'air. Son torse se soulève à un rythme frénétique comme si, lui aussi venait de crier sa peine au monde entier. Hoseok se sent soudain de trop, il a l'impression d'interrompre un moment qui va au-delà de la réalité. Le musicien semble peu à peu se reconnecter avec cette dernière, baissant lentement la tête, ouvrant les yeux.
Deux iris d'un noir profond se posent immédiatement sur le photographe qui n'a pas bougé durant ces quelques minutes qui semblent s'éterniser. Il ne paraît pas surpris de découvrir qu'il n'est plus seul au milieu de la forêt. La lumière rasant l'horizon englobe les deux hommes d'un halo doré, le vent vient de tomber, seul le silence demeure et une tension s'installe entre les inconnus. Aucun n'ose parler, de peur de briser cette atmosphère si particulière. C'est presque comme un rêve, une pause dans la réalité du monde, une bulle.
Finalement, c'est le musicien qui brise le calme le premier :
"Bonsoir.
- Bonsoir, ne peut que répondre Hoseok."
Il ne sait que dire d'autre, ni comment expliquer son intrusion sans paraître étrange.
"Je m'excuse, je ne voulais pas vous déranger, ose-t-il tout de même.
- Ce n'est pas le cas, assure le musicien.
- C'est bien un haegeum ?
- Exactement.
- C'est beau... souffle alors Hoseok, comme si cela était un secret.
- Je vous remercie, répond le jeune homme en souriant."
Ses doigts se baladent sur l'instrument, tendrement, comme si c'était l'objet le plus précieux qu'il ait jamais possédé. Il faudrait presque capturer ce moment d'un clic, emprisonner l'inconnu et son haegeum, sa beauté et sa poésie à tout jamais.
"Je m'appelle Hoseok.
- Yoongi, enchanté.
- De même, je peux ? demande-t-il alors timidement en pointant du doigt la mousse à côté du musicien qui est toujours assis.
- Avec plaisir."
Hoseok s'approche alors doucement de l'endroit indiqué. Son regard ne quitte pas une seule seconde Yoongi. Il a peur, qu'en clignant des yeux, celui-ci ne disparaisse comme par enchantement. Leur rencontre est tellement improbable, le moment tellement surprenant, leur conversation si évidente que cela semble relever du mythe.
Le photographe s'assoit à ses côtés et observe d'un peu plus près l'objet qui l'a fait vibrer précédemment. Le bois foncé qui brille, les deux cordes de soie blanche rattachées à la caisse de résonance. L'archer constitué d'une multitude de cordes qui ressemblent étrangement à une queue d'équidé. Ce n'est pas la première fois qu'Hoseok voit cet instrument, son grand-père en possédait un autrefois. Petit, il avait l'habitude de l'écouter, assis sur la terrasse, le soir quand il rentrait de l'école. Il n'a jamais appris à manier l'objet mais il connaît un peu son fonctionnement, les sons qu'il peut produire, les émotions qu'il peut faire ressentir. Cet instrument qui a le don d'évoquer la mélancolie, la tristesse, l'abandon, la nostalgie, ravive aujourd'hui en lui des souvenirs qu'il pensait oubliés. Peut-être est-ce pour cela qu'une larme solitaire s'est échappée ?
Il est tellement perdu dans ses réminiscences, qu'il ne remarque pas immédiatement que Yoongi s'est remis à jouer. De nouveau, ses yeux sont fermés, sa tête se balance lentement suivant le rythme des notes. L'instrument libère des sonorités graves et profondes, le mouvement de l'archer est lent. Les doigts de porcelaine appuient légèrement sur les deux cordes.
Hoseok se sent basculer, il s'allonge sur la mousse, il n'a même plus froid. La musique de Yoongi le réchauffe. La nuit peut tomber, il compte bien rester là, à savourer l'instant présent. Il tourne la tête vers le musicien qui est habité par la mélodie, celui-ci vit ce qu'il joue et partage gracieusement tout cela avec le photographe. Il raconte une histoire qu'eux seuls peuvent comprendre.
Yoongi remonte légèrement sa main le long des cordes, ses doigts valsent et produisent maintenant des notes un peu plus aiguës que précédemment, provoquant des frissons chez son compagnon de la soirée. Le photographe imagine alors une étendue d'eau bleue foncée, la lune venant briller sur la surface. Quelques nuages qui jouent à cache-cache avec les étoiles. Une légère brise, une caresse sur son visage, deux lèvres qui se posent sur sa joue. Chaque note est comme un baiser volé, tantôt appuyé sur les graves, tantôt léger sur les aigus. Ils virevoltent sur sa peau comme les croches s'envolent dans le ciel. La mélodie est douce comme une berceuse, Hoseok ferme ses yeux, il se laisse porter, emmené par Yoongi et son haegeum.
Au matin, le photographe se réveille légèrement groggy, ses yeux peinent à s'ouvrir. Il a l'impression d'avoir dormi pendant de trop longues heures. Il ne se souvient même pas quand, ni comment il est rentré chez lui et s'est assoupi.
Lorsqu'il se lève, il s'aperçoit qu'il porte toujours ses vêtements d'hier. Son escapade forestière l'a donc tellement fatigué, qu'il a dû tomber dans son lit et se laisser aller. Ses gestes sont mécaniques, une partition bien rythmée. Une douche, un petit-déjeuner, un rapide coup d'œil sur les informations matinales via son téléphone. Le voilà déjà dans son studio photo, son appareil en main. Plus tôt, il a lancé sa playlist en mode aléatoire. ll s'affaire tandis que la musique défile, passant d'un classique du rock, à un bande originale de film jusqu'au dernier tube pop à la mode.
