Jaesaeng

Description : Taegi - Destin - Samouraï - Restaurant - Impossible Love/love - Soft 

Nominée aux WKA 2022, Finaliste catégorie OS

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"On dit que certaines vies sont liées à travers le temps... Unies par un ancien appel qui résonne à travers les siècles."

Taehyung aime rêver d'un amour qui aurait déjà existé.

Yoongi passe toujours devant son échoppe sans jamais s'arrêter.

Pourraient-ils s'être déjà rencontrés ?



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L'odeur est alléchante, nul ne peut y résister. Le son est une invitation à se poser, déguster la viande et les légumes qui grésillent sur le grill depuis quelques minutes avant d'être servis avec un bol de riz d'un blanc éclatant. Il y a le petit goût sucré de la marinade, le croquant et le moelleux qui se mélangent, légèrement relevés par le piment. C'est une recette qui n'a plus d'âge, transmise de génération en génération, tout comme la petite échoppe de quartier, qui est devenue une institution. Bien des visages sont passés derrière les persiennes relevées, mais jamais l'atmosphère n'a changé.

Taehyung aime cet endroit et tout ce qui le constitue. Que se soit la décoration simple, la couleur des murs, celle des volets qu'il ouvre chaque matin, l'odeur, l'animation, l'histoire entre ces murs, les souvenirs qu'il lui évoque. Il est fier de ce qu'on lui a transmis, fier de faire vivre ce lieu de rencontres.

Quand il s'installe derrière son plan de travail, que ses mains s'agitent à tailler, découper, embrocher, mesurer. Il sait que son père, son grand-père, avant lui, ont effectué les mêmes gestes. Cela a un côté rassurant et réconfortant. C'est une routine bien huilée, il n'y pas à réfléchir, les gestes sont presque mécaniques, tout comme le reste.

Chaque matin Taehyung descend l'escalier qui sépare son appartement au premier, du restaurant au rez-de chaussée. Il enfile son tablier qu'il noue à sa taille, il relève ses cheveux bruns pour enfiler un bandana, ainsi ceux-ci ne le gêne pas quand il cuisine. Il fait le tour du petit restaurant, composé de son plan de travail, où il s'affaire et de quelques tables pour accueillir ses clients. Ce n'est pas bien grand, juste suffisant. Puis il ouvre la porte où la cloche sonne, il relève une à une les persiennes rouges pour apporter un peu de lumière naturelle à la pièce. Il place les quelques tabourets pour s'installer côté fenêtre et manger face à l'animation de la rue.

Il fait un tour dans les réserves afin de vérifier son stock, puis s'occupe de la mise en place pour le midi. Il pèse et lave le riz, puis le met à cuire et le garde au chaud pour le servir. Il prépare ensuite la marinade pour la viande et découpe les morceaux qu'il place sur les brochettes avant de les imbiber de la mixture qu'il a préparée plus tôt. Puis c'est au tour des légumes. A onze heures les premiers habitués commencent à arriver, ils boivent un verre, ou deux, certains restent même pour déjeuner. Puis viennent les étudiants, les salariés pour la pause de midi. Parfois il y a même quelques touristes, qui, il ne sait comment ont trouvé l'entrée du restaurant.

Taehyung s'affaire, dresse, sert, débarrasse, encaisse. Seul, il doit tout gérer, mais en général sa clientèle le sait et fait preuve de compréhension. On ne vient pas à La Rizière pour se presser mais pour savourer. Apprécier l'ambiance, la cuisine, le cadre, ces traditions. Quand l'effervescence et la frénésie du coup de feu de midi sont finies, il peut enfin se poser un peu.

Les derniers clients s'attardent, alors il en profite pour manger à son tour. Taehyung prépare un bol, quelques brochettes, et ajoute des légumes sur le riz. Ses pas le mènent à la grande vitre, et il s'installe sur l'un des tabourets. C'est son moment. Chaque midi c'est pareil, ses yeux guettent la pendule accrochée au mur. Il ne veut pas rater cet instant, alors son regard s'attarde sur toutes les silhouettes qui passent dans la rue.

Son attention est attirée par l'une d'entre elles qui se démarque de toutes. Dans un costume, gris, bleu, ou noir, un attaché-case à la main, une montre au poignet, des chaussures parfaitement cirées, des cheveux noirs ramenés en arrière. Il avance dans la rue, sûr de lui.

