Chapitre 5
« 1er juin 1375
Je commence à m'adapter à cette vie de paria. De déchet de l'humanité. Peut-être ne devrais-je pas penser ça de moi et de mes comparses ? Pourtant, c'est bien ce que je ressens au fond de moi. Nous vivons en marge de la société, cachés aux yeux de tous. Et pourtant, de nombreux êtres humains commencent à se douter de l'existence de "monstres buveurs de sang". Ils retrouvent de plus en plus de corps qui s'amoncellent. Il faut dire que notre population est décadente. De plus en plus des nôtres viennent dans le coin, nous ne serons plus très longtemps en sécurité si ces hommes se retournent contre nous.
Pour ne pas nous faire trop remarquer, pour que l'on ne repère pas nos teints blafards, nous vivons de nuit. Mais le soleil me manque. La vie me manque.
Je commence à me souvenir peu à peu de mon ancienne vie. Lorsque j'étais encore humain... Je militais pour l'abolition de l'esclavage. Je trouvais la traite des noirs irrévérencieuse et d'une répugnance sans nom. Comment des humains pouvaient-ils s'en prendre à d'autres humains ? Comment pouvaient-ils les fouetter ? Les tuer de sang-froid ? Je voulais devenir politicien. Cela je m'en souviens. J'avais une femme et deux enfants. Miranda, ma douce colombe, avait peur pour ma vie et celles de James et Théobald. Le petit Théo avait à peine deux ans lorsque j'ai été transformé. Quel âge a-t-il maintenant ? Normalement, ce jour est censé être celui de son cinquantième anniversaire. Est-il seulement toujours en vie ?
Mais bientôt, très bientôt, il ne sera plus que poussière. Tout comme tous les êtres que j'eusse connus de mon vivant. Car, il faut le dire, je suis mort. Je suis un mort qui marche, qui parle... Et qui boit. Du sang. Toujours plus de sang. »
Mon Dieu... Cela avait semblé si terrible. Pauvre Thadée... Pourtant, cela ne pouvait être réel. Mais ces mots ? Lyanda avait l'impression qu'ils s'insinuaient en elle pour toucher son âme. Cet être n'avait pas pu exister. Ou alors, c'étaient les mots d'un homme délirant. Ce ne pouvait pas être réel ! Elle en frissonnait.
Ce fut la raison pour laquelle elle referma le journal et alla se préparer un chocolat chaud. Elle espérait qu'ainsi il la réchauffe de l'intérieur. Il faisait bon dans l'appartement. Pourtant elle avait froid. Si froid...
Elle hésitait d'ailleurs à poursuivre sa lecture. Elle avait déjà le sentiment de perdre l'esprit, alors lire les mots d'un fou n'allait certainement pas l'aider à aller mieux. Pourtant, elle se sentait hantée. Happée. Elle ne pensait plus qu'à sa lecture. Elle tentait de résister, lorsque son téléphone se mit à sonner. Quelle ne fut pas sa surprise de voir que c'était sa mère qui l'avait contactée. Cette femme aussi indifférente que froide ne se mêlait presque jamais de sa vie. Madame Esteves mère, alias Bénédicte, avait consacré toute sa vie à son cher et tendre mari. Quant à monsieur Esteves Amor, il n'avait d'amour que le nom. Néanmoins, elle décrocha.
— Lyanda ?
— Oui, maman ? répondit la jeune femme dans un soupir frustré.
Elle souhaitait retourner à sa lecture. Cette femme qu'elle appelait « mère » n'était qu'un leurre. Une comédienne qui faisait croire à tout son entourage qu'elle était une mère de famille parfaite. Alors qu'en vérité, son mari et elle ne juraient que par leur secte. Du moins, Lyanda s'était toujours imaginé que cela en était une. « The light of Truth » était une église de renommée en Écosse. Cependant, Lyanda, qui avait été obligée d'assister à de nombreuses consécrations, avait toujours trouvé qu'ils avaient quelque chose de faux. Le guide qu'elle avait rencontré, nommé Glen, avait tenté de l'embrigader dans leurs délires, mais elle s'en était toujours détournée. Il regardait sa propre mère avec un regard qu'un homme n'avait pas le droit d'avoir pour une femme mariée. Et Bénédicte ne le regardait pas non plus avec des yeux innocents. Pourtant, aux yeux de tous, elle passait pour la femme idéale.
— Je t'ai vue à la télévision. Glen est très inquiet. Il se demande quel pacte démoniaque tu as bien pu passer. Et moi aussi, figure-toi !
Et voilà, encore une fois, Glen. Pas Amor, Glen. Lyanda leva donc les yeux au ciel.
— Je ne sais absolument pas ce qu'il s'est passé. Mais tu n'as pas songé à t'inquiéter pour ta fille parce qu'elle venait de subir une agression ? Non, tu m'appelles juste parce que Glen « le cinglé » croit que les êtres démoniaques existent ?
— Ne parle pas de lui comme ça. Il a fait beaucoup pour notre famille. Ce n'est tout de même pas de sa faute si... tu es née de travers.
Encore et toujours les mêmes sermons. Elle s'en serait bien passée. Alors, plutôt que de subir ces coups de poignard qui lui étaient infligés à chaque fois, elle éloigna le téléphone de son oreille.
— Au revoir, mère.