Tandis qu'il déroule délicatement la pellicule, le morceau change. Une nouvelle musique commence, c'est la première fois qu'il l'entend. Il regarde alors l'écran de son ordinateur, c'est une piste instrumentale. La miniature représente une peinture traditionnelle à l'encre, d'un oiseau posé sur une branche d'arbre. S'attardant quelques secondes, Hoseok découvre dans la description qu'il s'agit d'une longue ballade inspirée d'un poème. C'est particulièrement doux, les cordes semblent glisser telles de la soie, un nouvel instrument prend alors le dessus sur le reste de l'orchestre pour un court solo. Il reconnaît immédiatement le son si particulier des deux cordes blanches frottées. Il les a tellement entendues petit, que ses bras se couvrent immédiatement de frissons. Et puis soudain, un flash, une image apparaît dans son esprit : des cheveux couleur corbeau, une ballade, un tapis de mousse, deux yeux posés sur lui, un peu de mélancolie... Si furtif, le souvenir semble déjà s'effacer. Plutôt que se perdre dans ses pensées, ils préfèrent se concentrer sur la réalité. Il ne doit pas rater cette étape cruciale s'il veut découvrir ses clichés. Il effectue les gestes qui sont devenus si habituels. Il manipule avec précaution, sort, coupe, rectifie, pose, trempe dans les bacs, suspend... Il recommence les mêmes gestes encore et encore jusqu'à se retrouver entouré de nuages de papier. Comme si le plafond était devenu le ciel et les photos des nimbus. Ils pendent et sèchent tranquillement au-dessus de sa tête, attendant de révéler toutes les beautés emprisonnées la veille à la lumière naturelle. Il ne regarde pas encore, préférant garder la surprise pour plus tard.
Hoseok s'assoit au milieu des nuages. Il doit juste patienter quelques instants. La musique change de nouveau, d'un air entraînant et rythmé, la playlist revient sur ce même morceau. Cette ballade douce et mélancolique, le haegeum, les cordes et le piano. Le photographe ne peut s'empêcher d'imaginer ce que tout cela peut bien signifier. Il pense à deux amants que le destin a malheureusement séparé, une histoire qui commençait bien et finit mal. Un amour tragique, que la maladie et la mort ont malmené. Les accords du haegeum sont longs et graves. Ils sont si tristes qu'une larme vient couler le long de sa joue. Hoseok visualise parfaitement l'archer frottant lentement contre les cordes de soie. La caisse de résonance posée à la verticale sur les genoux du musicien. Cette image en appelle une autre et la chevelure couleur corbeau s'immisce de nouveau au creux de ses pensées. Pourquoi pense-t-il à cela tout à coup ? Il n'a pourtant pas le souvenir d'avoir déjà vu ce jeune homme quelque part. Ou alors était-ce un acteur, dans un film qu'il aurait visionné récemment ? Pourquoi cette mélodie et cet instrument imposent-ils au sein de son esprit, cet inconnu au milieu de la verdure ? A-t-il oublié ?
La musique s'arrête et le musicien de la sylve demeure.
Hoseok se lève, renifle et essuie les autres larmes qui sont venues glisser le long de ses joues. Il met en pause la playlist sur son ordinateur et la pièce se plonge dans le silence. Afin de se changer les idées, il s'avance parmi les clichés et les décroche un à un. Il les empile et les emporte hors de la pièce rouge. Il a besoin de prendre un peu l'air et découvrir ses photos à la lumière naturelle. Il s'installe sur le petit balcon du studio, le soleil poursuit sa course dans le ciel, la fin de matinée approche pas à pas. Pas un nuage à l'horizon, contrairement à la journée de la veille.
Ses yeux parcourent les feuilles glacées les unes après les autres. Un arbre en pleine floraison, la mousse verdoyante en gros plan, des racines étroitement entremêlées, une grosse pierre recouverte de lierre, des fougères rouges écarlates, quelques petites fleurs blanches... Une goutte d'eau suspendue au bout d'une feuille, un papillon posé sur l'écorce brune... Les clichés sont variés et reflètent chacun une atmosphère différente. La lumière orange du soleil couchant, une coupe du ciel, des pétales et des feuilles qui virevoltent... Un jeune homme assis sur la mousse, un haegeum posé sur ses genoux, un gros pull vert foncé, des cheveux noirs et les yeux fermés.
Hoseok s'arrête sur le dernier cliché, les yeux exorbités. Il croit rêver, mais le papier ne ment pas. Il n'a pourtant pas le souvenir d'avoir pris cette photo, d'avoir vécu cette scène, persuadé que tout ceci n'était qu'un rêve. Une divagation de son esprit... Il caresse le cliché, et ne peut nier que tout ceci s'est réellement passé. Le mouvement d'un ballet s'inscrit dans ses membres et, inconsciemment, il se met à tanguer comme le faisait le musicien la veille. Il ressent de nouveau les émotions qui l'ont parcourues durant ce petit concert improvisé et privé. La musique lui revient en tête.
Ce n'était donc pas un rêve. Le doute n'est plus possible. Là, sur son balcon, Hoseok revit ces si doux instants avec Yoongi, au milieu des bois, accompagné par le son si particulier du haegeum. Va-t-il le retrouver, le revoir et savourer à nouveau cette harmonie musicale avec lui ? L'observer balader ses doigts sur la corde, vivre son art et partager sa musique. Comment, si ce n'est en se perdant à nouveau dans la forêt ?
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Cet OS était écrit à la base pour un concours, BTS x les instruments traditionnels. Mais je vous le partage ici, car je l'aime beaucoup et espère que c'est votre cas aussi. Bonne journée ~
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