Taehyung ne sait rien de cet homme, ni son prénom, ni sa profession. Chaque jour c'est la même chose, de l'autre côté de la rue, derrière la fenêtre il observe cet inconnu qui, sans le vouloir, à emporter un petit bout de son cœur épris. Inconnu qui ne s'arrête pourtant jamais.


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Aujourd'hui ne fait pas exception, Taehyung est fidèle au poste pour ses clients. Une famille vient de partir après avoir réglé sa note. Il ne reste plus qu'une personne âgée et deux étudiants attablés. La pause de midi est bientôt terminée, ils ne vont pas tarder à s'en aller.

Alors le brun s'attèle à son petit rituel, son moment de douceur après le service. Il prépare son bol, sa viande, malheureusement en ce jour, plus de légumes, victimes de leur succès. Tant pis, il mangera une salade de fruits pour compenser. Un plateau en main, il s'attable et attend. Il savoure tant que son repas est encore chaud, puis sort son téléphone pour vérifier ses messages, pas de nouvelle, bonne nouvelle comme on dit. Demain c'est le week-end, Taehyung aime le vendredi qui marque le dernier jour de la semaine, car le samedi et le dimanche, il est ouvert midi et soir. Plus de clients, plus de recettes. C'est donc sa dernière soirée de libre avant le rush de ces deux jours. Lundi, jour de fermeture, il pourra se reposer.

La pluie tombe aujourd'hui, sans interruption sur la ville. Elle oblige les passants à presser le pas, cachés sous leurs parapluies. Les gens ne s'attardent pas devant la fenêtre, il n'y a presque personne.

Puis soudain, le voilà.

Il passe au pas de course, il n'a pas de parapluie, ses cheveux d'habitude si bien coiffés, tombent sur son front et gouttent. Taehyung à tout juste le temps de noter ce détail que le voilà déjà envolé. C'est injuste, le vendredi c'est le dernier jour. L'homme ne semble pas travailler le week-end. Le restaurateur va devoir attendre mardi pour espérer de nouveau l'observer.

Soupirant, son esprit divague sous le plic-ploc de la pluie dans la flaque en face de lui. C'est extrêmement hypnotisant. Son menton se pose dans le creux de sa paume et Taehyung se met à imaginer une pluie chaude, qui tombe doucement sur un chemin de terre. L'odeur de celle-ci, à peine mouillée. Un homme courbé, un chapeau de paille vissé sur la tête pour se protéger de la fine bruine, les mains enfoncées dans l'eau tirant sur les tiges vertes, prêtes à être cueillies.

L'homme se redresse et se tient les reins de fatigue. Voilà plusieurs heures qu'il est ainsi courbé au-dessus des plants de riz. Mais malgré le temps, la récolte n'attend pas. C'est même le moment propice. D'un geste de la main, il éponge son front avec la manche de sa tunique. Il peut faire une petite pause, il a bientôt terminé cette parcelle de rizière. Plus loin, les autres s'arrêtent quelques minutes aussi.

"Tout va bien Tae, demande alors l'une d'entre eux.

Oui, ça va. Je vais vite reprendre."


Sans rien ajouter, la femme s'éloigne en hochant la tête. Elle rejoint le groupe. Mais Tae préfère rester à l'écart. Il sort de la rizière et s'assoit sur le bord du chemin de terre. Il sort de la poche de sa tunique une boulette de riz pour son estomac qui réclame pitance après plusieurs heures de travail.

Aujourd'hui la chaleur est étouffante, la saison des moussons approche et cette bruine qui tombe n'est que le prémice des torrents qui vont déferler sur la région.

Tae retire son large chapeau et tourne sa tête vers le ciel couvert. Il ferme les yeux et son visage se recouvre d'une fine pellicule d'eau, le temps d'un instant, il se rafraîchit. Alors qu'il se repose et se restaure, il entend dans son dos le bruit caractéristique des pas. Le paysan devine que c'est lui qui arrive. Il ne peut pas se tromper, c'est l'heure et il reconnaîtrait entre mille cette démarche, le son du saya qui tape contre le bas l'armure.

Alors Tae se retourne légèrement et l'aperçoit.

Min Yoongi.

Comme chaque jour, le paysan sent immédiatement son cœur battre un peu plus fort dans sa poitrine à mesure que le samouraï approche. Et comme toujours, Min Yoongi est époustouflant.

Coiffé lui aussi d'un large chapeau de paille pour se protéger de la bruine, il est vêtu d'une tunique, aux couleurs de son seigneur, bleu nuit, d'un pantalon large de la même teinte et de son armure, plus légère que celle qu'il porte pour partir au combat. Sa main toujours sur le manche de son katana, il avance fièrement sur le chemin de terre, des waraji aux pieds.