Elle raccrocha. Et, pour ne pas être dérangée à nouveau, elle mit son téléphone en mode avion pour reprendre là où elle s'était arrêtée. À sa lecture aussi mystérieuse que fascinante. Elle avançait de quelques pages, curieuse de savoir où il allait en venir.
« Que n'aurais-je pas donné pour appartenir à ce monde ? Cela avait été le cas, il y a de cela des temps immémoriaux dont moi-même j'ai du mal à me rappeler. Pour dire, je ne sais même pas en quelle année je suis né. Je ne me souviens pas non plus de mes propres parents. Seulement de mon créateur. Christobal. Il a été comme un père pour moi, pendant de nombreuses années. Plus qu'un père, il a été mon salut. Et moi, j'aurais aimé être le sien. Il ne se passe pas un jour sans qu'il me manque. C'était un homme au caractère fougueux. Je me demande d'ailleurs pourquoi nous nous entendions si bien. Il me trouvait toujours trop lisse et trop poli. Pourtant, outre avoir été un père, il était aussi devenu mon ami.
Je me sens seul depuis qu'il est parti. Enfin... "parti", depuis qu'il s'est donné la mort plutôt. Il faut dire qu'il a perdu l'amour de sa vie suite aux machinations des humains. Et ensuite, ils osent prétendre que ce sont nous les monstres ? Ils ont dépecé Elena, ont broyé sa chair et ses os. Ils lui ont infligé mille tortures au nom de ce qu'ils appelaient la science. Et dans quel but ? Je tends à le découvrir. Je n'ai eu que peu d'amis au cours de ma longue existence, mais j'ai perdu le seul être qui comptait vraiment. Et moi, contrairement à lui, je n'ai jamais connu l'amour sacré qu'il avait trouvé. Parfois, je l'enviais. Du moins, lorsqu'elle était encore en vie. À sa mort, j'ai vu Christobal tomber et être anéanti. Il me faisait tellement mal au cœur.
En parlant de cela, je me demande si j'en ai toujours un. "Un cœur". Ce n'est pas quelque chose qui appartiendrait aux humains ? Moi, je n'ai plus d'humanité depuis bien longtemps. Christobal et Elena avaient été des étoiles scintillantes, qui ne brilleront jamais plus. Aujourd'hui je suis seul à devoir affronter le monde. Et notre espèce est en train de disparaître à petit feu. »
Lyanda se sentit triste à la lecture de ces mots. Comment pouvait-on survivre à une solitude pareille ? Elle avait vécu beaucoup de choses difficiles et pourtant elle avait toujours eu Andreas à ses côtés. Comment aurait-elle pu survivre sans lui ?
« Je me suis rendu sur la tombe de mes enfants. Ils étaient morts jeunes... Si jeunes... Je me demandais bien de quoi ils avaient pu succomber. Étaient-ils seuls ? Quant à Miranda, qu'était-il advenu d'elle ? Je ne trouvais nulle réponse.
J'étais retourné sur les terres qui étaient ma patrie dans l'espoir de ressentir un certain plaisir, une certaine nostalgie. Mais rien. Je ne ressentais rien. Que du vide. Et, tout comme en Écosse, la population vampirique se raréfie. Alors je décidai de voyager de par le monde. J'en découvrais certains qui se cachaient. De quoi ? Il y avait des rumeurs. Apparemment les nôtres étaient enlevés pour des expériences avant d'être tués. Nous devions agrandir notre race si nous voulions survivre. Cependant, je ne parvenais pas à arrêter de penser : "Serait-ce un mal si nous en venions à disparaître ?" Après tout, nous étions peut-être bien le fléau de l'humanité.
Pourtant, en songeant à Christobal, je sus qu'il n'aurait pas aimé me voir abandonner. Il aurait voulu que je la trouve, elle, mon humanité. Tout comme lui avait trouvé la sienne. Y avais-je seulement le droit ? Le bonheur. Je ne savais pas vraiment ce que signifiait ce mot. J'ai dû le savoir à une époque, mais j'ai oublié. Je ne sais plus pourquoi je vis. Je ne sais plus pourquoi je me bats. Je me sens si las de tout... »
Elle devait arrêter. Faire une pause. Du moins, ce fut ce qu'elle se dit lorsqu'elle se rendit compte qu'elle avait le visage baigné de larmes. Repoussant le journal, elle découvrit que la journée était presque passée. Andreas allait bientôt rentrer et elle devait toujours trouver le pardon pour son comportement inadmissible de la veille. Alors elle se leva et s'habilla, avec la ferme intention de préparer un bon repas pour son ami. Elle l'avait toujours su, pour l'atteindre elle devait passer par son estomac !
C'était décidé. Elle se pomponna, mit une jolie petite robe noire et des escarpins argentés qu'il lui avait offerts à son précédent anniversaire et qu'elle n'avait encore jamais portés. Puis elle se rendit à la cuisine pour choisir son poison.
Malheureusement, le frigo était d'un videdésolant. Il ne faisait donc jamais les courses ? Elle allait devoir remédier à cela et luidonner de meilleures habitudes de vie. D'ici à ce qu'elle trouve un nouveaulogis, elle ferait tout pour qu'il vive plus sainement. Fini les repas àemporter à tout bout de champ. Elle allait lui apprendre les bienfaits de l'artculinaire.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top