Tae ne pourra jamais se lasser de cette vision. Même quand la saison des récoltes est terminée, même quand la neige et la pluie se mettent à tomber, il est là, il attend que Min Yoongi passe pour sa ronde quotidienne dans le village et la vallée.

Sur ordre du seigneur Tojiro, matin et soir, accompagné de Jung Hoseok, il surveille qu'un trouble-fête n'interfère pas dans le travail et la tranquillité des habitants. Il défend les plus démunis, et effraie les mécréants, il fait régner la paix sur le petit village dans la vallée.

Plus il s'approche, plus le paysan peut détailler les traits de son visage. Beaucoup le trouvent peu avenant, car le samouraï ne sourit que rarement, le sérieux habite toujours ses traits, concentré sur sa mission. Une cicatrice barre sa joue, vestige d'un combat passé, il aurait pu perdre son œil si la blessure avait été plus profonde. Une peau blanche, des yeux d'un noir profond et des cheveux tout aussi sombre. Tae aime chaque parcelle de ce faciès qu'il ne lasse pas d'admirer.

Cependant, il ne peut s'empêcher de penser que jamais, il ne devrait ainsi se laisser aller. Yoongi et lui ne sont que de simples connaissances. Ils se croisent tous les jours, sans jamais vraiment se parler, leur monde est aussi éloigné que la terre l'est du ciel. Lui est fils de noble, samouraï, guerrier, bientôt il devra trouver une épouse et fonder une famille pour perpétuer la lignée des Min. Tae, n'est qu'un paysan au service du seigneur, comme tout le reste de sa famille, il est de basse extraction, vit dans une petite cahute et passe ses journées aux champs.

Alors ce moment de la journée est la seule chose qui lui reste pour entretenir cet amour qu'il ne devrait même pas éprouver. Mais Tae est comme ça, il garde pour lui ses rêves et ses espérances d'un monde où Min Yoongi et lui pourraient se parler sans qu'un quelconque rang social ne vienne les séparer...

Tout à ses pensées, il se tourne de l'autre côté et regarde le dos du samouraï s'éloigner sur le chemin de terre. Il se redresse durement et retourne dans la rizière, il doit finir aujourd'hui cette parcelle...

C'est une tape sur l'épaule qui ramène Taehyung à la réalité. Cela doit faire plusieurs minutes que les deux étudiants l'interpellent pour régler la note avant de s'en aller. Il ne s'en était même pas rendu compte. La dame âgée est partie, laissant sur le comptoir la somme exacte pour son plat et les deux jeunes gens souhaitent régler en carte bleue. Depuis combien de temps est-il là, à rêver de ce samouraï et de ce paysan ? Au moment d'encaisser, il a une drôle de sensation qui lui parcourt l'échine. Il repense à ce songe, cela lui procure la même impression que ce phénomène étrange de déjà-vu, lorsque l'on pense avoir déjà vécu ou vu une scène.

Taehyung raccompagne les deux personnes à la porte et ferme celle-ci à clef. Il s'attèle ensuite au rangement de la salle, au nettoyage des tables, il récure les grosses marmites et met au lave-vaisselle les plats vides. Il fait l'inventaire de son stock pour passer commande avant le week-end, et ferme définitivement le restaurant pour la soirée.

Fatigué, il a le dos courbaturé comme s'il avait passé la journée dans une mauvaise position. Un sentiment toujours étrange l'habite quand il part se coucher.


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Le week-end ne fut pas de tout repos, comme d'habitude, les clients se bousculent et les commandes s'enchaînent. Les chaises de La Rizière ne restent jamais bien longtemps vides. Heureusement que Seokjin vient aider pour le service et l'encaissement, cela permet à Taehyung de se concentrer sur la cuisine. Épuisé, il s'est couché le dimanche, dormant d'une nuit sans rêve. Le lundi, par paresse, il n'a rien fait et de toute façon la pluie n'avait pas cessé. Celle-ci se poursuit encore ce mardi...

Taehyung n'aime pas ce temps, qui n'est pas propice aux affaires. Les gens préfèrent rester dans les locaux chauffés, se faire livrer plutôt que de s'aventurer dans les rues inondées... Alors les rares clients qui daignent pousser la porte du restaurant sont accueillis chaleureusement, ils prennent même davantage leur temps.

Cela fait maintenant plusieurs minutes que le restaurateur est derrière sa fenêtre. Son plat est terminé depuis longtemps et la salle est vide. Pourtant son inconnu n'est pas passé, est-il malade ? En congé ? Taehyung se balance d'un pied à l'autre, il trépigne d'impatience, l'angoisse le gagne. Et s' il lui était arrivé quelque chose ? Non, il doit se reprendre, il doit, comme beaucoup, être resté au bureau par ce temps calamiteux...

Le brun s'apprête à regagner son plan de travail pour ranger quand le voilà. Il arrive trempé de la tête aux pieds. Il se sert de son attaché-case comme parapluie de fortune, malheureusement les gouttes tombent de manière oblique et cela ne suffit pas à le protéger. Taehyung l'observe quelques secondes.

Poussé par il ne sait quelle audace, il empoigne un parapluie oublié dans le rangement prévu à cet effet, et se précipite sous le torrent. Il court à la suite de son inconnu et avant-même qu'il n'est pris conscience de ce qui est en train de se passer, sa main se pose sur l'épaule de l'homme qui se retourne de surprise.

Ses yeux détaillent de haut en bas le brun qui est maintenant aussi mouillé que lui, sa tenue, son tablier, son bandana, sa mine surprise. C'est pourtant lui qui vient de l'accoster, pourquoi semble-t-il si décontenancé ?

"Oui ? demande-t-il."

Taehyung bredouille, regarde ses pieds, il regrette presque son geste.

"Je... Pardon... Je vous ai vu sous la pluie... Et tenez, pour vous abriter."

L'inconnu n'a même pas le temps de répondre, protester où ne serait-ce que de réagir, qu'il se retrouve un parapluie entre les mains. Le brun est déjà reparti précipitamment, s'engouffrant dans l'un des restaurants de la rue. Le salarié plisse les yeux le temps de déchiffrer la devanture : "La Rizière". Il regarde le parapluie, puis l'établissement, ses yeux font l'aller retour plusieurs fois, avant d'hausser les épaules et reprendre son chemin, un faible sourire aux lèvres. Surpris par cet acte de gentillesse désintéressé.

Taehyung a le cœur au bord des lèvres. Sa main se pose sur son palpitant qui tambourine dans sa cage thoracique. Il ne se sent pas bien, il prend conscience de ce qu'il vient de se produire. Pour la première fois, il n'est plus invisible, son rêve se confronte à sa réalité, il vient percuter la vitre et la briser en morceaux. C'est inutile, il ne peut les recoller...

Dépité, il tente de se changer les idées, en remettant la salle en place, en nettoyant les tables. Son regard est vide de toutes émotions, son cœur empli de regrets. Que doit-il penser à cette heure ? Le prend-t-il pour un fou ? Perdu, il retire les derniers grains de riz qui collent aux bols avant de les mettre au lave-vaisselle. Le blanc tranche si fortement sur le bleu, le rouge, le vert. Cela lui rappelle des souvenirs, ou bien est-ce un rêve ? Il ne sait plus, tout se mélange, le passé, le présent.

Il se remémore les tiges plongées dans l'eau, leurs racines profondément enfouies dans le sol, les paysans le dos courbé. Des gestes répétitifs, des quotas à respecter, la mousson qui approche. Un jeune homme qui lui ressemble étrangement, épongeant un énième fois son front.

Tae soupire, il est épuisé après cette longue journée qui sonne heureusement la fin de la récolte. Après des semaines de travail, le précieux or blanc de la vallée est cueilli, prêt à être nettoyé et séparé des tiges. Heureusement pour le paysan, cette tâche ne lui incombe pas, il va pouvoir se reposer un peu, le temps que la saison des pluies ne passe et que le travail reprenne. La nuit va bientôt tomber, il va pouvoir rentrer, il ne lui reste que quelques plants. De toute façon son panier est rempli, il ne pourrait en ajouter davantage.

Une, deux, trois tiges, et le voilà qui pousse cette fois un soupir de soulagement. Ce soir, il portera les derniers paniers afin de les peser et empocher l'argent de son dur labeur. Il ne traîne pas, le bas de sa tunique humide le fait frissonner, il ne manquerait plus qu'il attrape froid, il n'a pas les moyens de se payer les remèdes d'un guérisseur.

Tae sort de sa parcelle de rizière portant le lourd panier rond, qu'il pose à côté de lui. Il en profite pour secouer ses pieds de la terre qui s'est accumulée. Tout à son occupation, il ne s'aperçoit pas de la menace qui s'approche dans son dos. Lui qui d'habitude est à l'affût du moindre bruit à baisser sa garde. Min Yoongi est déjà passé depuis longtemps, alors il n'attend plus personne.

"Tu vas rester bien sage, entend-il derrière lui alors qu'un objet se pose entre ses omoplates, sinon je serais obligé de me servir de cela."

Se crispant de peur, sa lèvre inférieure se met à trembler. Jamais il n'a été confronté à pareille situation. Le paysan comprend ce qui est en train de se passer, l'homme dans son dos n'est pas seul, accompagné de son acolyte, il le menace afin de s'emparer du fruit de son labeur. C'est injuste pense le brun, il a travaillé toute la journée, à tel point qu'il est encore le dernier dans la rizière afin de terminer sa tâche. Il refuse de se laisser faire, de perdre ce qui va lui permettre de gagner un maigre salaire. Il peut comprendre la détresse de certains habitants, la faim qui tiraille l'estomac, la pauvreté, l'ayant lui-même connu. Seulement cela ne justifie pas de tels actes.

"Ce n'est pas raisonnable, nous pouvons plutôt nous entraider, tente t-il en se retournant légèrement vers son interlocuteur."

Le deuxième est déjà parti avec un premier panier qu'il dissimule sur une charrette.

"Tais-toi ! lui crie l'homme."

Il appuie davantage son arme de fortune, blessant Tae. Demain il aura un hématome c'est certain, enfin s'il voit le lever du soleil... Les minutes passent et le paysan sent la nervosité chez les deux hommes, à tout moment la situation peut mal tourner pour lui. Il suffirait d'un coup de bâton pour le sonner ou pire...

Le dernier panier est embarqué et Tae perd espoir, il voit son argent s'envoler et les conséquences que cela peut engendrer. Il souhaite répliquer, cependant que peut-il bien faire ? Il est seul contre deux hommes anxieux et déterminés à le dépouiller, il n'a pas de grandes capacités physiques, ni d'arme.

Les mains en l'air, il s'apprête à répliquer une dernière fois quand ses oreilles captent un son qu'il n'espérait pas. Le bruit d'une démarche qu'il reconnaîtrait entre toute, le saya qui tape contre l'armure. Min Yoongi arrive, il est seul, il avance comme à son habitude sûr de lui, le sabre au côté, son chapeau de paille qui dissimule son visage. Et quand il redresse enfin la tête, son visage est magnifique de détermination. Tae a presque envie de pleurer de soulagement.

Les deux hommes s'arrêtent, perplexes, ils détaillent le samouraï.

"Bonsoir Messieurs, lance Yoongi."

Celui-ci s'approche, se positionne aux côtés de Tae.

"Tout va bien ? lui demande-t-il. Ta mère était inquiète de ne pas te voir rentrer, alors je suis venu. Je m'en occupe, ajoute-t-il."

Le brun acquiesce, il ne compte pas répliquer, réalisant les paroles du samouraï. Yoongi est venu l'aider.

"Bien Messieurs, le choix est simple, vous rendez le riz que vous venez de dérober et nous pourrons régler cela devant le seigneur Tojiro dans le calme ou..."

Il ne termine pas sa phrase empoignant plutôt son katana qu'il sort du saya, le pointant vers les deux malfrats. Le premier semble hésiter, le deuxième armé de son bâton réplique et empoigne son bout de bois qu'il dirige vers le samouraï. C'est le pot de fer contre le pot de terre, mais peu importe, pense-t-il, il ne s'est pas donné tout ce mal pour rien. L'adrénaline pulse dans ses veines, ainsi que les quelques verres d'alcool qu'il a bu précédemment pour se donner du courage.

Poussant un cri de rage, il s'élance maladroitement, son arme de fortune au-dessus de la tête.

Yoongi s'écarte, tirant Tae à sa suite, qu'il enjoint d'un geste à se pousser. Puis tout se passe très vite, le paysan peine à suivre avec la nuit qui tombe.

Le samouraï n'a même pas besoin d'utiliser son arme, son assaillant se fatigue très vite, les gestes sont brouillons, il frappe dans le vent. Seulement, son acolyte, reprenant conscience de la situation se rut sur Min, légèrement pris au dépourvu, Yoongi l'évite mais ne voit pas le coup de bâton qui tombe sur sa tête.

La masse s'abat sur sa tempe et le sonne quelques secondes. Le voleur semble lui-même surpris d'avoir fait mouche. Yoongi en profite. A cet instant Tae se rend compte qu'il est un vrai guerrier, que d'un coup d'épée, il pourrait les tuer, seulement il retient son katana, son but n'est pas de donner la mort ce soir. Il a l'impression de voir la scène au ralenti. Là, alors que la Lune commence sa course dans le ciel, il est éblouissant, son armure brille, sa tunique bouge à chacun de ses gestes accompagnant ses mouvements.

Le poing du samouraï termine sa course dans la tête du premier bourg, assommé, son corps lourd s'écroule à terre près du paysan. Le deuxième cesse tout mouvement quand la lame se pose sur sa gorge, menace silencieuse qui l'incite à rester immobile sous peine de finir la gorge tranchée.

"Je te conseille de ne pas répliquer, souffle Yoongi. Ou la mort viendra te cueillir et je n'aurais aucun scrupule à salir ma lame."


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Une fois les deux voleurs mis hors d'état de nuire, Yoongi les avait conduits auprès du seigneur Tojiro, lui seul pouvait décider de la sentence à appliquer pour leurs crimes. Lorsqu'il était ressorti de la grande demeure, Tae l'attendait à la porte. Le jeune paysan l'avait alors invité à se restaurer dans sa petite cahute.

"Tu n'as pas besoin de me remercier, je n'ai fait que mon devoir.

- Laissez-moi faire cela pour vous, et soigner votre blessure à la tête. Je sais que ma maison est modeste néanmoins c'est la seule chose que je peux faire pour vous montrer ma gratitude, avait alors supplié Tae en se mettant à genoux."

Et Yoongi avait accepté.

Installé sur la petite paillasse, le samouraï mange une boule de riz accompagnée de poisson séché. Tandis que Tae s'assoit à côté de lui, un linge humide entre les mains.

"Je peux, demande-t-il avant d'oser poser ses doigts sur l'homme qu'il aime en secret depuis si longtemps."

Yoongi acquiesce, approche son visage et ferme les yeux. A cet instant, le brun pourrait se pencher et effleurer ses lèvres d'un doux baiser. Mais tout l'en empêche, son statut, son honneur, les conventions, la bienséance, la peur... Résigné, il se contente de poser sur la tempe de Min Yoongi le linge humide, là où le bâton a frappé. Un peu de sang a coulé, alors doucement il tapote pour le nettoyer. A défaut de pouvoir y goûter, il admire les traits apaisés de son si beau visage, la courbe de son nez, ses paupières closes, cette cicatrice. Il remarque un détail qu'il n'avait encore jamais vu. Là, juste sur son cœur, Yoongi porte une petite broche, c'est une grue finement travaillée, dont l'œil est sertie d'une petite pierre bleue comme un saphir. Tae s'imagine alors que c'est peut-être un bijou de famille, il refuse d'envisager qu'elle soit un présent de sa future épouse.

Chassant ses pensées, il termine ce qu'il a commencé et s'éloigne de Yoongi. Le sang colore le linge d'un rose, grenade. Le paysan s'en veut d'avoir causé tant de soucis au samouraï même si celui-ci affirme qu'il n'a fait que son devoir... Il préfère donc rester silencieux, rongé par la culpabilité. C'est Min qui finit par reprendre la parole. Ayant terminé son repas, il pousse le plateau plus loin.

"Merci pour la nourriture, et merci d'avoir soigné ma blessure."

Il s'apprête à partir et rentrer chez lui, quand ses pieds font demi-tour.

"Je te vois tous les jours à la rizière, tu travailles dur pour un faible salaire. N'as-tu jamais pensé à faire autre chose de ta vie ?"

Tout ceci est surprenant, tellement que Tae ne sait pas quoi répondre. Non seulement, Yoongi lors de sa ronde quotidienne, remarque tous les jours le paysan, mais en plus de cela, il semble s'inquiéter pour sa condition. Le brun ne peut s'empêcher de se demander pourquoi.

"Je n'ai jamais eu l'opportunité de faire autre chose... Ma famille a toujours fait cela... finit-il par répondre.

- Mais toi, qu'est-ce que tu aurais envie de faire ?

- Je ne sais pas."

Tae réfléchit. C'est vrai que travailler aux champs n'a jamais été une passion, un plaisir. C'est plus une obligation, dû à sa condition. Il n'a jamais pu s'élever plus haut dans la société. Il repense alors à Yoongi qui quelques instants plus tôt mangeait son maigre repas. Pourtant sur son visage, il semblait apprécier la nourriture. Cette expression sur son faciès avait réchauffé le cœur du paysan.

"J'aimerais cuisiner pour les autres, ouvrir une petite échoppe et que les gens puissent manger et discuter autour d'un bon repas, explique-t-il finalement."


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Après ce qu'il s'est passé dans la rue avec son inconnu, Taehyung a changé ses habitudes. Honteux, il n'ose plus manger devant la fenêtre, de peur que le salarié ne le surprenne et qu'il décide de venir lui parler. Le week-end est arrivé, cela fait trois jours qu'il ne l'a pas vu. Cela lui manque, mais il ne peut s'y résoudre de peur de découvrir ce que pense l'homme...

Seokjin est arrivé depuis quelques minutes, il aide Taehyung pour les dernières mises en place avant que le service du soir ne commence. Il dispose sur les tables les verres, les menus, il prépare quelques carafes d'eau et des serviettes. Pendant ce temps, le restaurateur dispose les brochettes dans la marinade. Une fois cela fait, il se dirige vers la devanture, il allume les lumières, il relève les persiennes.

La pluie a enfin cessé et le ciel est dégagé. Les rues sont bondées d'étudiants, de passants, de touristes, la soirée s'annonce bien. Il soupire, confiant, avant de retourner à l'intérieur et les premiers clients ne tardent pas à arriver. Seokjin les accueille, les place à table et prend les premières commandes. Taehyung ne fait plus attention à la salle, il est le nez dans les plats, derrière son plan de travail, les clients peuvent le voir s'affairer à préparer les commandes. C'est comme un ballet chorégraphié.

La soirée poursuit son court, les tables se sont déjà vidées, puis de nouveau remplies. En ce samedi soir, Seokjin et Taehyung ne chôment pas. A tel point que le restaurateur a appelé en cour de service son cousin Namjoon pour réguler le flux de clients à l'entrée du restaurant, ils doivent parfois attendre quelques minutes qu'une table ne se libère.

Le brun s'apprête à appeler le serveur pour une commande terminée, quand ses yeux se posent sur la table la plus proche de lui. Là, assis, il y a trois jeunes hommes. Le premier est tatoué et rigole à gorge déployée, le deuxième roux lui semble familier, peut-être un client régulier. Et puis le dernier... Son inconnu...

Il n'est pas habillé d'un costume comme à son habitude, mais d'un pull gris et un simple jean. Taehyung reste figé, la bouche ouverte. Il ne sait pas comment réagir quand leurs regards se croisent et qu'il lui sourit en faisant un signe de la main.

C'est Jin qui le tire de sa rêverie, agitant ses doigts devant son visage.

"Tout va bien ?

- Oui oui, pour la 4 s'il-te-plait."

Puis son professionnalisme reprend le dessus, les clients ne peuvent attendre, les plats doivent arriver chauds. Les trois garçons commandent et Taehyung ne peut s'empêcher de sourire en constatant qu'ils ont un sacré appétit. Il met inconsciemment un soin tout particulier à dresser le plat de son inconnu. Il jette même quelques coups d'œil quand celui-ci se met à manger. Ce qu'il voit lui réchauffe tout son être. Le salarié semble se régaler, ses yeux se ferment à chaque bouchée. La scène semble si familière et le restaurateur retrouve cette même sensation qui a assailli son être la semaine dernière. Une impression de déjà vu. Il retourne à ses fourneaux, un sourire aux lèvres.

Le service fut intense. Quelques clients demeurent encore dans la salle. Seokjin dépose les derniers desserts. Namjoon s'est posé à une table pour savourer un plat amplement mérité. Taehyung range un peu la cuisine. Et les trois garçons sont toujours là. Ils plaisantent, terminent les plats, échangent autour d'un thé chaud.

Il y a des regards, des sourires. Le brun ne sait comment les interpréter. Il a peur d'espérer.

Puis le salarié se lève et s'approche du comptoir, sa carte bleue à la main. Comprenant qu'il veut régler la note, Taehyung s'approche de la caisse avant que Seokjin n'ait pu le faire. Par politesse, il arrive à demander sans bégayer :

"Tout s'est bien passé ?

- Oui, la cuisine est excellente ! Mes compliments au chef !"

Et le brun ne peut stopper le rougissement de ses joues. Il s'incline, incapable de prononcer le moindre "merci".

"Je voulais aussi vous rendre ceci, ajoute-t-il en tendant le parapluie que le restaurateur reconnaît immédiatement.

- Oh ce n'était pas la peine...

- J'insiste, je pourrais en avoir besoin de nouveau, si la pluie se met à tomber."

Taehyung le regarde les yeux écarquillés. Il comprend à peine ce qu'insinue son client, que celui-ci reprend déjà :

"Je me posais la question, commence-t-il en pointant du doigt un objet dans le dos de Taehyung. Qui est-ce ?"

Le brun se retourne pour décrocher le cadre et le poser entre eux. Il aime bien cette gravure, elle raconte une histoire.

"C'est mon ancêtre, je porte le même nom que lui, un souhait de mon père. Il était paysan, il a travaillé dans les rizières toute sa vie. Cependant, mon père m'a toujours expliqué que son rêve était d'ouvrir une échoppe pour nourrir les gens de passage. Malheureusement, cela n'est jamais arrivé. Alors son fils, en l'honneur de sa mémoire, s'est donné beaucoup de mal pour créer La Rizière."

Taehyung ne sait pas d'où lui vient cette soudaine verve, lui qui avait tant de mal à aligner deux mots devant son inconnu. Peut-être est-ce la nostalgie d'un passé qu'il n'a pas connu ? Parler de ce temps-là le réconforte. C'est un petit bout de lui, il ne serait certainement pas la personne qu'il est aujourd'hui, s'il n'avait pas repris le restaurant. Il sourit en passant son doigt sur la vitre.

Le client est fasciné, il voit pétiller un éclat qu'il ne connaissait pas encore dans les yeux du brun.

"Et lui ? interroge-t-il encore.

- C'était un samouraï de la famille Min, apparemment un ami très proche de mon ancêtre. C'est lui qui a commandé cette gravure pour lui en faire cadeau."

Sur le papier, les deux hommes se tiennent debout devant une petite maison, droits, les mains derrière le dos, ils sourient. L'un porte une simple tunique, l'autre une armure. Derrière on peut y voir la montagne creusée en terrasse pour la culture du riz. Le client ne peut s'empêcher de sourire. Il trouve qu'il se dégage une atmosphère particulière du dessin. Il sent l'émotion monter en lui, ses yeux s'humidifier, il ne saurait l'expliquer.

Taehyung aussi reste sans voix, là, au milieu de La Rizière, son cœur bat un peu plus fort. L'air gondole d'une émotion nouvelle autour d'eux. Il sent le trouble chez son interlocuteur et le partage. Tentant de reprendre contenance, il passe une main dans ses cheveux. Il remarque alors un détail que ses yeux n'avaient pas encore accroché. Son inconnu porte en collier autour du cou ce qui semble être une petite broche. C'est une grue finement travaillée, dont l'œil est sertie d'une pierre bleu saphir.

Il est tellement absorbé par ce petit objet, qu'il n'entend pas tout de suite le salarié lui parler.

"... C'était tellement bon !

- Pardon ?"

Le client sourit et la salle gagne encore quelques degrés.

"Je vous disais, je pense revenir. C'est fou je passe tous les jours ici et pourtant je n'ai jamais pris le temps de m'arrêter. C'était tellement bon !"

Taehyung aimerait lui dire qu'il ne rêve que de cela. Que depuis plusieurs mois son cœur n'espère qu'une chose, qu'il passe la porte, qu'il s'arrête et le voit. Mais c'est peut-être encore un peu trop tôt pour lui faire part des élans de son palpitant. A la place, il tend timidement la main.

"Je me ferais un plaisir de vous accueillir à La Rizière, ma porte sera toujours ouverte pour partager un bol de riz. Je m'appelle Kim Taehyung.

- Enchanté, Min Yoongi."


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Tae le paysan, et Min Yoongi le samouraï n'ont jamais partagé ce dont Taehyung a rêvé. Pourtant, il sait, au fond de lui, que cet amour a bien existé.

Peut-être aura-t-il fallu attendre le bon moment, pour que Yoongi s'arrête devant son échoppe ? Que la pluie accélère les choses et provoque une rencontre ? Peut-être se sont-ils déjà rencontrés, dans un autre temps, un autre lieu, au bord d'une rizière, avant la mousson ? Peut-être n'était-ce qu'un rêve ou un souvenir ?

"On dit que certaines vies sont liées à travers le temps... Unies par un ancien appel qui résonne à travers les siècles."


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Merci à reya_san pour la correction !

Voilà, j'espère que cette histoire vous a plu ! Merci pour votre soutien et à bientôt ~ 

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